livraisons/MG_1696.xml

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      <titleStmt>
        <title>Mercure Galant, 1696</title>
      </titleStmt>
      <editionStmt>
        <edition>OBVIL/IREMUS</edition>
        <respStmt>
          <name>Anne Piéjus</name>
          <resp>Responsable d’édition</resp>
        </respStmt>
        <respStmt>
          <name>Nathalie Berton-Blivet</name>
          <resp>Responsable d’édition</resp>
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      </editionStmt>
      <publicationStmt>
        <publisher>Université Paris-Sorbonne, LABEX OBVIL</publisher>
        <date when="2015"></date>
        <availability status="restricted">
          <licence target="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/3.0/fr/">
            <p>Copyright © 2015 Université Paris-Sorbonne, agissant pour le Laboratoire d’Excellence « Observatoire de la vie littéraire » (ci-après dénommé OBVIL).</p>
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          </licence>
        </availability>
      </publicationStmt>
      <sourceDesc>
        <bibl><title>Le Nouveau Mercure Galant</title>, <publisher>Charles de Sercy</publisher>, <date>1696</date>.</bibl>
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        <date when="1696"></date>
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  <text>
    <body>
      <div type="tome" xml:id="MG-1696-01">
        <head><hi rend="i">Mercure Galant</hi>, janvier 1696 [tome 1]</head>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-01_007" resp="wordpro">
          <head>[Prélude. Prière pour le Roy]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, janvier 1696 [tome 1], p. 7-11.</bibl>
          <p>On fait en tout temps des Prieres pour le Roy, mais il n’y en a point où tous les vœux des François se renouvellent avec plus d’ardeur pour la santé &amp; prosperité de ce Prince, que dans celuy-cy. Le commencement d’une année est un sujet pour luy en souhaiter encore un grand nombre, &amp; qui soient accompagnées de tout le bonheur dont ses grandes qualitez le rendent digne. Nos vûës sont peut-estre interessées, puis que ce Monarque est le soutien de la France, &amp; que tous ses soins ne vont qu’à rendre ses Peuples heureux ; mais il est permis d’estre interessé de cette sorte, &amp; c’est toujours travailler pour conserver à la terre, ce que le Ciel luy a jamais accordé de plus parfait. Les Vers que vous allez lire, feront voir ces vœux exprimez avec tout le zele que peuvent avoir des Sujets pour un Souverain qui meriteroit de commander à tout l’Univers.</p>
          <quote>
            <label>PRIERE<lb />POUR LE ROY.</label>
            <lg>
              <l rend="i"> Grand Dieu, qui tenez dans vos mains</l>
              <l rend="i"> Le sort du plus grand des Humains,</l>
              <l rend="i">Ecartez tous les maux où luy-mesme il se livre.</l>
              <l rend="i"> Parmy ses soins laborieux</l>
              <l rend="i"> Conservez ses jours précieux.</l>
              <l rend="i">Qui défend vos Autels est bien digne de vivre.</l>
              <l rend="i"> Daignez encor sur son Auguste Fils</l>
              <l rend="i"> Etendre vostre Providence.</l>
              <l rend="i">De cette noble Tige il sort de si beaux Lis ;</l>
              <l rend="i"> Versez sur eux une douce influence.</l>
              <l rend="i">  LOVIS armé seul contre tous</l>
              <l rend="i">  Soutient une juste querelle.</l>
              <l rend="i"> Tous contre luy, bien moins que contre vous,</l>
              <l rend="i">  Forment une Ligue rebelle.</l>
              <l rend="i">Dissipez leurs projets, fortifiez son bras ;</l>
              <l rend="i">Qu’il mette enfin ses Ennemis par terre,</l>
              <l rend="i">Et terminant une funeste guerre,</l>
              <l rend="i">Faites, Seigneur qu’aprés tant de combats,</l>
              <l rend="i">Las d’entasser victoire sur victoire,</l>
              <l rend="i">Il regne en paix dans le sein de la Gloire.</l>
            </lg>
          </quote>
          <p>Cette Priere est de M<hi rend="sup">r</hi> de Hericourt, l’un des Academiciens de l’Academie Royale de Soissons.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-01_011" resp="mercure">
          <head>[Feste celebre à Avignon]</head>
          <bibl><title>Mercure galant</title>, janvier 1696 [tome 1], p. 11-29.</bibl>
          <p/>
          <p>Il s'est fait depuis peu de temps à Avignon, une Feste solemnelle, dont vous trouverez la description dans la Lettre que je vous envoye.</p>
          <p/>
          <p>A MONSIEUR DE...</p>
          <p/>
          <p>Vous attendez, Monsieur, de mes nouvelles, me voicy arrivé depuis peu de jours. Je n'ay pas oublié la parole que je vous donnay en prenant congé de vous, &amp; je la tiens d'autant plus volontiers, que ce que j'ay à vous écrire le mérite mieux. Je me croirois bien dédommagé des fatigues de mon voyage, si on faisoit ailleurs des Festes solemnelles pareilles à celles qu'on fit hier aux Penitens Gris de cette Ville. Je n'eusse jamais cru qu'en un lieu saint, qui ne respiroit que la pieté, on vist tant d'agrémens. Le sujet mesme en estoit tout à fait singulier. On y fit la Translation du Saint Sacrement, par ordre de Mr l'Archevêque de cette Ville, pour renouveller la memoire d'un prodige arrivé icy dans la Chapelle de ces Pentiens depuis prés de trois siecles. Je suis seur qu'un homme aussi pieux que vous l'estes, &amp; qui s'est fait un si grand plaisir de m'y faire observer bien des fois la pieté &amp; la religion du Roy touchant nos adorables Misteres, me sçaura bon gré que ce soit icy la premiere nouvelle que je luy donne depuis mon départ de Paris ; &amp; cette nouvelle vous sera d'autant moins suspecte, que l'Amy qui vous l'écrit est volontiers un peu incredule. [...] Je prens la chose d'un peu loin, par la liaison necessaire qu'elle a avec ce qui se passa sous le regne de Loüis VIII. Ce Prince l'an 1226. aprés trois mois de Siege s'estant rendu maistre d'Avignon, où les Heretiques Albigeois s'étoient cantonnez, voulut par une espece d'amende honorable reparer les outrages qu'avoient fait à Jesus Christ les ennemis jurez du Saint Sacrement, en assistant luy-même revêtu d'un sac couleur de terre, ceint d'une cordre, la teste nüe, &amp; le flambeau à la main, à une procession solemnelle, où se trouva le Cardinal de Saint Ange, Legat à Latere, que le Pape Gregoire IX. avoit envoyé exprés pour accompagner le Roy dans son expedition, &amp; où Pierre de Corbie, de l'Ordre de Cluny, Evêque d'Avignon, porta le Saint Sacrement le 14 de Septembre de la même année, à une Chapelle hors de la Ville, sous le titre de la Sainte Croix. L'exemple de ce pieux Monarque ramena à son devoir toute la Ville, qui avoit favorisé les Heretiques, &amp; donna commencement dés l'année 1226. à une devote Compagnie, sous le titre des Penitens Gris, ou de la Confrairie des Disciplinez, de laquelle il est probable qu'ont pris naissance toutes celles qui se sont depuis establies dans la Chrestienté, puisque suivant l'opinion de Varillas, la plus ancienne n'est que depuis l'an 1234. &amp; selon le Pere Maimbourg, depuis l'an 1260. L'Evesque leur donna des Regles que le Legat confirma, &amp; la ferveur des Citoyens, que leur Evesque avoit obligez d'aller par penitence reciter tous les Vendredis les Pseaumes de la Penitence, dans cette Chapelle, les porta si loin, qu'outre les rudes disciplines dont il y chastioient souvent leurs corps, ils voulurent encore sur l'exemple du Roy, qui les toucha vivement, &amp; qu'ils reconnoissent pour Fondateur de leur Confrairie, se revestir d'un sac tel que le Prince l'avoit porté, &amp; qu'ils portent encore aujourd'huy, &amp; allerent passer tous les jours, &amp; presque les nuits entieres, à y adorer le S. Sacrement ; ce qui détermina le Prelat a ordonner qu'on l'y tiendroit exposé jour &amp; nuit à perpetuité, pour rendre d'éternelles actions de graces du changement si prompt &amp; si universel d'une Ville qui venoit de donner retraite à l'Heresie ; &amp; comme cette ferveur ne se rallentit point dans la suite des temps, les Papes, les Evesques, les Archevesques autoriserent l'Exposition perpetuelle du Saint Sacrement dans cette Chapelle, mais le Ciel voulut bien luy mesme l'autoriser par un prodige éclatant. Avignon est tout entouré de rivieres, &amp; la Chapelle des Penitens Gris est mesme bastie sur le Canal de la Sorgue, &amp; comme le 29. de Novembre 1433 les pluyes extraordinaiores firent déborder les eaux, il en entra une si grande quantité dans cette Chapelle, que les deux Chefs de la Confrairie craignant que l'eau ne s'élevât jusqu'au Tabernacle, où étoit exposé le S. Sacrement, resolurent d'y entrer le 30. pour le faire transporter ailleurs, au cas qu'il y eust quelque danger ; mais ils trouverent que les eaux qui estoient montées à droite &amp; à gauche le long des murailles à la hauteur de quatre pans, s'estoient partagées, &amp; laissoient au milieu un passage libre &amp; sec, qui conduisoit jusqu'à l'Autel où estoit le S. Sacrement ; &amp; par surcroit de merveilles, tous les environs de l'Autel qui estoient à plein pié, &amp; à niveau de la Chapelle, étoient pareillement sans eaux &amp; tout secs. Les eaux mesme de part &amp; d'autre le long des murailles, venoient en pente jusqu'au chemin qu'elle laissoient ibre, &amp; formoient un talus, ou comme s'explique l'ancienne Relation, une espece de toit. Ces deux Confreres, aprés avoir satisfait leur pieté, &amp; adoré l'Auteur de cette merveille, en allerent donner avis à beaucoup d'autres des leurs. [...] Le jour après que les eaux se furent écoulées, &amp; que tout le monde entra en foule dans la Chapelle, chacun fut témoin oculaire que les Livres, les Papiers, les Nappes, &amp; les autres meubles qui estoient sous l'Autel, ne furent nullement moüillez, &amp; que la moitié des bancs, à égalité des autres, qui furent tous remplis d'eau, demeura si seche, que creusant même sur l'heure le bois avec un couteau, &amp; par dehors &amp; par dedans, on ne s'apperceut pas du moindre vestige d'humidité.</p>
          <p>Ce prodige augmenta beaucoup la devotion des Fidelles, &amp; elle s'est maintenuë jusqu'à aujourd'huy. Cependant comme Mr l'Archevêque faisant sa visite pastorale le 18 Juillet 1694. eut vû qu'on tenoit exposé le Saint Sacrement dans une niche de pierre assez propre au costé de l'Evangile, &amp; d'autre part que leurs Titres estoient tres-bons, il ordonna qu'on en feroit la translation, &amp; qu'on l'exposeroit nuit &amp; jour à perpetuité au milieu de l'Autel, suivant l'usage present de l'Eglise. Les Confreres, pour concourir aux pieuses intentions de leur sage Prelat, voulurent celebrer cette Feste avec toute la solemnité &amp; la magnificence possible, le 30 de Septembre 1695. qui fut le jour en l'année 1433 auquel le miracle des eaux arriva. Ils commencerent par faire faire une Niche de la derniere propreté ; [...]. Cette Niche qui est de l'invention de M. Pirus, est entourée de nuées rayonnantes, chargées avec beaucoup d'art &amp; sans confusion, de groupes d'Anges &amp; de Cherubins, qui font un tres-bel effet. La decoration de la Chapelle répondoit à la propreté de l'Autel, chargé d'argenterie. [...] Dès l'entrée jusqu'à l'Autel tout estoit mieux éclairé, &amp; particulierement l'Autel où le Saint Sacrement devoit estre exposé. Mr l'Abbé Delphino, Vicelegat, dont on loüe pas moins icy la pieté exemplaire que son integrité &amp; sa vigilance dans l'exercice de sa dignité, voulut, aprés avoir fait l'honneur aux Confreres de s'associer à leur Compagnie, faire luy-même cette Ceremonie auguste. Il vint celebrer la Messe dans leur Chapelle, aprés quoy on fit une Procession solemnelle au son des Trompettes, &amp; parmy la simphonie &amp; les accords d'une Musique excellente, Mr le Vice legat sous un Dais porté par Mrs  le Viguier &amp; les Consuls, alla prendre le Saint sacrement dans l'ancien Tabernacle, &amp; à la fin de la Procession le plaça dans cette Niche, qui estoit au milieu de l'Autel. Il se rendit ensuite l'aprésdînée à la Chapelle, pour y assister au Sermon que fit Mr l'Abbé Bocqui, Chanoine de Saint Didier. Son Discours prononcé de la meilleure grace du monde, fut solide, juste &amp; touchant. [...] On termina la Feste par la benediction du Saint Sacrement, où l'on chanta un Motet, dont les paroles toutes propres au sujet, &amp; fort favorables pour la Musique donnerent lieu à l'habile Maistre à qui on l'avoit fait composer à Rome, d'y faire des Recits charmans, toujours soutenus, &amp; entremeslez de simphonies, dont je vous avoüe que je fus enchanté. Je passe les bornes d'une Lettre, mais pardonnez, Monsieur, à un Amy, qui aprés avoir pris tant de plaisir à cette Fetse, croit qu'il peut vous en donner quelques momens, par le recit fidelle qu'il vous en fait. On m'appelle à l'heure que j'écris pour aller prendre la benediction dans cette Chapelle, où les Concerts dureront pendant l'Octave.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-01_029" resp="wordpro">
          <head>[Epigramme latine]*</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, janvier 1696 [tome 1], p. 29-31.</bibl>
          <p>On vient de me faire part d’une Epigramme Latine sur ce grand prodige, que je pense que vous serez bien-aise de voir.</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i">Suspendit Jordanis aquas, dum permeat Arca :</l>
              <l rend="i"> Ad te, Christe, viam pensilis unda dedit.</l>
              <l rend="i">Quæ quondam Domini cognoverat unda velumbram,</l>
              <l rend="i"> Non nosset Dominum, quem videt illa, suum ?</l>
            </lg>
          </quote>
          <p>Voicy l’Imitation de cette Epigramme, en nostre Langue.</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i">Quand l’Arche dut passer, par respect le Jourdain</l>
              <l rend="i">Fit remonter ses eaux, &amp; s’arresta soudain.</l>
              <l rend="i">L’eau suspenduë en l’air, Seigneur, vous fait hommage,</l>
              <l rend="i">Et pour aller à vous nous ouvre le passage.</l>
              <l rend="i"> Si cet insensible Element,</l>
              <l rend="i">Par l’ombre &amp; la figure a reconnu son Maistre,</l>
              <l> <hi rend="i">A-t-il pû ne le pas connoistre</hi></l>
              <l rend="i"> Lors qu’il l’a vû réellement ?</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-01_077" resp="wordpro">
          <head>[Eloge des Dames]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, janvier 1696 [tome 1], p. 77-87.</bibl>
          <p>On n’a pas raison de dire que le courage &amp; l’esprit n’entrent point dans le partage des Femmes, puis qu’il s’en trouve plusieurs en qui ces deux qualitez éclatent avec beaucoup d’avantage. C’est ce que prouve agreablement une personne de vostre Sexe, dont on ne m’a point appris le nom. Cependant les Vers que je vous ay déja envoyez dans une de mes dernieres Lettres, sur l’action heroïque de Mlle de la Charse, doivent servir à vous la faire connoistre. Voicy ce qu’elle a écrit sur ce sujet.</p>
          <quote>
            <label>A MADAME ***</label>
            <lg>
              <l rend="i">Venez à mon secours, aimable Celimene,</l>
              <l rend="i">Vous qui dans les beaux Arts fistes tant de progrés</l>
              <l rend="i">Vous qui de vostre Sexe aimez les interests,</l>
              <l rend="i">D’un de vos Ennemis rendez l’attaque vaine,</l>
              <l rend="i"> Et pour luy mieux lancer des traits</l>
              <l rend="i"> Allez boire dans l’Hipocrene.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Certain Censeur mis en homme de Cour,</l>
              <l rend="i"> Dit que les Femmes ne sont faites</l>
              <l rend="i"> Que pour inventer chaque jour</l>
              <l rend="i"> Des parures à leurs Toilettes,</l>
              <l rend="i">Et pour faire regner la mollesse &amp; l’amour.</l>
              <l rend="i">Dans le jaloux chagrin qui contre nous le guide,</l>
              <l rend="i"> Avec emportement il dit,</l>
              <l rend="i">Qu’en Oracles tres-clairs la Nature décide</l>
              <l rend="i">Qu’on ne doit point chez nous voir un brillant esprit,</l>
              <l rend="i"> Encor moins une ame intrepide.</l>
              <l rend="i">Pour plaire, si l’on croit ses bizarres discours,</l>
              <l rend="i"> Le Sexe doit estre toujours</l>
              <l rend="i"> Dupe, coquet, poltron, timide.</l>
              <l rend="i"> Contre ces vains raisonnemens,</l>
              <l rend="i"> Formez en dépit du bon sens,</l>
              <l rend="i">Sur un ton moins bruyant j’ay fait voir que les Femmes</l>
              <l rend="i"> Ont le droit d’avoir dans leurs ames</l>
              <l><hi rend="i">De brillantes clartez, de fermes sentimens,</hi></l>
              <l rend="i"> Et sans tomber à tous momens,</l>
              <l rend="i"> Comme cet Ennemi des Dames,</l>
              <l rend="i"> Dans de brusques emportemens,</l>
              <l> <hi rend="i">J’ay montré qu’un grand caractere</hi></l>
              <l><hi rend="i">Ne les rendoit encor que plus propres à plaire.</hi></l>
              <l rend="i">Voicy comme à peu prés j’ay vanté leurs talens.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> L’exemple prouve que les Belles</l>
              <l rend="i">Peuvent avoir l’esprit ailleurs qu’aux bagatelles.</l>
              <l rend="i"> Telles firent jadis des coups</l>
              <l rend="i">Qu’au Theatre aujourd’huy l’on voit avec surprise.</l>
              <l rend="i"> De Bradamante &amp; de Marphise</l>
              <l rend="i"> Que le destin fut grand &amp; doux !</l>
              <l rend="i"> Elles triomphoient par leurs armes</l>
              <l rend="i"> Encore plus que par leurs charmes.</l>
              <l rend="i">Il leur estoit permis de signaler leur bras</l>
              <l rend="i"> Dans les plus perilleux combats.</l>
              <l rend="i">Ah, qu’elles possedoient un heureux avantage !</l>
              <l rend="i">Quel plaisir de marquer son intrepidité !</l>
              <l rend="i">Si nostre Sexe encor avoit un tel usage,</l>
              <l rend="i"> J’aurois déja pour mon partage</l>
              <l rend="i"> Vn Brevet d’immortalité.</l>
              <l rend="i"> Rien n’est si charmant que la gloire</l>
              <l rend="i">  Que donne la victoire.</l>
              <l rend="i"> Heureux mille fois les Guerriers !</l>
              <l rend="i">Ils peuvent à souhait moissonner des lauriers,</l>
              <l rend="i">Et marcher à grands pas au Temple de memoire,</l>
              <l rend="i">Dans ces temps fortunez où nous voyons Loüis</l>
              <l rend="i">Faire dans un seul jour tant d’exploits inoüis,</l>
              <l rend="i">Que même en les voyant on a peine à les croire.</l>
              <l rend="i"> On n’a qu’à suivre ce Heros</l>
              <l rend="i"> Pour se faire un nom dans l’Histoire ;</l>
              <l rend="i">Qu’on ne se fit jamais à l’ombre du repos.</l>
              <l rend="i">Cependant un destin dont je n’ose me plaindre,</l>
              <l rend="i">Veut que nous choisissions cet indolent estat,</l>
              <l rend="i"> Et nous engage même à craindre</l>
              <l rend="i"> Toutes les actions d’éclat.</l>
              <l rend="i">C’est en vain qu’en secret un grand cœur en murmure ;</l>
              <l rend="i">Pour nous point de lauriers, point de brillans exploits.</l>
              <l rend="i">Nous aimons mieux languir dans une vie obscure,</l>
              <l><hi rend="i">Et toujours obeir à de severes loix,</hi></l>
              <l rend="i"> Qui par une regle trop dure</l>
              <l rend="i">Voulurent retrancher la valeur de nos droits.</l>
              <l rend="i">Mais aussi pour le prix de nostre obeissance,</l>
              <l rend="i">On nous a conservé de certains champs d’honneur,</l>
              <l rend="i"> Où le Sexe avec bien-seance</l>
              <l> <hi rend="i">Peut témoigner de la valeur.</hi></l>
              <l rend="i">Telle fut près de Gap l’affaire glorieuse,</l>
              <l rend="i">Où la Charse animant le courage François,</l>
              <l rend="i"> Sceut par une prudence heureuse</l>
              <l rend="i">Renverser les desseins des fougueux Piémontois.</l>
              <l rend="i"> On vit cette illustre Guerriere</l>
              <l rend="i">Les punir par ses coups de leur témerité.</l>
              <l rend="i">Comme elle a de Pallas la mine noble &amp; fiere,</l>
              <l rend="i"> Elle a son courage indompté</l>
              <l rend="i"> Enfin elle est aussi vaillante,</l>
              <l rend="i"> Aussi pleine de fermeté,</l>
              <l rend="i">Que le furent jadis Marphise &amp; Bradamante.</l>
              <l rend="i"> Que si sa valeur agissante,</l>
              <l><hi rend="i">Livre moins son grand cœur à d’éclatans destins ;</hi></l>
              <l rend="i"> C’est que la fortune changeante,</l>
              <l rend="i">Fait qu’on n’est plus au temps des errans Paladins.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Les Heroïnes qu’un spectacle,</l>
              <l rend="i"> Par les plus beaux Vers ennobli,</l>
              <l rend="i"> Tire pour jamais sans obstacle</l>
              <l rend="i"> Du sein tenebreux de l’oubli,</l>
              <l rend="i">Ont le plaisir flateur de retrouver en France</l>
              <l rend="i"> Vne image de leur vaillance.</l>
              <l rend="i"> La Charse marche sur leurs pas,</l>
              <l rend="i">Et la scene aujourd’huy parle de leurs appas</l>
              <l rend="i"> Dans un langage si sublime,</l>
              <l rend="i">Qu’on reste convaincu de tout ce qu’il exprime.</l>
              <l rend="i">Peut-on trop admirer leurs sentimens, leurs faits</l>
              <l rend="i"> Peints avec de si nobles traits ?</l>
              <l rend="i"> Si les Heroïnes guerrieres</l>
              <l rend="i">Par Corneille aujourd’huy sont mises dans leur jour,</l>
              <l rend="i">D’autres ont éclaté par de vives lumieres,</l>
              <l rend="i">Que la Scene pourra celebrer à leur tour.</l>
              <l rend="i"> Voilà, charmante Celimene,</l>
              <l rend="i"> Ce que j’ay dit tranquillement</l>
              <l rend="i">Au prétendu Sçavant, dont la boüillante haine</l>
              <l rend="i">Déclame contre nous d’un ton si vehement,</l>
              <l rend="i">Et mes raisons ont pû luy faire perdre haleine</l>
              <l rend="i"> Du moins pendant quelque moment.</l>
              <l rend="i">Il ne faut pas que son air vous impose,</l>
              <l rend="i">Quoy qu’il parle si haut, il ne sçait ce qu’il dit.</l>
              <l rend="i">Gasté d’un vain sçavoir, son ridicule esprit</l>
              <l rend="i">Mesle les Livres saints &amp; la Metamorphose.</l>
              <l rend="i"> Vous sçaurez le rendre interdit,</l>
              <l rend="i">Dés que vous écrirez, soit en Vers, soit en Prose,</l>
              <l rend="i"> Vous pensez toujours finement ;</l>
              <l rend="i">Et puis que vous avez un tour plein d’agrémens,</l>
              <l rend="i"> C’est icy qu’il se doit produire,</l>
              <l rend="i"> Vostre bon goust, vostre bon cœur,</l>
              <l rend="i"> Tout vous doit engager d’écrire ;</l>
              <l rend="i">Vous aimez vostre Sexe, &amp; luy faites honneur,</l>
              <l rend="i"> Car la raison sçait toujours vous conduire.</l>
              <l rend="i">Vostre Sexe à son tour vous aime avec ardeur.</l>
              <l rend="i"> Efforcez-vous donc de détruire</l>
              <l rend="i"> L’injuste &amp; jalouse fureur</l>
              <l rend="i">Des fantasques Censeurs qui veulent en médire.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-01_098" resp="wordpro">
          <head>Etrennes ingenieuses presentées à Monseigneur le Duc de Bourgogne]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, janvier 1696 [tome 1], p. 98-111.</bibl>
          <p>Le premier jour de ce mois, on presenta pour Etrennes à Monseigneur le Duc de Bourgogne un Coq, composé de coquilles tres rares, representant la Nation Françoise. Ces coquilles qu’on a trouvées depuis peu dans une Isle de la Chine, ont toutes, ou le même feu que les Rubis, ou le même œil que les Emeraudes, ou le même éclat que les Diamans, ou la même eau que les Perles. Le coq qu’elles forment est élevé sur un Piedestal, au bas duquel dans les quatre angles se trouvent quatre Esclaves enchaînez, le tout dans une boëte fort riche entourée de glaces tres-fines. Cette boëte est de trois pieds de hauteur sur deux de largeur, &amp; sa matiere est d’écaille de Tortuë. Elle est enrichie d’ornemens d’or moulu, de figures &amp; de colomnes, avec des Sentences gravées sur le bronze, &amp; placées toutes avec simmetrie. Ces Sentences tirées de l’Ecriture, sont autant d’heureux préjugez sur la gloire de Monseigneur le Duc de Bourgogne. En voicy les termes.</p>
          <quote>
            <label><hi rend="i">I.</hi></label>
            <p>Ego primogenitum ponam illum, excelsum præ Regibus terræ Semen ejus in æternum manebit. &amp; thronus ejus sicut sol in conspectu meo. <hi rend="i">Psal.</hi> 88.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i"> Ce Fils Aisné que l’Estre infini favorise,</l>
                <l rend="i">Elevé sur les Rois n’aura point de pareil,</l>
                <l rend="i">Et sa Posterité que le Ciel éternise,</l>
                <l rend="i">Fera briller son Trône autant que le Soleil.</l>
              </lg>
            </quote>
            <label><hi rend="i">II.</hi></label>
            <p>Quis dedit gallo intelligentiam ? Non erit Rex qui resistat <hi rend="i">Job cap</hi> 3.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i"> Par d’heroïques faits dignes de sa naissance,</l>
                <l rend="i">Comme Loüis le Grand, sage, intrepide, heureux ;</l>
                <l rend="i">De Souverains armez il vaincra la puissance,</l>
                <l rend="i">En assurant par tout son triomphe sur eux.</l>
              </lg>
            </quote>
            <label><hi rend="i">III.</hi></label>
            <p>Arcum conteret &amp; confringet arma, &amp; scuta comburet igni. <hi rend="i">Psal.</hi> 46.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i"> Plus craint que les Cesars, &amp; que les Alexandres,</l>
                <l rend="i">On le verra briser l’arc de ses Ennemis ;</l>
                <l rend="i">Leurs Etats subjuguez, leurs boucliers en cendres</l>
                <l rend="i">Prouveront qu’à son bras tout doit estre soumis.</l>
              </lg>
            </quote>
            <label><hi rend="i">IV.</hi></label>
            <p>Timebunt omnes Reges terræ gloriam tuam. <hi rend="i">Ps. 144.</hi></p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i"> En faisant redouter sa gloire &amp; son tonnerre,</l>
                <l rend="i">Signalant sa valeur par mille exploits guerriers,</l>
                <l rend="i">Les foudres à la main pour conquerir la terre,</l>
                <l rend="i">Il ira chez les Rois moissonner des Lauriers.</l>
              </lg>
            </quote>
            <label><hi rend="i">V.</hi></label>
            <p>Regnum tuum regnum omnium sæculorum, &amp; dominatio tua in omni generatione. <hi rend="i">Ps.</hi> 101.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i"> L’arbitre souverain des grandes destinées,</l>
                <l rend="i">Perpetuera son regne &amp; sa Posteritè,</l>
                <l rend="i">Et son Sceptre, l’effroy des Testes couronnées,</l>
                <l rend="i">Assujettira tout à son autorité.</l>
              </lg>
            </quote>
            <label><hi rend="i">VI.</hi></label>
            <p>Dominus mihi adjutor, &amp; ego despiciam omnes inimicos meos. <hi rend="i">Psalm.</hi> 117.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i"> Protegé du Tres haut, dont le pouvoir suprême,</l>
                <l rend="i">Eleve, aneantit les choses à son choix,</l>
                <l rend="i">Ce Heros soutiendra l’éclat du Diadême,</l>
                <l rend="i">En forçant l’Vnivers d’obeir à ses loix.</l>
              </lg>
            </quote>
            <label><hi rend="i">VII.</hi></label>
            <p>Stulti, aliquando sapite, annunciate inter gentes gloriam ejus. <hi rend="i">Ps.</hi> 105.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i"> Tremblez, Ligueurs, tremblez des futures conquestes</l>
                <l rend="i">De ce Prince formé d’un Sang victorieux.</l>
                <l rend="i">Déja sa noble ardeur a menacé vos testes,</l>
                <l rend="i">Et vous avancerez ses progrés glorieux.</l>
              </lg>
            </quote>
            <label><hi rend="i">VIII.</hi></label>
            <p>Dissipa gentes quæ bella volunt. <hi rend="i">Ps.</hi> 67.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i"> Cet Alcide naissant, l’espoir de nostre France,</l>
                <l rend="i">Ainsi que ses Ayeux vaincra les Nations.</l>
                <l rend="i">Des plus fiers Ennemis foudroyant l’insolence,</l>
                <l rend="i">Il dissipera seul toutes les factions.</l>
              </lg>
            </quote>
          </quote>
          <p>Les Vers qui suivent accompagnoient ce present.</p>
          <quote>
            <label>A MONSEIGNEUR<lb />LE DUC<lb />DE BOURGOGNE.</label>
            <lg>
              <l rend="i">Prince auguste &amp; charmant, à qui les destinées</l>
              <l rend="i">Doivent un regne heureux, &amp; de longues années,</l>
              <l rend="i">Rempli d’un zele ardent je viens en ce grand jour</l>
              <l rend="i">Joindre pour vous mes vœux à tous ceux de la Cour.</l>
              <l rend="i">Mais que vous souhaiter ! Seur d’un puissant Empire,</l>
              <l rend="i">Digne Fils des Vainqueurs que l’Vnivers admire.</l>
              <l rend="i">Jaloux impatient d’imiter leurs beaux faits,</l>
              <l rend="i">Le Ciel a prévenu pour vous tous nos souhaits.</l>
              <l rend="i">Vostre cœur élevé, genereux, heroïque,</l>
              <l rend="i">En faveur de Bellone à chaque instant s’explique.</l>
              <l rend="i">Guerrier dés le berceau, comme estoient les Césars,</l>
              <l rend="i">Voulant chercher la gloire, &amp; suivre le Dieu Mars,</l>
              <l rend="i">Tout brûlant de marcher sur les pas de vos Peres,</l>
              <l rend="i">On vous a vû gemir des défenses severes</l>
              <l rend="i">Qui retardent encor les coups victorieux</l>
              <l rend="i">Qu’à son tour doit lancer vostre bras glorieux.</l>
              <l rend="i">Quand ce bras deviendra le foudre de la guerre,</l>
              <l rend="i">De prodiges nouveaux il remplira la terre.</l>
              <l rend="i">Par vos faits éclatans tous les Rois ébloüis,</l>
              <l rend="i">Reconnoistront en vous la valeur de Louis.</l>
              <l rend="i">En tous lieux vous irez exciter des tempestes,</l>
              <l rend="i">Sans qu’ils puissent borner le cours de vos conquestes,</l>
              <l rend="i">Sur la foy du Prophete on peut s’en assurer.</l>
              <l rend="i">Ces Oracles certains que l’on doit reverer,</l>
              <l rend="i">Et que j’ay recueillis avec un soin fidelle,</l>
              <l rend="i">Prédisent clairement vostre gloire immortelle.</l>
              <l rend="i">Vous devez estre un jour maistre de l’Vnivers,</l>
              <l rend="i">Des fieres Nations appesantir les fers,</l>
              <l rend="i">Eterniser leur joug, terrasser leur puissance,</l>
              <l rend="i">Leur oster tout espoir d’insulter à la France,</l>
              <l rend="i">Et leur prouver qu’elle est trop fertile en Heros,</l>
              <l rend="i">Pour les souffrir longtemps dans un oisif repos,</l>
              <l rend="i">Cet imperieux Coq, de qui la teste altiere</l>
              <l rend="i">Menace vos Rivaux de vostre ardeur guerriere,</l>
              <l rend="i">Augmente la frayeur de ces tristes Captifs,</l>
              <l rend="i">Qu’à ses pieds nous voyons desesperez, craintifs.</l>
              <l rend="i">En vous avec douleur ils découvrent les marques</l>
              <l rend="i">D’un courage qui fait les illustres Monarques,</l>
              <l rend="i">Et de vostre valeur par avance affligez,</l>
              <l rend="i">Ils confirment pour vous ces heureux préjugez.</l>
              <l rend="i">C’est vostre bras qui doit accomplir ces Oracles,</l>
              <l rend="i">Grand Prince, à l’Vnivers vous devez ces miracles.</l>
              <l rend="i">Nous esperons vous voir, en secondant vos vœux,</l>
              <l rend="i">Soumettre un monde entier à vos exploits fameux.</l>
              <l rend="i">Sans doute que le Ciel remplira vostre attente,</l>
              <l rend="i">Que toujours couronné d’une gloire éclatante,</l>
              <l rend="i">Parfait Imitateur de nostre Auguste Roy,</l>
              <l rend="i">Vous serez, comme luy, Défenseur de la Foy.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-01_123" resp="mercure">
          <head>[Ceremonies observées au Mariage du Prince Royal de Danemarck]</head>
          <bibl><title>Mercure galant</title>, janvier 1696 [tome 1], p. 123-133.</bibl>
          <p/>
          <p>Vous avez sceu le mariage de la Princesse Louise de Meckelbourg Gustraw, avec le Prince Royal de Danemarck. La Lettre qui suit vous en apprendra les Ceremonies.</p>
          <p/>
          <p>De Copenhague, le 23. Decembre 1695.</p>
          <p/>
          <p>L'Entrée magnifique de Son Altesse la Princesse de Gustraw commença le 15. Decembre, aprés disner, par un cortége superbe de plus de quatre vingt Carosses, qui partirent de Jagersbourg, avec une grande pompe, &amp; elle fut suivie immediatement de la Ceremonie du mariage, qui se fit par un temps extraordinairement beau. Ce mesme jour tous les Bourgeois de Copenhague furent sous les armes depuis le matin jusqu'au soir, ils estoient tous habillez &amp; parez, l'envy l'un de l'autre. Dés que la Princesse entra dans la Ville, elle fut saluée du bruit de trois cens quatre vingt pieces de canon de dessus les remparts &amp; de la Flote, &amp; la Ceremonie finie, on fit encore une triple salve de dessus les Fregates que l'on fit monter pour cet effet dans le Canal devant le Chasteau, &amp; ainsi finit la premiere soirée. Le lendemain 16. la Bourgeoisie fut passée en revûë &amp; exercée sur la Place du Chasteau, en presence du Roy &amp; de toute sa Maison ; ce qui se fit avec beaucoup de pompe. On se mit ensuite à table, &amp; un peu aprés que le repas fut finy, on fit joüer devant le Chasteau un Feu d'artifice, des plus beaux qu'on eust veus depuis longtemps, &amp; qui eut tout le succez imaginable. De là on passa à la Comedie, &amp; puis à un Bal tres magnifique. [...] Pour ce qui est des divertissemens, comme ils ne sont pas encore tous finis, on n'en pourra mander les particularitez que par l'ordinaire prochain. Presentement il suffit de dire qu'on ne sçauroit dépeindre ny exprimer la joye &amp; la satisfaction que cette alliance a causée, soit du costé des illustres Mariez, soit parmy le Public. [...] [Le jour de l'arrivée de la princesse,][...] on [la] fit descendre hors de la Ville, &amp; passer sous une tente qu'on avoit dressée exprés pour la regaler avec toutes sortes de confitures exquises, &amp; pour luy faire voir en mesme temps le train du Cortége qui passa devant elle de la maniere suivante.</p>
          <p>A la teste marchoit une Compagnie de Cavalerie, suivie d'un Ecuyer, de soixante dix couples de chevaux de main, &amp; d'autant de carosses à six chevaux, precedez &amp; entourez de gens de livrées tres bien équippez. Ensuite vinrent les chevaux de main des Comtes du Royaume, &amp; leurs carosses, avec leurs Ecuyers &amp; Maistres d'Hostel. Tout cela se termina par un Regiment de Cavalerie. A quelque distance de là on vit avancer douze Trompettes avec les Timballes du Roy, suivis d'un Escadron de la Garde du Corps de Sa Majesté [...]. La Ceremonie se fit par le Confesseur du Roy, &amp; pendant toutes ces Festes on marchoit sur du drap rouge, depuis la Place du Chasteau jusques à la Salle des Chevaliers. Il n'y eut à la table du Roy que neuf personnes, qui furent servies par les premiers Ministres de la Cour.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-01_137" resp="wordpro">
          <head>[Madrigal sur le Portrait de M. Fagon]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, janvier 1696 [tome 1], p. 137-139.</bibl>
          <p>Je vous envoyay le mois passé, des Vers Latins de M<hi rend="sup">r</hi> de Santeul, &amp; une Imitation en Vers François sur le Portrait de M<hi rend="sup">r</hi> Fagon. En voicy d’autres encore avec un Madrigal.</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i">Entre cent Medecins en sçavoir excellens,</l>
              <l rend="i">Celuy-cy que le Roy choisit pour son usage,</l>
              <l rend="i">Dés longtemps du Public pour ses rares talens</l>
              <l rend="i"> Avoit obtenu le suffrage.</l>
              <l rend="i">Quelle distinction ! quel merveilleux éclat</l>
              <l rend="i"> Répandra-t-elle sur sa vie,</l>
              <l rend="i"> Puis qu’un même choix luy confie</l>
              <l rend="i">Et le salut du Prince, &amp; celuy de l’Etat ?</l>
            </lg>
          </quote>
          <quote>
            <label>POUR LE MESME.<lb /><hi rend="i">MADRIGAL.</hi></label>
            <lg>
              <l rend="i">Le puissant Dieu des Vers &amp; de la Medecine</l>
              <l rend="i">En faveur de Loüis nous fait part de ses dons.</l>
              <l rend="i">Pour chanter ses Exploits s’il m’inspire des sons,</l>
              <l rend="i">A conserver ses jours Apollon te destine.</l>
              <l rend="i">Mais que nostre partage a peu d’égalité !</l>
              <l rend="i"> Et que mon nom seroit vanté</l>
              <l rend="i"> Parmy les Filles de memoire,</l>
              <l rend="i"> Si je travaillois pour sa gloire</l>
              <l rend="i"> Comme tu fais pour sa santé !</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-01_139" resp="wordpro">
          <head>Ritornelle</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, janvier 1696 [tome 1], p. 139-145.</bibl>
          <p>Je vous envoye une Ritornelle, que non seulement vous chanterez avec plaisir, parce qu’elle a esté mise en air par un tres-habile Musicien, mais dont vous trouverez toutes les paroles fort agreables. Il y a plusieurs couplets, dont le stile aisé &amp; naturel vous fera connoistre qu’ils partent de source, &amp; que l’Auteur a un talent tout particulier pour la Poësie.</p>
          <quote>
            <label>RITORNELLE.</label>
            <lg>
              <l rend="i">Vn soir dans une grotte obscure,</l>
              <l rend="i">Ou d’un ruisseau le cours secret</l>
              <l rend="i">Accompagnoit de son murmure,</l>
              <l rend="i">Les plaintes d’un Amant discret ;</l>
              <l rend="i">Tircis à l’objet qui l’engage</l>
              <l rend="i">Recommençoit cette chanson,</l>
              <l rend="i">C’en est trop, si c’est badinage,</l>
              <l rend="i">Et trop peu, si c’est tout de bon.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Lors que l’excés de ma souffrance</l>
              <l rend="i">Me rend inquiet &amp; rêveur,</l>
              <l rend="i">Tu fais voler mon esperance</l>
              <l rend="i">Sur les ailes de ta faveur.</l>
              <l rend="i">Aprés tu m’abas le courage</l>
              <l rend="i">Par des rigueurs hors de saison.</l>
              <l rend="i">C’en est trop, si c’est badinage,</l>
              <l rend="i">Et trop peu, si c’est tout de bon.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Quand sur ma Musette plaintive</l>
              <l rend="i">Je chante quelque air langoureux,</l>
              <l rend="i">Je vois ton oreille attentive</l>
              <l rend="i">A mes préceptes amoureux.</l>
              <l rend="i">Si je veux les mettre en usage,</l>
              <l rend="i">Tu deviens sourde à ma leçon.</l>
              <l rend="i">C’en est trop, si c’est badinage,</l>
              <l rend="i">Et trop peu, si c’est tout de bon.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">De fleurs fraîchement amassées</l>
              <l rend="i">Quand je te presente un bouquet,</l>
              <l rend="i">Dans ton sein je les vois placées</l>
              <l rend="i">D’un air complaisant &amp; coquet.</l>
              <l rend="i">Veux-je en faire un galant pillage ?</l>
              <l rend="i">A peine j’en obtiens pardon.</l>
              <l rend="i">C’en est trop, si c’est badinage,</l>
              <l rend="i">Et trop peu, si c’est tout de bon,</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l><hi rend="i">De ma Sœur entre tes compagnes</hi></l>
              <l rend="i">Tu parois cherir l’entretien,</l>
              <l rend="i">Et souvent parmy nos campagnes,</l>
              <l rend="i">Ton Troupeau paist avec le sien :</l>
              <l rend="i">Mais un pareil soin te ménage</l>
              <l rend="i">Les Sœurs d’Ergaste &amp; d’Alcidon.</l>
              <l rend="i">C’en est trop, si c’est badinage,</l>
              <l rend="i">Et trop peu, si c’est tout de bon.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Piqué de quelque jalousie,</l>
              <l rend="i">Si je te découvre mes maux,</l>
              <l rend="i">Tu te ris de ma phrenesie,</l>
              <l rend="i">Tu plaisantes de mes Rivaux.</l>
              <l rend="i">Avec eux sous l’épais ombrage</l>
              <l rend="i">Tu danses pourtant sans façon.</l>
              <l rend="i">C’en est trop, si c’est badinage,</l>
              <l rend="i">Et trop peu, si c’est tout de bon.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Quelquefois par un trait de flame</l>
              <l rend="i">Tes yeux aux miens font entrevoir</l>
              <l rend="i">Qu’Amour, qui captive mon ame,</l>
              <l rend="i">Te tient aussi sous son pouvoir :</l>
              <l rend="i">Si j’en veux un baiser pour gage,</l>
              <l rend="i">Je n’en puis obtenir le don.</l>
              <l rend="i">C’en est trop, si c’est badinage,</l>
              <l rend="i">Et trop peu, si c’est tout de bon.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Pour me prouver toute la force</l>
              <l rend="i">Ou trait dont ton cœur est blessé,</l>
              <l rend="i">Tu graves sur la tendre écorce</l>
              <l rend="i">Mon Chiffre au tien entrelacé :</l>
              <l rend="i">Mais soudain d’une main volage</l>
              <l rend="i">Tu veux l’effacer sans raison.</l>
              <l rend="i">S’en est trop, si c’est badinage,</l>
              <l rend="i">Et trop peu, si c’est tout de bon.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Ingrat, interrompt la Bergere,</l>
              <l rend="i">Avant qu’il fust prest d’achever,</l>
              <l rend="i">Est-ce veritable colere,</l>
              <l rend="i">Ou la feins-tu pour m’éprouver ?</l>
              <l rend="i">Je t’aime, &amp; tu le sçais : sois sage,</l>
              <l rend="i">Chasse un injurieux soupçon.</l>
              <l rend="i">C’en est trop, si c’est badinage,</l>
              <l rend="i">Et trop peu, si c’est tout de bon.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Répandant des pleurs d’allegresse,</l>
              <l rend="i">Tircis interdit &amp; perclus,</l>
              <l rend="i">Baise la main de sa Maistresse,</l>
              <l rend="i">Et n’ose tenter rien de plus.</l>
              <l rend="i">Le feu d’amour monte au visage,</l>
              <l rend="i">Et de la Fille &amp; du Garçon.</l>
              <l rend="i">C’en est trop, si c’est badinage,</l>
              <l rend="i">Et trop peu, si c’est tout de bon.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Vn Faune habitant de cet antre,</l>
              <l rend="i">Qui les regardoit par un trou,</l>
              <l rend="i">Couchè tout à plat sur le ventre,</l>
              <l rend="i">S’en mit à rire comme un fou,</l>
              <l rend="i">D’une voix moqueuse &amp; sauvage</l>
              <l rend="i">Redisant sur le mesme ton,</l>
              <l rend="i">C’en est trop, si c’est badinage,</l>
              <l rend="i">Et trop peu, si c’est tout de bon.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Cette histoire par la contrée</l>
              <l rend="i">Se répandit en peu de temps,</l>
              <l rend="i">Et du galant pays d’Astrêe</l>
              <l rend="i">Réjoüit fort les Habitans :</l>
              <l rend="i">Tous y chantoient dans leur Village,</l>
              <l rend="i">Menant paistre chevre &amp; mouton,</l>
              <l rend="i">C’en est trop, si c’est badinage,</l>
              <l rend="i">Et trop peu, si c’est tout de bon.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-01_204" resp="wordpro">
          <head>[Reception de M. Dacier à l’Académie]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, janvier 1696 [tome 1], p. 204-223.</bibl>
          <p>Le Jeudy 29. du mois passé, M<hi rend="sup">r</hi> Dacier, connu par tant d’excellentes Traductions des Ouvrages de nos meilleurs Auteurs Grecs &amp; Latins, accompagnées de sçavantes notes, fut reçû à l’Academie Françoise, à la place de feu M<hi rend="sup">r</hi> l’Archevesque de Paris. Aprés avoir marqué sa reconnoissance à ce Corps illustre, par des termes qui faisoient connoistre à quel point il estimoit la grace qu’il avoit reçue, il dit que le grand Armand de Richelieu, qui faisoit mouvoir avec tant de force &amp; d’adresse tous les ressorts de l’Etat, sous Louis le Juste, persuadé qu’inutilement il auroit jetté les fondemens d’une Puissance superieure à toutes les autres, s’il ne luy asseuroit par les Lettres, seules capables d’éterniser la grandeur des Empires, une gloire qui ne pust jamais finir, avoit embrassé avec ardeur la Protection de l’Academie naissante, afin que comme la France avoit herité de la valeur des Grecs &amp; des Romains, elle succedast aussi à leur éloquence, &amp; qu’elle trouvast dans son sein des hommes capables de publier dignement ses grands Exploits ; que l’application de ce Ministre à calmer les orages que ce nouvel établissement avoit excitez, &amp; son attention à perfectionner ses Regles &amp; ses Statuts, étoient pour ce Corps, des Titres bien glorieux ; <hi rend="i">Mais</hi>, ajoûta-t-il, <hi rend="i">il fit davantage, il voulut Messieurs, animer tous vos desseins. Cette Ame remplie des idées immortelles, qui ont produit ce grand ouvrage de Politique, où tous les Etats pourroient puiser les regles d’un heureux gouvernement, &amp; qui serviroit encore à nous conduire, si Dieu n’avoit mis sur nos testes un Genie superieur, qui dans l’art de regner ne peut avoir de Maistre que luy-mesme ; cette Ame incapable de s’occuper que de choses proportionnées à sa grandeur, devient l’ame de vostre Compagnie, &amp; cet esprit qui, comme une Divinité, changeoit à son gré la face de l’Europe, travaille de concert avec vous à changer nostre langue &amp; à la tirer du nombre des langues barbares, en la dépouillant de tout ce qu’elle avoit de bas &amp; de rude, &amp; en luy donnant de l’harmonie, de la force, de l’élegance, &amp; de la Majesté</hi>. Il n’oublia pas l’Eloge de M<hi rend="sup">r</hi> le Chancelier, qui avoit eu l’avantage de succeder à ce premier Ange tutelaire de l’Academie, &amp; ce qui estoit infiniment plus glorieux, de preparer les voyes au grand Prince qui aprés luy, avoit daigné l’honorer de sa Protection auguste, &amp; la recevoir dans son Palais. Il parla de la perte qu’elle avoit faite de M<hi rend="sup">r</hi> l’Archevesque de Paris, que son merite &amp; ses travaux avoient placé sur le Siege le plus important de ce Royaume. Il dit que la politesse de ce Prelat n’estoit pas une superficie sans profondeur, mais le dehors éclatant de plusieurs qualitez interieures également solides, veritables sources de la moderation, de l’affabilité, de l’humanité, des Graces, qui pour le rapprocher de ses inferieurs, cachoient ou temperoient sa Superiorité, &amp; qui faisoient que ceux qui l’approchoient estoient toûjours contens de luy &amp; d’eux-mesmes, &amp; que sa douceur estoit accompagnée de toute la sage fermeté que donne une dignité si haute. Il ajoûta que les differens talens de la parole n’avoient jamais paru avec plus d’éclat que dans ses Discours publics, &amp; dans ses Conferences particulieres ; qu’il plaisoit dans celles-cy par sa solidité &amp; par la noble simplicité avec laquelle il expliquoit les plus grandes difficultez de la Theologie, &amp; faisoit servir les lumieres des autres comme les siennes, à l’éclaircissement de la verité, sans opiniastreté, sans entestement, &amp; sans envie ; que dans ses Discours publics il égaloit toujours la grandeur de son sujet avec une facilité si merveilleuse, qu’on ne pouvoit distinguer ses actions sur le champ, d’avec celles que la reflexion avoit travaillées, &amp; qu’on trouvoit dans les unes comme dans les autres, la grace &amp; la force, l’abondance &amp; l’arrangement. Il parla de la force avec laquelle il avoit soutenu les interests de l’Eglise, ceux du Roy &amp; de l’Etat dans neuf Assemblées du Clergé ausquelles il a eu l’avantage de presider, du service qu’il avoit rendu à l’Eglise en découvrant les illusions &amp; le poison funeste d’une doctrine de tenebres, qui sappant les fondemens que la verité même a posez, jette les hommes dans un criminel abandon &amp; dans une securité mortelle ; &amp; enfin des sentimens de reconnoissance éternelle que devoit avoir l’Academie pour cet illustre Prelat, qui avoit obtenu pour elle la protection dont elle joüit, &amp; qui a esté suivie de la glorieuse distinction qui l’égale en quelque maniere aux premieres Compagnies de ce Royaume. Il prit de là occasion de loüer le Roy, &amp; dit que l’Eloquence estant fille de la verité, c’estoit la rendre digne de son origine, &amp; la consacrer à son veritable usage que de l’employer à immortaliser la gloire de ce grand Prince. <hi rend="i">Jamais</hi>, poursuivit-il, <hi rend="i">on ne luy a donné d’objet plus digne d’elle qu’un Roy, qui est persuadé que les hommes ne sont grands qu’à mesure qu’ils sont justes, qui regarde la soumission qu’il a pour Dieu, comme la source &amp; la borne de l’autorité qu’il a sur les hommes, &amp; qui dans une puissance superieure est toujours lié par les loix &amp; par la sagesse, dont les liens luy deviennent, comme parle un sage, une protection de force &amp; une baze de vertu. Quel spectacle plus admirable, Messieurs, &amp; plus digne de vos Eloges, pu’un homme dont Dieu a rempli l’ame de splendeurs, pour me servir de l’expression d’un grand Prophete, &amp; qui estant le plus grand des Rois par sa naissance, par la dignité de sa Couronne, par ses victoires, par l’étenduë de ses Estats, est encore plus grand par les exemples qu’il donne C’est luy qui remplissant tout le devoir d’un veritable Roy, qui est proprement le Ministre de Dieu, pour rendre heureux ses Peuples, a brisé les chaînes qu lioient une grande partie de ses Sujets, &amp; a fait tomber une rosée de lumiere sur ceux qui estoient couchez dans les tenebres. Cent Peuples irritez de ses vertus si éclatantes, &amp; conjurez jurez pour le plus horrible des attentats, fondent sur ce Royaume avec un bruit effroyable, de tourbillon, de tempeste, &amp; de feu. Louis le Grand soûtenu par le bras invisible qui a toûjours esté son bouclier &amp; son azyle, s’oppose seul à cette foule d’Ennemis. A mesure que cette hydre croist, la force &amp; le courage de ce Prince se multiplient. C’auroit esté un triomphe tres-glorieux de resister à tant de Puissances unies ; mais sa pieté obtient du Dieu des Armées des Victoires pleines de merveilles, qu’il n’attendoit pas de son bras</hi>. M<hi rend="sup">r</hi> Dacier s’étendit ensuite sur les esperances que nous devons concevoir d’une guerre, entreprise pour dissiper une Ligue injuste, pour proteger un Roy précipité du Trône, &amp; pour assurer le triomphe de la Religion, &amp; dit que plus cette Ligue s’efforçoit de ranimer son courage, pour avoir repris une seule de ses places, aprés sept années de mauvais succés, plus elle nous faisoit voir la fierté &amp; l’assurance que nous devoient donner tous nos avantages.</p>
          <p>Aprés que M<hi rend="sup">r</hi> Dacier eut achevé son Discours, M<hi rend="sup">r</hi> l’Abbé de Clerambault, alors Chancelier de l’Academie, luy répondit d’une maniere, qui fit connoître qu’il estoit tres-digne de se trouver à la teste de cette celebre Compagnie. Aprés avoir fait l’éloge de feu M<hi rend="sup">r</hi> l’Archevesque de Paris, dont la perte estoit également grande pour l’Academie &amp; pour l’Eglise, il dit que si la sagesse du Prince avoit reparé pleinement celle de l’Eglise, pas le choix d’un sujet, dont le merite &amp; la vertu ne luy laissoient rien mesme à souhaitter, on pouvoit dire que la perte de l’Academie n’estoit pas moins heureusement reparée par un Confrere aussi fameux dans les lettres que M<hi rend="sup">r</hi> Dacier, qui avoit esté formé au bon goût par les plus grands Maistres. Il parla de ses Traductions élegantes, de ses sçavantes Remarques, &amp; de l’art merveilleux qu’il avoit trouvé de nous rendre faciles &amp; aimables, ces Connoissances abstraites recueillies des Monumens de l’antiquité, ou renfermées jusqu’icy dans les Ecrits de quelques Sçavans obscurs. <hi rend="i">Heureux</hi>, dit-il, <hi rend="i">dans des Recherches si laborieuses d’avoir pour Compagne une Personne qui fait tant d’honneur à son sexe &amp; à nostre siecle</hi>. Cet éloge fit plaisir à tout le monde. Et qui ne connoist pas le merite de l’illustre Madame Dacier. M<hi rend="sup">r</hi> l’Abbé de Clerambault ayant ensuite felicité ce nouveau Confrere de l’heureux engagement où il se trouvoit d’asseurer la perpetuité de son nom, en exerçant son éloquence sur un sujet veritablement digne d’elle ; <hi rend="i">Ce ne peut estre</hi>, continua-t-il, <hi rend="i">que Louis le Grand nostre Auguste Protecteur, si élevé au dessus des autres hommes, par le rare concours de tant de perfections ; &amp; quoy que la grandeur, &amp; s’il faut ainsi dire, l’immensité de la matiere, soit redoutable aux plus grands Maistres, soûtenuë neanmoins de cette longue habitude contractée par vos veilles avec tant de Heros, vous pourrez plus aisément instruire la posterité des merveilles de son regne. La parfaite connoissance de leurs differens caracteres, vous donnera lieu d’en tracer de plus vives images en sa personne &amp; si la superiorité avec laquelle ce Prince possede toutes les vertus de ces grands Personnages, vous empesche de le faire connoistre avec assez d’exactitude ; ce sera du moins de la maniere la plus approchante de la verité</hi>. Ces deux Discours s’attirerent de grands applaudissemens d’une Assemblée sort nombreuse ; &amp; je ne doute point que le peu que je vous en envoye un extrait, ne vous donne beaucoup d’envie de les voir dans toute leur estenduë. Ils se debitent chez le Sieur Coignard, Libraire de l’Academie, à la ruë Saint Jacques.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-01_223" resp="wordpro">
          <head>Le Hibou et les vautours. Fable</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, janvier 1696 [tome 1], p. 223-228.</bibl>
          <p>Je vous envoye une Fable de M<hi rend="sup">r</hi> Diereville. Vous n’avez rien veu de sa façon qui ne vous ait pleu. Ainsi je ne puis douter que vous ne la lisiez avec plaisir.</p>
          <quote>
            <label>LE HIBOU,<lb />ET LES VAUTOURS.<lb /><hi rend="i">FABLE.</hi></label>
            <lg>
              <l rend="i"> Dans un Hameau certain Hibou,</l>
              <l rend="i">Né sous le Signe de Saturne,</l>
              <l rend="i">Et qui ne voit le jour que par un trou,</l>
              <l rend="i">Fut rencontré dans sa course nocturne,</l>
              <l rend="i">Par deux Vautours d’un naturel silou.</l>
              <l rend="i"> Cet Oiseau de mauvais augure</l>
              <l rend="i"> Venoit de faire sa capture</l>
              <l rend="i"> Dans les Villages d’alentour ;</l>
              <l rend="i">Les deux Vautours cachez sous un toit de masure</l>
              <l rend="i">L’attendoient à dessein de luy joüer un tour.</l>
              <l rend="i"> La piece fut executée</l>
              <l rend="i"> Ainsi qu’elle estoit concertée.</l>
              <l rend="i"> Ces Vautours sont intelligens,</l>
              <l rend="i"> Ils avoient sceu prendre le temps</l>
              <l rend="i"> Que la nuit n’estoit pas trop brune,</l>
              <l rend="i"> Et qu’aidez du clair de la Lune,</l>
              <l rend="i">Et de mille autres feux encor plus éclatans,</l>
              <l rend="i"> Le Hibou couroit la fortune</l>
              <l rend="i">De ne pas échaper à leurs soins vigilans.</l>
              <l rend="i"> Ils faisoient trop bien sentinelle,</l>
              <l rend="i"> Le Hibou vient ; à son aspect</l>
              <l rend="i">Les deux Vautours sur luy tombent d’un seul coup d’aile,</l>
              <l rend="i">Et luy faisant sentir &amp; la serre &amp; le bec,</l>
              <l rend="i">Ils le firent trembler d’une frayeur mortelle.</l>
              <l rend="i">D’où viens-tu, dirent-ils, vilain Oiseau de nuit ?</l>
              <l rend="i"> C’a, donne ta proye, &amp; sans bruit,</l>
              <l rend="i"> Sinon, gare une fin tragique.</l>
              <l rend="i"> Le pauvre Hibou sans replique,</l>
              <l rend="i"> Fait à l’instant ce qu’on luy dit.</l>
              <l rend="i"> Ce n’est pas cependant sans peine,</l>
              <l rend="i"> Mais les deux Vautours en haleine,</l>
              <l rend="i"> De ce butin peu satisfaits,</l>
              <l rend="i"> Recommençant sur nouveaux frais,</l>
              <l rend="i"> Ne luy laissent pas une plume.</l>
              <l rend="i"> Ah, quel excés de cruauté !</l>
              <l rend="i">En hiver, c’est assez pour gagner un bon rume.</l>
              <l rend="i"> Le Hibo u dans sa nudité,</l>
              <l rend="i"> De colere &amp; de rage écume</l>
              <l rend="i"> De se voir ainsi maltraité.</l>
              <l rend="i">  Aprés un tel outrage,</l>
              <l rend="i">  Il entend les Vautours</l>
              <l rend="i">  Luy faire en leur langage</l>
              <l rend="i">  A peu prés ce discours.</l>
              <l rend="i"> Depuis longtemps dans ces retraites</l>
              <l rend="i"> Te donnant des airs d’Epervier,</l>
              <l rend="i"> Tu poursuis certaines Fauvettes</l>
              <l rend="i"> Qui ne sont pas de ton gibier.</l>
              <l rend="i">Toy qui n’es destiné que pour faire la chasse</l>
              <l rend="i"> Aux rats, aux mulots, aux souris ;</l>
              <l rend="i"> Vilain Hibou, de ton audace</l>
              <l rend="i"> Tu viens de recevoir le prix.</l>
              <l rend="i">Va dire à tes pareils ta funeste avanture.</l>
              <l rend="i">A ces mots, les Vautours s’élancent dans les airs,</l>
              <l rend="i">Et le Hibou confus d’un si honteux revers,</l>
              <l rend="i">Cherche pour se cacher la premiere masure.</l>
              <l rend="i">Il y trouve d’autres Oiseaux</l>
              <l rend="i">A l’abry de l’âpre froidure,</l>
              <l rend="i">Qui voyant sa sotte figure,</l>
              <l rend="i">L’agassent par des cris nouveaux.</l>
              <l rend="i">Alors chacun d’eux l’environne,</l>
              <l rend="i">Mais aprés l’avoir bequeté,</l>
              <l rend="i">Touchez de voir comme il frissonne,</l>
              <l rend="i">De ses plumes chacun luy donne</l>
              <l rend="i">De quoy couvrir la nudité</l>
              <l rend="i">De sa hiboutique personne.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">A voir les Vautours sans quartier</l>
              <l rend="i">Plumer le Hibeu de ma Fable,</l>
              <l rend="i">Pour éviter un sort semblable,</l>
              <l rend="i">Chacun doit faire son métier.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-01_229" resp="wordpro">
          <head>[Histoire]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, janvier 1696 [tome 1], p. 229-254.</bibl>
          <p>Il n’y a rien de plus extraordinaire que ce qui est arrivé depuis quelque temps à un Cavalier plein de merite, dans une des principales Villes du Royaume. Il sortoit d’une famille aussi noble qu’ancienne ; &amp; il estoit né avec des inclinations qui répondoient à cet avantage. Comme rien ne contribuë tant à former l’esprit &amp; les mœurs que les voyages, &amp; que son pere luy avoit laissé assez de bien pour pouvoir fournir agreablement à cette dépense, il employa quatre ou cinq années à voir les Cours étrangeres ; &amp; il en revint avec des manieres dégagées entierement des airs rudes &amp; grossiers qu’on reproche à ceux qui ne sortent point de la Province. Tous ses Amis luy marquerent une grande joye de son retour, &amp; il crut ne devoir songer qu’à joüir à l’avenir d’une vie tranquille. Son bon goût, la politesse &amp; sa complaisance pour les Dames luy donnerent un accés facile chez toutes celles qui se distinguoient par quelque endroit. Quoy qu’il contast des douceurs à la pluspart, &amp; qu’il en fust écouté avec plaisir, il ne laissa pas de les voir toutes assez indifferemment pendant plusieurs mois : mais enfin il estoit de sa destinée de perdre cette indifference. Son étoile l’entraîna chez une jeune personne d’une beauté vive, qu’il estoit sort difficile de voir, sans prendre pour elle les sentimens qu’inspire l’amour. Elle joignoit à une humeur des plus enjoüées une adresse merveilleuse pour se rendre aimable à ceux qu’elle vouloit engager ; &amp; tout ce qu’elle disoit, estoit soûtenu d’un feu d’esprit, qui donnoit toûjours à la conversation un agrément incroyable. Aussi avoit-elle une grosse cour, qu’elle avoit grand soin de s’atirer, faisant consister sa gloire à se voir des adorateurs en grand nombre. Plus elle en avoit, plus elle applaudissoit à ses charmes ; &amp; vous jugez bien qu’étant de ce caractere, &amp; sçachant l’estime où le Cavalier estoit, elle eut grande attention à n’oublier rien pour s’asseurer sa conqueste. Elle y réussit admirablement, &amp; le Cavalier charmé du progrés qu’il s’appercevoit que ses soins faisoient de jour en jour dans son cœur, devint en fort peu de temps le plus amoureux de tous les hommes. La Belle ravie de ce triomphe qui ne pouvoit que luy estre glorieux, tâcha de se mettre en estat d’en profiter par toutes les complaisances qui pouvoient flatter le Cavalier. Elle ne luy cachoit point qu’elle avoit pour luy les sentimens qu’un amour qui plaist doit faire naistre, &amp; dés qu’il marquoit de la jalousie pour quelque Rival, ce Rival étoit aussi-tost sacrifié. Il n’y avoit rien de plus engageant que cette conduite, aussi en tira-t-elle un grand avantage, en disant au Cavalier, que son Pere demandoit qu’il s’expliquât, pour faire cesser les bruits qui couroient qu’elle n’avoit des yeux que pour luy, &amp; que peut-estre il ne la voyoit que par en amusement qui ne devoit rien produire. Le Cavalier amoureux au dernier point, luy protesta qu’il n’avoit cherché à toucher son cœur que dans des veuës legitimes, qu’il estoit prest de luy en donner des marques, &amp; que le plaisir de s’unir à elle par des liens que l’on ne pust rompre, seroit pour luy le bonheur suprême. La Belle luy dit cent choses flateuses, &amp; ménagea si bien son esprit, que deux jours aprés elle l’obligea de se declarer avec son Pere. C’estoit un homme qui entendoit admirablement ses interests, &amp; qui voyant le party avantageux pour sa Fille, chercha a conclure sans aucun retardement. Le Cavalier en montra beaucoup de joye ; mais il fut contraint de demander le délay d’un mois pour faire venir le consentement d’un Oncle dont il devoit heriter, &amp; qui demeuroit dans une Province fort éloignée. Il se tenoit d’autant plus certain de l’obtenir, qu’ayant passé chez luy quelque temps au retour de ses voyages, cet Oncle l’avoit prié de ne point tarder à faire choix d’une femme, avec qui il pust s’assurer de vivre heureux. Le terme d’un mois parut long au Pere, &amp; voulant avoir des asseurances précises, il ne l’accorda, qu’à condition qu’on signeroit toûjours des articles avec un dédit de dix mille francs. Le Cavalier consentit à tout. Les articles furent dressez &amp; signez, &amp; l’on arresta que l’on tiendroit la chose cachée, iusqu’à ce qu’on eust réponse de l’Oncle. Cependant l’attachement que le Cavalier avoir pour la Belle faisans bruit par tout, la pluspart des Dames qu’il continuoit de voir, luy firent une espece de raillerie sur le pouvoir qu’il donnoit sur luy à la beauté, puis qu’il rendoit tant de soins à la plus coquette de toutes les filles. Les Portraits desagreables que chacune luy en fit selon son genie, plus ou moins porté à découvrir ce qui est blâmable, blesserent sa délicatesse, mais il eut encore bien plus à souffrir quand on ajoûta tout d’une voix, qu’il ne falloit pas estre surpris qu’elle eût une grosse Cour ; qu’elle écoutoit sans aucune distinction de merite tous ceux qui luy en contoient ; que c’estoit un seur moyen pour avoir beaucoup d’Amans, mais que rarement on trouvoit par là un Epouseur, à moins que quelque Etourdy ne vinst donner dans le piege. Le Cavalier touché au vif du reproche, commença d’apprehender d’estre l’Etourdy qui s’estoit imprudemment laissé surprendre à l’éclat de la beauté. Il ouvrit les yeux sur sa conduite, &amp; sa passion s’affoiblissant par le dépit de se voir la dupe d’un amour trop prompt &amp; trop aveugle, il ne trouva plus la mesme personne qui luy avoit jusques la paru toute aimable. La complaisance qu’elle avoit de répondre avec enjoüement à tout ce qu’on luy disoit de flateur, luy fit une peine qu’on ne sçauroit exprimer. Il la voulut obliger à prendre un air serieux sur ces sortes de douceurs, qui ne devoient plus luy plaire, puis qu’elle s’estoit resoluë à se toute à luy ; &amp; comme elle cherchoit à le mettre sur le pied d’un Mary commode, elle répondit que les femmes ne renonçoient jamais au plaisir d’estre loüées, &amp; que luy-mesme il devoit s’en faire beaucoup, de voir qu’on la trouvast belle &amp; toute brillante, puisque les éloges qu’elle recevoit, faisoient connoistre qu’il estoit d’un fort bon goust de l’avoir choisie pour Femme. D’ailleurs, elle prétendoit que le mariage seroit bien gesnant, si en prenant un Epoux, il falloit cesser de vivre agreablement avec ses amis. C’estoit s’avoüer coquette elle-mesme, que de laisser échapper ces sentimens, mais il y eut encore plus. Le Cavalier qui voulut approfondir sa conduite, apprit de divers endroits qu’elle avoit eu des galanteries secrettes, qui en mettant sa vertu en doute, avoient fait un tort irreparable à sa reputation. Elle avoit disparu tout d’un coup dans ces temps là, &amp; son absence quelque couleur que l’on eût pû luy donner, estoit toûjours demeurée suspecte. Le Cavalier aimoit trop la gloire, pour vouloir encore écouter aprés cela l’amour aveugle qui l’avoit seduit. Il resolut de ne plus jamais songer à la Belle ; &amp; le premier dessein qu’il forma, ce fut de voyager de nouveau, &amp; de s’éloigner d’un lieu où il avoit pris un engagement qui luy faisoit honte ; mais le dédit des dix mille francs qu’il avoit signé, ne luy permit pas de l’executer. Il falloit sortir de cette affaire ; &amp; ce n’estoit pas une chose aisée. L’embarras d’esprit où il se trouva, ayant donné quelque atteinte à sa santé, il fut obligé de garder la chambre pendant huit jours, pour quelques remedes. La Belle qui l’alla voir quelquefois, s’ennuyoit presque aussi-tost avec luy, rien n’estant moins de son goust que l’entretien d’un malade, &amp; il sçavoit que loin que son mal la tinst inquiete, elle recevoit des visites agreables où elle exerçoit sa belle humeur. Cependant le temps s’avançoit toûjours, &amp; le Cavalier avoit receu le consentement qu’on attendoit pour faire le mariage. Il s’épuisoit tous les jours à imaginer quelque moyen de le rompre ; &amp; enfin rien ne luy parut plus seur pour cela, que de se faire croire accablé de dettes. Le remede estoit un peu violent, puisqu’il ne s’en pouvoit servir sans éclat ; mais enfin rien ne luy sembloit fâcheux pour se tirer du mauvais pas où il s’estoit mis. Il alla trouver le principal Juge de la Ville, qui estoit de ses amis, &amp; de concert avec luy, il se rendit prisonnier. Le bruit courut par tout dés le lendemain qu’un creancier l’avoit fait arrester pour mille écus ; &amp; que s’il ne donnoit ordre à le satisfaire promptement, il estoit à craindre qu’on ne le retinst pour des sommes plus considerables. La pluspart de ses amis qu’il avoit en fort grand nombre, s’empresserent à luy aller offrir le secours qui luy pouvoit estre necessaire. Vous jugez bien qu’il refusa tout, n’ayant en effet besoin de rien. La nouvelle de son emprisonnement fut un fort grand sujet de surprise pour le Pere de la Belle, qui s’alarma de ce qu’on disoit, &amp; qui commença à se repentir de s’estre engagé avec un homme, dont les affaires pouvoient n’estre pas dans l’ordre. Il ne put se dispenser d’aller apprendre de luy ce qu’il falloit faire pour le mettre en liberté. Le Geolier qu’on avoit instruit, demanda en le voyant, s’il venoit empescher comme les autres, qu’on ne fist sortir le Cavalier, &amp; dit que depuis le peu de temps qu’on l’avoit mis en sa garde, il avoit esté déja recommandé pour plus de dix mille écus. Quel coup assommant pour un homme qui croyoit avoir trouvé un Gendre qui le défaisoit heureusement d’une Fille, dont la garde commençoit à le lasser ! Le Cavalier ne s’expliqua point précisément avec luy sur ce qu’il pouvoit devoir à ses Creanciers ; il prétendit seulement qu’il y avoit beaucoup de difficultez à éclaircir sur toutes les sommes qu’ils luy demandoient, &amp; témoigna estre resolu de demeurer plutost prisonnier toute sa vie, que de les payer, s’ils ne consentoient à luy en remettre une partie. Ce n’étoit pas là le compte du Pere. Il attendit encore quelques jours, &amp; jugeant par les dettes que l’on découvroit du Cavalier, qu’il en avoit encore d’autres qui absorberoient la plus grande partie de son bien, il luy fit dire qu’il n’estoit pas raisonnable que les articles qu’ils avoient signez ensemble subsistassent au desavantage de sa fille, pour qui il s’offroit divers partis ; que la connoissance qu’on avoit du mauvais estat de ses affaires devoit suffire pour les rendre nuls, &amp; qu’il seroit bien injuste, s’il prétendoit tirer avantage d’un dédit qui devoit estre sans force, quand le mariage dont il faisoit l’assurance, n’estoit plus faisable entr’eux. Le Cavalier qui ne souhaittoit rien tant que cette rupture, pour laquelle il auroit fait encore pis que de se mettre en prison, ne fit pas le difficile pour consentir à ce qu’on vouloit de luy. On observa les ceremonies accoûtumées, le Cavalier fut conduit entre deux Guichets, &amp; un Notaire appellé, dressa un acte, par lequel tout ce que le Pere de la Belle avoit signé avec luy, fût declaré nul. On n’avoit point sçû jusques là qu’il y eust un engagement de mariage ; &amp; on ne put s’empescher de dire en l’apprenant, que la disgrace du Cavalier ne luy étoit pas entierement desavantageuse, puis qu’elle le dégageoit du plus grand malheur que pust craindre un honneste-homme. La Belle qui n’avoit jamais aimé qu’elle mesme, se consola aisément de l’avanture avec ses autres Amans. Elle demandoit en plaisantant, si elle n’estoit point obligée d’aller quelquefois tenir compagnie au Cavalier, qui selon les apparences, s’ennuyeroit longtemps dans le lieu où il étoit ; &amp; ce ne fut pas un petit sujet d’étonnement pour elle &amp; son Pere, d’apprendre deux jours aprés qu’il estoit en liberté. Ses amis ravis de le voir tiré d’affaires, lui demanderent comment il avoit pû en sortir si tost. Il répondit en riant, sans vouloir rien dire davantage, qu’il n’avoit que d’honnestes Creanciers, qui l’avoient laissé aller sur sa parole, &amp; que si jamais il s’avisoit de se vouloir marier, il conseilloit à ceux qui y prendroient interest, de s’informer plus à fond de l’état de ses affaires. Cependant il eut beau cacher la verité de l’histoire, on la devina, sur ce que les prétendus Creanciers ne se nommoient point, &amp; qu’il s’estoit trouvé libre, si tost que le dédit des dix mille francs n’avoit plus esté à craindre pour luy. On fit plusieurs contes qui ne furent pas agreables pour la Belle ; &amp; l’on dit tout haut, qu’il n’y auroit point à balancer, s’il falloit choisir entre une prison perpetuelle, &amp; le malheur d’avoir à passer sa vie avec la plus grande des Coquettes.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-01_255" resp="wordpro">
          <head>[Réjouissances &amp; harangues faites pour la naissance de M. le Prince de Dombes]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, janvier 1696 [tome 1], p. 255-268.</bibl>
          <p>Je vous ay déja parlé de quelques réjoüissances faites pour la naissance de M<hi rend="sup">r</hi> le Prince de Dombes. La Ville de Thoissis n’a pas oublié de marquer son zele sur cette naissance. Mrs de Ville firent élever un Feu de joye, qui attira un nombre infiny de peuple des environs le 21. du mois passé. L’édifice de ce feu representoit le Temple de la Gloire, dont la Statuë étoit à l’entrée. Elle tenoit par la main un petit Enfant revestu d’une robe royale, &amp; luy montroit dans ce Temple la place qu’il y devoit occuper un jour. L’Architrave estoit d’un Ordre Composite, &amp; sur le fronton on lisoit ces Vers.</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i">Sans estre prévenu pour ce jeune Heros,</l>
              <l rend="i">Qui promet à la Dombe un éternel repos,</l>
              <l rend="i">Il sera sans égal dans la paix, dans la guerre.</l>
              <l rend="i">Il servira d’exemple aux Princes de la terre.</l>
              <l rend="i">On le verra paré de ces traits glorieux,</l>
              <l rend="i">Qui tracent en luy seul son Pere &amp; ses Ayeux,</l>
              <l rend="i">Les foudres à la main, suivi de la Victoire,</l>
              <l rend="i">S’en aller à grands pas au Temple de la Gloire.</l>
            </lg>
          </quote>
          <p>Le même jour, le Principal &amp; les Aggregez du College de la même Ville, firent joüer un feu d’artifice, qui eut un fort grand succés. Au milieu de la façade de ce College, estoit un globe de feu, de deux pieds de diamettre, representant le Soleil dans un mouvement continuel, avec un tres-grand nombre de rayons, tous fort brillans, chacun de plus de trois pieds d’étenduë. Au dessous étoient trois Vers latins, écrits en caractere de demi pied dans un cartouche, dont les lettres paroissoient d’or, à la faveur de quantité de lumiere qui estoient derriere le cartouche, avec ces quatre lettres au dessus des Vers, D.C.V.S. <hi rend="i">Dombasum Collegii votum solemne.</hi></p>
          <quote>
            <label>D.C.V.S.</label>
            <lg>
              <l rend="i">Vive Pater, puerumque tuum virtutibus imple.</l>
              <l rend="i">Cresce Puer, patremque tuum virtutibus æqua.</l>
              <l rend="i">Vivite, &amp; è nostris vestros Deus augeat annos.</l>
            </lg>
          </quote>
          <p>Les corniches, tablettes des fenestres, &amp; les cordons de chaque étage, &amp; de la Tour de l’Horloge, qui est en face du College, estoient ornées de lampes ardentes, entre-lassées de fleurs de lis d’or, &amp; des Armes du Prince. A l’entrée du College estoit une grotte ornée de rocaille, de mousse &amp; de buis, d’où sortoit une fontaine de vin, qui jettoit de la hauteur de huit pieds, &amp; retomboit dans un bassin, où le Peuple venoit boire, avec ces deux Vers latins.</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i">Plaudite nascenti, juvenes, &amp; quotquot adestis</l>
              <l rend="i">Haurite, &amp; madeant pectora vestra mero.</l>
            </lg>
          </quote>
          <p>Au milieu de la Place qui est devant le College, estoit un corps d’Architecture de marbre feint, à trois faces de trente pieds de large, d’Ordre Dorique, qui soûtenoit une Piramide triangulaire de la hauteur de vingt pieds, qui faisoit avec le corps d’Architecture de dix-huit pieds de hauteur, posé sur un Socle d’un pied &amp; demy, trente-neuf pieds &amp; demy de haut. Chaque face representoit un Portique avec un attique au dessus. Les piedestaux, les frises, &amp; les pilastres de l’attique paroissoient d’un marbre de couleur d’agathe, &amp; les colomnes d’un marbre couleur de feu. Les bases, &amp; chapiteaux, impostes, &amp; archivoltes estoient de marbre blanc. La frise estoit ornée de ses triglyphes, &amp; les metopes contenoient en bas relief des lampes ardentes, cassolettes, basles à feu, &amp; autres ornemens semblables. L’attique renfermoit une table de marbre blanc couchée en panneaux, &amp; au dessus de l’attique s’élevoit la Piramide triangulaire, en forme d’obelisque, terminée par le globe du monde. Au devant des faces de l’obelisque, estoient trois Statuës isolées de grandeur colossale. Au dessous du globe qui terminoit l’obelisque, estoient plusieurs lances à feu qui éclairoient ce globe, avec ces mots, qui marquoient que le jeune Prince sera un jour par ses actions heroïques, l’ornement &amp; la gloire du monde. <hi rend="i">Splendor novus additus orbi</hi>. L’obelisque estoit garni de lances à feu, de saucissons, &amp; de fusées de toutes sortes, qui en faisant leur effet representoient une piramide toute en feu. La premiere faisant face au College, representoit Minerve avec une lance &amp; un bouclier, &amp; ces Vers en faveur du jeune Prince.</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i">Dombe, réjoüis toy, dans l’agreable attente</l>
              <l rend="i">De voir ton jeune Prince instruit dans les beaux Arts</l>
              <l rend="i">En sagesse, en prudence, égaler les Cesars,</l>
              <l rend="i">Et surpasser tous ceux que l’Antiquité vante.</l>
            </lg>
          </quote>
          <p>La seconde representoit Hercule combattant une hydre, &amp; à son costé paroissoit un jeune Enfant, revestu d’une robe royale, tirant la peau d’un Lion dont Hercule estoit couvert, pour s’en couvrir luy-même, avec ces Vers.</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i">Cet Enfant du berceau veut aller à la gloire.</l>
              <l rend="i">Bien tost on le verra parmy les grands Guerriers,</l>
              <l rend="i">Au milieu des hazards cueillir tant de lauriers,</l>
              <l rend="i">Qu’en son siecle, il sera l’Hercule de l’Histoire.</l>
            </lg>
          </quote>
          <p>La troisiéme representoit Vulcain dans sa caverne, forgeant des armes, tenant d’une main son marteau, &amp; de l’autre une foudre sur l’enclume, avec ces Vers.</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i">La foudre que je forge à ce Prince doit plaire,</l>
              <l rend="i">Rien ne pourra borner sa guerriere chaleur,</l>
              <l rend="i">Et si de ses Ayeux il y joint la valeur,</l>
              <l rend="i">Il en usera plus, que l’on n’en pourra faire.</l>
            </lg>
          </quote>
          <p>Sur la corniche de chaque portique estoit une devise. La premiere representoit l’Etoile du matin, avec ces mots, <hi rend="i">Splendet ab ortu</hi>, pour marquer que M<hi rend="sup">r</hi> le Prince de Dombes brille des sa naissance. La seconde representoit le Sagittaire, avec ces mots, <hi rend="i">Ad prælia natus</hi>, pour faire connoistre que ce jeune Prince estant né sous ce signe, il sera grand guerrier. La troisiéme representoit une main avec une épée, &amp; ces mots, <hi rend="i">Ipsum verebitur hostis</hi>. Chaque Statuë étoit garnie de lances à feu dans les endroits propres ; &amp; avoit derriere soy une quaisse de vingt fusées, avec quantité de saucissons au bas. Dans le Globe du monde terminant la piramide, estoit un pot à feu, &amp; sur les trois angles des attiques, estoient d’autres pots à feu qui formoient une espece d’acrotere, avec un vase à lampe ardente. Tout le reste de l’entablement estoit garny de demy pied en demy pied, tant sur la corniche, que sur l’architrave, de lances à feu, chacune accompagnée de deux saucissons, &amp; au milieu de chaque, frise une girandole à neuf fusées ; les dedans des portiques estoient remplis de petards, de saucissons &amp; autres feux artificiels qui terminerent le feu d’artifice. Cent cinquante fusées furent jettées à la main, les unes à pluye d’or, les autres à étoiles, &amp; les autres en serpenteaux, &amp; un dragon aux armes du Prince, partit du College pour mettre le feu à la machine.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-01_328" resp="mercure">
          <head>[Livres nouveaux]</head>
          <bibl><title>Mercure galant</title>, janvier 1696 [tome 1], p. 328-332.</bibl>
          <p/>
          <p>Nous sommes dans un temps où les Muses aiment à se familiariser avec les Dames. Il est aisé de le voir par le Recueïl de Poësies galantes que Madame de Sainctonge vient de nous donner. Le premier Ouvrage de cet excellent Recueïl est le Ballet des Saisons, qui servi d'idée à celuy qu'on a fait paroistre à l'Opera, depuis peu de temps. Si on s'étoit servi de ses Vers, ils n'auroient sans doute fait qu'en augmenter la beauté, puis qu'ils sont aisez, naturels, &amp; tres-chantans. Tout ce qu'on y lit ensuite, Idilles, Elegies, Madrigaux, Epigrammes &amp; Chansons, est du mesme caractere, &amp; marque la fecondité &amp; la delicatesse du genie de cette Dame, qui fait beaucoup d'honneur à son Sexe. C'est d'elle que sont les Opera de Didon, &amp; de Circé, qui ont attiré si longtemps la foule. Il ne faut pas s'étonner qu'elle ait de si beaux talens, puis qu'elle est Fille d'une Mere, qui est tout esprit. L'Arioste Moderne, &amp; plusieurs autres ouvrages, qui ont tous esté reçûs tres-favorablement du Public, en sont une preuve. Les Poesies galantes de Madame de Sainctonge, se debitent chez le Sr Jean Guignard, Libraire, à l'entrée de la grande Salle du Palais.</p>
          <p>Il y avoit plus de soixante ans qu’on n’avoit eu aucune Traduction de la <hi rend="i">Vie de Guzman d’Alfarache</hi>, Original Espagnol, universellement estimé. Il vient d’en paroistre une nouvelle que les Curieux pourront lire avec plaisir. Elle est divisée en trois tomes, &amp; chaque tome est embelly de figures. Ce n’est que la vie d’un Gueux, mais ce Gueux sçait raisonner, &amp; debite une Morale qui ne peut estre que fort utile. Mathieu Alleman, qui en est l’Auteur, n’a eu en vûe que le bien public. Les Enfans apprendront dans cette histoire combien ils sont obligez à leurs Parens, qui en prenant soin de leur éducation, leur montrent de quelle maniere ils doivent se gouverner dans le monde, &amp; les Peres y apprendront à leur tour l’application qu’ils doivent avoir à détourner leurs Enfans de l’oisiveté, qui les fait tomber dans toutes sortes de vices, quand on neglige de cultiver leur esprit, &amp; qu’on les abandonne trop à leur panchant. Je n’ay rien a vous dire du Traducteur qui m’est inconnu, sinon que son stile est naturel, &amp; proportionné à la matiere qu’il traite. Ce livre se vend dans la grande Salle du Palais, chez le sieur Brunet Libraire, qui debite presentement la pluspart des plus agreables nouveautez.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-01_333a" resp="mercure" CopyOf="JLB-MG-1696-01_333" sameAs="#MG-1696-01_333">
          <head>[Divertissements publics]*</head>
          <bibl><title>Mercure galant</title>, janvier 1696 [tome 1], p. 333.</bibl>
          <p>Jamais la foule n'a esté si grande aux divertissemens publics que depuis que l'hyver a commencé. Les trois Theatres ont toûjours esté remplis, &amp; l'Opera de Jason a succedé au Balet des Saisons. La Musique de l'un &amp; de l'autre, est de Mr Colasse, excepté les airs de Violon du Ballet des Saisons, qui sont des anciens Ballets de feu Mr de Lully, &amp; qui ont esté faits avant l'establissement de l'Opera. La Foire de Saint Germain a paru à l'envy sur le Theatre François, &amp; sur celuy des Italiens. Son Altesse Royale Monsieur a donné deux Bals avec toute la magnificence qui accompagne toujours tout ce que fait ce Prince. Monseigneur s'est rendu au Palais Royal, pour prendre ce divertissement, &amp; la foule des Masques a esté tres-grande.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-01_333b" resp="wordpro">
          <head>[Nouveaux Bouts-rimez des Lanternistes]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, janvier 1696 [tome 1], p. 333-335.</bibl>
          <p>J’attens à chaque moment ce qui aura esté décidé touchant le prix qui doit estre donné au meilleur Sonnet fait sur le Bouts-rimez qui ont esté proposez, il y a trois mois à la gloire de Madame la Princesse de Conty. Comme les Juges sont d’une distinction, à ne pouvoir estre pressez, vous ne trouverez ce Sonnet victorieux que dans ma Lettre de Février.</p>
          <p>Je vous apprendray cependant que la celebre Compagnie des Lanternistes de Toulouse, continuant à proposer tous les ans des rimes à remplir à la gloire de Sa Majesté, a marqué celles-cy pour cette année dans le Programme qu’elle a fait imprimer sur ce sujet.</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i">Sublime, Candeur, Splendeur, Anime,</l>
              <l rend="i">Crime, Ardeur, Grandeur, Victime,</l>
              <l rend="i">Mutins, Destins, Etoufée,</l>
              <l rend="i">Flots, Trophée, Complots.</l>
            </lg>
          </quote>
          <p>Le Prix sera donné à la Saint Jean prochain, &amp; ceux qui y prétendront auront soin d’accompagner leurs Sonnets d’une Priere pour le Roy, en quatre Vers, suivis d’une Sentence en latin, de mettre au bas de la page, leur pays &amp; leur nom cachetez, ou dans une lettre separée, le tout sous la mesme envelope. Il faut que huit jours avant la distribution du Prix, les paquets soient rendus à leur adresse à Toulouse, chez M<hi rend="sup">r</hi> Seré à la Place de Roaix, &amp; qu’ils soient francs de port, si on veut qu’ils soient reçûs.</p>
        </div>
      </div>
      <div type="tome" xml:id="MG-1696-02">
        <head><hi rend="i">Mercure Galant</hi>, février 1696 [tome 2]</head>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-02_007" resp="wordpro">
          <head>[L’Anneau d’Horace à Mademoiselle de Scudery]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, février 1696 [tome 2], p. 7-12.</bibl>
          <p>Je sçay, Madame, que tout ce qui vous parle du Roy, vous est agréable. C’est ce qui m’oblige à commencer cette Lettre par les Vers que vous allez lire. Ils sont de M<hi rend="sup">r</hi> de Betoulaud, qui les a intitulez, <hi rend="i">L’Anneau d’Horace</hi>, &amp; il les a adressez à Mademoiselle de Scudery, en luy envoyant un Anneau d’or, dans lequel est enchassée une Agathe antique, où l’on voit le Portrait d’Auguste en relief.</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i"> L’Aimable Courtisan d’Auguste,</l>
              <l rend="i">Horace, dont la Lyre enchanta les humains,</l>
              <l rend="i"> Portoit au doigt ce petit Buste</l>
              <l rend="i"> Du plus grand de tous les Romains.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Pour loüer ce Maistre du monde,</l>
              <l rend="i"> Qui, l’honorant d’un si beau sort,</l>
              <l rend="i">Luy fit sentir sa main en bienfaits si feconde,</l>
              <l rend="i"> Ce Portrait l’inspiroit d’abord.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Mais, Sapho, si jadis cette puissante Image</l>
              <l rend="i">Sceut l’échauffer d’un feu si charmant &amp; si doux,</l>
              <l rend="i"> A qui convient si bien qu’à vous</l>
              <l rend="i"> Ce reste de son heritage ?</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Les Graces, comme à luy, sur cent sujets divers</l>
              <l rend="i"> Vous ouvrent leur noble carriere,</l>
              <l rend="i">Et son ame en vos mains passe encor toute entiere,</l>
              <l rend="i">Quand le nom de Loüis sur l’aile de vos Vers,</l>
              <l rend="i"> Ainsi qu’en un char de lumiere,</l>
              <l rend="i"> Vole aux deux bouts de l’Vnivers.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Que dis-je ? Horace même auroit manqué d’haleine,</l>
              <l rend="i"> Et n’auroit pû vous imiter,</l>
              <l rend="i">S’il eust eu comme vous sur les bords de la Seine</l>
              <l rend="i"> Tant de miracles à chanter.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Qu’auroit-il dit de Mons, de Besançon, de l’Isle,</l>
              <l rend="i">Et de tant d’Ennemis avec un bras d’Achille</l>
              <l rend="i">Repoussez en tant de façons ?</l>
              <l rend="i">Peut-estre qu’au milieu de ces riches moissons,</l>
              <l rend="i"> Sa Muse impuissante &amp; sterile</l>
              <l rend="i">N’auroit pû luy fournir que de trop foibles sons.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Peut-estre que l’Anneau qui fit couler sa veine</l>
              <l rend="i">Parmy tant de rayons n’auroit de rien servi,</l>
              <l rend="i">Et que son œil surpris n’eust soutenu qu’à peine</l>
              <l rend="i"> Les hauts faits qui l’auroient ravi.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Mais Loüis d’un regard fait cent fois plus qu’Auguste</l>
              <l rend="i"> N’eust fait avec mille regards,</l>
              <l rend="i">Sapho, quand vostre esprit &amp; si vif &amp; si juste</l>
              <l rend="i">Sous des tas de Lauriers nous peint ce nouveau Mars.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Pour moy, malgré ma longue absence,</l>
              <l rend="i">Je croy revoir encor ce Heros de la France,</l>
              <l rend="i">Quand mon zele à mes yeux retraçant ce Vainqueur,</l>
              <l rend="i">Chaque instant offre à ma memoire</l>
              <l rend="i">Le Portrait que toute sa gloire</l>
              <l rend="i">A si bien gravé dans mon cœur.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-02_012" resp="wordpro">
          <head>[Réponse de Mlle de Scudery]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, février 1696 [tome 2], p. 12-14.</bibl>
          <p>Voicy la Réponse que Mademoiselle de Scudery a faite à M<hi rend="sup">r</hi> de Betoulaud. Il est merveilleux que le nombre des années n’ait point alteré ce feu d’esprit admirable qu’on a veu toujours briller dans tout ce qui est party de sa Plume.</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i">L’Anneau d’Horace est précieux,</l>
              <l rend="i">Il plaist à tous les Curieux ;</l>
              <l rend="i">Mais, Damon, l’oserois je dire ?</l>
              <l rend="i"> I’eusse bien mieux aimé sa Lyre.</l>
              <l rend="i"> Peut-estre me la cachez-vous,</l>
              <l rend="i"> Et vous chantez d’un ton si doux,</l>
              <l rend="i"> Si noble, si haut, &amp; si juste,</l>
              <l rend="i"> Vn Heros bien plus grand qu’Auguste,</l>
              <l rend="i"> Que j’ay sujet de soupçonner</l>
              <l rend="i"> Que vous pouviez me la donner.</l>
              <l rend="i"> Quoy qu’il en soit, je vous la laisse,</l>
              <l rend="i"> Je n’aurois pas assez d’adresse</l>
              <l> <hi rend="i">Pour en tirer un son charmant ;</hi></l>
              <l rend="i"> Mais je chanteray hardiment</l>
              <l rend="i"> Que la verité toute pure,</l>
              <l rend="i"> Sans ornement &amp; sans figure,</l>
              <l rend="i">Suffit pour faire voir que les Heros Romains</l>
              <l><hi rend="i">N’estoient prés de Loüis que des phantômes vains,</hi></l>
              <l rend="i">Et que le faux éclat de leurs vertus payennes</l>
              <l rend="i">Est terny pour jamais par ses vertus Chrestiennes.</l>
              <l rend="i">Quand il répand son ame aux pieds de nos Autels,</l>
              <l rend="i">Il ne compte pour rien ses Lauriers immortels,</l>
              <l rend="i">Et cette humilité, qui n’eut jamais d’exemple,</l>
              <l rend="i">Luy fait bien plus d’honneur que n’auroit fait un Temple.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-02_063" resp="wordpro">
          <head>[Epistre en Vers]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, février 1696 [tome 2], p. 63-73.</bibl>
          <p>Je vous envoye des Vers dont l’Auteur m’est inconnu. Ils sont si beaux, qu’il ne devroit pas affecter de se cacher.</p>
          <quote>
            <label>EPITRE<lb />A MADAME DE R.…</label>
            <lg>
              <l rend="i">Eh quoy ? toujours fidelle à outre solitude,</l>
              <l rend="i">Pretendez vous, Iris, vous nourrir de poison,</l>
              <l rend="i">Et prodiguant des pleurs, qu’entretient l’habitude,</l>
              <l rend="i">Souffrir que la douleur suffoque la raison ?</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Depuis que vos beaux yeux par des torrens de larmes</l>
              <l rend="i">Celebrent le trépas d’un Epoux si chery,</l>
              <l rend="i">Nos champs que les hivers ont privez de leurs charmes,</l>
              <l rend="i">Défigurez trois fois, ont trois fois refleury.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">La Lune trente fois obscure &amp; languissante</l>
              <l rend="i">Arepris dans son plein sa force &amp; sa beauté,</l>
              <l rend="i">Et les vents adoucis, à la mer mugissante</l>
              <l rend="i">Ont redonné le calme &amp; la tranquillité.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Vous seule à vos ennuis sans cesse abandonnée,</l>
              <l rend="i">Vous suivez constamment l’erreur qui vous détruit,</l>
              <l rend="i">Et des reflexions de la triste journée</l>
              <l rend="i">Vous formez la terreur des songes de la nuit.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Croyez-vous que l’objet, dont vous pleurez l’absence,</l>
              <l rend="i">Aime l’emportement de vostre cœur outré,</l>
              <l rend="i">Que vostre desespoir vienne à sa connoissance,</l>
              <l rend="i">Ou s’il peut y venir, qu’il vous en sçache gré ?</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Les Morts sont des ingrats, malgré la foy promise,</l>
              <l><hi rend="i">A ses engagemens Mausole a bien manqué.</hi></l>
              <l rend="i">Ny dépense, ny soin de la sage Artemise</l>
              <l rend="i">Du sejour de la paix ne l’ont point évoqué.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Celuy qui vous occupe, au soucy qui vous ronge</l>
              <l rend="i">Laisse abreger vos jours sans en estre troublé ;</l>
              <l rend="i">Ce sont soupirs perdus. Pensez-vous qu’il y songe,</l>
              <l rend="i">Attentif au bonheur dont je le vois comblé ?</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Mais s’il y reflechit, vostre douleur l’irrite,</l>
              <l rend="i">Il luy seroit plus doux de se voir negligé.</l>
              <l rend="i">S’il ne vous aime plus, sans doute il vous en quitte,</l>
              <l rend="i">Et s’il vous aime encore, il en est affligé.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Vn si long desespoir à la belle nature</l>
              <l rend="i">Par mille endroits divers devient injurieux ;</l>
              <l rend="i">Des plus aimables traits il change la figure,</l>
              <l rend="i">Il efface le teint, il obscurcit les yeux.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">L’ame plus que le corps s’en trouve endommagée,</l>
              <l rend="i">Le jugement confus en est embarassé,</l>
              <l rend="i">Des spectre : qu’il produit la memoire assiegée</l>
              <l rend="i">Laisse l’esprit perclus, &amp; le goust émoussé.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> C’est en vous conservant, que de vostre tendresse</l>
              <l rend="i">Vous pouvez faire voir la force à vostre Epoux.</l>
              <l rend="i">Il vit dans vostre cœur : chassez-en la tristesse,</l>
              <l rend="i">Pour luy fort inutile, &amp; nuisible pour vous.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Si vous veniez icy, nous ferions nôtre étude</l>
              <l rend="i">De bannir vos soucis, d’instruire leur procés.</l>
              <l><hi rend="i">Vostre tranquille Sœur, de vostre inquietude,</hi></l>
              <l rend="i">Pourroit par son exemple a doucir les accés.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Sa belle ame en tout temps à soy-même semblable,</l>
              <l rend="i">Fait fleurir dans sa cour, repos &amp; liberté,</l>
              <l rend="i">Et la riche Amalthée y répand sur sa table,</l>
              <l rend="i">L’abondance &amp; l’éclat, l’ordre &amp; la propreté,</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Dans ces longs promenoirs qu’un si bel Art varie,</l>
              <l rend="i">Errans à l’avanture, exempts de passion,</l>
              <l rend="i">Nous faisons succeder l’aimable rêverie</l>
              <l><hi rend="i">Aux douceurs que fournit la conversation.</hi></l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">On ne connoist icy ny regles, ny contrainte,</l>
              <l rend="i">Ainsi que des momens nous y passons les jours :</l>
              <l rend="i">Et si nous y formons quelque legere plainte,</l>
              <l rend="i">C’est que pour nos plaisirs les soleils sont trop courts.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Lors que le blond Phœbus dans la mer d’Hesperie</l>
              <l rend="i">Se plonge dans les flots où sa clarté perit,</l>
              <l rend="i">En cercle autour du feu la fine raillerie,</l>
              <l rend="i">Epanoüit le cœur &amp; réveille l’esprit.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Tantost sur le bas stile, &amp; volant terre à terre,</l>
              <l rend="i">A parer aussi prompts, comme on l’est à porter,</l>
              <l rend="i">Nous faisons l’un à l’autre une galante guerre,</l>
              <l rend="i">Où chacun s’étudie à se déconcerter.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Tantost en nous joüant, &amp; sans tirer l’épée,</l>
              <l rend="i">Nous foudroyons la Ligue &amp; par terre &amp; par mer :</l>
              <l rend="i">Nous ostons à Nassau la Couronne usurpée,</l>
              <l rend="i">Heureux, si l’on le souffre estre encor Statouder.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Epuisez d’entretiens une guerre nouvelle,</l>
              <l rend="i">Les Cartes à la main nous rend tous Ennemis.</l>
              <l rend="i">Sur le moindre incident nous entrons en querelle,</l>
              <l rend="i">Et le jeu terminé nous demeurons amis.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Fatiguez de plaisirs plus qu’assouvis encore,</l>
              <l rend="i">Nous livrons au sommeil nos yeux appesantis ;</l>
              <l rend="i">On dore dans de beaux lits au delà de l’Aurore,</l>
              <l rend="i">Où les songes qu’on fait, sont des songes d’Atis.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Venez donc profiter du doux air qu’on respire,</l>
              <l rend="i">Dans ce Palais charmant de graces ennobly</l>
              <l rend="i">Où par mille agrémens que je ne puis décrire,</l>
              <l rend="i">Nous passons sans mourir le consolant Oubli.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Je parle sçavamment de sa vertu magique.</l>
              <l rend="i">Le croiriez-vous, Iris ? Dans ce charmant sejour,</l>
              <l rend="i">Je perds tout souvenir du chagrin domestique,</l>
              <l rend="i">Paris à ma memoire échape avec la Cour.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Venez, il est bien temps que de ce deüil trop ample</l>
              <l rend="i">Vous exemptiez enfin vostre cœur desolé ;</l>
              <l rend="i">Je vous pardonnerois, s’il estoit quelque exemple</l>
              <l><hi rend="i">D’un Mort, qu’on ait au jour par les pleurs rappellé.</hi></l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-02_074" resp="wordpro">
          <head>La Belle au bois dormant, Conte.</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, février 1696 [tome 2], p. 74-117.</bibl>
          <p>Quoy que les Contes des Fées &amp; des Ogres semblent n’estre bons que pour les Enfans, je suis persuadé que la lecture de celuy que je vous envoye vous fera plaisir. Il est écrit d’une maniere agreable, &amp; le stile convient parfaitement au sujet. On doit ce petit Ouvrage à la mesme personne qui a écrit l’histoire de la petite Marquise dont je vous fis part il y a un an, &amp; qui fut si applaudie dans vostre Province.</p>
          <quote>
            <label>LA BELLE<lb />AU BOIS DORMANT.<lb /><hi rend="i">CONTE.</hi></label>
            <p>Il estoit une fois un Roy &amp; une Reine, qui estoient si fâchez de n’avoir point d’enfans, si fâchez, qu’on ne sçauroit dire. Ils allérent à toutes les eaux du monde, vœux, pelerinages, menuës devotions, tout fut mis en œuvre, &amp; rien n’y faisoit. Enfin, pourtant, la Reine devint grosse, &amp; accoucha d’une Fille. On fit un beau batême ; on donna pour Maraines à la petite Princesse, toutes les Fées qu’on put trouver dans le pays, (il s’en trouva sept) afin que chacune d’elles luy faisant un don, comme c’étoit la coutume des Fées en ce temps-là, la Princesse eust par ce moyen toutes les perfections imaginables Aprés les ceremonies du Batême, toute la Compagnie revint au Palais du Roy, où il y avoit un grand festin pour les Fées. On mit devant chacune d’elles, un couvert magnifique avec un étuy d’or massif, où il y avoit une cueïller, une fourchette &amp; un couteau de fin or, garni de diamans &amp; de rubis. Mais comme chacun prenoit sa place à table, on vit entrer une vieille Fée, qu’on n’avoit point priée de la feste, parce qu’il y avoit plus de cinquante ans qu’elle n’estoit sortie de la Tour, &amp; qu’on la croyoit morte ou enchantée. Le Roy luy fit donner un couvert, mais il n’y eut pas moyen de luy donner un étuy d’or massif comme aux autres, parce qu’on n’en avoit fait faire que sept pour les sept Fées. La Vieille crut qu’on la méprisoit, &amp; grommela quelques menaces entre ses dents. Une des jeunes Fées, qui se trouva auprés d’elle, l’entendit, &amp; jugeant qu’elle pourroit donner quelque fâcheux don à la petite Princesse, elle alla, dés qu’on fut sorty de table, se cacher derriere la tapisserie, afin de parler la derniere, &amp; de pouvoir reparer autant qu’il luy seroit possible, le mal que la Vieille auroit fait.</p>
            <p>Cependant les Fées commencérent à faire leurs dons à la Princesse. La plus jeune luy donna pour don, qu’elle seroit la plus belle personne du monde ; celle d’aprés, qu’elle auroit de l’esprit comme un Ange ; la troisiéme, qu’elle auroit une grace admirable à tout ce qu’elle feroit ; la quatriéme, qu’elle danseroit parfaitement bien ; la cinquiéme, qu’elle chanteroit comme un Rossignol ; &amp; la sixiéme, qu’elle jouëroit de toutes sortes d’instrumens dans la derniere perfection. Le rang de la vieille Fée estant venu, elle dit en branslant la teste, encore plus de dépit que de vieillesse que la Princesse se perceroit la main d’un fuseau, &amp; qu’elle en mourroit. Ce terrible don fit fremir toute la compagnie, &amp; il n’y eut personne qui ne pleurast. Dans ce moment, la jeune Fée sortit de derriere la tapisserie, &amp; dit tout haut ces paroles. <hi rend="i">Rassurez vous, Roy, &amp; vous Reine. Vostre Fille n’en mourra pas. Il est vray que je n’ay pas assez de puissance pour deffaire entierement ce que mon Ancienne a fait. La Princesse se percera la main d’un fuseau, mais au lieu d’en mourir, elle tombera seulement dans un profond sommeil, qui durera cent ans, au bout desquels le Fils d’un Roy viendra la réveiller</hi>. Le Roy pour tâcher d’éviter le malheur annoncé par la vieille Fée, fit publier aussi-tost un Edit, qui deffendoit à toutes sortes de personnes de filer au fuseau, ny d’avoir de fuseaux chez soy, sous peine de la vie.</p>
            <p>Au bout de quinze ou seize ans, le Roy &amp; la Reine estant allez à une de leurs maisons de plaisance, il arriva que la jeune Princesse courant un jour dans le Chasteau, &amp; montant de chambre en chambre, alla jusqu’au haut du donjon dans un petit galetas, où une bonne femme estoit seule à filer sa quenoüille. Cette bonne vieille n’avoit point oüi parler des deffenses que le Roy avoit faites. <hi rend="i">Que faites-vous là, ma bonne Femme</hi>, luy dit la Princesse ? <hi rend="i">Je file, ma belle Enfant</hi>, luy répondit la Vieille, qui ne la connoissoit pas. <hi rend="i">Ah que cela est joly !</hi> reprit la Princesse. <hi rend="i">Comment faites-vous cela ? Donnez moy, que je voye si j’en ferois bien autant</hi>. Elle n’eut pas plutost pris le fuseau, que comme elle estoit fort vive, un peu étourdie, &amp; que d’ailleurs l’arrest des Fées l’ordonnoit ainsi, elle s’en perça la main, &amp; tomba évanoüie. La bonne Vieille bien embarassée, crie au secours. On vient de tous costez ; on jette de l’eau au visage de la Princesse ; on la délasse ; on luy frappe dans les mains ; on luy frotte les temples avec de l’eau de la Reine de Hongrie, mais rien ne la fait revenir. Alors le Roy qui estoit rentré dans le Palais, &amp; qui monta aussitost au bruit, se souvint de la prediction des Fées, &amp; jugeant fort prudemment, qu’il falloit bien que cela arrivast, puisque les Fées l’avoient dit, il fit mettre la Princesse dans le plus bel appartement du Palais sur un lit en broderie d’or &amp; d’argent. On eust dit d’un Ange, tant elle estoit belle, car son évanoüissement n’avoit point osté les couleurs vives de son teint ; ses jouës estoient incarnates &amp; ses lévres comme du corail. Elle avoit seulement les yeux fermez, mais on l’entendoit respirer doucement, ce qui faisoit voir qu’elle n’estoit pas morte. Il ordonna qu’on la laissast dormir en repos, jusqu’à ce que son heure fust venuë. La bonne Fée, qui luy avoit sauvé la vie en la condamnant à dormir cent ans, estoit dans le Roiaume de Mataquin, à douze mille lieuës de là, lors que l’accident arriva à la Princesse, mais elle en fut avertie en un moment par un petit Nain, qui avoit des bottes de sept lieuës. C’estoit des bottes avec lesquelles on faisoit sept lieuës d’une seule enjambée. La Fée partit aussi-tost, &amp; on la vit au bout d’une heure dans un char tout de feu traîné par des Dragons, descendre dans la cour du Chasteau. Le Roy luy alla presenter la main à la descente du Chariot. Elle approuva tout ce qu’il avoit fait, mais comme elle estoit grandement prévoyante, elle pensa que quand la Princesse viendroit à se reveiller, elle seroit bien embarassée toute seule dans ce vieux Chasteau. Qu’y avoit-il à faire ? quel expedient ? Elle en eut bien tost trouvé. Elle toucha de sa baguette tout ce qui étoit dans le Chasteau, hors le Roy &amp; la Reine, Gouvernantes, Filles-d’honneur, Femmes de chambre, Gentils-hommes, Officiers, Maistres-d’Hostel, Cuisiniers, Marmitons, Galoppins, Gardes, Suisses, Pages, Valets de pied. Elle toucha aussi tous les Chevaux qui estoient dans les écuries, avec les Palfreniers, les gros mâtins des basse-cours, &amp; la petite Poufe, petite chienne de la Princesse, qui estoit auprés d’elle sur son lit. Dés qu’elle les eut touchez, ils s’endormirent tous, pour ne se réveiller qu’en mesme temps que leur Maistresse, afin d’estre tout prests à la servir, quand elle en auroit besoin. Les broches mesme qui estoient au feu toutes pleines de perdrix &amp; de faisans, s’endormirent, &amp; le feu aussi. Tout cela se fit en un moment. Les Fées n’étoient pas longues à leurs besognes. Alors le Roy &amp; la Reine, après avoir baisé leur chere enfant, sans qu’elle s’éveillast, sortirent du Chasteau, &amp; firent publier des deffenses à qui que soit au monde d’en approcher. Ces deffenses n’étoient pas necessaires, car il crut dans un quart-d’heure tout autour du Parc, une si grande quantité de grands arbres &amp; de petits, de ronces &amp; d’épines entrelassées les unes dans les autres, que beste ny homme n’y auroit pû passer ; en sorte qu’on ne voyoit plus que le haut des Tours du Chasteau, encore n’estoit-ce que de bien loin. On ne doute point que la Fée n’eust fait là un tour de son mestier, afin que la Princesse pendant qu’elle dormiroit, n’eust rien à craindre des curieux.</p>
            <p>Au bout de cent ans, le Fils d’un Roy qui regnoit alors, &amp; qui estoit d’une autre Famille que la Princesse endormie, estant allé à la Chasse de ce costé-là, demanda ce que c’estoit, que des tours qu’il voyoit au dessus d’un grand bois fort épais. Chacun luy répondit selon qu’il en avoit oüy parler. Les uns disoient que c’estoit un vieux Chasteau où il revenoit des Esprits ; les autres, que tous les Sorciers de la contrée y faisoient leur Sabat. La plus commune opinion estoit, qu’un Ogre y demeuroit, &amp; que là il emportoit tous les enfans qu’il pouvoit prendre, pour les manger à son aise, &amp; sans qu’on le pust suivre, ayant seul le pouvoir de se faire passage au travers du bois. Le Prince ne sçavoit qu’en croire, lors qu’un vieux Paysan prit la parole, &amp; luy dit. <hi rend="i">Mon Prince, il y a plus de cinquante ans que mon Pere m’a dit, qu’il y avoit dans ce Chasteau une Princesse, la plus belle qu’on pust voir, qu’elle y devoit dormir cent ans, &amp; qu’elle seroit éveillée par le Fils d’un Roy, à qui elle estoit destinée</hi>, Le jeune Prince à ce discours se sentit tout de feu. Il crut sans balancer qu’il mettroit à fin une si belle avanture, &amp; poussé par l’amour &amp; par la gloire, il resolut de voir sur le champ ce qui en estoit. A peine s’avança-t-il vers le bois, que tous ces grands arbres, ces ronces &amp; ces épines s’écarterent d’elles mêmes pour le laisser passer. Il marcha vers le Chasteau, qu’il voyoit au bout d’une grande avenuë, où il entra ; mais ce qui le surprit un peu, il vit que personne de ses gens ne l’avoit pû suivre, parce que les arbres s’estoient rapprochez dés qu’il avoit esté passé. Il ne laissa pas de continuer son chemin. Un homme, jeune, Prince &amp; amoureux, est toujours vaillant. Il entra dans une grande anticour, où tout ce qu’il vit d’abord estoit capable de le glacer de crainte. C’estoit un silence affreux ; l’image de la mort s’y presentoit par tout, &amp; ce n’estoit que des corps étendus, hommes &amp; animaux, qui paroissoient morts. Il reconnut pourtant bien au nez bourgeonné &amp; à la face vermeille des Suisses, qu’ils n’estoient qu’endormis, &amp; leurs tasses où il y avoit encore quelques gouttes de vin, montroient assez qu’ils s’estoient endormis en beuvant. Il passe une grande cour pavée de marbre. Il monte l’escalier, il entre dans la Salle des Gardes, qui estoient rangez en haye la carabine sur l’épaule, &amp; ronflant de leur mieux. Il traverse plusieurs chambres pleines de Gentilshommes &amp; de Dames qui dormoient tous, les uns debout, les autres assis. Enfin il entre dans une chambre toute dorée, où il vit sur un lit, dont les rideaux estoient ouverts de tous costez, le plus beau spectacle qu’il eust jamais vû, une jeune personne qui paroissoit quinze ou seize ans, &amp; dont l’éclat resplendissant avoit quelque chose de lumineux &amp; de divin. Il s’approcha en tremblant &amp; en admirant, &amp; se mit à genoux auprés d’elle.</p>
            <p>Alors comme la fin de l’enchantement estoit venuë, la Princesse s’éveilla, &amp; le regardant avec des yeux plus tendres qu’une premiere vûë ne sembloit le permettre. <hi rend="i">Est ce vous, mon Prince</hi>, luy dit-elle ? <hi rend="i">Vous vous estes bien fait attendre</hi>. Le Prince charmé de ces paroles, &amp; encore plus de la maniere dont elles estoient dites, ne sçavoit comment luy témoigner sa joye &amp; sa reconnoissance. Il l’assura qu’il l’aimoit plus que luy-même. Ses discours furent mal rangez ; ils en plurent davantage ; peu d’éloquence, beaucoup d’amour, avec cela on va bien loin. Il estoit plus embarassé qu’elle, &amp; l’on ne doit pas s’en étonner. Elle avoit eu le temps de songer à ce qu’elle avoit à luy dire ; car il y a apparence (l’histoire n’en dit pourtant rien) que la bonne Fée, pendant un si long sommeil, luy procuroit le plaisir des songes agréables. Enfin il y avoit quatre heures qu’ils se parloient, &amp; ils ne s’estoient pas encore dit la moitié de ce qu’ils avoient à se dire. <hi rend="i">Quoy, belle Princesse</hi>, luy disoit le Prince, en la regardant avec des yeux qui en disoient mille fois plus que ses paroles, <hi rend="i">quoy, les destins favorables m’ont fait naître pour vous servir ? Ces beaux yeux ne se sont ouverts que pour moy, &amp; tous les Rois de la terre, avec toute leur puissance, n’auroient pû faire, ce que j’ay fait avec mon amour ? Ouy, mon cher Prince</hi>, luy répondit la Princesse, <hi rend="i">je sens bien à vostre vûë que nous sommes faits l’un pour l’autre. C’est vous que je voyois, que j’entre-tenois, que j’aimois pendant mon sommeil. La Fée m’avoit rempli l’imagination de vostre image. Je sçavois bien, que celuy qui devoit me desenchanter, seroit plus beau que l’Amour, &amp; qu’il m’aimeroit plus que luy-mesme, &amp; dés que vous avez paru, je n’ay pas eu de peine à vous reconnoistre.</hi></p>
            <p>Cependant tout le Palais s’estoit réveillé en mesme temps que la Princesse. Chacun songeoit à faire sa charge, &amp; comme ils n’estoient pas tous amoureux, ils mouroient de faim, il y avoit long-temps qu’ils n’avoient mangé. La Dame d’honneur, pressée comme les autres, s’impatientant, dit tout haut à la Princesse, que sa viande estoit servie. Le Prince aida à la Princesse à se lever. Elle estoit toute habillée, &amp; fort magnifiquement, mais il se garda bien de luy dire, qu’elle estoit habillée comme ma mere grande &amp; que son colet estoit monté. Elle n’en estoit pas moins belle. Ils passérent dans un Salon de miroirs, &amp; y soupérent. Les Violons &amp; Hautbois joüérent de vieilles pieces, mais excellentes, quoy qu’il y eust cent ans qu’on ne les joüast plus, &amp; aprés soupé, sans perdre de temps, le premier Aumosnier les maria dans la Chapelle, &amp; la Dame d’honneur leur tira le rideau. Ils dormirent peu. La Princesse n’en avoit pas grand besoin, &amp; le Prince la quitta dés le matin pour retourner à la Ville, où le Roy son Pere devoit estre en peine de luy. Ce Prince luy dit qu’en chassant, il s’estoit perdu dans la Forest, &amp; avoit couché dans la hute d’un Charbonnier, qui luy avoit fait manger du pain noir &amp; du fromage. Le Roy son Pere, qui estoit bon homme, le crut, mais la Reine sa Mere n’en fut pas bien persuadée, &amp; voyant qu’il alloit presque tous les jours à la chasse, &amp; qu’il avoit toujours une raison en main pour s’excuser, quand il avoit couché deux ou trois nuits dehors, elle ne douta plus qu’il n’y eût quelque amourette. Elle luy dit plusieurs fois, pour le faire expliquer, qu’il falloit se contenter dans la vie, mais il n’osa jamais se fier à elle de son secret : il la craignoit, quoi qu’il l’aimast. Elle estoit de race Ogresse, &amp; le Roy ne l’avoit épousée qu’à cause de son grand bien. On disoit mesme tout bas à la Cour, qu’elle avoit toutes les inclinations des Ogres, &amp; qu’en voyant de petits enfans, elle avoit beaucoup de peine à se retenir de se jetter dessus. Ainsi le Prince ne luy voulut jamais rien dire. Il continua pendant deux ans à voir en secret sa chere Princesse, &amp; l’aima toûjours de plus en plus. L’air de mystere luy conserva le goust d’une premiere passion, &amp; toutes les douceurs de l’himen ne diminuerent point les impressemens de l’amour. Mais quand le Roy son Pere fut mort, &amp; qu’il se vit le maistre, il declara publiquement son mariage, &amp; alla en grande pompe querir la Reine sa femme dans son Chasteau. On luy fit une entrée magnifique dans la Ville capitale. Quelque temps aprés, le Roy alla faire la guerre à l’Empereur Cantalabute, son voisin. Il laissa la Regence du Royaume à la Reine sa Mere, &amp; luy recommanda fort la jeune Reine, qu’il aimoit plus que jamais, depuis qu’elle luy avoit donné de beaux enfans, une Fille qu’on nommoit l’Aurore, &amp; un Garçon, qu’on appelloit le Jour, à cause de leur extrême beauté.</p>
            <p>Le Roy devoit estre à la guerre tout l’Este, &amp; dés qu’il fut party, la Reine Mere envoya la jeune Reine &amp; ses enfans, à une maison de Campagne dans les bois, pour y pouvoir assouvir plus aisément son horrible envie. Elle y alla quelques jours aprés, &amp; dit un soir à son Maistre d’Hostel, <hi rend="i">Maistre Simon, je veux manger demain à mon disner la petite Aurore. Ah ! Madame</hi>, dit le Maistre d’Hostel. <hi rend="i">Je le veux</hi>, reprit elle d’un ton d’Ogresse, qui a envie de manger de la chair fraische. Ce pauvre homme voyant bien qu’il ne falloit pas se joüer à une Ogresse, prit son grand couteau, &amp; monta à la chambre de la petite Aurore. Elle avoit quatre ans, &amp; vint en sautant, en riant, se jetter à son col, &amp; luy demander du bonbon. Il se mit à pleurer. Le couteau luy tomba des mains, &amp; il alla dans la Basse-cour couper la gorge à un petit agneau, auquel il fit une si bonne sauce, que la méchante Reine l’assura qu’elle n’avoit jamais rien mangé de si bon. Il emporta en mesme temps la petite Aurore, &amp; &amp; il la donna à sa femme, pour la cacher dans le logement qu’elle avoit au fonds de la Basse-cour. Huit jours aprés la méchante Reine dit à son Maistre d’Hostel, <hi rend="i">Maître Simon, je veux manger demain le Jour</hi>. Il ne repliqua pas, resolu de la tromper comme la premiere fois. Il alla chercher le petit Jour, &amp; le trouva avec un petit fleuret à la main, dont il faisoit des armes contre un gros Singe. Il n’avoit pourtant que trois ans. Il le porta à sa femme, qui le cacha avec la petite Aurore, &amp; donna à sa place à la méchante Reine un petit Chevreau fort tendre, qu’elle trouva admirable.</p>
            <p>Cela estoit fort bien allé jusques là, mais un soir cette méchante Reine cria d’un ton effroyable, <hi rend="i">Maistre Simon, Maistre Simon</hi>. Il alla aussi-tost, &amp; elle luy dit : <hi rend="i">Je veux manger demain ma Bru</hi>. Ce fut alors que Maistre Simon desespera de la pouvoir encore tromper. La jeune Reine avoit vingt ans passez, sans compter les cent ans qu’elle avoit dormi. Sa peau estoit un peu dure, quoy que belle &amp; blanche, &amp; le moyen de trouver dans la Menagerie une Beste de cet âge-là ? Il prit donc la resolution, pour sauver sa vie, de couper la gorge à la Reine, &amp; monta à sa chambre, dans l’intention de n’en point faire à deux fois. Il s’excitoit à la fureur, &amp; entra le poignard à la main dans la chambre de la jeune Reine. Il ne voulut pourtant pas la surprendre, luy dit avec beaucoup de respect l’ordre qu’il avoit receu de la Reine-mere. <hi rend="i">Faites, faites</hi>, luy dit-elle en luy tendant le cou, <hi rend="i">executez l’ordre que l’on vous a donné. J’iray revoir mes enfans, mes pauvres enfans, que j’ay tant aimez</hi>. Elle les croyoit morts, depuis qu’on les avoit enlevez sans luy rien dire. <hi rend="i">Non, non, Madame</hi>, luy répondit le pauvre Maistre Simon tout attendri, <hi rend="i">vous ne mourrez point. Vous irez revoir vos chers enfans, mais ce sera chez moy où je les tiens cachez, &amp; je tromperay encore la Reine, en luy faisant manger une jeune biche en vostre place</hi>. Il la mena aussi-tost à la chambre de sa Femme, où il la laissa embrasser ses enfans, &amp; pleurer avec eux, &amp; alla accommoder la biche, que l’Ogresse mangea à son soupé avec le même appetit que si ç’avoit esté la jeune Reine. Elle estoit bien contente de sa cruauté, &amp; se préparoit à dire au Roy à son retour, que les Loups enragez avoient mangé la Reine sa femme &amp; ses deux enfans. Un soir qu’elle rodoit à son ordinaire dans les cours &amp; basse-cours du Chasteau, pour y halener quelque viande fraîche, elle entendit dans une Salle-basse, le petit Jour qui pleuroit, parce que la Reine sa mere le vouloit faire foüetter, à cause qu’il avoit esté méchant, &amp; elle entendit aussi la petite Aurore qui demandoit pardon pour son petit Frere. L’Ogresse reconnut la voix de la Mere &amp; des Enfans, &amp; furieuse d’avoir esté trompée, elle commanda dés le lendemain au matin avec cette voix épouvantable qui faisoit trembler tout le monde, qu’on apportast au milieu de la cour une grande cuve, qu’elle fit remplir de crapaux, de viperes, de couleuvres &amp; de serpens, pour y faire jetter la Reine &amp; ses Enfans, Maistre Simon, sa Femme &amp; sa Servante. Elle avoit donné l’ordre de les amener les mains liées derriere le dos. Ils estoient là, &amp; les Bourreaux se préparoient à les jetter dans la cuve, lors que la jeune Reine demanda qu’au moins on luy laissast faire ses doleances, &amp; l’Ogresse, toute méchante qu’elle estoit, le voulut bien. <hi rend="i">Helas ! helas !</hi> s’écria la pauvre Princesse, <hi rend="i">faut-il mourir si jeune ? Il est vray qu’il y a assez longtemps que je suis au monde, mais j’ay dormi cent ans, &amp; cela me devroit il estre compté ? Que diras tu, que feras-tu, pauvre Prince, quand tu reviendras, &amp; que ton pauvre petit Jour, qui est si aimable, que ta petite Aurore, qui est si jolie, n’y seront plus pour t’embrasser, quand je n’y seray plus moy même ? Si je pleure, ce sont tes larmes que je verse, tu nous vangeras, peut-estre, helas ! sur toy même. Ouy, miserables, qui obeissez à une Ogresse, le Roy vous fera tous mourir à petit feu</hi>. L’Ogresse qui entendit ces paroles, qui passoient les doleances, transportée de rage s’écria, <hi rend="i">Bourreaux, qu’on m’obeisse, &amp; qu’on jette dans la cuve cette causeuse</hi>. Ils s’approcherent aussi-tost de la Reine, &amp; la prirent par ses robes ; mais dans ce moment, le Roy qu’on n’attendoit pas si-tost, entra dans la cour à cheval. Il estoit venu en poste, &amp; demanda tout étonné ce que vouloit dire cet horrible spectacle. Personne n’osoit l’en instruire. quand l’Ogresse enragée de voir ce qu’elle voyoit, se jetta elle-même la teste la premiere dans la cuve, &amp; fut devorée en un instant par les vilaines bestes qu’elle y avoit fait mettre. Le Roy ne laissa pas d’en estre fâché. Elle estoit sa Mere, mais il s’en consola bien-tost avec sa belle Reine &amp; ses chers enfans.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i"> Attendre quelque temps pour avoir un Epoux</l>
                <l rend="i"> Riche, vaillant, aimable &amp; doux,</l>
                <l rend="i"> La chose est assez naturelle ;</l>
                <l rend="i">Mais l’attendre cent ans, &amp; toujours endormant,</l>
                <l rend="i"> On ne trouve plus de femelle</l>
                <l rend="i"> Qui dorme si tranquillement.</l>
              </lg>
            </quote>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-02_133" resp="wordpro">
          <head>Sur le tableau de l’Histoire de Suzanne</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, février 1696 [tome 2], p. 133-139.</bibl>
          <p>Je vous ay déja envoyé une Lettre en Prose, sur l’excellent Tableau de Susanne, que M<hi rend="sup">r</hi> Coipel le Fils a fait depuis peu, &amp; je vous envoye aujourd’huy un Ouvrage en Vers sur le même Tableau. Ce sont des Vers libres, qui ont esté admirez &amp; recherchez de toute la Cour.</p>
          <quote>
            <label>SUR LE TABLEAU<lb />de l’Histoire de Suzanne.</label>
            <lg>
              <l rend="i">Vous ne perirez point, adorable Innocence.</l>
              <l rend="i">Que le jaloux Enfer lâchement conjuré,</l>
              <l rend="i">Epuise contre vous l’effort desesperé</l>
              <l rend="i"> De sa redoutable puissance ;</l>
              <l rend="i"> Que la barbare violence,</l>
              <l rend="i"> La calomnie, &amp; la licence</l>
              <l rend="i">Sous le masque des Loix s’arment pour sa vengeance ;</l>
              <l rend="i">Que la triste Nature ait le cœur déchiré,</l>
              <l rend="i">Sans pouvoir opposer la moindre resistance</l>
              <l rend="i"> Contre l’orage preparé ;</l>
              <l rend="i">Le Ciel, le juste Ciel, pour vous est declaré,</l>
              <l rend="i">Vous ne perirez point, adorable Innocence.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">D’infames Delateurs par l’âge respectez,</l>
              <l rend="i">Ont accusé Susanne à son devoir fidelle,</l>
              <l rend="i"> Et leurs mensonges concertez</l>
              <l rend="i">Portent à son honneur une atteinte mortelle.</l>
              <l rend="i"> Le Peuple animé d’un faux zele</l>
              <l rend="i">Souleve avec fureur ses esprits irritez ;</l>
              <l rend="i">Mille bras sont levez, &amp; la pierre cruelle,</l>
              <l rend="i"> Siffle de tous costez.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Qui peut la garantir de ce malheur étrange ?</l>
              <l rend="i">Dèja, ses Ennemis paroissent triomphans,</l>
              <l rend="i">Mais le Dieu d’Abraham se réveille, &amp; la vange,</l>
              <l rend="i"> Luy, qui des lévres des Enfans,</l>
              <l rend="i">Tire quand il luy plaist sa sublime loüange.</l>
              <l rend="i">Le jeune Daniel par son ordre excité,</l>
              <l rend="i"> Va débroüiller la trame obscure,</l>
              <l rend="i">Et faire succomber l’effroyable imposture</l>
              <l rend="i"> Sous la brillante Verité.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Ranimez vos beaux yeux d’une vive esperance,</l>
              <l rend="i">La Troupe des Vertus vole à vôtre deffense ;</l>
              <l rend="i"> L’incorruptible Chasteté,</l>
              <l rend="i"> Et l’inébranlable Constance</l>
              <l rend="i">Conduisent fiérement le secours redouté.</l>
              <l rend="i">Je vois déja pâlir la coupable Inselence ;</l>
              <l rend="i"> Et la folle temerité.</l>
              <l rend="i">Vous ne perirez point, adorable Innocence.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Des Vieillards, que le Ciel se dispose à punir,</l>
              <l rend="i">L’Euphrate vous verra triompher sur ses rives,</l>
              <l rend="i">Et les Livres Sacrez au fidelle Avenir</l>
              <l rend="i"> Dans leurs immortelles Archives</l>
              <l rend="i"> En garderont le souvenir.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Mais ce n’est point assez de vôtre sainte histoire,</l>
              <l rend="i"> Pour nous retracer la memoire.</l>
              <l rend="i">Il nous falloit encore un second Daniel,</l>
              <l rend="i">Et le Ciel aujourd’huy suscite à vôtre gloire</l>
              <l rend="i"> Le Pinceau du jeune Coypel.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Tout absout l’Heroïne en son charmant ouvrage</l>
              <l rend="i">Pour qui sçait des couleurs entendre le langage :</l>
              <l rend="i"> Les traits affreusement noircis</l>
              <l rend="i">De ses Persecuteurs dans le crime endurcis</l>
              <l rend="i">En conservont la sombre Image,</l>
              <l rend="i">Et la jeune Beauté fait voir sur son visage</l>
              <l rend="i">Qu’un cœur par &amp; sans tache, au milieu de l’orage,</l>
              <l rend="i"> Est exempt de soucis.</l>
              <l rend="i">La Troupe qui l’entoure en diverses manieres,</l>
              <l rend="i">Concourt dans cette cause à donner des lumieres ;</l>
              <l rend="i">Icy, c’est la Douleur, ou la Compassion,</l>
              <l rend="i"> Là, le Mèpris, où l’Indignation.</l>
              <l rend="i">Mais par un beau concert, l’Amour comme la Rage,</l>
              <l rend="i"> La Haine, ou la Protection,</l>
              <l rend="i"> La Tendresse, ou l’Aversion,</l>
              <l rend="i">Tout absout l’Heroïne en ce charmant ouvrage.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Regnez, Chaste Suzanne, au milieu de Paris.</l>
              <l rend="i">Jamais, à l’Art Romain pour disputer le prix</l>
              <l rend="i">Le Poussin n’a fourny de plus riche matiere :</l>
              <l rend="i">Pendant que la beauté du parfait Coloris,</l>
              <l rend="i">Que du Dessein correct la grace singuliere,</l>
              <l rend="i"> La force de l’Expression,</l>
              <l rend="i"> Des Ombres, &amp; de la Lumiere</l>
              <l rend="i"> La noble Dispensation</l>
              <l rend="i"> Chez les beaux Esprits de la France</l>
              <l rend="i">Trouveront quelque attention,</l>
              <l rend="i">Vous ne perirez point, adorable Innocence.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-02_153" resp="wordpro">
          <head>Epitre à Aristie</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, février 1696 [tome 2], p. 153-170.</bibl>
          <p>Une Dame, dont la modestie répond à ses belles qualitez, a fourni la matiere de l’Epistre en Vers que je vous envoye. Elle est de M<hi rend="sup">r</hi> Soüart du Boulay, de Tours.</p>
          <quote>
            <label>EPITRE A ARISTIE.</label>
            <lg>
              <l>Jeune &amp; chaste beauté, dont l’heureuse memoire</l>
              <l>Du lieu de ta naissance enrichira l’Histoire,</l>
              <l>Toy, que la main du Ciel juste dans ses desseins,</l>
              <l>Forma pour meriter tous les vœux des humains,</l>
              <l>Aristie, il est vray, dans ce profond silence,</l>
              <l>Où m’arrestent pour toy la raison, la prudence,</l>
              <l>Et fixent de mon cœur les plus ardens souhaits,</l>
              <l>Ma Muse chaque jour pousse mille regrets.</l>
              <l><hi rend="i">Quoy</hi> (dit-elle en secret, en son ardeur d’écrire)</l>
              <l rend="i">Sur un si beau sujet faut-il n’oser rien dire ?</l>
              <l rend="i">Et que sur tant d’attraits, qui frappent tous les yeux,</l>
              <l rend="i">Je ne puisse jetter qu’un œil respectueux ?</l>
              <l rend="i">Quoy, tandis qu’à l’envy chacun icy publie,</l>
              <l rend="i">Que rien n’est comparable aux charmes d’Aristie ;</l>
              <l rend="i">Que je voy jusqu’aux Cieux élever sa beauté,</l>
              <l rend="i">N’ay-je pas pour parler la mesme liberté ?</l>
              <l>Parmy tous ces regrets où s’emporte ma Muse,</l>
              <l>Un peu d’attention bien-tost la desabuse ;</l>
              <l>La raison vient à l’aide, &amp; luy fait concevoir,</l>
              <l>Qu’un si hardy dessein surpasse son pouvoir ;</l>
              <l>Que pour oser tracer un si parfait modelle,</l>
              <l>C’est peu de sçavoir peindre, il faut estre un Apelle. <hi rend="i">a</hi></l>
              <l> Ce n’est pas toutefois qu’aucune expresse loy</l>
              <l>Deffende à mon esprit de s’exercer pour toy ;</l>
              <l>Je sçay que si je veux, je puis dans quelque ouvrage</l>
              <l>A la voix du public ajoûter mon suffrage.</l>
              <l>Mais, dés mes premiers ans nourry sur l’Helicon,</l>
              <l>Ce seroit imprimer une tache à mon nom,</l>
              <l>Si l’on m’entendoit dire en langage ordinaire :</l>
              <l rend="i">Aristie est charmante, elle est faite pour plaire.</l>
              <l rend="i">Quel cœur pourroit jamais se défendre d’aimer</l>
              <l rend="i">Cet objet que le Ciel prit plaisir à former ?</l>
              <l> Ainsi, remply pour toy de respect &amp; d’estime,</l>
              <l>Je n’ose pour le dire employer une rime.</l>
              <l>Je ne veux point d’Icare éprouver les malheurs ;</l>
              <l>Tu sçais que du Soleil affrontant les ardeurs,</l>
              <l>Ce jeune temeraire élevé jusqu’aux nuës,</l>
              <l>Aux dépens de ses jours vit ses ailes fonduës.</l>
              <l>Son exemple est pour moy. Je n’ose te loüer,</l>
              <l>En m’élevant si haut, je craindrois d’échoüer.</l>
              <l>Je connois ma portée, &amp; c’est-là mon excuse,</l>
              <l>Je sçay les embarras où se verroit ma Muse,</l>
              <l>S’il luy falloit tracer cette vive douceur,</l>
              <l>Ce tour d’esprit aisé, cette noble pudeur,</l>
              <l>Les traits de la vertu marquez sur ton visage,</l>
              <l>De l’estime publique infaillible présage ;</l>
              <l>S’il luy falloit icy, dans son zele emporté,</l>
              <l>Benir l’ordre du Ciel, dont la sage équité</l>
              <l>A permis que Damon disposast de sa fille,</l>
              <l>En faveur de l’aîné d’une illustre famille ;</l>
              <l>S’il falloit t’applaudir en termes éloquens,</l>
              <l>Te prodiguer en vers un legitime encens,</l>
              <l>Dépeindre au naturel ta candeur, ta franchise ;</l>
              <l>Ce seroit pour ma Muse une vaine entreprise.</l>
              <l>En vain dans ton portrait, pour te combler d’honneurs,</l>
              <l>Je voudrois employer mes plus vives couleurs,</l>
              <l>L’artifice pour toy seroit d’un foible usage.</l>
              <l>Chacun en te voyant en conçoit davantage,</l>
              <l>Et mon pinceau grossier, au lieu de t’embellir,</l>
              <l>Touchant à tes attraits, les pourroit avilir.</l>
              <l> Mais je veux que du Ciel l’influence secrette,</l>
              <l>Augré de mes desirs, m’ait fait naître Poëte,</l>
              <l>Et que pour te loüer je possede à la fois,</l>
              <l>L’éloquence &amp; l’esprit qu’on admire en Dubois. <hi rend="i">b</hi></l>
              <l>J’ignore sur ce point à quel party me rendre,</l>
              <l>Si, quand je le pourrois, je devrois l’entreprendre.</l>
              <l>Que sçay-je quel succés obtiendroient mes écrits ?</l>
              <l>Si ton inimitié n’en seroit pas le prix ?</l>
              <l>Irois-je impunément blesser ta modestie ?</l>
              <l>Je m’en garderay bien Je sçay, belle Aristie,</l>
              <l>Que bien tost je verrois éclater ton chagrin,</l>
              <l>Si, m’offrant à tes yeux l’encensoir à la main,</l>
              <l>Par un discours flateur dont tu haïs la fumée,</l>
              <l>Je te parlois de toy comme la Renommée.</l>
              <l>Ce que j’avance icy se peut justifier,</l>
              <l>Sur la foy du Public j’ose le publier :</l>
              <l rend="i"> Il est mille talens que possede Aristie,</l>
              <l rend="i"> Et que vient à nos yeux cacher sa modestie,</l>
              <l><hi rend="i">Elle sçait tout,</hi> dit-on, <hi rend="i">sans se piquer de rien.</hi></l>
              <l>Voila sur ton sujet quel est son entretien.</l>
              <l>Chaque jour, chaque instant, d’un recit si fidelle</l>
              <l>Fait naistre à mes regards une preuve nouvelle ;</l>
              <l>Non que je veüille icy vanter tous tes talens ;</l>
              <l>Mais si j’osois parler de voix ou d’instrumens,</l>
              <l>Sans beaucoup y resver, cette heureuse matiere,</l>
              <l>Fourniroit à ma veine une vaste carriere ;</l>
              <l>Je pourrois te dépeindre, en t’adjugeant le prix,</l>
              <l>Telle dans ces climats qu’au milieu de Paris.</l>
              <l>Ce siecle à vû briller l’incomparable Hilaire, <hi rend="i">c</hi></l>
              <l>En entonnant les airs que composoit son Frere, <hi rend="i">d</hi></l>
              <l>Et pour les instrumens, je dirois que ta main</l>
              <l>Ne cede dans ces lieux qu’à celle de Doirin. <hi rend="i">e</hi></l>
              <l>Cependant, à te voir, humble dans ta science,</l>
              <l>Affectant sur ce point un genereux silence,</l>
              <l>A moins de le sçavoir, on ne peut présumer,</l>
              <l>Que ta voix &amp; ta main ont le don de charmer.</l>
              <l>Telle est dés le berceau ta prudente maxime,</l>
              <l>La loüange t’offense, &amp; si je la supprime,</l>
              <l>De ton inimitié mon cœur craint les effets,</l>
              <l>Autant que de mes vers le malheureux succés.</l>
              <l>Toutefois, si jamais tu veux par complaisance</l>
              <l>Montrer pour qui te loüe un moment d’indulgence ;</l>
              <l>Si tu daignes souffrir qu’on te parle de toy,</l>
              <l>Cet excés de bonté doit rejallir sur moy.</l>
              <l>J’en sçauray profiter sans me rendre incommode,</l>
              <l>De ces lâches esprits je blâme la methode,</l>
              <l>Qui prés d’un bel objet s’érigeant en conteurs,</l>
              <l>Vont mandier le prix de leurs fades douceurs.</l>
              <l>Pour moy je te loüeray par un motif contraire,</l>
              <l>Mon zele le fera sans espoir de salaire :</l>
              <l>Ton éloge à mon cœur offre un parfait plaisir,</l>
              <l>Celuy de dire vray remplira mon desir.</l>
              <l>Mais sur tout, mon esprit ennemy des querelles,</l>
              <l>Sçaura de ses discours bannir les paralleles,</l>
              <l>Je peindray ta beauté, sans arrester mes yeux</l>
              <l>Sur mille objets charmans que je trouve en ces lieux.</l>
              <l>Pour te donner sur eux une entiere victoire,</l>
              <l>Peut-estre en ta faveur j’obscurcirois leur gloire,</l>
              <l>Vainement je loüerois l’éclat de leurs vertus,</l>
              <l>Mon zele prétendroit qu’Aristie en a plus,</l>
              <l>Je vanterois la tienne avec tant d’avantage,</l>
              <l>Que tout le Sexe entier en pourroit prendre ombrage.</l>
              <l>On diroit que pour toy j’ay cherché ce détour,</l>
              <l>Et qu’aux dépens d’autruy je veux faire ma cour.</l>
              <l>Chacun l’imputeroit à l’ardeur de médire,</l>
              <l>Et prendroit chaque mot pour un trait de Satyre.</l>
              <l>Je n’en puis plus douter ; mille &amp; mille raisons,</l>
              <l>Ou plutost mes malheurs, confirment mes soupçons.</l>
              <l>Chargé, quoy qu’innocent, de la haine publique,</l>
              <l>Je dois plus que jamais user de politique.</l>
              <l>Icy, l’un desolé, prétend que par mes vers</l>
              <l>J’ay peint son caractere aux yeux de l’Univers.</l>
              <l>Là, l’autre furieux se plaint que sans scrupule</l>
              <l>Ma main pleine de fiel l’ait rendu ridicule,</l>
              <l>Chacun fait dans ses yeux éclater son dépit,</l>
              <l>Et je ne doute pas que, si par un Edit</l>
              <l>Des combats singuliers, du meurtre &amp; du carnage,</l>
              <l>LOUIS dans ses Etats n’eust deffendu l’usage,</l>
              <l>On ne me vist forcé de m’exercer dans l’art</l>
              <l>Que j’ay pendant deux ans pratiqué sous Pillart, <hi rend="i">f</hi></l>
              <l>Ou qu’un coup concerté ne déchargeast la Ville</l>
              <l>D’un Rimeur tel que moy plein de fiel &amp; de bile.</l>
              <l>Tel est mon triste sort. Je voy de toutes parts</l>
              <l>Mille flots d’ennemis s’offrir à mes regards :</l>
              <l>Par tout contre mes vers on éclate, on murmure,</l>
              <l>Chacun croit avoir droit de vanger son injure.</l>
              <l>Je suis, si je les crois, un Censeur odieux,</l>
              <l>Et sur mon innocence on veut fermer les yeux.</l>
              <l>Quelquefois il est vray, libre dans ses caprices,</l>
              <l>Ma Muse hautement condamne certains vices :</l>
              <l>Mais, quel sujet a-t-on pour se plaindre de moy ?</l>
              <l>D’où vient que le Lecteur les veut prendre pour soy ?</l>
              <l>A l’honneur de quelqu’un ay-je fait quelque outrage ?</l>
              <l>De critiquer en vers ay-je introduit l’usage ?</l>
              <l>Ay-je commis un crime en suivant Juvenal ?</l>
              <l>Imiter ses pareils en est-ce un capital ?</l>
              <l>Quand j’attaque un deffaut, se plaint-on que je nomme ?</l>
              <l>Pourquoy deffendre à Tours ce qu’on souffroit à Rome ?</l>
              <l> Mais je ne forme icy que des vœux impuissans,</l>
              <l>Je le vois, Aristie, il faut ceder au temps.</l>
              <l>Sur les bords de la Loire, infortunez Poëtes,</l>
              <l>Nos écrits malgré nous trouvent des Interpretes.</l>
              <l>On blâme chaque trait qui part de nostre main,</l>
              <l>Souvent c’est du nectar qu’on prend pour du venin.</l>
              <l>Que j’écrive pour toy, de la mesme disgrace</l>
              <l>Mon étoile funeste à jamais me menace,</l>
              <l>Et mesme en ce moment j’en redoute l’effet,</l>
              <l>Où ma main n’a qu’à peine ébauché ton portrait,</l>
              <l>Je crains pour mon Epître, &amp; peut-estre on va dire,</l>
              <l>Que contre tout le Sexe il court une Satire :</l>
              <l>Triste effet du destin irrité contre moy !</l>
              <l>Ne peut-on estre aimable, &amp; l’estre moins que toy ?</l>
              <l>Quoy, parce que Venus, par l’équité d’un homme</l>
              <l>Sur deux autres beautez a remporté la pomme,</l>
              <l>A-t-on donc présumé que Junon &amp; Pallas</l>
              <l>Fussent à dédaigner, &amp; n’eussent point d’appas ?</l>
              <l>Pâris méprisa-t-il le pouvoir de leurs charmes ?</l>
              <l>A-t-on vû contre luy tout un Peuple en alarmes ?</l>
              <l> Mais ces vaines frayeurs ne peuvent rien sur moy,</l>
              <l>Mon cœur ne cache point ce qu’il pense de toy.</l>
              <l>Ouy, de quelque façon que le public me nomme,</l>
              <l>Sur tout le Sexe entier je te donne la pomme,</l>
              <l>Et je diray toujours sans vouloir l’insulter,</l>
              <l>Que pour estre parfait il n’a qu’à t’imiter.</l>
            </lg>
            <note><p>a <hi rend="i">Peintre fameux dans l’antiquité.</hi></p></note>
            <note><p>b <hi rend="i">Fameux Avocat.</hi></p></note>
            <note><p>c <hi rend="i">Mademoiselle Hilaire, renommée pour sa belle voix.</hi></p></note>
            <note><p>d <hi rend="i">M<hi rend="sup">r</hi> Lambert.</hi></p></note>
            <note><p>e <hi rend="i">Fameux Maistre de Clavessin.</hi></p></note>
            <note><p>f <hi rend="i">Fameux Maistre d’armes.</hi></p></note>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-02_187" resp="wordpro">
          <head>[Fureteriana]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, février 1696 [tome 2], p. 187-188.</bibl>
          <p>Les Livres de bons mots sont devenus extrémement à la mode, &amp; aprés ceux qui ont pour titre, <hi rend="i">Soberiana</hi> &amp; <hi rend="i">Menagiana</hi>, le S<hi rend="sup">r</hi> Thomas Guillain, qui a sa Boutique à la descente du Pont-neuf prés les Augustins, vient de donner au Public <hi rend="i">Fureteriana</hi>, ou <hi rend="i">les bons mots &amp; Remarques de M<hi rend="sup">r</hi> Furetiere</hi>. Il avertit le Lecteur que ces Remarques ont esté trouvées dans ses Papiers aprés sa mort ; &amp; que s’il y en a quelques-unes qui paroissent un peu negligées, cela vient de ce qu’on n’a pas voulu toucher à ce qu’avoit écrit un homme aussi connu que M<hi rend="sup">r</hi> de Furetiere, qui n’y avoit pas mis la derniere main. La lecture ne laisse pas d’en estre agreable, aussi bien que celle des Historiettes qu’on y a meslées, &amp; qui, encore qu’un peu longues, sont assez plaisantes pour n’ennuyer pas.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-02_216" resp="mercure">
          <head>[Ceremonies observées à la reception de Mr le Marquis de Dangeau, Grand Maistre de l'Ordre de S. Lazare, &amp; de Nostre Dame de Mont Carmel]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, février 1696 [tome 2], p. 216-258.</bibl>
          <p/>
          <p>Il y a si longtemps qu'on n'a fait une ceremonie pareille à celle dont je vais vous entretenir, qu'on peut dire avec raison que ce sera un morceau d'histoire qui satisfera les Curieux. J'ay pris soin d'en ramasser toutes les particularitez, pour en faire un corps, &amp; je croy qu'il vous paroistra exact. Mr le Marquis de Dangeau, Grand Maistre de l'Ordre de Nostre-Dame de Montcarmel &amp; de Saint-Lazare, après avoir presté serment entre les mains du Roy, dans la Chapelle à Versailles, resolut que la ceremonie de sa reception dans l'Ordre se feroit le Dimanche 29. du mois passé, dans l'Eglise des Peres Carmes, appellez communement des Billettes, &amp; ordonna à Mr de Sauleux, Prevost &amp; Maistre des Ceremonies de l'Ordre, d'en prendre le soin. L'Eglise &amp; les Tribunes furent tenduës de riches Tapisseries, &amp; remplies de tapis de pied, de fauteüils, de chaises &amp; de carreaux, &amp; Mr le Grand-Maistre &amp; les Chevaliers assisterent aux premieres Vespres qui furent chantées la veille. Il y avoit des estrades dans les Chapelles à droit [sic] &amp; à gauche, où l'on arrangea des chaises par étages, en sorte que l'on voyoit la ceremonie de tous costez. [...]</p>
          <p>Il y eut un fort grand ordre pour la distribution des places, &amp; pour arriver à l'Eglise avec facilité. Il y avoit à chacun des deux bouts de la rüe un des Cent Suisses du Roy, &amp; six autres Suisses, qui n'y laissoient entrer que les Carrosses qui avoient des Billets. Ces Carrosses estant à la porte du Cloistre, on les faisoit passer dans les deux ruës voisines. Il y avoit des gens de Mr le Grand-Maistre qui marquoient où il falloit aller, &amp; prenoient les juppes des Dames pour les porter jusques à l'entrée de l'Eglise, dont la porte estoit aussi gardée par des Suisses du Roy. Il y avoit aussi des personnes préposées pour recevoir les Billets cachetez &amp; numerotez, &amp; pour mener ceux qui les avoient à leurs chaises numerotées de même ; en sorte que l'on estoit placé dans le moment.</p>
          <p>M. le Grand-Maistre arriva aux Billettes sur les neuf heures du matin. Les anciens Chevaliers allerent le recevoir à la porte du Cloistre, &amp; le conduisirent dans une chambre où il s'habilla. Pendant ce temps les anciens Chevaliers furent presens [...].</p>
          <p>Ces Chevaliers ayant pris leur place dans le Chapitre, Mr de Genoüillac, Procureur General de l'Ordre, y fit la lecture des Lettres Patentes accordées par sa Majesté à Mr le Marquis de Dangeau, pour l'Etat, Charge &amp; Dignité de Grand Maistre des Ordres Royaux de Nostre-Dame de Mont-Carmel &amp; de Saint Lazare de Jerusalem ; de la Profession de foy faite par Mr le Marquis de Dangeau, entre les mains de Mr le Nonce, des Bulles du Pape accordées en consequence, &amp; de la prestation de serment faite entre les mains du Roy dans la Chapelle à Versailles, aprés laquelle lecture, d'un consentement unanime, les deux anciens Chevaliers precedez du Maistre de Ceremonies, furent chargez de l'aller supplier de prendre sa place.</p>
          <p>Mr le Grand-Maistre sortit de sa chambre vestu du grand manteau de l'Ordre, de velours amarante, doublé de satin vert, ces deux couleurs estant celles des Ordres de Montcarmel &amp; de Saint Lazare. [...]</p>
          <p>Mr le Marquis de Dangeau se rendit en cet estat dans la salle du Chapitre, precedé des deux anciens Chevaliers, &amp; du Maistre de Ceremonies. A l'entrée du Chapitre Mr Seguier de Liancourt, Doyen des Chevaliers anciens, luy fit une harangue à laquelle il répondit avec son éloquence &amp; son honnesteté ordinaire.</p>
          <p>Il prit sa place dans un fauteuïl qui luy estoit preparé, &amp; aprés un petit discours sur sa reception, il declara le choix qu'il avoit fait de quelques personnes pour estre reçus Chevaliers de l'Ordre. Il en donna sur le champ la liste au Maistre de Ceremonies, qui en fit la lecture tout haut, &amp; passa ensuite dans une autre Salle pour la lire aux Chevaliers Novices, afin qu'ils marchassent dans le rang qui y estoit marqué. [...]</p>
          <p>L'on marcha pour aller à l'Eglise. Les Novices estoient precedez de quatre Huissiers &amp; du Herault. Ils marchoient lentement &amp; avec dignité, deux à deux, &amp; ceux qui devoient estre reçûs les derniers, marchoient les premiers. [...]</p>
          <p>A l'entrée de l'Eglise, les PP. Carmes se trouverent rangez en haye, &amp; le P. Prieur qui est Aumônier de l'Ordre, porta la parole, &amp; fit une harangue à Mr le grand Maistre, pendant laquelle les Novices se mirent dans les places qui leurs furent montrées par le Herault.</p>
          <p>Aprés ce compliment les Chevaliers anciens se placerent le long de leurs bancs, se tenant debout. Mr le Grand-Maistre se mit à genoux à son Priédieu, &amp; les Chevaliers firent la mesme chose le long de leurs bancs.</p>
          <p>Le Chapelain revestu d'une Chappe, &amp; les Officians, commencerent le Veni creator, aprés lequel le Maistre des Ceremonies se leva, alla au milieu de l'espace qui est entre le Priédieu &amp; l'Autel, &amp; qu'on appelle le Parterre en matiere de ceremonie. [...]</p>
          <p>L'on commença la Messe &amp; à l'Evangile Mr le Grand Maistre &amp; les Chevaliers mirent l'épée à la main, &amp; aprés la remirent dans le fourreau. Le Maistre des Ceremonies fit les reverences ordinaires, &amp; avertit les deux plus anciens Chevaliers &amp; le Procureur General, qui se vinrent placer aux deux costez du Priédieu du G. Maistre, le Procureur General à la gauche de l'ancien. Le Maistre des Ceremonies fit signe à l'Officiant d'apporter le Missel sur le Priédieu du Grand-Maistre. L'Officiant l'apporta, &amp; le Grand Maistre ayant les mains sur l'Evangile, prononça son serment à haute voix, [...].</p>
          <p>Le Maistre des Ceremonies, en l'absence du Greffier de l'Ordre, donna une plume au Grand-Maistre, qui ayant signé de serment, se leva ensuite &amp; se mit dans son fauteüil, aprés quoy le Maistre des Ceremonies fit signe aux deux Chevaliers anciens de s'avancer au milieu du parterre, &amp; de se ranger des deux costez. Mr le Grand-Maistre s'estant levé, &amp; ayant fait ses reverences à l'antique, alla se placer dans un fauteüil préparé prés de l'Autel du costé de l'Evangile, ayant les deux anciens Chevaliers à ses costez, &amp; le Maistre des Ceremonies deux pas devant.</p>
          <p>Les deux anciens Chevaliers se mirent à genoux sur deux carreaux de velours aux pieds du G.M. &amp; presterent leur obedience en luy baisant la main. Ensuite les autres Chevaliers, sur un signe que leur fit le Maistre des Ceremonies, s'avancerent deux à deux, firent leurs reverences, &amp; vinrent prester à genoux la même obedience, &amp; s'en retournerent dans le même ordre.</p>
          <p>L'obedience finie, Mr le Grand Maistre retourna à son fauteüil de la même sorte qu'il estoit venu. L'on continua la Messe [à l'issue de laquelle les nouveaux chevaliers furent reçus et prêtèrent serment sur l'Evangile.] [...]</p>
          <p>Les Huissiers de l'Ordre apportérent une table devant le grand Autel, couverte d'un tapis de velours amarante, où le Maistre des Ceremonies, en l'absence du Greffier, reçût les signatures de la Profession &amp; des Voeux des nouveaux Chevaliers, par nom &amp; surnom, aprés quoy ils retournérent à leurs places [...].</p>
          <p>Quand ces nouveaux Chevaliers eurent repris leurs places, le Grand-Maistre retourna à son Priédieu, precedé des deux anciens Chevaliers &amp; du Maistre des Ceremonies. L'Officiant commença le Te Deum, lequel estant fini il se tourna du costé des assistans, &amp; aprés avoir fait une reverence au Grand Maistre pour marquer que c'estoit avec sa permission, il donna la benediction solemnelle. [...]</p>
          <p>[...] Une demi-heure aprés, Mr  le Grand Maistre donna un disné magnifique à tous les Chevaliers. Il entra avec eux dans une grande Salle, où il y avoit cinquante-quatre couverts en long. L'on y estoit placé des deux costez. Mr le Grand Maistre se mit au milieu d'un rang. Elle fut servie avec une fort grande magnificence. Mr le Marquis de Courcillon, son Fils, tint dans une chambre voisine une autre table de dix couverts.</p>
          <p>Le repas fini Mr le Grand Maistre &amp; les Chevaliers retournérent à l'Eglise, où l'on chanta Vespres, &amp; le Salut, aprés lequel les Chevaliers reconduisirent Mr le Grand Maistre à son carrosse. [...]</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-02_271" resp="mercure">
          <head>[Etablissement d'un nouveau Theatre à Rome]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, février 1696 [tome 2], p. 271-276.</bibl>
          <p/>
          <p>L'application extraordinaire que le Pape donne à la conduite du gouvernement de ses Etats, par l'information exacte qu'il prend de ce qui se passe dans les Congregations, &amp; par les Audiences qu'il donne journellement au Peuple, ne l'empesche pas de songer à ce qui regarde le soulagement des pauvres, la decoration de sa ville Capitale, &amp; le divertissement de ses Peuples. C'est ce qui fait qu'il a fondé divers Hôpitaux pour retirer les Pauvres, &amp; pour faire travailler le vagabons ; qu'il fait élever un grand Palais au milieu de Rome pour loger commodement les Tribunaux de Justice, qui estoient dispersez en differens endroits, &amp; qu'il a donné la permission de bâtir un Theatre en un lieu commode de la Ville pour representer des Opera &amp; des Comedies. Ce dernier édifice vient d'estre achevé par les soins de Mr Dalibert, Secretaire des Commandemens de la deffunte Reine de Suede, Christine Alexandre. Ce Theatre est un des plus grands &amp; des plus magnifiques qu'il y ait en toute l'Italie. On monte dans la Salle du Parterre par un large escalier de pierre. Il y a six rangs de Loges les unes sur les autres, &amp; trente-six Loges à chaque rang, avec huit differens escaliers pour y pouvoir monter &amp; descendre sans embarras ny confusion. Ces Loges sont un peu plus étroites que les nostres, n'y pouvant tenir que trois personnes commodement. Le premier rang n'est pas le plus estimé, parce qu'il est fort peu élevé au dessus du Parterre, &amp; est à l'égard de la Comedie, ce qu'une entre-sole est dans un bastiment. Ainsi on estime principalement le second &amp; le troisième rang, &amp; ce qui est de particulier, c'est que l'usage étant de retenir les Loges pour plusieurs representations, chacun les fait tapisser &amp; orner à sa fantaisie, &amp; en mesme temps chacun se pique de les rendre plus propres les unes que les autres, les uns les doublant de damas &amp; de velours, avec des tissus &amp; galons d'or, &amp; de riches tapis au devant, &amp; les autres avec des étoffes de la Chine, &amp; Satins de differentes couleurs. On devoit faire l'Ouverture de ce Theatre le quinziéme du mois passé, par un nouvel Opera.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-02_276" resp="mercure">
          <head>[Monseigneur fait l'honneur aux Comediens François de venir voir la Comedie dans leur Sale], [Compliment preparé pour Monseigneur]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, février 1696 [tome 2], p. 276-280.</bibl>
          <p/>
          <p>Ce nouvel établissement me donne occasion de vous parler de celuy de la Troupe de Comediens François. Le premier de Mars 1688. on donna un Arrest dans le Conseil d'Estat, Sa Majesté y estant, par lequel il leur fut permis de faire leur établissement dans le Jeu de Paume de l'Estoile, rüe des Fossez Saint Germain des Prez. En consequence de cette permission, il y ont fait une dépense de plus de deux cens mille livres. Monseigneur avoit souvent marqué qu'il leur feroit l'honneur d'aller voir leur Salle ; mais la facilité d'avoir la Comedie à Versailles, ayant fait couler le temps insensiblement, ce Prince n'estoit point encore venu à la Comédie à Paris. Enfin voulant satisfaire à sa parole &amp; à sa curiosité, il vint voir en même temps deux Pieces qui faisoient du bruit ; sçavoir une piece serieuse intitulée, Polixene, &amp; une Comique, qu'on joüoit alors sous le titre de la Foire S.Germain. Les beautez de la premiere attacherent beaucoup ce Prince, &amp; la seconde le divertit. Mr Dancour, qui en est l'Auteur, avoit préparé le Compliment que vous allez lire ; mais Monseigneur, dont la modestie est connuë, n'en voulut point parce qu'il ne vouloit écouter aucunes loüanges. Voicy les termes de ce Compliment.</p>
          <p>C'est avec un tres-profond respect que j'ose prendre la liberté de remercier Monseigneur de l'honneur qu'il a bien voulu nous faire aujourd'huy. Ce témoignage public de l'estime qu'il a pour le Theatre, &amp; de la protection dont il nous honore, servira d'exemple sans doute, &amp; il attirera sur la Comédie toute la consideration dont elle a besoin. Nous sommes redevables à cette protection glorieuse de la tranquillité, qui par les ordres du Roy va desormais estre rétablie dans les Spectacles. Vos bontez, Monseigneur, se font sentir generalement à tout le monde, &amp; elles vous acquierent sur tous les coeurs, les mêmes droits que vostre naissance auguste vous donne sur les volontez. Nous en sommes tres-vivement penetrez, &amp; si nostre Profession ne nous met pas en estat de sacrifier nostre vie pour vos interests, elle nous donne au moins l'avantage de la consacrer toute entiere à vos plaisirs, avec un zele &amp; un attachement qu'il est impossible de ne pas avoir, &amp; qu'il n'est pas possible de bien exprimer.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-02_286" resp="mercure">
          <head>[Sonnet qui a remporté le prix des bouts rimez remplis à la gloire de Madame la Princesse de Conty Doüairiere]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, février 1696 [tome 2], p. 286-291.</bibl>
          <p/>
          <p>Enfin, Madame, je vous envoye le Sonnet qui a remporté le Prix, sur les Bouts-rimez proposez à remplir à la gloire de Madame la Princesse de Conty Doüairiere ; il est de Mr Robinet de S. Jean, &amp; vous serez surprise de trouver encore un feu de jeunesse dans ses Vers, quand je vous auray appris qu'il est dans sa quatre-vingt-huitiéme année. Il a beaucoup travaillé, soit en Prose, soit en Vers, &amp; fit un Eloge de Loüis XIII. à la mort de ce Monarque, qui arriva le 14 May 1643. Cet Eloge receut de grands applaudissemens. Mr Robinet a donné longtemps ses soins au fameux Theophraste Renaudot, Inventeur de la Gazette. Aprés la mort de Mr Loret, dont les Gazettes Burlesques ont esté fort estimées, il s'attacha à cette sorte d'Ouvrage, qu'il continua plusieurs années. Il joüit encore d'une santé parfaite &amp; vigoureuse, &amp; sans que l'âge ait affoibli ny son esprit, ny son corps. Il travaille encore aux mêmes Ouvrages, qui font vivre avec tant de gloire le nom du sçavant &amp; ingenieux Theophraste Renaudot, dont je viens de vous parler. L'abondance de la matiere, qui m'oblige à reserver divers articles pour le mois prochain, m'empêche de vous envoyer d'autres Sonnets que celuy que l'on a jugé digne du Prix.</p>
          <p/>
          <p>A LA GLOIRE DE MADAME LA PRINCESSE DE CONTI</p>
          <p>SONNET</p>
          <p>L'Héroïque vertu vers la gloire la guide,</p>
          <p>L'amour par ses beaux yeux vainqueur de toutes parts,</p>
          <p>Abat des libertez le plus fermes remparts,</p>
          <p>Et du destin des coeurs comme il luy plaist décide.</p>
          <p/>
          <p>Son renom se répand comme un torrent rapide,</p>
          <p>Elle est Fille d'un Roy qui passe les Cesars</p>
          <p>Son air est d'Amazone, &amp; les plus grands hazars</p>
          <p>Ne pourroient étonner son courage intrepide.</p>
          <p/>
          <p>Elle sçait des Heros tous les nobles Emplois,</p>
          <p>Elle est digne d'un Trône &amp; de donner des Loix,</p>
          <p>Son aspect calmeroit les plus fieres tempestes.</p>
          <p/>
          <p>On ne peut résister à ses charmes divers,</p>
          <p>Des esprits &amp; des coeurs elle fait des conquestes,</p>
          <p>Qui feroient dédaigner celle de l'Univers.</p>
          <p/>
          <p>ENVOY.</p>
          <p/>
          <p>Princesse auguste, hélas ! chacun tâche de vous plaire.</p>
          <p>Ayez la bonté d'avoüer</p>
          <p>L'effort que vient de faire,</p>
          <p>Pour vous peindre &amp; pour vous loüer,</p>
          <p>Un homme plus qu'octogenaire.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-02_319" resp="mercure">
          <head>[Vie de Dom Antoine, Roy de Portugal]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, février 1696 [tome 2], p. 319-322.</bibl>
          <p/>
          <p>Madame de Sainctonge, dont l'heureux genie vous est connu par les Opera de sa façon, qui ont été representez sur le Theatre Royal de Musique, &amp; par l'excellent Recueil de Poësies Galantes qu'elle a donné au public depuis peu de temps, vient de faire voir qu'elle n'a pas moins de talent pour la Prose que pour les Vers. Elle a fait paroistre au jour la Vie de Dom Antoine, Roy de Portugal, qui n'ayant pû se conserver la Couronne contre les forces de Philippes II. Roy d'Espagne qui y prétendoit, comme estant Fils d'une Fille d'Emanuel, vint demander du secours en France, &amp; mourut à Paris le 26. Aoust 1595. [...] Cette Histoire est écrite d'un stile aisé &amp; concis, &amp; renferme quantité de circonstances, qui meritent d'estre sçûës. On la trouve chez le Sieur Guignard, à l'entrée de la grand'Salle du Palais.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-02_322" resp="mercure">
          <head>[Divertissemens du Carnaval]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, février 1696 [tome 2], p. 322-323.</bibl>
          <p/>
          <p>Jamais les plaisirs n'ont esté plus en regne que pendant ce Carnaval. Les spectacles ont attiré un grand nombre d'Auditeurs ; les Bals ont esté nombreux &amp; frequens ; les Masques ont paru par toute la Ville en grande quantité, &amp; les Places publiques ont esté remplies de danses. Il est peu d'Estats aujourd'huy dont on puisse dire la mesme chose ; aussi n'en est-il point dont le Souverain travaille plus. Cette grande application du Roy paroist dans ce qui va servir d'entretien à tout l'Univers.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-02_327" resp="mercure">
          <head>[Divertissemens nouveaux]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, février 1696 [tome 2], p. 327-328.</bibl>
          <p/>
          <p>Dés que les plaisirs innocens seront de retour, on verra paroistre sur la Scene deux Pieces nouvelles, dont l'une est serieuse, ayant pour titre, Agrippa, ou la mort d'Auguste ; L'autre est une Comedie intitulée, le Viellard couru, ou les differens Caracteres des Femmes, de l'Auteur des dames vangées,  qui parurent l'année derniere, &amp; dont on n'a pû reprendre les representations, les principaux Acteurs de cette Piece ayant esté incommodez pendant une partie de l'hiver.</p>
        </div>
      </div>
      <div type="tome" xml:id="MG-1696-03">
        <head><hi rend="i">Mercure Galant</hi>, mars 1696 [tome 3]</head>
      <div type="article" xml:id="MG-1696-03_010" resp="mercure">
        <head>[Sacre de Mr Delfino, Nonce en France]</head>
        <bibl><title>Mercure Galant</title>, mars 1696 [tome 3], p. 10-11.</bibl>
        <p/>
        <p>Le Dimanche 29. du même mois de Janvier, Messire Marc-Daniel Delfino, Noble Venitien, Vicelegat d'Avignon, nommé à la Nonciature de France, fut sacré Archevêque de Damas in partibus Infidelium, dans l'Eglise des Jesuites d'Avignon, par Messire Loüis-Aube de Roque-Martine, Evêque &amp; Comte de Saint-Paul-Trois-Chasteaux, assisté de Mrs les Evêques d'Orange &amp; de Carpentras. La ceremonie fut tres-solemnelle, tant par le grand nombre de personnes de qualité de toute la Province, qui y assisterent, que par la Musique &amp; Symphonie de toute sorte d'Instrumens. Ensuite le nouveau Nonce traita magnifiquement à dîner Mrs les Evêques, les Consuls, les Officiers de la Legation, &amp; les personnes les plus distinguées de la Ville.</p>
      </div>
      <div type="article" xml:id="MG-1696-03_012" resp="mercure">
        <head>Idille de Meudon</head>
        <bibl><title>Mercure Galant</title>, mars 1696 [tome 3], p. 12-25.</bibl>
        <p/>
        <p>Je vous envoye un Divertissement de Musique, qui a esté fait pour Monseigneur. Il est de la composition de Mr Boisset, si connu par ses beaux Airs, &amp; les paroles sont de Mr Moreau de Mautour, dont je vous ay déjà envoyé plusieurs Pieces &amp; Traductions galantes.</p>
        <p/>
        <p>IDILLE DE MEUDON.</p>
        <p/>
        <p>Flore, l'Hiver, Cerés, Bacchus,</p>
        <p>Deux Plaisirs chantans, deux</p>
        <p>Bergers &amp; deux Bergeres.</p>
        <p/>
        <p>UN BERGER de la suite de Flore.</p>
        <p>Ce n'est plus le temps des Amours</p>
        <p>Que la saison de Flore.</p>
        <p>C'est en vain qu'on entend au lever de l'Aurore</p>
        <p>Les Oiseaux dans nos bois annoncer les beaux jours.</p>
        <p>On ne voit plus d'Amans sensibles,</p>
        <p>Les plaisirs ont quitté nos retraites paisibles,</p>
        <p>La Guerre en a troublé le cours.</p>
        <p>La Déesse des fleurs que le Zephire adore,</p>
        <p>Se plaint &amp; repete toujours,</p>
        <p>Ce n'est plus le temps des amours</p>
        <p>Que la saison de Flore.</p>
        <p/>
        <p>FLORE.</p>
        <p>Le Printemps par mes soins a peine fait éclore</p>
        <p>Les fleurs, dont ces jardins, ces prez sont embellis,</p>
        <p>Que les Heros de l'Empire des Lis</p>
        <p>Me quittent pour Bellone, &amp; content à la gloire.</p>
        <p>A leur exemple on voit mille &amp; mille Guerriers</p>
        <p>Aux Myrtes amoureux préferer les Lauriers,</p>
        <p>Dont la valeur couronne la Victoire.</p>
        <p>Au pouvoir de Venus en vain j'aurois recours,</p>
        <p>On neglige ses loix lors que Mars regne encore,</p>
        <p>Ce n'est plus le temps des amours</p>
        <p>Que la saison de Flore.</p>
        <p/>
        <p>Choeur de la suite de Flore.</p>
        <p>Les échos sont pour nous muets &amp; sourds ;</p>
        <p>Le bruit de nos Concerts, le son de nos Musettes</p>
        <p>Cede au son des Trompettes,</p>
        <p>Cede au bruit des Tambours.</p>
        <p>On neglige nos champs lors que Mars regne encore.</p>
        <p>Ce n'est plus le temps des Amours</p>
        <p>Que la saison de Flore.</p>
        <p/>
        <p>L'HIVER.</p>
        <p>L'hiver est la saison des Amours, des Plaisirs,</p>
        <p>C'est le temps où le Dieu des armes</p>
        <p>Suspend les craintes, les alarmes,</p>
        <p>Aux tendres coeurs il permet les soupirs ;</p>
        <p>L'hiver est la saison des Amours, des Plaisirs.</p>
        <p/>
        <p>DEUX PLAISIRS.</p>
        <p>Pour les Amans guerriers que le repos appelle,</p>
        <p>Tous les Hivers sont des Printemps.</p>
        <p>Le retour des frimats tous les ans renouvelle</p>
        <p>Leurs soins &amp; leurs empressemens.</p>
        <p>C'est l'heureux temps des jeux, des ris charmans.</p>
        <p>Et loin de la fiere Bellone</p>
        <p>On vient goûter de doux momens</p>
        <p>Dans les beaux jours que l'amour donne ;</p>
        <p/>
        <p>FLORE.</p>
        <p>De toute autre saison qu'on vante les faveurs,</p>
        <p>Pour moy, j'ay l'avantage,</p>
        <p>Que l'aimable saison des fleurs</p>
        <p>Sera toujours le doux partage</p>
        <p>Des tendres coeurs.</p>
        <p/>
        <p>L'HIVER.</p>
        <p>Divinité charmante !</p>
        <p>Que ton destin doit te rendre contente.</p>
        <p>Icy tout flate tes desirs ;</p>
        <p>On y voit en tout temps, même sans les zephirs,</p>
        <p>Ta Cour toujours nouvelle &amp; florissante,</p>
        <p>Et tu sçais conserver dans ces lieux pleins d'appas,</p>
        <p>La verdure &amp; les fleurs au milieu des frimats.</p>
        <p/>
        <p>L'HIVER &amp; FLORE.</p>
        <p>Pour plaire à l'auguste Maistre</p>
        <p>De ce sejour digne des Dieux,</p>
        <p>Faisons paroistre</p>
        <p>Nostre zele à ses yeux,</p>
        <p>Meslons nos soins, nos chansons &amp; nos yeux.</p>
        <p/>
        <p>UN PLAISIR.</p>
        <p>Vous, Bacchus &amp; Cerès, qui versez sur la France</p>
        <p>Vos biens &amp; vos faveurs au gré de tous ses voeux ;</p>
        <p>Pour le Heros dont la presence</p>
        <p>Vient embellir ces lieux,</p>
        <p>Meslons nos soins, nos chansons &amp; nos jeux.</p>
        <p/>
        <p>CHOEUR.</p>
        <p>Pour plaire à l'auguste Maistre</p>
        <p>De ce sejour digne des Dieux,</p>
        <p>Faisons paroistre</p>
        <p>Nostre zele à ses yeux,</p>
        <p>Meslons nos soins, nos chansons &amp; nos yeux.</p>
        <p/>
        <p>UN PLAISIR.</p>
        <p>Publions la valeur de ce nouvel Alcide.</p>
        <p>Ainsi que le Soleil dans sa course rapide,</p>
        <p>On l'a vû traverser</p>
        <p>Des Belges fiers les vastes plaines,*</p>
        <p>Pour prévenir &amp; renverser</p>
        <p>De cent Peuples liguez les entreprises vaines.</p>
        <p/>
        <p>*La marche de quarante lieuës en Flandre en 1694.</p>
        <p/>
        <p>BACCHUS.</p>
        <p>C'est dans les mains de ce Vainqueur heureux,</p>
        <p>Que le plus grand Roy de la terre</p>
        <p>Déposa son tonnerre,</p>
        <p>Pour dompter les Lions &amp; l'Aigle audacieux.*</p>
        <p>Le bruit de son nom glorieux</p>
        <p>S'étend jusqu'aux climats où j'ay porté la guerre :</p>
        <p>Pour seconder les efforts genereux</p>
        <p>J'enrichis ses Sujets de vins delicieux.</p>
        <p/>
        <p>*La prise de Philipsbourg.</p>
        <p/>
        <p>CERES.</p>
        <p>Pour luy plaire par tout je seme l'abondance ;</p>
        <p>Si mes épics sans nombre égalent les Guerriers</p>
        <p>Que nous produit la France,</p>
        <p>Elle est aussi feconde en moissons qu'en lauriers.</p>
        <p/>
        <p>BACCHUS &amp; CERES.</p>
        <p>Son illustre Dauphin dans ces lieux nous rassemble,</p>
        <p>Celebrons ses vertus dans nos chants les plus doux.</p>
        <p>Peut-on manquer de plaisirs entre nous,</p>
        <p>Lors que Bacchus &amp; Ceres sont ensemble ?</p>
        <p/>
        <p>CHOEUR.</p>
        <p>Celebrons ses vertus dans nos chants les plus doux,</p>
        <p>Peut-on manquer de plaisirs entre nous,</p>
        <p>Lors que Bacchus &amp; Ceres sont ensemble ?</p>
        <p/>
        <p>Chant de Bergers.</p>
        <p>Bergers, accourons tous, &amp; quittons nos Hameaux,</p>
        <p>Loüis qui sur nos coeurs exerce un doux empire,</p>
        <p>Dans ces lieux charmans nous attire.</p>
        <p>A des concerts divins joignons nos chalumeaux.</p>
        <p/>
        <p>Deux Bergers.</p>
        <p>Dans nos prairies,</p>
        <p>Nos Bergeries,</p>
        <p>Si nous goûtons un plein repos,</p>
        <p>Nous le devons aux soins de ce Heros.</p>
        <p>Nos troupeaux paissent sans alarmes,</p>
        <p>Sans craindre la fureur des loups,</p>
        <p>Et quand l'amour nous fait sentir ses charmes,</p>
        <p>Rien n'est plus à craindre pour nous</p>
        <p>Que les yeux des jaloux.</p>
        <p>Dans nos prairies,</p>
        <p>Nos &amp;c.</p>
        <p/>
        <p>Deux Bergeres</p>
        <p>Dans cet azile</p>
        <p>Goûtons le bonheur tranquille</p>
        <p>De voir l'auguste Fils du plus grand des Vainqueurs.</p>
        <p>La majesté qui dans ses yeux éclate,</p>
        <p>Inspire de la crainte à nos timides coeurs.</p>
        <p>Mais sa douceur nous rassure &amp; nous flate.</p>
        <p>Qu'il est digne de nos amours,</p>
        <p>Ce Prince qui fait nos beaux jours !</p>
        <p/>
        <p>Une Bergere.</p>
        <p>Depuis qu'il a receu nostre nouvel hommage,</p>
        <p>Nos champs, nos bois n'ont plus rien de sauvage,</p>
        <p>Tout brille en nos hameaux, nos jeux y sont charmans,</p>
        <p>Et nous passons d'heureux momens.</p>
        <p>Le bruit des armes,</p>
        <p>Et les tristes alarmes</p>
        <p>Ne troublent point les voeux &amp; les soins des Amans.</p>
        <p/>
        <p>Un Berger.</p>
        <p>Un tendre coeur joüit de sa victoire,</p>
        <p>Il a le plaisir à son tour,</p>
        <p>De faire souffir à la Gloire</p>
        <p>Les maux qu'elle a faits à l'Amour.</p>
        <p/>
        <p>Bacchus, Ceres, deux Plaisirs.</p>
        <p>Dans ce brillant sejour, dont l'éclat nous enchante,</p>
        <p>Le Prince aimable en fait tous les attraits,</p>
        <p>Que tout ressente</p>
        <p>Sa presence charmante.</p>
        <p>Ah, sans luy nos plaisirs ne seroient qu'imparfaits.</p>
        <p/>
        <p>CHOEUR.</p>
        <p>Que le bruit de son nom au doux son des Musettes,</p>
        <p>Au doux son des trompettes</p>
        <p>Retentisse de toutes parts.</p>
        <p/>
        <p>Deux Plaisirs.</p>
        <p>Au milieu de sa Cour ce Vainqueur est aimable</p>
        <p>Autant que redoutable</p>
        <p>Dans le champ de Mars.</p>
        <p/>
        <p>CHOEUR.</p>
        <p>Que le bruit de son nom au doux son des Musettes,</p>
        <p>Au doux son des Trompettes</p>
        <p>Retentisse de toutes parts.</p>
      </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-03_044" resp="wordpro">
          <head>[Sur la Réception de Mr l'Abbé Poncet à l’Académie Royale de Nismes]*</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, mars 1696 [tome 3], p. 44-47.</bibl>
          <p>Ensuite de cette lecture quelques personnes qui n’étoient pas de l’Academie, presentérent des Vers à la loüange de M<hi rend="sup">r</hi> l’Abbé Poncet, entre-autres ce Madrigal.</p>
          <quote>
            <label>A M. L’ABBÉ PONCET.</label>
            <lg>
              <l rend="i"> Aprés un tel Panegyrique,</l>
              <l rend="i">Où le zele éminent d’un homme apostolique</l>
              <l rend="i"> Avec tant d’éclat est dépeint,</l>
              <l rend="i">On n’a pû décider dans un grand Auditoire,</l>
              <l rend="i"> Duquel éclate plus la gloire,</l>
              <l rend="i">Ou celle de Poncet, où celle de son Saint.</l>
            </lg>
          </quote>
          <p>On n’estima pas moins ces quatre Vers, qui sont de M<hi rend="sup">r</hi> de Marsolier. C’est l’explication d’une Devise qu’il a faite pour cet Illustre Abbé. Le corps represente un Oranger chargé de fleurs &amp; de fruits, il a pour ame ces belles paroles latines, qui conviennent si bien à l’un &amp; à l’autre : <hi rend="i">Veris &amp; Autumni decus</hi>. M<hi rend="sup">r</hi> de Marsolier les a expliquées par ces quatre Vers François.</p>
          <quote>
            <label>VERIS ET AUTUMNI<lb />DECUS.</label>
            <lg>
              <l rend="i">Avoir les agrémens d’une heureuse jeunesse,</l>
              <l rend="i">Avec tous les tresors d’une sage vieillesse,</l>
              <l rend="i"> C’est posseder en mesme temps</l>
              <l rend="i">Et les fruits de l’Automne, &amp; les fleurs du Printemps.</l>
            </lg>
          </quote>
          <p>La lecture de ces Vers finit l’Assemblée, qui fut suivie des complimens que toutes les personnes de distinction firent à M<hi rend="sup">r</hi> l’Abbé Poncet, sur sa reception.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-03_113" resp="wordpro">
          <head>Imitation d’une Ode Latine de Mr l’Abbé Boutard</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, mars 1696 [tome 3], p. 113-123.</bibl>
          <quote>
            <label>IMITATION<lb />D’une Ode Latine de M<hi rend="sup">r</hi> l’Abbé<lb />BOUTARD.<lb /><hi rend="i">ODE.</hi></label>
            <lg>
              <l rend="i">C’est aujourd’huy qu’il faut prendre</l>
              <l rend="i">Vn ton digne de mon choix,</l>
              <l rend="i">Et par l’accord le plus tendre</l>
              <l rend="i">Joindre ma lyre à ma voix.</l>
              <l rend="i">Bouche diserte &amp; fidelle,</l>
              <l rend="i">Dont Dieu suscite le zele</l>
              <l rend="i">Pour se faire respecter ;</l>
              <l rend="i">Herault du Saint Evangile,</l>
              <l>Fléchier, <hi rend="i">élevez mon stile,</hi></l>
              <l rend="i">C’est vous que je veux chanter.</l>
              <l rend="i"> Et vous, Muses, si l’on ose</l>
              <l rend="i">Mesler icy vos noms vains,</l>
              <l rend="i">Faites son Apothéose</l>
              <l rend="i">Par vos sons les plus divins.</l>
              <l rend="i">Autrefois vôtre harmonie</l>
              <l rend="i">Forma son heureux genie</l>
              <l rend="i">Aux chants que vous enseignez,</l>
              <l rend="i">Et dans cet apprentissage</l>
              <l rend="i">Vos lauriers à son jeune âge</l>
              <l rend="i">Ne furent point épargnez.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Mais vostre beauté volage</l>
              <l rend="i">Ne peut plus le retarder ;</l>
              <l rend="i">Il s’y dérobe, il s’engage</l>
              <l rend="i">Dans l’Art de persuader.</l>
              <l rend="i">Il suit l’honneur qui l’invite,</l>
              <l rend="i">Il sent croistre son merite</l>
              <l rend="i">Par son application.</l>
              <l rend="i">Il se surpasse, il s’anime,</l>
              <l rend="i">Il joint à l’esprit sublime</l>
              <l rend="i">La vaste érudition.</l>
              <l rend="i"> Cent fois sous les voûtes amples</l>
              <l rend="i">De leurs sacrez bâtimens,</l>
              <l rend="i">J’ay vû retentir nos Temples</l>
              <l rend="i">De longs applaudissemens.</l>
              <l><hi rend="i">Ouy,</hi> Fléchier <hi rend="i">a la cadence</hi></l>
              <l rend="i">De cette masle éloquence</l>
              <l rend="i">Dont le bruit ne peut vieillir,</l>
              <l rend="i">Sensibles à vos merveilles</l>
              <l rend="i">Leurs pierres toutes d’oreilles</l>
              <l rend="i">N’ont cessé de tressaillir.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> C’est-là, qu’en troupes nombreuses</l>
              <l rend="i">Couroient la Ville &amp; la Cour,</l>
              <l rend="i">Comme vagues écumeuses</l>
              <l rend="i">Qui se poussent tour à tour.</l>
              <l rend="i">Là, dans les devoirs funebres</l>
              <l rend="i">Que rend aux Manes celebres</l>
              <l rend="i">La Chrestienne Pieté,</l>
              <l rend="i">On voyoit avec surprise</l>
              <l rend="i">De vostre parole exquise</l>
              <l rend="i">La puissante nouveauté.</l>
              <l rend="i"> On voyoit la Mort terrible</l>
              <l rend="i">Prompte à fléchir sous vos loix,</l>
              <l rend="i">Du fond de son antre horrible</l>
              <l rend="i">Obéïr à vostre voix.</l>
              <l rend="i">On voyoit ses Cloîtres sombres</l>
              <l rend="i">Ceder les plus grandes Ombres</l>
              <l rend="i">A vostre ordre souverain,</l>
              <l rend="i">Epovantez du Tonnerre,</l>
              <l rend="i">Qui pour les rendre à la terre</l>
              <l rend="i">Brisoit leurs portes d’airain.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> C’est par vous, que ressuscite</l>
              <l rend="i">D’Autriche l’Auguste Sang,</l>
              <l>Terese, <hi rend="i">en qui le merite</hi></l>
              <l rend="i">Eclata plus que le rang.</l>
              <l rend="i">Par vous revoit la lumiere</l>
              <l><hi rend="i">L’Heroïne de</hi> Baviere,</l>
              <l rend="i">Que le Ciel combla de dons,</l>
              <l rend="i">Trois fois heureuse Princesse</l>
              <l rend="i">Des trois Princes qu’elle laisse</l>
              <l><hi rend="i">A la Race des</hi> Bourbons.</l>
              <l> <hi rend="i">Par vous, le fameux</hi> Turenne</l>
              <l rend="i">Survivant à son malheur,</l>
              <l rend="i">Brave le sort, dont la haine</l>
              <l rend="i">A foudroyé sa valeur.</l>
              <l rend="i">Avec luy, dont le courage</l>
              <l rend="i">Cent fois détourna l’orage</l>
              <l rend="i">Sur nos jaloux Ennemis,</l>
              <l rend="i">Vous sauvez du trait sinistre</l>
              <l>Lamoignon, <hi rend="i">ce saint Ministre</hi></l>
              <l rend="i">Des neuf Sœurs, &amp; de Themis.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Par vous de la sepulture</l>
              <l rend="i">Sort le Protecteur ardent</l>
              <l rend="i">De ces esprits dont Mercure</l>
              <l rend="i">Regit le noble ascendant.</l>
              <l rend="i">Surmonté par l’excellence</l>
              <l rend="i">De vostre reconnoissance,</l>
              <l>Montauzier <hi rend="i">brille d’honneur,</hi></l>
              <l rend="i">Et sa memoire embellie,</l>
              <l><hi rend="i">De rejoindre sa</hi> Julie</l>
              <l rend="i">Luy procure le bonheur.</l>
              <l rend="i"> L’aveugle &amp; sourde Puissance,</l>
              <l rend="i">Si peu flexible à la voix,</l>
              <l rend="i">Fremit de la violence</l>
              <l><hi rend="i">Que</hi> Fléchier <hi rend="i">fait à ses droits.</hi></l>
              <l rend="i">Sa fierté se desespere</l>
              <l rend="i">Des miracles qu’il opere</l>
              <l rend="i">Sur son butin le plus beau,</l>
              <l rend="i">Lors qu’il rend à la lumiere</l>
              <l rend="i">Ceux, dont pressoit la paupiere</l>
              <l rend="i">La froide horreur du Tombeau.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Ne craignez point sa menace.</l>
              <l rend="i">Quoy qu’elle puisse attenter,</l>
              <l rend="i">Vostre parole efficace</l>
              <l rend="i">Vous en fera redouter.</l>
              <l>Prelat, <hi rend="i">qui de l’ombre noire</hi></l>
              <l rend="i">Développez la memoire</l>
              <l rend="i">De tant de Noms reverez,</l>
              <l rend="i">Vainqueur de la nuit obscure,</l>
              <l rend="i">L’Eternité vous est sûre,</l>
              <l rend="i">A vous, qui la procurez.</l>
              <l rend="i"> Ce n’est plus de sa puissance</l>
              <l><hi rend="i">Que</hi> Nismes <hi rend="i">doit se vanter,</hi></l>
              <l rend="i">Ny des eaux que la dépense</l>
              <l rend="i">Dans ses murs fit transporter.</l>
              <l rend="i">Ce n’est plus de ses Arénes,</l>
              <l rend="i">Où des Legions Romaines</l>
              <l rend="i">Le faste encor est vivant ;</l>
              <l rend="i">Et l’endroit de son histoire</l>
              <l rend="i">Qui fait sa plus grande gloire,</l>
              <l><hi rend="i">C’est son</hi> Evesque sçavant.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Par son étude assiduë,</l>
              <l rend="i">Par ses soins laborieux,</l>
              <l rend="i">Dans toute son étenduë</l>
              <l rend="i">La Vertu brille à nos yeux.</l>
              <l rend="i">De son glorieux Empire</l>
              <l rend="i">Les maximes qu’il inspire</l>
              <l rend="i">Sont le plus solide appuy,</l>
              <l rend="i">Et la Mître qui l’honore,</l>
              <l rend="i">Semble desirer encore</l>
              <l rend="i">Vn prix plus digne de luy.</l>
              <l> Nismes <hi rend="i">des Muses amie,</hi></l>
              <l rend="i">Où l’honneur est prodigué,</l>
              <l><hi rend="i">Que dans ton</hi> Academie</l>
              <l rend="i">Il tient un rang distingué !</l>
              <l rend="i">I’y vois la Troupe choisie</l>
              <l rend="i">De ravissement saisie</l>
              <l rend="i">L’invoquer à son secours,</l>
              <l rend="i">Et pour polir son langage,</l>
              <l rend="i">Sacrifier à l’usage</l>
              <l rend="i">Sur l’Autel de ses discours.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Par un surprenant Augure,</l>
              <l rend="i">Pour luy devint verité</l>
              <l rend="i">La fabuleuse avanture</l>
              <l rend="i">De la Grecque vanité.</l>
              <l rend="i">Autour de luy ramassées</l>
              <l rend="i">Les Abeilles empressées</l>
              <l rend="i">Ne cessérent de voler,</l>
              <l rend="i">Et nourrirent son enfance</l>
              <l rend="i">De la savoureuse essence</l>
              <l rend="i">Du miel qu’elles font couler.</l>
              <l rend="i"> S’il veut tenter de l’Histoire</l>
              <l rend="i">Le stile doux &amp; coulant,</l>
              <l rend="i">Quel autre avec plus de gloire</l>
              <l rend="i">Sçait exercer ce talent ?</l>
              <l rend="i">Quel cœur rempli de foiblesse</l>
              <l rend="i">A l’amour de la sagesse</l>
              <l rend="i">Peut n’estre point excité,</l>
              <l><hi rend="i">Lors que</hi> Fléchier <hi rend="i">luy propose</hi></l>
              <l><hi rend="i">De l’Empereur</hi> Theodose</l>
              <l rend="i">L’éclatante pieté ?</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Les Saints qu’honorent nos Temples</l>
              <l rend="i">Celebrez dans ses écrits,</l>
              <l rend="i">De leurs vertueux exemples</l>
              <l rend="i">Y trouvent le digne prix.</l>
              <l rend="i">Sur l’aile de sa parole</l>
              <l rend="i">Leur Foy brille, leur nom vole,</l>
              <l rend="i">Prompt à nous solliciter,</l>
              <l rend="i">Et d’une grace immortelle</l>
              <l rend="i">Il peint au Peuple fidelle</l>
              <l rend="i">Tout ce qu’il doit imiter,</l>
              <l rend="i"> Chanteray-je l’Eloquence</l>
              <l rend="i">Mise dans un si beau jour,</l>
              <l rend="i">Qu’elle attira le silence</l>
              <l rend="i">De la dédaigneuse Cour,</l>
              <l rend="i">Quand Député vers le Prince</l>
              <l rend="i">Des Estats de sa Province,</l>
              <l rend="i">Egal à ce noble employ,</l>
              <l rend="i">D’un nouveau degré de gloire,</l>
              <l rend="i">Il rehaussa la memoire</l>
              <l><hi rend="i">Des triomphes du</hi> Grand Roy ?</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Diruy-je la belle audace</l>
              <l rend="i">Qui sur de sublimes tons</l>
              <l rend="i">Vanta l’heureuse disgrace</l>
              <l rend="i">De la Reine des Bretons ;</l>
              <l rend="i">Cette ame forte &amp; virile</l>
              <l rend="i">Qui dans un sexe debile</l>
              <l rend="i">Fait voir tant de fermeté,</l>
              <l rend="i">Ce grand cœur que rien n’étonne,</l>
              <l rend="i">Qui prefere à la Couronne</l>
              <l rend="i">La Chrestienne Verité ?</l>
              <l rend="i"> Non, non, fixons nostre estime</l>
              <l rend="i">Sur des objets plus touchans.</l>
              <l rend="i">Soit qu’il détourne du crime</l>
              <l rend="i">La cabale des méchans,</l>
              <l rend="i">Soit que son zele s’applique</l>
              <l rend="i">Aramener l’Heretique</l>
              <l rend="i">Au centre de l’Union,</l>
              <l rend="i">Sa plume n’est reverée,</l>
              <l rend="i">Sa langue n’est consacrée,</l>
              <l rend="i">Que par la Religion.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-03_143" resp="wordpro">
          <head>[Honneurs rendus à Mr Delphino]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, mars 1696 [tome 3], p. 143-152.</bibl>
          <p>Je vous ay appris au commencement de cette Lettre, que M<hi rend="sup">r</hi> Delphino, Vicelegat d’Avignon, y avoit esté sacré Archevêque de Damas, &amp; qu’il venoit en France, où Sa Sainteté l’envoye en qualité de Nonce, en la place de M<hi rend="sup">r</hi> le Cardinal Cavallerini. Sur la fin du mois passé, il partit d’Avignon, où il a esté trois ou quatre ans Vice-legat, generalement regreté de ceux que le vray merite touche. Pendant tout ce temps il a receu magnifiquement toutes les Personnes de marque qui ont passé par cette celebre Ville, &amp; soutenu par là avec grand éclat les avantages de sa naissance. Sa Famille est l’une des vingt-quatre plus anciennes de Venise, &amp; il est Neveu du Cardinal Jean Delphino, Patriarche d’Aquilée encore vivant, qui est le troisiéme Cardinal de cette Famille, qui a donné un Doge dans le quatorziéme siecle. Ce fut l’an 1356. Ce nouveau Nonce étant arrivé à Lion, alla loger au College des Jesuites, où le Pere de Colonia, Professeur de Rhetorique, luy fit faire des Complimens en François, en Italien, en Espagnol, en Latin &amp; en Grec, par sept ou huit Gentilshommes de ses Ecoliers. Je vous envoye une partie des Vers François qui luy furent presentez. Les premiers furent sur la douleur generale qu’avoit causée son départ dans Avignon.</p>
          <quote>
            <label><hi rend="i">MADRIGAL.</hi></label>
            <lg>
              <l rend="i"> Vostre humeur douce &amp; bien-faisante,</l>
              <l rend="i">N’en doutez point, Grand Nonce, est connuë en ces lieux.</l>
              <l rend="i">On sçait que vostre cœur est des plus genereux ;</l>
              <l rend="i"> Et qu’il sent une aimable pente</l>
              <l rend="i">A rendre, s’il se peut, tous les hommes heureux.</l>
              <l rend="i">Agréez, cependant, qu’entre nous je le dise.</l>
              <l rend="i">Certain bruit court icy qui nous étonne fort,</l>
              <l rend="i"> Et qui pourroit vous faire tort.</l>
              <l rend="i"> On entend dire avec surprise,</l>
              <l rend="i">Qu’après avoir trois ans gouverné le Comtat,</l>
              <l rend="i"> Sans avoir dans tout cet Etat</l>
              <l rend="i"> Chagriné la moindre personne,</l>
              <l rend="i">Par un ménagement qu’on dit fort délicat,</l>
              <l rend="i">Et qui marque un grand sens, une ame belle &amp; bonne.</l>
              <l rend="i"> Vous n’avez pas laissé pourtant,</l>
              <l rend="i">(Et c’est dequoy tout le monde s’étonne)</l>
              <l rend="i">De chagriner tout un Peuple en partant.</l>
            </lg>
          </quote>
          <quote>
            <label>AUTRE.</label>
            <lg>
              <l rend="i">Interprete Sacré du Pape le plus sage</l>
              <l rend="i"> Qui fut &amp; qui sera jamais,</l>
              <l rend="i"> Nous voyons sur vostre visage</l>
              <l rend="i"> Briller ses plus augustes traits.</l>
              <l rend="i">Il nous donne dans vous sa vive &amp; juste image,</l>
              <l rend="i"> Pour couronner tous ses bienfaits.</l>
              <l rend="i"> Probité, talens, cœur, naissance,</l>
              <l rend="i"> Sublime &amp; vaste intelligence,</l>
              <l rend="i"> Tout jusque là s’accorde bien.</l>
              <l rend="i"> Il ne manqueroit du tout rien,</l>
              <l rend="i"> Pour une entiere ressemblance,</l>
              <l rend="i"> Si la Thiare entre vous deux</l>
              <l rend="i"> Ne mettoit quelque difference.</l>
              <l rend="i"> Mais si l’on écoute nos vœux,</l>
              <l rend="i">Si l’on en croit les desirs de la France,</l>
              <l> Delphino <hi rend="i">pourra quelque jour</hi></l>
              <l rend="i">Nous envoyer des Nonces à son tour.</l>
            </lg>
          </quote>
          <quote>
            <label>AUTRE.</label>
            <lg>
              <l rend="i">Nonce, qui par toy-mesme és cent fois plus illustre,</l>
              <l rend="i"> Que par le sang de tes Ayeux ;</l>
              <l rend="i">Qui donnes à leur nom encore plus de lustre</l>
              <l rend="i">Qu’il n’en reçût jamais de leurs faits glorieux.</l>
              <l rend="i">Je trouve que du Ciel les bontez liberales</l>
              <l rend="i"> Ont répandu dans ta maison</l>
              <l rend="i">Vn long amas d’honneurs &amp; de toute façon.</l>
              <l rend="i">J’y vois de tout, en creusant les Annales :</l>
              <l rend="i"> Doges, Gouverneurs, Generaux,</l>
              <l rend="i"> Patriarches, &amp; Cardinaux,</l>
              <l rend="i"> Rien ne manque dans ta famille ;</l>
              <l rend="i"> Par tout elle entre, &amp; par tout elle brille :</l>
              <l rend="i"> Je ne trouve à dire qu’un point</l>
              <l rend="i">Qui jusques à ce jour ne s’y rencontre point.</l>
              <l rend="i"> Il faut qu’elle ait une Thiare.</l>
              <l rend="i"> Ce point est des plus importans.</l>
              <l rend="i">Mais j’apperçois, enfin, que le Ciel se prepare,</l>
              <l rend="i"> A l’y mettre dans peu de temps.</l>
              <l rend="i">Tout t’annonce ce rang ; tout m’engage à le croire,</l>
              <l rend="i"> Ta vertu, ton sang, tes talens.</l>
              <l rend="i">Pour donner à ton nom cette nouvelle gloire,</l>
              <l rend="i"> Tu n’as qu’à vivre encor dix ans.</l>
            </lg>
          </quote>
          <p>Sur ce qu’on luy a fait des Complimens en François, en Italien, &amp; en Espagnol.</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i"> Si vous voyez en mesme temps</l>
              <l rend="i"> La Seine, le Tibre, &amp; le Tage</l>
              <l rend="i"> Nous fournir chacun son langage,</l>
              <l rend="i"> Pour vous marquer nos sentimens ;</l>
              <l rend="i"> Nous vous expliquerons sans peine</l>
              <l rend="i"> D’où viennent ces empressemens.</l>
              <l rend="i"> Le Tibre, le Tage, &amp; la Seine,</l>
              <l rend="i">Commencent, Grand Prelat, à vous faire leur cour.</l>
              <l rend="i">Ils se doutent déja que sous vostre Domaine</l>
              <l rend="i"> Leurs eaux doivent couler un jour.</l>
            </lg>
          </quote>
          <p>Le Pere de Colonia, Auteur de ces Madrigaux, en fit un dans le temps de la naissance de Monsieur le Prince de Dombes, qui merite que vous le voyiez. Il dit beaucoup en huit Vers.</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i">Le sang de trois Heros réüni dans moy seul,</l>
              <l rend="i">Me promet un courage égal à ma naissance ;</l>
              <l rend="i">Et d’un espoir nouveau flate l’heureuse France.</l>
              <l> <hi rend="i">J’ay d’une part</hi> Loüis <hi rend="i">pour mon Ayeul.</hi></l>
              <l><hi rend="i">Je sors du grand</hi> Condé <hi rend="i">par le sang de ma Mere.</hi></l>
              <l rend="i">Un jeune Mars est mon Pere.</l>
              <l><hi rend="i">De toy, pour me former,</hi> Loüis, <hi rend="i">je feray choix.</hi></l>
              <l rend="i">Et te suivant toy seul, je les suivray tous trois.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
      <div type="article" xml:id="MG-1696-03_164" resp="mercure">
        <head>Iris et Tircis. Dialogue</head>
        <bibl><title>Mercure Galant</title>, mars 1696 [tome 3], p. 164-171.</bibl>
        <p/>
        <p>Je vous envoye un Dialogue, qui a esté mis en Musique par un de nos plus habiles Musiciens. Il a receu une approbation generale, dans une assemblée de Connoisseurs, où il a esté chanté, pour satisfaire une Dame du premier rang, qui s'est fait un plaisir de celebrer le retour d'un Epoux aussi vaillant, &amp; fidelle Sujet du Roy, qu'il est tendrement aimé d'une Epouse aimable.</p>
        <p/>
        <p>IRIS ET TIRCIS.</p>
        <p/>
        <p>DIALOGUE.</p>
        <p/>
        <p>IRIS.</p>
        <p>L'Hiver flate mon coeur de l'espoir du repos.</p>
        <p>Son retour interrompt le bruit tonnant des armes,</p>
        <p>Après tant de vives allarmes,</p>
        <p>Enfin, je revoy mon Heros.</p>
        <p>Je le revoy couvert d'une gloire immortelle,</p>
        <p>Mais helas ! revient-il fidelle ?</p>
        <p/>
        <p>TIRCIS.</p>
        <p>D'où vous naist ce soupçon jaloux ?</p>
        <p>Toûjours, charmante Iris, vostre empire m'est doux,</p>
        <p>Toûjours pour vos beaux yeux mon coeur est tout de flame,</p>
        <p>Le Ciel dont le pouvoir me soumit à leurs coups,</p>
        <p>N'a jamais partagé mon ame</p>
        <p>Qu'entre la gloire &amp; vous.</p>
        <p/>
        <p>IRIS.</p>
        <p>Ah ! Tircis, est-il vray qu'une si longue absence</p>
        <p>N'ait point changé pour moy vos tendres sentimens ?</p>
        <p>Les jeunes Heros de ce temps</p>
        <p>Ne se piquent pas de constance.</p>
        <p>Eloignez des objets qui possedoient leurs coeurs,</p>
        <p>Ils prennent aisément de nouvelles ardeurs.</p>
        <p/>
        <p>TIRCIS.</p>
        <p>Non, si pour me livrer à quelque amour nouvelle</p>
        <p>Mon coeur vouloit se dégager,</p>
        <p>Je sens qu'il ne pourroit changer.</p>
        <p>La jeune Iris est la plus belle</p>
        <p>Des Nymphes qu'on voit sous les Cieux.</p>
        <p>Son air n'est pas d'une Mortelle,</p>
        <p>Puisque rien de si beau ne peut charmer mes yeux</p>
        <p>Le moyen que mon coeur ne reste pas pour elle,</p>
        <p>Dans tous les temps dans tous les lieux,</p>
        <p>Toujours soumis, tendre &amp; fidelle ?</p>
        <p/>
        <p>IRIS.</p>
        <p>Si je pouvois n'en point douter</p>
        <p>Helas, que je serois heureuse !</p>
        <p>Mais les bords arrosez par la Sambre &amp; la Meuse</p>
        <p>Ont des Nymphes redouter.</p>
        <p>Leur conduite toujours prévenante</p>
        <p>&amp; flatteuse,</p>
        <p>Promet un sort rempli d'attraits</p>
        <p>Aux Amans blessez de leurs traits,</p>
        <p>Et nos jeunes Guerriers dans le temps de Bellonne</p>
        <p>Quelque intervale donne</p>
        <p>Sont ravis de trouver près d'eux</p>
        <p>D'agreables objets propres à rendre heureux.</p>
        <p/>
        <p>TIRCIS.</p>
        <p>Des communes faveurs je méprise les charmes,</p>
        <p>Je vous adoreray seule jusqu'au trépas,</p>
        <p>Vous triomphez de moy pas vos charmans appas,</p>
        <p>Autant que Loüis par ses armes</p>
        <p>Triomphe de Nassau dans cent fameux combats.</p>
        <p>Quittez-donc un soupçon qui blesse</p>
        <p>Ma sincere delicatesse.</p>
        <p/>
        <p>IRIS.</p>
        <p>Ouy, Tircis, je voy bien que vous estes constant.</p>
        <p>Que mon coeur est charmé ! que mon coeur est content !</p>
        <p/>
        <p>IRIS &amp; TIRCIS.</p>
        <p>Aprés qu'une longue absence</p>
        <p>A fait sentir son pouvoir,</p>
        <p>Quel plaisir de se revoir</p>
        <p>Pleins d'ardeur &amp; de constance !</p>
        <p>L'Amour seul peut donner un sort doux &amp; charmant.</p>
        <p/>
        <p>TIRCIS.</p>
        <p>J'aimeray mon Iris jusqu'au dernier moment.</p>
        <p/>
        <p>IRIS.</p>
        <p>Je chercheray Tircis tous le temps de ma vie.</p>
        <p>Par un heureux destin dont mon ame est ravie</p>
        <p>Le devoir s'accorde à mes feux.</p>
        <p/>
        <p>TIRCIS.</p>
        <p>L'Amour &amp; la Raison nous animent tous deux,</p>
        <p>C'est ce qu'à peine on pourra croire.</p>
        <p/>
        <p>IRIS &amp; TIRCIS.</p>
        <p>Durent à jamais les beaux noeuds</p>
        <p>Qui sont formez chez nous par l'amour &amp; la gloire.</p>
        <p/>
        <p>Ce Dialogue est de la mesme Mademoiselle l'Heritier qui a fait l'Eloge des Dames, employé dans ma Lettre de Janvier, dont vous m'avez témoigné estre si contente.</p>
      </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-03_171" resp="wordpro">
          <head>[Erratum de l’Eloge des Dames de Mademoiselle l’Héritier inséré dans la lettre de Janvier]*</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, mars 1696 [tome 3], p. 171-173.</bibl>
          <p>Il faut que vous ayez examiné ce petit Ouvrage avec grande attention, puisque vous y avez remarqué un endroit qui ne vous a pas semblé tout à fait juste. La faute n’en doit pas estre imputée à Mademoiselle l’Heritier, mais au Copiste qui a oublié deux Vers dans l’endroit qui vous a fait de la peine. Ainsi au lieu de lire:</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i"> Voila, charmante Celimene,</l>
              <l rend="i"> Ce que j’ay dit tranquillement</l>
              <l rend="i">Au prétendu Sçavant, dont la boüillante haine</l>
              <l rend="i">Déclame contre nous d’un ton si vehement,</l>
              <l rend="i">Et mes raisons ont pû luy faire perdre haleine,</l>
              <l rend="i"> Du moins pendant quelque moment.</l>
              <l rend="i"> Il ne faut pas que son air vous impose, &amp;c.</l>
            </lg>
          </quote>
          <p>Vous devez lire dans les derniers Vers que je vous marque,</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i">Et mes raisons ont pû luy faire perdre haleine,</l>
              <l rend="i"> Du moins pendant quelque moment.</l>
              <l rend="i">Mais vous, si vous daignez vous en donner la peine,</l>
              <l rend="i"> Vous le confondrez pleinement.</l>
              <l rend="i">Il ne faut pas que son air vous impose, &amp;c.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-03_173" resp="wordpro">
          <head>[Histoire]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, mars 1696 [tome 3], p. 173-221.</bibl>
          <p>Nous serions toujours heureux, si nous pouvions estre maistres de nos passions, mais il en est de si violentes, qu’elles l’emportent sur tous les secours que nous offre la raison. Un Cavalier né avec toutes les inclinations qui peuvent rendre un homme estimable, vivoit tranquille, &amp; avoit atteint l’âge de vingt ans sans qu’il eust senti les troubles que l’amour cause ordinairement dans les jeunes cœurs. Son veritable panchant estoit pour les belles Lettres, &amp; le desir d’acquerir toujours de nouvelles connoissances l’occupoit si fort, qu’il ne croyoit pas que l’on pust estre sensible à d’autres plaisirs qu’à ceux de l’esprit. L’avantage qu’il avoit d’estre Gentilhomme, luy fit aussi souhaiter d’apprendre tout ce qui peut convenir à un Cavalier, qui a le droit de porter l’épée, &amp; comme c’estoit assez qu’il entreprist quelque chose pour y réussir, il fit de si grands progrés dans ses exercices, qu’en fort peu de temps il devint parfait, autant qu’on peut l’estre à faire des armes &amp; à monter à cheval. Son Pere, qui n’avoit que luy d’Enfans, commença à craindre qu’il ne voulust prendre employ dans l’Armée, &amp; le voulant arrester auprés de luy jusqu’à ce qu’il eust l’âge necessaire pour exercer une Charge des plus importantes de la Robe, qu’il luy destinoit, il n’en trouva point un plus seur moyen que le mariage. Ainsi il luy choisit une Femme, que d’assez grandes successions regardoient. C’estoit une Fille de quinze ans, qui sans estre belle, ne manquoit pas d’agrémens en sa personne. Le Cavalier qui n’en avoit encore que vingt-&amp; un, se laissa conduire par son Pere, &amp; se maria par complaisance, sans pourtant sentir aucun dégoust pour la personne qu’on luy faisoit épouser. Elle estoit d’une humeur fort douce &amp; accommodante, &amp; meritoit les égards qu’il marqua toujours pour elle, mais ils estoient plus fondez sur l’honnesteté que sur l’amour, &amp; si en consentant à toutes les choses qu’il luy voyoit souhaiter, il croyoit l’aimer veritablement, c’estoit parce qu’il n’avoit point éprouvé cette passion dans toute sa force. Il passa deux ans dans l’heureuse tranquillité que l’on goûte quand on borne ses desirs à ce qu’on possede. Il avoit lié une amitié fort étroite avec un jeune Gentilhomme, qui ayant les mesmes inclinations que luy, ne contribuoit pas peu à luy faire aimer ce genre de vie. Ils estoient inseparables, &amp; depuis plusieurs années, ils n’avoient jamais passé un jour sans se voir. Cet Amy qui estoit d’une Province éloignée de Paris d’environ soixante lieuës, estant obligé d’y retourner, conjura le Cavalier de vouloir bien y venir passer un peu de temps avec luy, afin de luy pouvoir faire rendre dans sa famille les honnestetez qu’on avoit euës pour luy dans la sienne. Le Cavalier, qui ne le pouvoit quitter qu’avec peine, consentit à ce voyage, &amp; ils partirent lors que la saison du Carnaval alloit commencer. Le Gentilhomme qui n’avoit en teste que de procurer des plaisirs à son Amy, le prepara à voir de fort jolies femmes dans le lieu où ils alloient. Le Cavalier, naturellement galant, quoy qu’il eust toûjours vécu sans attachement, le pria de ne point dire qu’il fust marié, afin qu’il pust avoir un champ plus libre à leur conter des douceurs, ne doutant point qu’il ne fust mieux écouté, quand il passeroit pour un homme en pouvoir de disposer de luy-mesme, outre qu’il se faisoit une honte d’avoir pris si jeune un engagement sur lequel les plus sensez trouvent à déliberer toute leur vie. Ainsi pour n’estre point en danger d’estre connu, il quitta le nom de sa Famille, &amp; en prit un d’une Terre de son Pere, qu’il n’avoit jamais porté. Son Amy luy tint parole, &amp; luy fit voir beaucoup de monde choisi. Comme le Cavalier avoit infiniment de l’esprit, il brilla par tout avec de grands avantages, &amp; s’acquit en peu de jours par sa bonne mine &amp; par ses manieres, une reputation merveilleuse auprés des femmes. Il estoit bien fait de sa personne, avoit la phisionomie tres-heureuse, &amp; disoit les choses avec un tel agrément, qu’on estoit toûjours ravy de l’entendre. Il n’y avoit rien en luy ny d’évaporé ny de sérieux. C’estoit un enjoüement plein de feu qui donnoit lieu aux plus agréables conversations, &amp; il joignoit à beaucoup de politesse, je ne sçay quoy de si engageant, qu’il estoit mal-aisé de s’en deffendre. On felicitoit le Gentilhomme d’avoir un Ami d’un si grand merite, &amp; comme on avoit appris de luy que son bien &amp; sa naissance répondoient à ses belles qualitez, c’estoit à qui luy feroit un accueil plus obligeant. Quelque empressement que l’on témoignast par tout à luy donner des marques d’estime, il eut un attachement particulier pour une jeune personne qui luy parut toute aimable. Outre la beauté qui estoit piquante en elle, &amp; une taille fine &amp; avantageuse, que l’on pouvoit dire avoir esté faite au tour, elle avoit l’air doux &amp; attirant, &amp; tant d’égalité dans l’humeur, qu’elle estoit toujours la mesme, c’est-à-dire, toujours honneste, toujours complaisante, &amp; toujours preste à faire de bonne grace toutes les choses qu’on pouvoit attendre d’elle, mais ce qui charma principalement le Cavalier, il luy trouva l’esprit aussi solide que vif. Il remarqua, malgré tous ses soins à n’en laisser rien paroistre, qu’elle s’estoit appliquée à le cultiver par diverses connoissances qui ne sont pas ordinaires aux personnes de son sexe. On ne languissoit jamais dans sa conversation, &amp; comme elle avoit beaucoup delecture, s’il arrivoit quelque fois que l’on proposast quelque question, de celles qu’on peut agiter avec les Dames, elle en disoit naturellement son sentiment, avec une netteté inconcevable, &amp; ce qu’elle avoit pensé estoit toujours décisif. Avec tant de belles qualitez, il ne faut pas s’étonner si le Cavalier se laissa prendre. Plus il la connut, plus il l’estima ; &amp; plus il eut d’estime pour elle, plus son cœur en fut touché. La Belle s’en apperçut, &amp; s’en apperçut avec plaisir. Elle voyoit dans le Cavalier tout ce qu’on peut souhaiter en un parfaitement honneste homme, beaucoup de droiture d’ame, une bonté de cœur admirable, &amp; s’imaginant par ce qu’on luy avoit dit de son bien &amp; de sa naissance, qu’il ne pouvoit que luy estre avantageux de meriter sa tendresse, elle ne prit aucun soin de resister au panchant qu’elle se sentoit pour luy. Il est difficile que les sentimens du cœur ne s’échapent au dehors, Le Cavalier connut en fort peu de temps qu’il estoit aimé, &amp; la joye qu’il eut d’avoir fait cette conqueste, fut pour luy un si grand charme, qu’il tomboit d’accord avec luy mesme, qu’il n’avoit jamais goûté un plaisir pareil. La douceur en augmentoit à toute heure, &amp; tout rempli des idées flateuses que sa passion luy fournissoit, un jour qu’il se trouva seul avec la Belle, il ne se put empêcher de luy dire en soupirant, que tant qu’il vivroit, il envieroit l’heureuse fortune de celuy à qui le Ciel avoit destiné le glorieux avantage de vivre uni avec elle, par des nœuds que la mort seule seroit capable de rompre. La Belle ravie qu’il luy donnast lieu de l’obliger à se declarer plus précisément, luy répondit qu’il estoit fort rare d’envier un bien que l’on pouvoit acquerir, &amp; qu’elle voyoit pour luy de si favorables dispositions dans l’esprit de ses Parens, qu’il en pouvoit tout attendre sitost qu’il s’expliqueroit ; qu’à son égard elle vouloit croire qu’il luy rendoit assez de justice pour estre persuadé qu’elle ne mettroit aucun obstacle à ce qui pourroit le rendre heureux. Le Cavalier touché jusqu’au fond du cœur d’un aveu si obligeant, regarda la Belle fort tendrement, luy pressa la main, &amp; répandit quelques larmes. Il tomba en suite dans un trouble, dont tout ce qu’elle luy dit ne put le tirer. Il la quitta un quart d’heure aprés, &amp; estant pressé par elle de luy dire avant que de s’éloigner, ce qui l’avoit mis dans un estat si different de celuy où il avoit accoutumé d’estre, il la conjura de vouloir bien luy accorder quelques jours pour s’y prépréparer. La Belle ne sceut que s’imaginer de tout ce qu’elle avoit vû. Elle ne pouvoit douter que le Cavalier n’eust beaucoup d’amour. Elle venoit de luy témoigner que la declaration en seroit tres-bien receuë. Selon ce que son Ami avoit publié, leur naissance estoit égale, &amp; il n’avoit pas un bien qui fust au dessus de ce qu’elle avoit sujet de prétendre. Ses reflexions n’aboutirent enfin qu’à luy faire croire que son Ami, pour donner plus de lustre à son merite, l’avoit fait passer pour un homme riche, &amp; d’une Maison considerable, &amp; que ce n’estoit qu’un Avanturier qui se soutenoit par des manieres acquises dans le commerce qu’il avoit avec le beau monde. Dans cette pensée, elle le plaignit de s’estre oublié jusqu’à l’aimer, &amp; elle se plaignit en même temps elle-même, d’avoir pris pour luy des sentimens que sa gloire ne permettoit pas qu’elle conservast. Le Cavalier d’un autre costé estoit fort rêveur &amp; mélancolique. Il se sentoit dans le cœur une passion, dont il commença à s’appercevoir qu’il auroit de la peine à se défaire, &amp; il ne pouvoit se pardonner d’avoir en quelque façon engagé la Belle à répondre à un amour que la raison luy défendoit d’écouter. Ainsi il trouva qu’il estoit de l’honneste homme de ne pas souffrir que la chose allast plus loin, &amp; il falloit pour cela luy déclarer qu’il n’estoit point en pouvoir de profiter des bontez qu’elle paroissoit avoir pour luy. C’est ce qu’il fit peu de jours aprés, en luy disant qu’il n’avoit pû se résoudre d’avoüer qu’il eust consenti à se marier si jeune, &amp; luy demandant le même secret que son Ami luy avoit gardé, il accompagna cette declaration de tant de marques d’estime, &amp; de protestations si fortes d’une amitié aussi solide que tendre, que la Belle, quoy qu’étouffant à regret des esperances qui luy avoient semblé legitimes, ne put s’empêcher de luy promettre la sienne, qu’il luy demanda avec des instances qui la mirent hors d’estat de le pouvoir refuser. Tout simpatisoit en eux, l’humeur, les sentimens, les manieres, &amp; un amour peu commun pour tout ce qui peut éclairer l’esprit. Ils continuerent à se voir avec la même assiduité, quoy que détachez de tout ce qui a coutume de soutenir les liaisons où il est permis de souhaiter quelque chose, &amp; l’estime qu’ils avoient conçuë l’un pour l’autre, &amp; qu’ils sentoient s’augmenter de jour en jour, leur ayant donné une ouverture de cœur reciproque sur tout ce qui se passoit de plus secret dans leurs ames, elle établit entre eux une amitié d’une entiere confiance, qui les charmoit d’autant plus, qu’ils n’avoient aucun interêt en veuë. Le Cavalier vit finir le temps qu’il s’estoit prescrit pour son voyage ; &amp; en prenant congé de la Belle, il obtint la permission de luy écrire, pourvû que leur commerce de Lettres ne fust pas frequent. Il crut devoir se soumettre à cette condition, comprenant bien que les Lettres étoient dangereuses pour le cœur ; &amp; comme il devoit beaucoup à sa Femme, pour qui il avoit de la tendresse, il fut bien-aise qu’on l’obligeast à ne se pas trop permettre sur ce qui pouvoit nourrir une passion infructueuse. Cependant il eut beau faire. Estant de retour chez luy, il connut sensiblement que la Belle luy manquoit. Ces douces conversations si pleines d’esprit &amp; de sentimens si droits sur les matieres les plus delicates, luy estoient toujours presentes, &amp; il ne pouvoit s’en voir privé sans souffrir beaucoup. Il aimoit sa Femme, &amp; reconnoissoit les complaisances qu’elle avoit pour luy, par toutes les honnestetez qui la pouvoient satisfaire ; mais il connoissoit avec chagrin que cette amitié estoit bien moins vive que le panchant qui l’attachoit à la Belle, &amp; il ne pouvoit douter que ce panchant ne fust de l’amour. Il faisoit part de ses peines à cette charmante Fille, &amp; en luy disant qu’il essayoit de se dissiper parmy les Femmes, il luy avoüoit qu’elle luy avoit rendu leur entretien insipide. La Belle se plaignoit de son costé, de ce qu’il l’avoit laissée sans goust pour tous ceux qu’elle voyoit, &amp; en l’instruisant de l’estat de ses affaires, elle luy marquoit qu’il s’offroit toujours quelque Parti, mais qui luy avoit ouvert les yeux sur un genre de merite qu’elle ne pouvoit trouver, &amp; qui devoit seul meriter son choix. Ainsi elle paroissoit resoluë en quelque sorte à ne se point marier, si quelque raison plus forte que son inclination ne l’y engageoit. Les choses estoient en cet estat, quand le Cavalier demeura Veuf. Sa Femme mourut presque tout d’un coup d’un mal violent, où l’on ne put trouver de remede. Il en parut affligé, &amp; il le fut effectivement ; mais mille choses flateuses qui luy fraperent l’esprit, adoucirent sa douleur, &amp; la liberté où il se vit de ne plus donner de bornes à ce qu’il avoit toujours senti pour la belle, luy fit concevoir des esperances qui luy peignirent un bonheur parfait. Il ne voulut point luy écrire le changement d’estat qui luy estoit arrivé, &amp; feignant que le chagrin l’obligeoit à se retirer quelque temps dans une maison de campagne, il partit presque aussitost pour luy en aller luy-même porter la nouvelle, persuadé que le témoignage d’une passion empressée, l’engageroit à se donner toute à luy, comme il estoit tout à elle. Le second jour qu’il fut en chemin, estant entré dans la plus fameuse hostellerie d’un lieu où il jugea à propos de s’arrester pour dîner, il leva les yeux vers une galerie qui regnoit le long d’une partie de la cour, &amp; tout à coup frappé par des traits brillans qui le surprirent, il reconnut l’aimable personne qu’il alloit chercher. Ils firent tous deux un cri, qui marquoit de part &amp; d’autre autant de joye que d’étonnement. Le Cavalier courut à la Belle, qui luy demanda d’abord où il alloit, &amp; d’où luy venoit son habit de deüil. Il luy apprit qu’elle estoit l’unique sujet de son voyage, &amp; pour l’en mieux assurer, il ajoûta, qu’elle ne pouvoit douter qu’il n’eust toujours, &amp; le même amour &amp; le même empressement qu’il luy avoit fait paroistre ; qu’une mort fort impréveuë luy avoit osté sa Femme ; qu’il estoit maistre de ses volontez, &amp; qu’il ne tiendroit qu’à elle qu’il ne devinst le plus heureux de tous les Amans. Cette nouvelle qui la devoit réjoüir, la laissa toute interdite, &amp; un air serieux &amp; sombre qui parut tout d’un coup sur son visage, ayant obligé le Cavalier à luy dire avec transport, qu’il craignoit bien qu’elle n’eust changé, elle répondit, qu’il estoit si vray qu’elle estoit toujours la même pour luy, qu’une des plus grandes satisfactions dont elle s’estoit flatée à Paris, où elle alloit demeurer, estoit celle de le voir, &amp; de luy donner de nouvelles preuves de sa parfaite amitié ; mais qu’elle ne pouvoit rien au delà, puis qu’elle estoit mariée depuis huit jours à un Gentilhomme qui se disoit fort de ses Amis ; qu’elle croyoit l’aller surprendre agreablement, estant bien éloignée de s’imaginer que sans qu’elle en eust rien sceu, il fust en pouvoir de disposer de luy-même. Ce coup de foudre abattit le Cavalier. Ses esperances évanoüies tout à coup lors qu’il avoit lieu de n’y craindre aucun obstacle, luy causerent un si fort saisissement, qu’il en perdit toute connoissance, en sorte qu’il seroit tombé, si on ne l’eust soutenu. On le porta comme on put dans une chambre voisine, où il demeura longtemps sans reprendre ses esprits. Si-tost qu’il fut un peu revenu à luy, il jetta les yeux de tous costez, &amp; remarqua parmi ceux qui estoient dans cette chambre, l’heureux Epoux de la Belle, qu’il reconnut pour un Gentilhomme avec qui il avoit eu beaucoup d’habitude. Ce Gentilhomme, qui dans le temps de l’évanoüissement donnoit quelques ordres, afin qu’on eust soin de ses chevaux, témoigna au Cavalier qu’il prenoit grand interest, &amp; à l’accident qui luy venoit d’arriver, &amp; à la douleur qu’il ne doutoit point qu’il ne ressentist pour la perte de sa Femme. Le Cavalier apprit ensuite de luy, qu’estant depuis six mois en Province, un de ses Amis luy avoit fait voir l’aimable personne qui avoit bien voulu l’épouser, &amp; qu’en la voyant il avoit esté tellement charmé de sa beauté, de son esprit, &amp; de ses manieres, que dés le troisiéme jour il avoit parlé de mariage ; qu’heureusement sa Famille &amp; sa naissance estoient connuës, &amp; que l’affaire s’estoit concluë aussitost, d’autant plus facilement, que la Belle estant dégoustée de la Province, où aucun Parti ne l’accommodoit, avoit paru avoir de la joye de trouver l’occasion de s’établir à Paris. Cela fut suivi d’un renouvellement d’assurances d’amitié, &amp; on ne sçauroit rien ajoûter aux honnestetez qu’ils se firent l’un à l’autre. Ils dînerent tous ensemble ; &amp; le Cavalier dont le chagrin avoit une cause apparente qui cachoit la vraye, dit en les quittant, que pour éviter les complimens qu’on luy venoit faire de toutes parts sur son déplaisir, il alloit passer quelques jours à une Terre où il ne verroit que fort peu de monde. Il y alla en effet, &amp; tâcha de s’y remettre du coup dont il venoit d’estre si cruellement frapé. Combien de reflexions fit-il dans sa solitude, sur le malheur d’avoir eu des esperances qui paroissoient ne pouvoir estre douteuses, &amp; de les trouver détruites presque aussitost par un mariage que le hazard avoit fait faire, dans le temps même qu’il avoit commencé à estre libre ! Cependant il falloit qu’il se contentast d’avoir une Amie pleine de merite &amp; de vertu, avec qui il pouvoit ouvrit son cœur sur toutes choses. Il la vit avec assez d’assiduité à son retour, &amp; luy donna ses conseils sur les personnes qui luy convenoient pour faire societé. Comme elle avoit l’esprit penetrant &amp; fort delicat, elle ne lia commerce qu’avec du monde choisi. C’estoit le moyen d’avoir de fort agreables conversations. Le Cavalier en estoit presque toujours ; &amp; s’il n’y paroissoit pas avec la gayeté qui luy estoit ordinaire, la mort de sa Femme estoit un prétexte qui autorisoit ce changement. Le temps le rendit à la raison, &amp; quoy qu’il eust toujours pour la Belle un tres-violent amour, il se le déguisoit à luy-même, &amp; vouloit croire que tous ses soins n’estoient qu’un simple effet d’amitié. Il est vray qu’il ne se permettoit aucune parole qui luy marquast rien de plus, &amp; l’union estant aussi grande avec le Mary qu’avec la Femme, elle ne blessoit personne. On voulut souvent le remarier, &amp; il s’offrit même des Partis qui obligerent la Dame à luy conseiller de n’en pas negliger les avantages, mais rien ne put l’obliger à changer d’estat, &amp; il avoit passé cinq ou six années toujours charmé de cette aimable personne, &amp; toujours également empressé pour elle, lors que son Mary ayant monté un cheval un peu fougueux qu’il vouloit réduire, ce qu’il avoir déja fait plus d’une fois, ne put un jour soutenir une secousse impréveuë, qui malgré toute son adresse, le jetta sur une pierre, dont il eut la reste fracassée. On n’eut pas plûtost appris sa mort, que tous ceux qui connoissoient l’attachement du Cavalier pour la Dame, &amp; la forte estime qu’elle avoit pour luy, les marierent ensemble. Le Cavalier, quoy qu’affligé veritablement d’un accident si cruel, ne put renoncer au plaisir secret que luy donna l’esperance qui estoit renduë à son amour. Il n’en fit rien d’abord paroistre à la Dame, &amp; s’appliqua seulement à la consoler, &amp; à prendre soin de ses affaires, mais quand il vit sa douleur un peu assoupie, il luy demanda si elle vouloit qu’il fust toûjours malheureux quand tout son bonheur dépendoit d’elle. La Dame qui l’entendit ne luy voulut point déguiser ses sentimens. Elle luy dit qu’elle n’avoit pas de si mauvais yeux qu’elle eust pû ne pas s’appercevoir de l’effort qu’il s’estoit fait, pour se contraindre auprés d’elle ; qu’elle avoit lû dans son cœur tout ce qu’il avoit souffert, &amp; que l’honneste homme luy ayant fait supprimer tout ce que l’Amant sembloit le devoir forcer à luy dire, elle se sentoit engagée à reconnoistre ces marques d’estime, par toutes les choses qu’il pouvoit attendre de son amitié, mais que devant compte de sa conduite au Public, elle ne pouvoit, sans blesser la bienséance, songer à aucun engagement que la premiere année de son deüil ne fust expirée ; qu’elle vouloit bien qu’il la vist jusqu’à ce temps, avec toute l’assiduité permise à un homme qui a des esperances autorisées, &amp; qu’elle avoüeroit sans aucune peine que si elle prenoit jamais un fecond Mary, ce seroit luy qu’elle choisiroit. Le Cavalier aimoit trop la gloire de la Dame pour la vouloir exposer aux murmures du Public. Ainsi quoy que son amour eust peine à s’accommoder d’un si long retardement, il la laissa maistresse du temps, pourvû que sans differer, elle voulust bien signer avec luy un Contrat de Mariage. Elle eut cette complaisance, &amp; il fut dressé aux conditions qu’elle voulut. Plus le Cavalier en reçut de joye, &amp; plus il eut d’impatience de voir la fin du terme prescrit. Elle arriva, &amp; le jour fut arresté pour le mariage. Tout le monde y applaudit, &amp; les complimens qu’on leur en vint faire de tous costez, n’eussent point eu d’interruption, sans une langueur accompagnée de fiévre, où l’aimable Veuve tomba tout à coup. Le Cavalier vit son bonheur reculé avec un chagrin inconcevable. Il appella aussi tost les Medecins, qui l’assurerent que ce seroit pour fort peu de temps ; mais quoy qu’ils ne trouvassent rien de dangereux au mal de la Dame, elle en eut fort mauvaise opinion dés les premiers jours, &amp; frapée du pressentiment qu’elle en mourroit, elle voulut se mettre en estat de ne craindre pas d’estre surprise. Quoy qu’on fust persuadé qu’elle s’alarmoit mal à propos, il y auroit eu de l’injustice à l’empêcher de se satisfaire. Le Cavalier qui ne l’abandonnoit point, la voyant toujours dans de funestes pensées, faisoit ses efforts pour l’en défaire, &amp; luy demandoit souvent si elle vouloit le desesperer. Rien ne pouvoit approcher de sa douleur, quand se representoit que l’ayant trouvée mariée lors qu’il alloit la prier d’agréer son cœur &amp; sa fortune, il estoit si malheureux, qu’il se voyoit prest de la perdre pour toujours sur le point de l’épouser. Elle eut dix ou douze jours aprés de frequentes défaillances, dont les Medecins ne pouvoient bien connoistre la cause, &amp; continuant toujours à dire qu’elle n’en reviendroit pas, elle conjuroit le Cavalier de la moins aimer, s’il se pouvoit, afin que sa mort ne le touchast point si vivement. Les choses tendres qu’elle ajoûtoit pour l’en consoler, estoient pour luy autant de coups de poignard. Aussi n’eut-il pas la force de soutenir celuy qu’il receut, lors que luy tenant un jour la main, elle dit tout d’un coup d’une voix foible qu’elle alloit mourir, &amp; que l’on prist garde à elle. On accourut promptement, &amp; on tâcha de la secourir. Le Cavalier la regardoit attentivement, sans pouvoir prononcer une parole, &amp; il demeura immobile dans un fauteuil, ayant les yeux attachez sur elle. Un moment aprés on cria qu’elle estoit morte, &amp; ce triste cri le penetra de telle maniere, qu’on le trouva mort luy-même. Tous ceux qui avoient pris interest à leur mariage, connoissant le rare merite qui les rendoit si dignes d’estre unis autrement que par la mort, les pleurerent l’un &amp; l’autre, &amp; admirerent dans le Cavalier le plus surprenant effet de l’amour, dont on eust encore entendu parler.</p>
        </div>
      <div type="article" xml:id="MG-1696-03_233" resp="mercure">
        <head>[Relation des honneurs rendus à Mme la Duchesse de Modene]</head>
        <bibl><title>Mercure Galant</title>, mars 1696 [tome 3], p. 233-253.</bibl>
        <p/>
        <p>Les Nouvelles publiques vous ont appris que Mr le Duc de Modene avoit epousé Madame la Princesse de Hanover. Cette nouvelle Duchesse accompagnée de Madame la Duchesse de Hanover sa Mere, arriva au commencement du mois passé,  dans les Etats du Duc son Mary. La Lettre qui suit vous fera sçavoir la reception qui a esté faite à ces deux Princesses, en beaucoup de lieux par où elles ont passé.</p>
        <p/>
        <p>A Modene ce 15 Février 1696.</p>
        <p/>
        <p>[...] Nous entrames à Veronne au bruit du canon, de la mousqueterie, des boëtes, &amp; de toutes sortes d'instrumens, &amp; trouvâmes plus de dix mille personnes hors de la Ville. Toutes les rues estoient illuminées, tous les balcons tapissez. Nous logeâmes dans le Palais du Podesta. Il y eut le soir, &amp; tous les jours suivans de nostre sejour, Serenades, Opera, Comedie &amp; Bals, où se trouverent toujours plus de trois cens Dames, plus belles &amp; mieux mises les unes que les autres, &amp; toutes couvertes de pierreries. Il ne se peut rien ajoûter à la magnificence des tables, &amp; à l'affluence de toutes choses, qui surpasserent tout ce qu'on s'en peut imaginer. Tout cela nous suivit jusqu'à une journée &amp; demie de Veronne. C'estoient les limites des la Republique, &amp; de l'Etat de Mantoüe. [...] A deux lieuës de Mantoüe arriva le Duc, qui fit ses complimens &amp; s'en retourna. Une lieuë approchant de Mantouë, nous trouvâmes les chemins garnis de lumieres &amp; de Milice, comme à Veronne. Nous entrâmes au bruit de toute l'artillerie &amp; des cris de joye. Le Duc et la Duchesse se trouverent à la porte pour y recevoir les nostres. Nous logeâmes dans le Chasteau, qui est un des plus grands &amp; des plus richement meublez de l'Europe. Il est situé sur un lac, ce qui le rend un lieu fort mal sain. Nous y sejournâmes deux jours, pendant lesquels il y eut toujours Opera, Comedie &amp; Bal, où estoient de tres-belles Dames, &amp; plusieurs autres qui nous avoient suivis de Veronne. [...] On arriva [le 6] à deux heures de nuit à Buon-Porto. Nous logeâmes dans un Palais appartenant à la Marquise de Rangoni, Dame d'honneur de la Duchesse de Modene ; le mariage y fut consommé, &amp; nous en partîmes à trois heures aprés midy en carosse, pour nous rendre le soir à Modene, éloignée de quatre lieuës. A moitié chemin nous rencontrâmes la Duchesse mere, accompagnée de soixante &amp; dix carosses à six chevaux, qui composerent le cortege de nostre Entrée. Depuis là les chemins furent bordez de lumieres, comme avant qu'on arrivast à Veronne &amp; à Mantoüe. Tous les Clochers étoient illuminez à triple étage, aussi bien que les remparts, ce qui produisoit la nuit le plus bel effet du monde. Nous entrâmes au bruit du canon, de la mousqueterie, des boestes, des fusées volantes qui continuerent toute la nuit &amp; des acclamations du Peuple. Toute la Ville estoit illuminée &amp; tapissée dans les principaux endroits. Les rues même où l'on ne devoit point passer, l'estoient aussi depuis le pavé jusque sur les toits, avec des lanternes de papier huilé &amp; peint de differentes couleurs. Les Palais l'estoient par une infinité de grands flambeaux de cire blanche, &amp; l'on en compta à celuy du Duc jusques à huit cens, qui brûlerent toute la nuit. Le Palais qui n'est point encore achevé, sera un des plus grands &amp; des plus magnifiques d'Italie. Il y a dès à present un grand nombre d'appartemens aussi somptueusement meublez que l'on en voye en beaucoup de Cours. Celuy de la Duchesse contient dix-sept ou dix-huit grandes Pieces de plein pied, où les moindres tapisseries sont de velours cramoisi avec de larges galons &amp; des franges d'or. Le lit de la Duchesse est d'une broderie particuliere dedans &amp; dehors, avec quantité d'ornemens de Perles ; &amp; la Toilette, qui estoit des plus magnifiques, est de vermeil cizelé, avec le bas d'un tres beau point de Venise. En un mot, c'est le veritable Palais où l'Amour fit transporter Psyché par les Zephirs. Il n'y a personne qui soit plus galant, plus sage &amp; plus content que le Duc. Ce fut le 7. que nous arrivâmes icy, &amp; le Lundy 13. on fit la ceremonie de mariage dans l'Eglise Cathedrale, qui estoit magnifiquement ornée. Tout le pavé, &amp; même celuy du Porche, estoit couvert de vieux tapis. La Messe fut celebrée pontificalement par l'Evêque, avec Musique, &amp; le Te Deum chanté ; aprés quoy on fit le Festin nuptial. Vous n'avez qu'à vous imaginer tout ce qu'il y a de plus propre, de plus delicat &amp; de plus abondant en viandes, fruits &amp; confitures, ce qui fut suivi du Bal. Hier l'on tira un Feu d'artifice des mieux entendus. Tout cela meriteroit une description plus étendue que celle que je vous fais, mais j'espere que vous voudrez bien vous en contenter.</p>
      </div>
      <div type="article" xml:id="MG-1696-03_313" resp="mercure">
        <head>[Ouvrages posthumes de Mr de la Fontaine]</head>
        <bibl><title>Mercure Galant</title>, mars 1696 [tome 3], p. 313-316.</bibl>
        <p/>
        <p>Il en est des Auteurs illustres comme des grands Peintres, leurs Ouvrages semblent augmenter de prix par leur mort. C'est ce qui fait qu'aprés qu'on les a perdus, on s'empresse à ramasser tout ce qu'on peut trouver d'eux, jusqu'à des fragmens, quoy que mutilez. Ainsi, vous ne devez pas estre surprise, si depuis la mort de Mr de la Fontaine, on a pris soin de faire un recueil de tous les Ouvrages qui portoient son nom, &amp; qui n'avoient point encore esté imprimez. On vient de le donner au Public, sous le titre d'Oeuvres Posthumes. Ce ne sont point des fragmens, ny des morceaux détachez qu'il ait laissez imparfaits. Ce sont toutes pieces que Mr de la Fontaine a finies, &amp; qui doivent d'autant plus attirer les Curieux, que l'on peut estre assuré qu'elles sont de luy, puis qu'estant original dans son genre, &amp; par conséquent inimitable, son Stile est trop aisé à connoistre pour luy pouvoir imputer de fausses copies. Il y a des Lettres en Prose, des Lettres en Vers, d'autres mêlées de Vers &amp; de Prose avec quelque Fables, &amp; dans tout cela, on voit briller ce talent exquis, qui l'a distingué avec tant de gloire, de tous ceux qui ont tâché de suivre la mesme route. Ce recueïl d'oeuvres Posthumes, qui est regardé comme un tresor, par tout ce qu'il y a de personnes qui aiment les belles choses, se trouve chez le Sr de Luynes, libraire au Palais, dans la Salle des Merciers.</p>
      </div>
      <div type="article" xml:id="MG-1696-03_316" resp="mercure">
        <head>[Livres nouveaux. Polixène]*</head>
        <bibl><title>Mercure Galant</title>, mars 1696 [tome 3], p. 316-317.</bibl>
        <p>Je vous manday le mois passé que la Troupe des Comediens du Roy, avoit representé une piece serieuse, qui par sa beauté avoit réveillé le goust de la Tragedie. Cette Piece qu'on appelle Polixene, a eu quantité de Partisans fort considerables, &amp; son succez a justifié tout le bien qu'ils en ont dit. Vous en pourrez juger par vous-mesme en la lisant, puisqu'elle se debite chez le Sr Thomas Guillain, Libraire, à la descente du Pont-neuf, prés les Augustins.</p>
      </div>
      <div type="article" xml:id="MG-1696-03_317" resp="mercure">
        <head>[Le Viellard couru, ou les differens caracteres des Femmes]</head>
        <bibl><title>Mercure Galant</title>, mars 1696 [tome 3], p. 317-320.</bibl>
        <p/>
        <p>La premiere representation de la Comedie le Viellard couru, où les differens carcateres des Femmes, ayant esté faite il y a huit jours, plusieurs s'appliquerent à chercher de la verité dans les portraits qu'on y fait de quantité de Maistresses du Veillard, quoy que l'Auteur n'ait eu intention de peindre personne, mais seulement de donner des Amantes au Heros de sa Piece, qui, suivant son sujet, devoit en avoir beaucoup. Il n'est pas impossible que plusieurs de ceux qui ont fait des applications, se soient trompez de bonne foy mais il est sûr que d'autres cherchant à perdre la Piece, &amp; à exciter du murmure, ont fait exprés de fausses applications, puisque de differens portraits placez en divers actes, ils ont pris des morceaux, &amp; les ont joints pour en composer quelques-uns, &amp; appliquer à une seule personne ces differens morceaux joints ensemble, quoy qu'ils ayent esté faits pour plusieurs, &amp; sans qu'on ait eu d'autre objet que d'entrer dans le naturel, soit à l'égard du beau, soit à l'égard du laid, de la pluspart des femmes. Voilà ce qui attira tant d'ennemis à la Piece, le premier jour qu'elle parut, mais le nombre de ses Auditeurs ayant esté grand &amp; équitable dans les representations suivantes, l'Auteur doit estre satisfait de la justice que le Public luy rend, en dépit des ennemis qu'il estoit innocemment attirez.</p>
      </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-03_322" resp="wordpro">
          <head>[Epistre de Mr de Senecé]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, mars 1696 [tome 3], p. 322-323.</bibl>
          <p>Je ne suis point surpris que vous m’ayez demandé de qui est l’Epistre en Vers que je vous envoyay le mois passé, &amp; qui commence par</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i">Eh quoy, toujours fidelle à vostre solitude ?</l>
            </lg>
          </quote>
          <p>Le tour en est si aisé, &amp; les pensées si naturelles, qu’il est difficile en la lisant, de n’avoir pas la même curiosité que vous m’avez fait paroître. Cette Epistre est de M<hi rend="sup">r</hi> de Senecé, dont le nom vous est connu par plusieurs Ouvrages d’un tres-bon goust que vous avez déja vûs de luy.</p>
        </div>
      </div>
      <div type="tome" xml:id="MG-1696-04">
        <head><hi rend="i">Mercure Galant</hi>, avril 1696 [tome 4]</head>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-04_007" resp="wordpro">
          <head>Priere pour le Roy</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, avril 1696 [tome 4], p. 7-10.</bibl>
          <p>Le zele ardent qu’ont les François pour le Roy continuë toujours, &amp; comme le temps approche où la Campagne doit s’ouvrir, l’amour que les grandes qualitez de cet Auguste Monarque, a fait naistre dans le cœur de tous ses Sujets, les engage à renouveller les vœux qu’ils font tous les ans pour la prosperité de ses armes. Ils y sont d’autant plus portez, que la Religion ayant grande part à la guerre qui agite toute l’Europe depuis tant d’années, c’est soutenir la cause de Dieu que de souhaiter que les desseins de Sa M. réussissent. Un interest si noble &amp; si saint, exprimé heureusement dans le peu de Vers que vous allez lire, nous doit faire esperer beaucoup des Prieres qu’on adresse au Ciel pour en obtenir le secours qui a toujours éclaté visiblement pour la France.</p>
          <quote>
            <label>PRIERE POUR LE ROY.</label>
            <lg>
              <l rend="i">Seigneur, que vostre main benisse</l>
              <l rend="i">Loüis, le plus grand des Mortels,</l>
              <l rend="i">Et pour l’honneur de vos Autels</l>
              <l rend="i">Faites qu’en tout son desir s’accomplisse.</l>
            </lg>
          </quote>
          <quote>
            <label>AUTRE.</label>
            <lg>
              <l rend="i">Av Char du grand Loüis enchaîne la Victoire,</l>
              <l rend="i">Seigneur, s’il ne combat que pour ta sainte Loy,</l>
              <l rend="i"> Daigne prendre soin de sa gloire,</l>
              <l rend="i">Et combattre pour luy lors qu’il combat pour toy.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-04_025" resp="wordpro">
          <head>Explication nouvelle d’un Passage de Virgile</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, avril 1696 [tome 4], p. 25-43.</bibl>
          <p>Vous ne serez pas fâchée de voir ce qui a esté écrit sur une question aussi curieuse que pleine d’érudition.</p>
          <quote>
            <label>EXPLICATION<lb />NOUVELLE<lb />D’un Passage de Virgile.<lb />A MONSIEUR C***</label>
            <p><hi rend="i">Il seroit à souhaiter, Monsieur, qu’à l’exemple de M<hi rend="sup">rs</hi> Voiture &amp; Costar, on se proposast quelquefois les difficultez qui se rencontrent en certains passages des Anciens. Si leurs Entretiens, où il y en a plusieurs de ce caractere, ont eu l’usage de plaire &amp; d’instruire, on retireroit de leur imitation, le même avantage.</hi></p>
            <p><hi rend="i">Il me semble que cet endroit de Virgile est de la nature de ces passages, qui ont besoin de reflexion pour estre bien expliquez.</hi></p>
            <quote>
              <lg>
                <l>Atque Lupæ fulvo nutricis tegmine lætus,</l>
                <l>Romulus excipiet gentem.</l>
              </lg>
              <p><hi rend="i">Æneid. 1.</hi></p>
            </quote>
            <p><hi rend="i">Les termes s’entendent, mais le sens ne s’entend pas aussi aisément que les termes. Quelle idée de Romulus, s’il faut s’en tenir au vulgaire, je veux dire, de le regarder</hi> couvert de la peau d’une Louve, sa nourrice ? <hi rend="i">Soit Histoire, soit Fable, on dit qu’une Louve a sauvé la vie à Romulus, lors que ses Parens l’avoient exposé sur le bord du Tibre pour le faire perir. Est-ce donc là la reconnoissance que doit Romulus à cette admirable &amp; tendre nourrice, qu’il faut qu’elle soit écorchée, ou vive, ou morte, afin que son nourriçon porte sa peau ? On ne peut point objecter que selon la Fable, Jupiter fut allaité par une Chevre, &amp; qu’il se servit de sa peau, car outre qu’il n’en estoit pas revestu, &amp; qu’il la mit seulement sur un bouclier, il semble qu’il en eut quelque remords, puis qu’on ajoûte, qu’il fit revivre cette Chevre, &amp; qu’il luy rendit sa peau. N’importe encore, qu’Hercule soit couvert de la peau du Lion de la forest de Nemée, c’est la dépouille d’un ennemy vaincu, c’est le trophée du Heros ; &amp; si la Nimphe Harpalice, dont Virgile parle dans ce premier livre de l’Eneide, est vêtuë de la peau d’un Lynx tacheté, il y a aussi de la gloire pour elle, c’estoit la proye de sa chasse. Mais de mettre la peau d’une Louve sur les épaules de Romulus, c’est luy donner la figure d’un Lycantrope, nom même étrange &amp; hideux ; &amp; en cet état pourroit-il estre</hi> lætus. <hi rend="i">On dépeint au contraire les Lycantropes comme estant d’une mélancolie affreuse. Enfin, le Loup parmy les Romains estoit un animal de mauvais augure</hi>. Viso lupo in Capitolio, dirum putatum, &amp; urbs postea lustrata. Un loup ayant esté vû dans le Capitole, <hi rend="i">dit Tite Live</hi>, cela fut pris dans un sens funeste, &amp; ensuite on purifia la Ville. <hi rend="i">Virgile estoit trop habile pour couvrir d’une peau fatale le Fondateur de Rome, &amp; en faire un présage de calamité &amp; de désolation. Aussi M<hi rend="sup">r</hi> Segrais, qui a mis en Vers François l’Eneide, n’a point voulu se charger de representer Romulus avec la peau d’une Louve. Il laisse là</hi> fulvo tegmine, <hi rend="i">&amp; passant par dessus, il se contente de dire,</hi></p>
            <quote>
              <lg>
                <l>Nourriçon d’une Louve, &amp; Fils de la Vestale,</l>
                <l>Romulus fondera la Ville Martiale.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p><hi rend="i">M<hi rend="sup">r</hi> de Martignac, nouveau Traducteur de Virgile, en a usé de même. Quoy qu’il ne fust pas contraint dans la Prose, comme on l’est dans les Vers, il a pourtant obmis le sens des deux termes</hi>, fulvo tegmine. Aprés cela, <hi rend="i">dit-il</hi>, Romulus nourry du lait d’une Louve prendra soin de cette Nation. <hi rend="i">Ces deux celebres Traducteurs avoient lû Servius, qui dit</hi>, tegmine lupæ, id est, pelle lupæ ; <hi rend="i">mais ny le nom, ny l’exemple de cet ancien Commentateur ne leur a point imposé, &amp; ils ont mieux aimé estre muets sur</hi> fulvo tegmine, <hi rend="i">que d’employer ces termes à travestir Romulus en loup, figure effrayante, &amp; capable de mettre en fuite les peuples qu’il devoit assembler pour en former une Monarchie.</hi></p>
            <p><hi rend="i">Il se presente un autre sens, si l’on considere l’estat de Romulus auprés de la Louve, comme si ces termes</hi>, lætus fulvo tegmine lupæ, <hi rend="i">désignoient la situation de Romulus tettant la Louve, estant alors sous son ventre. Ce sens me paroist trop simple, &amp; ne signifie rien de singulier, qui est pourtant ce qu’on doit chercher en divers endroits de Virgile, où ayant commencé par le merveilleux, il y doit avoir une suite de ce merveilleux. Le Poëte fait nourrir son Heros par une voye extraordinaire. Il est allaité par une Louve. Aprés cela le mettre seulement sous le ventre de cette beste, y a-t-il rien là qui fasse une idée, &amp; qui réponde au de merveilleux. Le terme encore qu’il ajoûte</hi>, lætus, <hi rend="i">&amp; qui est là un terme de présage, &amp; d’heureux présage, n’y trouve point sa force &amp; son caractere. De plus, les petits qui tettent les bestes, ne sont pas sous le ventre, comme les œufs sont sous le ventre de la poule, &amp; les poulets sont sous ses ailes. J’ay même remarqué dans les Medailles, où l’on voit Romulus &amp; Remus avec la Louve, qu’ils ne sont pas couchez &amp; étendus sous son ventre, mais qu’ils sont debout, posture qui repugne à</hi> tegmine ; <hi rend="i">car ils n’y peuvent pas avoir le corps sous la Louve, &amp; en estre couverts. J’ajoûte que</hi> tegmine, <hi rend="i">pour</hi> sub alvo, <hi rend="i">n’est pas une expression usitée. Que faut-il donc penser pour rencontrer un sens qui convienne noblement au sujet de ces Vers ?</hi></p>
            <quote>
              <lg>
                <l>Atque lupæ fulvo nutricis tegmine lætus</l>
                <l>Romulus excipiet gentem.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p><hi rend="i">Il me semble que l’on pourroit attribuer à Romulus ce</hi> fulvo tegmine, <hi rend="i">sans le tirer de la peau ou du ventre de la Louve</hi>. Tegmen <hi rend="i">se prend dans la premiere Eglogue de Virgile, pour le feüillage.</hi></p>
            <quote>
              <lg>
                <l>Tytire, tu patulæ recubans sub tegmine fagi.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Tegmine fagi, <hi rend="i">c’est le feüillage d’un hestre, &amp; il n’y a point là de licence poëtique, c’est une expression ordinaire Aristote au 2. livre de l’Ame, nomme les feüilles des arbres</hi> schepaoma, <hi rend="i">terme Grec que l’Interprete Latin a traduit par</hi> tegmen. <hi rend="i">Je m’imagine donc que ce que Virgile veut dire icy, c’est de representer Romulus enfant, couvert de feüilles par la Louve, sa nourrice, soit pour le cacher, soit pour le tenir envelopé, &amp; à l’abry des injures de l’air. Tout icy paroist propre à soutenir ce sens, qui a un air particulier, &amp; qui est digne de Virgile pour son Enfant merveilleux. C’est le naturel de la Louve, non seulement de se tenir dans les bois, mais aussi lors qu’elle y a apporté sa proye, un agneau ou une brebis, de couvrir de feüilles cette proye, afin que lors qu’elle s’en éloigne, les passans ne puissent pas la découvrir. J’ay oüy dire à un de mes Amis, que son Berger ayant esté surpris par un loup, qui luy enleva une brebis du troupeau qu’il gardoit, il eut le bonheur le lendemain de la voir revenir dans l’étable avec quelques feüilles sur le dos, cette brebis ayant pris son temps pour s’échaper, lors que le loup, qui ne l’avoit encore égorgée, s’estoit éloigné</hi>. Fulvo <hi rend="i">est un terme expressif pour marquer la couleur des feüilles tombées des arbres, &amp; que la Louve avoit amassées. C’est de là qu’est venu le nom de cette couleur que l’on nomme</hi> Feüille morte. Lætus <hi rend="i">se rapporte admirablement au sens qui naist de celuy qui couvre de feüilles Romulus. Cet illustre enfant étant né de Mars, qui estoit adoré comme un Dieu, meriteroit d’avoir des langes de pourpre, mais sa naissance estant obscurcie, il n’est envelopé que de feüilles, &amp; neanmoins sous ces feüilles c’est un enfant riant</hi>, lætus tegmine fulvo. <hi rend="i">Enfin, ce qui peut donner du jour à cette opinion, c’est ce que raconte Horace de luy même, &amp; qui luy arriva sur la montagne de Vultur.</hi></p>
            <quote>
              <lg>
                <l>Me fabulosæ Vulture in Appulo,</l>
                <l>Altricis extra limen Apuliæ, &amp;c.</l>
                <l>Fronde novâ puerum palumbes</l>
                <l>Texêre, &amp;c.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Un jour que j’estois sur la montagne de Vultur, hors des frontieres de la Poüille, où j’ay esté élevé, des pigeons sauvages me couvrirent de feüilles. <hi rend="i">Il ajoûte que tout le monde s’étonnoit de le voir en seureté parmy des Serpens &amp; des Ours.</hi></p>
            <quote>
              <lg>
                <l>Mirum quod foret omnibus, &amp;c.</l>
                <l>Et tuto ab atris corpore viperis</l>
                <l>Dormirem &amp; ursis.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p><hi rend="i">Je ne m’arresteray point au parallele de quelques termes, où Horace semble avoir imité Virgile. Si l’un dit</hi> nutricis <hi rend="i">&amp;</hi> tegmine, <hi rend="i">l’autre dit</hi> altricis <hi rend="i">&amp;</hi> texêre. <hi rend="i">Il y a</hi> lupæ <hi rend="i">dans le premier, il y a</hi> viperis <hi rend="i">&amp;</hi> ursis <hi rend="i">dans l’autre. Enfin</hi>, lætus <hi rend="i">est dans Virgile, &amp;</hi> tuto corpore <hi rend="i">dans Horace. Il y a là de la ressemblance ; mais ce qu’il y a de plus remarquable, c’est ce que dit Horace, que des pigeons le couvrirent de feüilles, &amp; que de ces feüilles il en tire un glorieux présage pour luy, sçavoir qu’il seroit Poëte, &amp; Poëte Lyrique, car il ajoûte</hi>, Lauro collatâque myrto. <hi rend="i">On trouve de même qu’il y a un illustre augure en faveur de Romulus, dans les feüilles dont la Louve le couvre : feüilles de chesne, car les chesnes sont les arbres des forests, où les loups se retirent ; &amp; les chesnes sont des arbres nobles consacrez à Jupiter : &amp; ce qui leur est singulier, c’est qu’ils sont d’une tres longue durée. Pline dit que de son temps on voyoit encore les chesnes qui avoient esté plantez auprés de Troye sur le sepulcre d’Ilus, qui est celuy dont parle Virgile avant Romulus. Longue durée des chesnes, qui les rend parmy les arbres un simbole d’immortalité, immortalité qui se rapporte fort bien au Vers suivant,</hi></p>
            <quote>
              <lg>
                <l>Imperium sine fine dedi.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p><hi rend="i">Voilà quel est mon sentiment sur ce passage de Virgile</hi>, Atque lupæ sulvo, &amp;c. <hi rend="i">Il y a là une idée grande &amp; noble, qui convient au Poëte &amp; au Heros. S’il paroist que j’ay creusé un peu avant pour trouver ce sens, c’est que je m’imagine qu’il y a presque par tout des mines d’or dans Virgile, &amp; qu’on a besoin de penetration pour les découvrir. Je suis, &amp;c.</hi></p>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-04_043" resp="wordpro">
          <head>Pigmalion. Fable</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, avril 1696 [tome 4], p. 43-53.</bibl>
          <p>L’avanture de Pigmalion est connuë de tout le monde, puis qu’il n’y a personne qui n’ait lû les Metamorphoses d’Ovide. Voyez si celuy qui s’est diverti à nous l’expliquer en nostre Langue, n’a pas conservé les principales beautez de l’Original.</p>
          <quote>
            <label>PIGMALION.<lb /><hi rend="i">FABLE.</hi></label>
            <lg>
              <l rend="i">L’Amour fertile en bizarres desseins,</l>
              <l rend="i"> Fait toujours sentir aux Humains</l>
              <l rend="i"> La dureté de son empire.</l>
              <l rend="i">Si malgré tant de vœux Pigmalion soupire,</l>
              <l rend="i"> Il faut encor que l’œuvre de ses mains</l>
              <l rend="i"> Soit la raison de son martire.</l>
              <l rend="i">Pouvoit-on faire mieux pour calmer ses desirs ?</l>
              <l rend="i">Ce Prince delivré d’une tendre habitude,</l>
              <l rend="i">Croyoit se garantir par d’innocens plaisirs</l>
              <l rend="i"> Du danger de la solitude.</l>
              <l rend="i"> Il exprima d’une jeune Beauté</l>
              <l rend="i"> Tous les attraits, toute la ressemblance ;</l>
              <l rend="i"> L’art, le loisir, l’indifference</l>
              <l rend="i">Conspirerent à faire un Ouvrage enchanté.</l>
              <l rend="i"> D’abord les yeux auroient douté</l>
              <l rend="i">Si quelque passion n’est point dans la Statuë.</l>
              <l rend="i"> A croire seulement la veuë,</l>
              <l rend="i">Il paroist que d’agir elle a la volonté,</l>
              <l rend="i">Mais que c’est la pudeur qui fait sa retenuë.</l>
              <l rend="i"> Les efforts de l’attention</l>
              <l rend="i">Mélent aux mouvemens de quelque émotion</l>
              <l rend="i"> Je ne sçay quoy qui continuë</l>
              <l rend="i"> L’apparence de l’action.</l>
              <l rend="i">Pigmalion luy-mesme a de la peine à croire</l>
              <l rend="i"> Que ce qu’il touche est de l’y voire.</l>
              <l rend="i"> Vn secret penchant de son cœur</l>
              <l rend="i"> Semble effacer de sa memoire</l>
              <l rend="i">Que de cette statuë il vient d’estre l’Auteur.</l>
              <l rend="i">Il croit que dans ses feux l’Image s’interesse,</l>
              <l rend="i"> Il la regarde à tous momens,</l>
              <l rend="i"> La tient, luy parle, la caresse.</l>
              <l rend="i">De peur de l’offenser par ses empressemens,</l>
              <l rend="i">Il modere avec soin l’excés de sa tendresse.</l>
              <l rend="i"> Comme si sa delicatesse</l>
              <l rend="i"> Pouvoit meriter ses faveurs,</l>
              <l rend="i">Pour elle il assortit les Ionquilles aux Roses,</l>
              <l rend="i">De l’Oeillet &amp; du Lis il mêle les couleurs,</l>
              <l rend="i">Luy donne des oiseaux, des fruits, les autres choses</l>
              <l rend="i"> Qui peuvent plaire aux jeunes cœurs.</l>
              <l rend="i"> Persuadé que le Sexe aime</l>
              <l rend="i"> Les superbes habillemens,</l>
              <l rend="i">Il prend plaisir d’accommoder luy-mesme</l>
              <l rend="i">De l’or &amp; des Rubis les riches ornemens.</l>
              <l rend="i"> Quelquefois son amour extrême</l>
              <l rend="i"> Est content d’avoir imité</l>
              <l rend="i"> La bien-seante honnesteté,</l>
              <l rend="i"> Qui promet des ardeurs fidelles.</l>
              <l rend="i">Puis soupçonnant ces marques de fierté,</l>
              <l rend="i">Il recherche bien-tost des beautez naturelles</l>
              <l rend="i"> L’innocente simplicité.</l>
              <l rend="i">Dans les transports où son cœur s’abandonne,</l>
              <l rend="i"> Il choisit les noms les plus doux,</l>
              <l rend="i"> Que plus de cent fois il luy donne</l>
              <l rend="i"> Lors qu’il ajuste ses bijoux,</l>
              <l rend="i"> Ou que de fleurs il la couronne.</l>
              <l rend="i">Recevez, luy dit-il, de vostre tendre Epoux</l>
              <l rend="i"> Les marques de ses complaisances,</l>
              <l rend="i">Si contre moy je ne pouvois avoir</l>
              <l rend="i"> Que les legeres repugnances</l>
              <l rend="i">De l’âge, de l’humeur, des loix, ou du devoir,</l>
              <l rend="i"> Obstacles vains, vulgaires resistances,</l>
              <l rend="i"> La cause de mon desespoir</l>
              <l rend="i">Arreste mieux que vous toutes les violences.</l>
              <l rend="i">Quand je serois exempt du mal dont je me plains,</l>
              <l rend="i">Il pourroit arriver que le destin contraire</l>
              <l rend="i"> Vous feroit cruelle ou legere.</l>
              <l rend="i"> Quel est le tourment que je crains ?</l>
              <l rend="i"> Peut-estre seroit-il possible</l>
              <l rend="i"> De vous empêcher de changer ;</l>
              <l rend="i"> Mais le soin de vous engager</l>
              <l rend="i"> Ne sçauroit vous rendre sensible.</l>
              <l rend="i">Du moins si je pouvois vous faire partager</l>
              <l rend="i"> L’excés des peines que j’endure,</l>
              <l rend="i">Satisfait de vous voir capable de douleur,</l>
              <l rend="i">Vous pourriez écouter l’amour que je vous jure.</l>
              <l rend="i"> Pour un moment des loix de la Nature</l>
              <l rend="i"> Ne peut-on vaincre la rigueur ?</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Ainsi conduit par ses caprices</l>
              <l rend="i"> Pigmalion passoit les jours,</l>
              <l rend="i">Quand le temps vint qu’à Cypre on fait des sacrifices</l>
              <l rend="i"> A la Déesse des Amours.</l>
              <l rend="i"> Son desir luy servant de guide,</l>
              <l rend="i">Il se presente au Temple incertain &amp; timide.</l>
              <l rend="i"> Sur les Autels déja fumoit l’encens,</l>
              <l rend="i"> Et des genisses couronnées</l>
              <l rend="i">Dans leur flanc faisoient voir aux mortels palissans,</l>
              <l rend="i"> Les secrets de leur destinée.</l>
              <l rend="i"> Le Prince ayant fait ses presens,</l>
              <l rend="i"> Dit en secret, Dieux tout puissans,</l>
              <l rend="i">Ne peut on obtenir que l’Hymen favorable</l>
              <l rend="i"> Avec d’inviolables nœuds</l>
              <l rend="i"> M’unisse… A ce discours honteux,</l>
              <l rend="i">N’osant dire qu’il trouve une Statuë aimable,</l>
              <l rend="i">Que la belle, dit-il, qui me doit rendre heureux,</l>
              <l rend="i"> A mon image soit semblable.</l>
              <l rend="i">Venus pour les Amans n’est point inexorable,</l>
              <l rend="i"> La hardiesse de leurs vœux</l>
              <l rend="i"> N’est pas toujours ce qui peut luy déplaire.</l>
              <l rend="i">Des choses que souvent la pudeur a fait taire,</l>
              <l rend="i">Elle aime à penetrer le sens mysterieux,</l>
              <l rend="i">De ses Sujets le langage ordinaire.</l>
              <l rend="i">Aussitost dans le Temple on vit briller des feux,</l>
              <l rend="i">Qui du Prince trois fois ébloüirent les yeux.</l>
              <l rend="i">De retour promptement il court à son Image,</l>
              <l rend="i"> La baise, la tient dans ses bras,</l>
              <l rend="i"> Et se plaint que de tant d’appas</l>
              <l rend="i"> On ne peut faire aucun usage.</l>
              <l rend="i"> Dans les transports de son ardeur</l>
              <l rend="i"> Il crut sentir une chaleur subite.</l>
              <l rend="i">D’abord ce sentiment parut estre trompeur,</l>
              <l rend="i">Mais aussi-tost il voit, touchant l’endroit du cœur,</l>
              <l rend="i"> Qu’un soudain mouvement l’agite.</l>
              <l rend="i">Il ne peut plus douter que ce soit une erreur ;</l>
              <l rend="i"> L’espoir augmentant sa tendresse,</l>
              <l rend="i">L’y voire s’amollit sous la main qui le presse ;</l>
              <l rend="i"> Sa naturelle dureté</l>
              <l rend="i"> Cede à l’effort de son ame embrasée,</l>
              <l rend="i">Comme on voit que la cire au Soleil exposée</l>
              <l rend="i">Devient flexible à nostre volonté,</l>
              <l rend="i">Et peut estre tournée en diverses figures.</l>
              <l rend="i">Pendant que son esprit de desirs occupé</l>
              <l rend="i"> Craint encor de s’estre trompé,</l>
              <l rend="i"> Il entend quelques doux murmures,</l>
              <l rend="i"> Et découvre insensiblement</l>
              <l rend="i"> Les autres marques de la vie.</l>
              <l rend="i">L’Image avec le jour ayant vû son Amant ;</l>
              <l rend="i"> L’épreuve de ce sentiment</l>
              <l rend="i"> D’un peu de rougeur est suivie,</l>
              <l rend="i">Qui donne à ses attraits un nouvel ornement.</l>
              <l rend="i">Alors Pigmalion fit des festes pompeuses</l>
              <l rend="i"> A la Dêesse de Paphos,</l>
              <l rend="i">Et leurs flames toujours également heureuses</l>
              <l rend="i"> Joüirent d’un parfait repos.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-04_115" resp="wordpro">
          <head>Madrigal</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, avril 1696 [tome 4], p. 115-116.</bibl>
          <p>Le Madrigal que je vous envoye, convient à bien des Amans qui ne sont pas traitez favorablement. Il est de M<hi rend="sup">r</hi> Gudin de Blois.</p>
          <quote>
            <label><hi rend="i">MADRIGAL.</hi></label>
            <lg>
              <l rend="i"> Echo, Nymphe tendre &amp; sensible,</l>
              <l rend="i"> Qui de ton palais invisible</l>
              <l rend="i">Me rends plainte pour plainte, &amp; soupirs pour soupirs ;</l>
              <l rend="i">Que mon sort seroit doux dans le mal qui me presse,</l>
              <l rend="i">Si l’ingrat Licidor qui fait mes déplaisirs,</l>
              <l rend="i">Me rendoit comme toy, tendresse pour tendresse ?</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-04_116" resp="wordpro">
          <head>Rondeau redoublé</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, avril 1696 [tome 4], p. 116-118.</bibl>
          <p>Voicy un Ouvrage d’une autre nature, que M<hi rend="sup">r</hi> l’Eglantier, qui en est l’Auteur, envoya pour Etrennes à un de ses Amis, le premier jour de cette année.</p>
          <quote>
            <label>RONDEAU REDOUBLÉ.</label>
            <lg>
              <l rend="i">A Vous offrir ce foible témoignage,</l>
              <l rend="i">Que mon respect doit à vostre vertu,</l>
              <l rend="i">Ma passion, ce me semble, m’engage,</l>
              <l rend="i">Autre motif y seroit superflu.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Si du destin j’estois maistre absolu,</l>
              <l rend="i">Et si la terre estoit en mon partage,</l>
              <l rend="i">Je n’aurois pû me trouver resolu</l>
              <l>A vous offrir ce foible témoignage.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Mais n’ayant rien qui soit à vostre usage,</l>
              <l rend="i">Et me voyant sans aucun revenu,</l>
              <l rend="i">Je suis réduit à vous rendre l’hommage</l>
              <l>Que mon respect doit à vôtre vertu.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Il est sincere autant qu’il vous est dû,</l>
              <l rend="i">N’en doutez pas, vous me feriez outrage.</l>
              <l rend="i">A vous en rendre une fois convaincu</l>
              <l>Ma passion, ce me semble, m’engage.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Acceptez donc l’agreable présage</l>
              <l rend="i">Que dans ce jour j’ay moy-même entendu.</l>
              <l rend="i">De mon amour c’est un secret langage,</l>
              <l>Autre motif y seroit superflu.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Bien plus heureux que Noè n’a vêcu,</l>
              <l rend="i">Vous atteindrez la course de son âge.</l>
              <l rend="i">C’est le desir ardent que j’ay conçû,</l>
              <l rend="i">Pour mon plaisir, ay-je rien davantage</l>
              <l> A vous offrir ?</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-04_118" resp="wordpro">
          <head>Reflexions sur le bon usage qu’on doit faire de la Parole</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, avril 1696 [tome 4], p. 118-127.</bibl>
          <p>Je vous envoye de nouvelles Reflexions. Ce mot vous doit faire entendre qu’elles sont de M<hi rend="sup">r</hi> l’Abbé de Fourcroy. C’est une matiere qu’il a l’art de bien traiter.</p>
          <quote>
            <label>REFLEXIONS<lb />Sur le bon usage qu’on doit<lb />faire de la Parole.</label>
            <p><hi rend="i">Ne parler pas trop, tenir des discours graves &amp; élevez quand il le faut, parler dignement des choses importantes &amp; serieuses, s’abaisser quand il est à propos ; sçavoir mêler les loüanges &amp; les civilitez veritables parmy les jeux &amp; les divertissemens innocens ; ne rien dire qui puisse blesser la charité, la verité &amp; la pureté ; en un mot, ne parler que pour loüer Dieu, c’est faire un bon usage de la parole.</hi></p>
            <p><hi rend="i">Pour gouverner sa langue avec tant de sagesse, il faut mettre un sceau à sa bouche, &amp; avoir soin qu’il n’en sorte jamais aucune parole qui puisse offenser, ou qui doive estre blâmée. Figurons nous que nous sommes dans les compagnies comme sur la glace, &amp; qu’il y faut marcher lentement &amp; sagement ; craignons toujours que nostre langue ne glisse, &amp; que nostre jugement ne tombe avec elle. Autant de paroles messeantes, indifferentes &amp; témeraires qu’on prononce, ce sont autant de chutes de l’esprit qui tombe sur les autres, &amp; qui les blesse ou les incommode. Ainsi c’estoit avec raison que le Sage desiroit qu’on mist une garde à sa bouche, &amp; un sceau à ses lévres ; il connoissoit parfaitement que la vie &amp; la mort sont au pouvoir de la langue. C’est ce qui le faisoit toujours craindre ; si les cedres du Liban sont ébranlez, les roseaux seront ils en assurance ? Quelle précaution &amp; quelle vigilance n’est pas necessaire, pour éviter les pieges &amp; les perils où nostre langue peut nous exposer ? L’affaire est de la derniere consequence, il s’agit de nostre salut ou de nostre perte éternelle</hi>. Vous serez justifiez par vos paroles, <hi rend="i">dit Jesus-Christ</hi>, &amp; vous serez condamnez par vos paroles. <hi rend="i">Quiconque donc veut arriver à la perfection, doit travailler à se rendre le maistre de sa langue. Il faut prendre garde à quatre choses toutes les fois qu’on parle, à ce qu’on dit, à la maniere dont on parle, au temps auquel on parle, &amp; à là fin pour laquelle on parle. Quant à ce qu’on dit, il faut observer ce conseil de l’Apostre</hi>, Qu’aucune mauvaise parole ne sorte de vostre bouche, mais seulement celles qui seront bonnes, &amp; capables d’édifier les autres ; que les paroles deshonnestes, folles, boufonnes &amp; médisantes, qui sont contraires à la gravité de vôtre profession, ne s’entendent jamais parmy vous ; bien loin de proferer aucunes paroles indécentes, on ne doit employer sa langue que pour publier les loüanges du Seigneur de l’Univers. <hi rend="i">Quant à la maniere de parler, il faut prendre garde de ne parler, ny avec une lenteur trop affectée, ny avec une hardiesse démesurée, ny trop précipitamment, sçachant que c’est une action qu’on doit faire avec gravité, décence, netteté, &amp; simplicité. Ainsi se trouve-t-on obligé de parler en Maistre à un Serviteur, on le fait sans le mépriser, &amp; sans dire aucun mot dont il puisse estre offensé. Faut-il parler quelquefois en Juge à un coupable, &amp; luy reprocher ses crimes avec des paroles severes, on parle, mais sans manquer au respect qu’on doit à la dignité de l’homme. Se trouve-t-on engagé malgré soy à joüer avec les autres agreablement par paroles, on le fait avec discretion &amp; avec grace ; on sçait mêler le respect aux familiaritez, &amp; empêcher que parmy les reparties de la belle humeur, &amp; parmy les coups de l’amitié il ne se glisse quelque coup de l’orgueil &amp; du dépit, &amp; quelque parole desobligeante. Pour ce qui regarde le temps auquel on parle, il faut aussi y avoir beaucoup d’égard ; car une parole, comme dit Salomon, quoy que judicieuse, n’est pas bien receuë de la bouche d’un fol, parce qu’il n’est pas capable de la dire en son temps. Enfin il faut non seulement que les paroles soient bonnes, mais aussi on doit les dire avec une bonne fin, ayant toujours pour intention la gloire de Dieu &amp; l’utilité du prochain. C’est à vous, divin Sauveur, qui estes la sagesse &amp; la parole incréée du Pere Eternel, à gouverner la langue, qui est un feu &amp; un monde d’injustices. Ne seroit-ce pas une horrible présomption de se flater qu’on peut faire un bon usage de la parole sans vostre divin secours ? Vous estes la voye, la verité &amp; la vie, servez-nous de guide, conduisez nostre langue, arrestez en l’impetuosité, &amp; ne permettez jamais que cet organe s’occupe à d’autres choses qu’à publier vos loüanges, &amp; à ce qui vous est agreable.</hi></p>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-04_159" resp="mercure">
          <head>[Ceremonie faite en Pologne]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, avril 1696 [tome 4], p. 159-183.</bibl>
          <p/>
          <p>Je vous ay déjà mandé que Mr le Marquis d'Arquien, Pere de la Reine de Pologne, avoit esté declaré Cardinal dans la promotion que le Pape fit le 12. Decembre dernier. Mr l'Abbé Accoramboni, Camerier d'honneur du Pape, ayant esté nommé par Sa Sainteté pour apporter le Bonnet à Son Eminence, partit de Rome le 22. du même mois, &amp; ne put, à cause du mauvais temps, &amp; de quelque sejour qu'il fut obligé de faire à Vienne, se rendre à Varsovie que le 12. Février sur le midy. [...]</p>
          <p>Le Dimanche [26] à midy les Officiers de Son Eminence allérent prendre Mr le Camerier, qu'ils trouvèrent en soutane &amp; simarre de moire violete, &amp; le conduisirent à l'Appartement de Son Eminence, qui ce jour-là estoit habillée de rouge en soutane, rochet, &amp; camail, avec un bonnet quarré noir, ayant au col le cordon bleu, où pendoit la Croix de l'Ordre du Saint Esprit. Alors Mr le Cardinal precedé de ses Officiers, &amp; Mr le Camerier, alla chez le Roy, où la Reine, &amp; leurs Altesses Royales s'estoient renduës. Aprés les reverences faites &amp; reçuës de part &amp; d'autre, le Roy sortit de son appartement &amp; precedé du Grand Marêchal de la Couronne, &amp; du Marêchal de la Cour de Lithuanie, &amp; d'une infinité de Seigneurs &amp; de Prelats, il s'achemina par la Salle de ses Gardes du Corps &amp; celle des Suisses, vers le grand escalier, au haut duquel il s'arresta pour attendre la Reine, qui parut un moment aprés, précedée de Mr le Palatin de Masovie, son Marêchal, &amp; conduite par les Serenissimes Princes Jacques &amp; Alexandre. Aprés la Reine marchoit la Serenissime Princesse Royale, conduite par le Serenissime Prince Constantin, &amp; Mr l'Ambassadeur de France. Son Eminence precedée de ses Officiers, de Mr le Camerier &amp; accompagnée de Mr le Marquis d'Arquien, de Mr le Comte de Bethune, &amp; de plusieurs autres Seigneurs, suivoit cette Princesse, &amp; enfin la foule des Courtisans. Dans cet ordre, au son des trompettes, tambours, hautbois, timbales, &amp; de plusieurs autres instrumens guerriers, on descendit l'escalier, au pied duquel leurs Majestez montérent dans un superbe carosse, dans lequel la Princesse Royale &amp; Son Eminence monterent aussi, &amp; Mr le Camerier monta dans celuy du grand Maréchal de la Couronne, qui précedoit immediatement celuy du Roy. La marche se fit entre deux hayes de toute la Garde à pied de leurs Majestez ; &amp; au bruit du Canon. Leurs Majestez, Son Eminence, &amp; leurs Altesses Royales estant arrivées à l'Eglise, Mr le Nonce qui les y attendoit, leurs presenta de l'Eau benite. Leurs Majestez se placerent sous le Dais, &amp; la Princesse Royale avec Elles. Mr le Cardinal &amp; les Serenissimes Princes allerent à leur Priedieu, L.A.R. donnant toujours la main à Son Eminence, Mr le Camerier dans le sien, &amp; ainsi du reste de la Cour. Tout le monde estant placé selon son rang &amp; sans confusion, malgré la petitesse de l'Eglise, on commença la Messe, qui fut pontificalement celebrée par Mr l'Evéque de Posnanie, &amp; chantée par la Musique de la Chapelle du Roy. Aprés l'Evangile, Mr l'Evêque de Plock prit le Missel des mains du Diacre, &amp; ayant fait les reverences requises en pareil cas, il presenta l'Evangile à baiser à leurs Majestez, à la Princesse Royale, à S.E. &amp; aux Serenissimes Princes. Ce Prelat fit aussi dans les temps, les encensemens, &amp; donna la paix. Peu de temps aprés, Mr l'Evêque de Primistie, grand Chancelier de la Couronne, monta en chaire, &amp; fit en Polonois un tres beau &amp; tres sçavant discours sur le sujet de la ceremonie. Le Sermon finy, on continua la Messe, laquelle estant achevée, Mr le Camerier habillé de rouge avec la cappe fourrée d'hermine, se leva, sortit de sa place, &amp; alla vers une table qui estoit du costé de l'Epître, &amp; sur laquelle dans un bassin d'or on avoit mis le bonnet de Cardinal, couvert d'une toilette cramoisy &amp; or. Aprés une genuflexion à l'Autel, &amp; des reverences à leurs Majestez, à Son Eminence, &amp; à leurs Altesses Royales, il découvrit le bonnet pour le faire voir à tout le monde. Il donna ensuite le Bref du Pape à Mr l'Abbé Faitout, Auditeur de Son Eminence, qui en ayant levé le sceau, le lut à haute &amp; intelligible voix. Cette lecture faite, Mr le Camerier prit à deux mains le Bassin où estoit la Berrette, &amp; d'un pas grave s'avança vers le Trosne, au pied duquel il fit une profonde reverence au Roy, &amp; ayant monté l'estrade, il presenta le bonnet à Sa Majesté. Ce Monarque debout &amp; découvert l'ayant pris dans le bassin, le mit sur la teste de Mr le Cardinal, qui accompagné des Serenissimes Princes, s'étoit approché du Trosne presqu'en mesme temps, &amp; Son Eminence l'ayant osté aussitost, le Roy &amp; la Reine l'embrassérent tres-affectueuesement. Alors Mr l'Evesque de Livonie entonna le Te Deum pendant lequel il se fit plusieurs décharges de canon, &amp; Son Eminence estant retournée à son Priedieu, reçût de toute la Cour de nouveaux complimens sur sa dignité. Cette Ceremonie estant achevée, on passa de l'Eglise dans le Refectoire des mesmes Peres Capucins, où l'on trouva trois tables couvertes des mets plus exquis. [...] Aprés ce somptueux banquet, leurs Majestez, Son Eminence, &amp; leurs Altesses Royales remontérent en carosse, &amp; dans le mesme ordre auquel on estoit venu, rentrérent au bruit du canon, &amp; au son de quantité d'instrumens, dans le Palais de Marieville, qui se trouva illuminé de mille flambeaux de cire blanche qu'on avoit mis aux fenestres en réjoüissance d'une si grande feste, &amp; pendant toute cette illumination les instrumens &amp; le canon ne cessérent point de se faire entendre. Voilà, Madame, ce que j'ay tiré, sans y changer aucun terme, d'une Lettre écrite à Varsovie le second du mois passé.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-04_258" resp="mercure">
          <head>[Lettres Spirituelles]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, avril 1696 [tome 4], p. 258-259.</bibl>
          <p/>
          <p>On vient de donner au Public un premier tome de Lettres Spirituelles, d'un des hommes du monde qui a esté le plus éclairé dans la science mistique, &amp; qui en a le plus solidement écrit. Ce que feu Monsieur le Prince de Conti a fait imprimer de ses Ouvrages en est une preuve. On attendoit le reste avec impatience. Ce premier tome sera suivi de plusieurs autres, qui satisferont le desir des bonnes ames. Il est imprimé à Nantes par Jacques Maréchal, &amp; se vend à Paris chez Edme Couterot, rue S. Jacques, au bon Pasteur.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-04_332" resp="mercure">
          <head>[Divertissemens nouveaux]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, avril 1696 [tome 4], p. 332-333.</bibl>
          <p/>
          <p>Les plaisirs innocens où pendant tout l'hiver, la foule a fait voir que la France est toûjours dans une mesme situation, recommencent aujourd'huy, &amp; l'Academie de Musique donnera demain premier jour de May, un Opera nouveau, intitulé, La Naissance de Venus. Les Comediens Italiens donneront dans quelques jours une Piece qui a pour titre, Le Misantrophe amoureux ; &amp; les François representeront le Medecin de Mante. Si-tost que l'actrice dont la maladie a fait quitter le Vieillard couru, ou les differens Caracteres des Femmes, le  jours mesme que cette Piece devoit faire le divertissement de la Cour à Versailles, se portera mieux, on en continuera les representations.</p>
        </div>
      </div>
      <div type="tome" xml:id="MG-1696-05">
        <head><hi rend="i">Mercure Galant</hi>, mai 1696 [tome 5]</head>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-05_055" resp="wordpro">
          <head>[Lettre de Mademoiselle l’Héritier]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, mai 1696 [tome 5], p. 55-77.</bibl>
          <p/>
          <p>Je vous ay avertie dans une de mes dernieres Lettres, de quelques Vers que le Copiste auoit oubliez, en transcrivant l’Eloge des Dames de Mademoiselle l’Heritier. Cet Eloge a esté lû avec tant de plaisir par tout, &amp; il a fait tant d’honneur à toutes celles de vostre Sexe, que je ne puis m’empêcher de vous faire part de ce qui a esté écrit sur ce sujet depuis qu’il est devenu public. Je commence par une Lettre de la même Mademoiselle l’Heritier, dont l’heureux genie paroist en tout ce qui porte son nom. Elle est écrite à une Dame, qui n’est pas moins distinguée par son merite que par sa naissance.</p>
          <quote>
            <label>A MADAME<lb />LA MARQUISE DE C…</label>
            <p>Les flateuses loüanges ; Madame, que vous donnez à mon petit Ouvrage de l’Eloge des Dames, sont si obligeantes, qu’elles me feroient oublier la querelle que vous me faites, de ce que vous n’avez entendu parler de ces Vers que par le Mercure Galant, si je n’estois persuadée que l’amitié m’engage à vous faire voir que cette querelle n’est pas juste. Vous n’ignorez pas que depuis que l’ascendant d’une certaine Etoile, à laquelle on ne peut résister, eut répandu dans le monde les bagatelles rimées que j’avois tant de soin de cacher, parce que je ne les croyois bonnes tout au plus qu’à m’amuser avec trois ou quatre de mes Amies de mon caractere ; vous n’ignorez pas, dis-je, que depuis ce temps, où vous fustes informée de mon commerce avec les Muses, elles ne m’ont rien dicté de serieux ou d’enjoüé, que je ne vous en aye fait part avec exactitude, puis que vostre amitié le vouloit ainsi ; mais à l’égard des Vers de l’Eloge des Dames, je ne pouvois contenter cette exactitude par la loy que je m’estois prescrite, de ne laisser voir cet Ouvrage qu’aux personnes qui avoient eu quelque part à la conversation qui l’avoit fait naistre. J’observay regulierement cette loy ; mais quelques-unes de nos Amies ne furent pas si scrupuleuses. Elles ne se firent pas une affaire de publier cette Piece, malgré les projets que nous avions faits toutes ensemble de ne nous en divertir qu’entre nous. Comme les raisons qu’on avoit sur cela ne subsistent plus, &amp; que de même que les Vers, la conversation s’est divulguée, peut-estre vous en a-t-on fait quelques recits, mais apparemment ils ne sont que confus. Je vais donc vous dire le sujet qui forma une dispute fort vive dans une compagnie, où l’on ne songeoit qu’à se divertir.</p>
            <p>Dans le temps qu’on representoit la Tragedie de Bradamante, qui, comme vous sçavez, a fait beaucoup de bruit, par la force de ses Vers &amp; la delicatesse de ses sentimens, on vint à examiner les beautez de cette Piece dans la compagnie dont il est question. Un homme d’un caractere fort extraordinaire, dit qu’il ne comprenoit pas comment on pouvoit approuver une Tragedie dont le sujet estoit entierement hors du vray-semblable, puis qu’on y introduisoit deux Femmes vaillantes, ce qui blessoit tous les gens éclairez, qui sçavent bien que jamais le courage ny la fermeté ne se rencontroient dans ce Sexe. Toute la compagnie surprise d’un si étrange sentiment, s’écria que rien n’estoit plus vray-semblable, &amp; plus vray, que de voir du courage dans des Femmes ; &amp; comme si j’estois obligée d’estre toûjours la Championne des belles qualitez des Dames, tout le monde tourna les yeux sur moy, &amp; m’engagea à entrer dans cette dispute pour les deffendre. Le Cavalier qui les avoit attaquées, voulut montrer par de fantastiques preuves, toutes herissées de Grec &amp; de Latin, qu’il n’y avoit point de Femmes qui ne fussent naturellement poltronnes, legeres, &amp; pleines de foiblesses, &amp; mesme qu’il falloit qu’elles fussent ainsi pour plaire. Ensuite il se mit à déclamer mille Philosophiques injures contre-elles avec une rapidité inconcevable, &amp; finit en disant qu’il estoit extravagant de supposer qu’il pust y en avoir de vaillantes. Aprés qu’il se fut éteint la voix à force de parler viste &amp; de crier haut, je trouvay enfin le temps de luy répondre, &amp; de luy prouver par mille raisons, que je ne vous redis point parce qu’elles sont trop faciles à imaginer, qu’il estoit absolument dans le vray-semblable que les Femmes pussent avoir du courage. Il debita encore de nouveau une foule de passages Latins &amp; dans ses citations, il fit un assemblage bizarre des badines fictions des Poëtes, &amp; des Livres dont on ne doit parler qu’avec le plus profond respect. Voyant que les raisons faisoient si peu d’impression sur son esprit, je fus contrainte d’avoir recours aux exemples. Ainsi je fis passer en revûë toutes les Femmes vaillantes de l’Histoire Grecque, Romaine &amp; Françoise, jusqu’à la Pucelle d’Orleans, &amp; examinant ensuite les Heroïnes entierement modernes, je n’oubliay pas l’action éclatante qui a couvert l’illustre Mademoiselle de la Charsse, d’une gloire immortelle. Je connus alors que cet adversaire des Dames avoit cru parler à de plus ignorantes personnes que nous n’estions. Ces exemples le desarmérent, &amp; il se compta si bien vaincu qu’il se reduisit à changer de These. Il s’en tint donc tout d’un coup à dire que toutes les Femmes dont je venois de parler auroient bien mieux fait de mettre leurs mouches &amp; de filer leur quenoüille, que d’aller faire les Capitaines, &amp; les Generaux. Enfin, Monsieur, luy répondis-je, vous estes obligé de convenir qu’il y a des Femmes vaillantes. Vous ne vous retranchez plus qu’à dire qu’elles ne le devroient pas estre. Voila la dispute changée de sujet, mais si quelques-uns de ceux qui nous écoutent, veulent entrer en lice, ils vous convaincront aisément qu’il est des occasions où le courage &amp; la valeur même sont necessaires aux Femmes.</p>
            <p>Vous avez si bien parlé pour elles, me dit-on tout d’une voix, que nous prétendons que vous acheviez ce que vous avez si heureusement commencé ; &amp; puis que vous avez prouvé que la valeur se trouve aussi dans leur sexe, il faut encore que vous fassiez voir quand il la doit mettre en usage. Je ne pus me deffendre de continuer à soûtenir une cause si juste, &amp; je n’eus pas de peine à montrer, qu’ainsi qu’il seroit hors d’œuvre à une femme de quitter le centre de sa patrie où l’on seroit tranquille, pour aller faire l’Amazone à contre-temps dans une armée nombreuse, pourveuë d’habiles Genéraux &amp; de braves Officiers, ce seroit encore une conduite bien plus blâmable, si sous le prétexte du peu d’habitude qu’a son sexe à essuyer les perils, elle voyoit sous ses yeux le fer &amp; le feu ravager son païs, sans avoir le courage d’exposer sa vie &amp; de faire agir sa valeur, pour conserver ses biens &amp; sa liberté, &amp; prendre le party de ceux à qui le Ciel n’a pas donné la force de se deffendre. Je fis voir que dans ces occasions, non-seulement il estoit permis aux femmes qui avoient de la fermeté &amp; de la valeur, de la faire éclater ; mais que mesme il leur seroit fort honteux de n’en point avoir. Je dis encore beaucoup de choses que je ne vous rapporte pas, de peur de vous ennuyer, quoy que la situation d’esprit où étoient ceux qui nous écoutoient, fist qu’ils en étoient divertis ; mais enfin nostre sçavant Cavalier qui ne se battoit plus qu’en retraite dans cette derniere dispute, fut mis entierement hors de combat.</p>
            <p>Comme les Dames qui étoient presentes à nôtre conversation sont extrémement de mes amies, je ne pus resister aux prieres empressées qu’elles me firent de la mettre en Vers, mais je n’y consentis qu’à condition que ces Vers ne seroient vûs que de nôtre petite Societé. On me le promit, mais on ne se fit point de scrupule de ne me pas tenir parole, ainsi que je vous l’ay déja dit. Cette bagatelle courut dans le monde, &amp; mesme a donné sujet à des Ouvrages d’un tour aussi aisé que délicat. Pour vous témoigner, Madame, que je veux continuer à vous faire part exactement des nouveautez du Parnasse, je vous envoye ces agréables Ouvrages, &amp; ceux que j’ay faits à leur sujet ; &amp; afin que vous foyez pleinement contente de moy, je vais vous rendre compte de certains petits détails qui vous feront trouver plus de plaisir à ces productions d’esprit. Premierement, il faut que je vous apprenne que sans avoit bravé le feu des ennemis comme Mademoiselle de la Charsse, ni soûtenu un Siege comme l’Epouse du Comte Tékéli, il y a déja long temps que je suis en possession du titre de Fille courageuse, &amp; je vous diray confidemment que jamais titre n’a moins coûté à aquerir. Parce que quand il tonne je ne me cache pas sous le rideau d’un lit comme Madame D.… &amp; qu’au contraire on me voit aussi tranquille que lors qu’il fait beau temps, parce que quand je suis dans un carosse attelé de chevaux fougueux, loin de faire des cris aussi hauts que Mademoiselle P.… je n’ay nulle frayeur, &amp; enfin, parce qu’on me voit tirer grand nombre de coups de pistolet, quand le Roy prend des Villes ou gagne des Batailles, &amp; qu’en telle Campagne ce rapide Conquerant m’a fait faire cet exercice jusqu’à trois &amp; quatre fois en un seul mois, sur de pareils exploits on m’a donné liberalement le nom de Fille intrepide. Peut-estre la suis-je en theorie, mais, Madame, vous sçavez que je ne la suis point en pratique, je n’en ay jamais eu l’occasion.</p>
            <p>Cependant, comme j’estime infiniment l’intrepidité, &amp; que je l’honore par tout où je la trouve, quelque temps aprés vôtre départ, nous eusmes une fort plaisante conversation sur le courage, &amp; sur la poltronnerie chez une belle Duchesse que vous connoissez, qui par sa science peut justement estre comparée à Minerve, mais qui ne seroit pas propre à imiter la valeur de Pallas. Je luy faisois la guerre de son extrême timidité, &amp; luy disois, que si le Ciel m’avoit fait naître d’un autre sexe, j’aurois déja bien des fois signalé mon courage. Quelques Cavaliers qui étoient présens, me dirent que je devois faire éclater ce courage à la gloire de l’amour, au lieu de le combattre, comme je faisois sans cesse. Je leur répondis en plaisantant que le fond d’intrepidité que je me sentois me porteroit toûjours à éviter du moins toutes sortes de chaisnes, puisque mon sexe m’empeschoit d’aller cueillir des Lauriers en suivant les Drapeaux du Roy.</p>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-05_077" resp="mercure">
          <head>Romance sur l'air <hi rend="i">L’autre jour m’en allant promener, Ah ! mon mal vient que d’aimer</hi></head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, mai 1696 [tome 5], p. 77-86.</bibl>
          <p/>
          <p>[...] comme la charmante Duchesse chez qui nous étions, m'avoit priée de luy faire des couplets sur un certain Air qu'elle aimoit fort, je luy fis Impromptu une maniere de Romance que je vous envoye, qui rouloit sur le mesme sujet que la conversation que nous avions euë.</p>
          <quote>
          <label>ROMANCE,<lb/>SUR L'AIR</label>
          <label>L'autre jour m'allant promener,<lb/>Ah ! mon mal vient que d'aimer.</label>
          <lg/>
          <l rend="i">Evitons l'amour &amp; ses traits.</l>
          <l rend="i">Qu'il est beau de n'aimer jamais !</l>
          <l rend="i">Je croy que ses plus doux attraits</l>
          <l rend="i">Ont encor bien des peines.</l>
          <l rend="i">Qu'il est beau de n'aimer jamais !</l>
          <l rend="i">Bravons toûjours les chaisnes.</l>
          <ab type="ornament">***</ab>
          <l rend="i">Si quelque objet peut enflamer,</l>
          <l rend="i">La gloire seule doit charmer.</l>
          <l rend="i">Chaque Sexe doit s'en former</l>
          <l rend="i">Un attirant modele.</l>
          <l rend="i">La Gloire seule doit charmer,</l>
          <l rend="i">Ne vivons que pour elle.</l>
          <ab type="ornament">***</ab>
          <l rend="i">On parvient par divers sentiers</l>
          <l rend="i">A cueïllir de brillans Lauriers.</l>
          <l rend="i">Dames ainsi que Cavaliers</l>
          <l rend="i">Peuvent orner l'Histoire.</l>
          <l rend="i">On parvient par divers sentiers</l>
          <l rend="i">Au Temple de Memoire.</l>
          <ab type="ornament">***</ab>
          <l rend="i">Mais pour atteindre aux prompts honneurs,</l>
          <l rend="i">Vive Mars, vive ses faveurs,</l>
          <l rend="i">Themis &amp; les sçavantes Soeurs,</l>
          <l rend="i">Ont une belle route</l>
          <l rend="i">Mais pour atteindre aux prompts honneurs,</l>
          <l rend="i">Mars vaut bien mieux, sans doute.</l>
          <ab type="ornament">***</ab>
          <l rend="i">Quand on est du sexe à fracas,</l>
          <l rend="i">Qu'il est beau d'aimer les combats !</l>
          <l rend="i">Qu'on trouve de touchans appas</l>
          <l rend="i">Au mestier de Bellone !</l>
          <l rend="i">Qu'il est beau d'aimer les combats !</l>
          <l rend="i">Que de gloire s'y donne !</l>
          <ab type="ornament">***</ab>
          <l rend="i">Si mon sexe l'avoit permis</l>
          <l rend="i">Que j'aurois bravé d'ennemis !</l>
          <l rend="i">Tous ceux que Louis a soumis</l>
          <l rend="i">M'auroient vû les combattre.</l>
          <l rend="i">Que j'aurois bravé d'ennemis</l>
          <l rend="i">Si Dame alloit se battre !</l>
          <ab type="ornament">***</ab>
          <l rend="i">On fait des exploits inoüis</l>
          <l rend="i">Quand on suit les pas de Loüis.</l>
          <l rend="i">L'oeil &amp; le coeur sont réjouis</l>
          <l rend="i">De l'éclat de sa gloire.</l>
          <l rend="i">Quand on suit les pas de Loüis</l>
          <l rend="i">On court à la Victoire.</l>
          <ab type="ornament">***</ab> 
          <l rend="i">Mais en dépit de mon ardeur</l>
          <l rend="i">Je ne puis suivre ce Vainqueur.</l>
          <l rend="i">Chantons sa rapide valeur,</l>
          <l rend="i">Pour luy faisons des festes.</l>
          <l rend="i">Je ne puis suivre ce Vainqueur.</l>
          <l rend="i">Celebrons ses conquestes</l>
          <ab type="ornament">***</ab>
          <l rend="i">Chantant ce Heros chaque jour</l>
          <l rend="i">Je prétens combattre à mon tour.</l>
          <l rend="i">Je veux toûjours vaincre l'Amour</l>
          <l rend="i">Et terrasser sa brigue.</l>
          <l rend="i">Je prétens combattre à mon tour,</l>
          <l rend="i">Mais ce n'est pas la Ligue.</l>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-05_081" resp="wordpro">
          <head>Fragment d’une Lettre en Chansons</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, mai 1696 [tome 5], p. 81-96.</bibl>
          <p/>
          <p>Ces couplets devinrent fort à la mode, &amp; cela me donna auprés de quelques gens un petit air Amazonien, que de bonne foy je n’avois nullement songé à m’acquerir, comme vous jugez bien, n’ayant cherché dans cet entretien &amp; dans ces chansons qu’à me divertir, en expliquant mes sentimens naturellement. On s’est souvenu encore depuis que pendant que j’estois en Normandie en 1694. &amp; que les Ennemis prenoient mille mesures pour insulter nos Ports &amp; les Côtes de cette Province, la confiance que j’ay dans la suprême sagesse, &amp; l’ascendant du Roy, me fit toujours dire, sans prendre les moindres alarmes, que les Anglois feroient bien plus de bruit que d’effet ; &amp; on a remis sur les rangs une Lettre en chansons, que j’écrivois à une de mes Amies de Bayeux, où j’estois dans ce temps-là, &amp; qui, comme vous sçavez, est sur la route de la Hogue. Ne m’allez pas encore faire une affaire, de ce que vous n’avez point vû cette Lettre, c’est que j’ay cru qu’elle ne meritoit pas vostre attention ; mais puis qu’on s’est avisé de la tirer de l’oubli, je vais vous en dire quelques morceaux. Vous sçavez que ces sortes de Lettres se font sur mille chants differens, &amp; qu’on change d’air à chaque couplet. En voicy quelques uns. Je començois par une description des craintes &amp; des alarmes, qui agitoient certains cœurs dans le lieu où j’estois, &amp; je disois que le tumulte de Mars en avoit chassé tous les Jeux &amp; les Amours ; puis je poursuivois ainsi.</p>
          <quote>
            <label>FRAGMENT<lb />D’une Lettre en Chansons.</label>
            <lg>
              <label>SUR L’AIR,<lb />Sommes-nous pas trop heureux.</label>
              <l rend="i"> Dans ce turbulent fracas,</l>
              <l rend="i">Peut-estre on croit que les Muses</l>
              <l rend="i">Interdites &amp; confuses</l>
              <l rend="i">Du bruit tonnant des Combats,</l>
              <l rend="i">Ne pourront prendre courage</l>
              <l rend="i">Que pour chanter dignement</l>
              <l rend="i">Ce qu’un * Heros jeune &amp; sage</l>
              <l rend="i">Va faire chez le Flamand.</l>
            </lg>
            <note><p>* Monseigneur commandoit l’Armée de Flandre.</p></note>
            <lg>
              <label>SUR L’AIR<lb />Il fait tout ce qu’il défend.</label>
              <l rend="i"> Mais cette troupe divine</l>
              <l rend="i">Qui penetre l’avenir,</l>
              <l rend="i">Dit sans en estre chagrine,</l>
              <l rend="i">Voyant l’Ennemi venir ;</l>
              <l rend="i">Comment craindre les tempestes</l>
              <l rend="i">Quand Louis défend nos testes ?</l>
              <l rend="i">Pleines de tranquillité</l>
              <l rend="i">Imitons leur fermeté.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>SUR L’AIR<lb />La verte jeunesse qui tourne à tous<lb />vents.</label>
              <l rend="i"> Malgré les alarmes,</l>
              <l rend="i">Malgré les Tambours,</l>
              <l rend="i">Profitons des charmes</l>
              <l rend="i">Qu’on doit aux beaux jours :</l>
              <l rend="i">De certain Dieu tendre</l>
              <l rend="i">Défendons-nous seul,</l>
              <l rend="i">Et laissons défendre</l>
              <l rend="i">Nos Ports à * Choiseul.</l>
            </lg>
            <note><p>* M<hi rend="sup">r</hi> le Maréchal de Choiseul commandoit un Camp en Normandie.</p></note>
            <lg>
              <label>SUR L’AIR<lb />Quand Iris prend plaisir à boire</label>
              <l rend="i">Tout s’émeut au bruit de la guerre,</l>
              <l rend="i">Mais quand Louis tient son tonnerre</l>
              <l rend="i">L’Ennemy doit seul avoir peur.</l>
              <l rend="i">Nostre Heros enchaisne la Victoire,</l>
              <l rend="i">Bientost nous le verrons vainqueur,</l>
              <l rend="i">Et son Dauphin rempli d’ardeur,</l>
              <l rend="i">Va se couvrir encor de gloire.</l>
            </lg>
          </quote>
          <p>Cette Lettre en chansons, Madame, &amp; la Romance avoient fait voir les sentimens que j’ay sur la valeur.</p>
          <p>La dispute que j’ay euë avec le Cavalier Dogmatiseut, les a confirmez, &amp; les Vers que i’ay faits sur cette dispute ont achevé de les mettre dans leur jour. Vous voyez bien cependant que dans ces Vers, ie ne me suis pas amusée à rapporter les preuves de raisonnement, &amp; les exemples historiques que i’avançay dans cette conversation. J’ay traité la dispute moins en forme en faveur de la Poësie, qui n’a pas de grace quand elle fait des raisonnemens si suivis, &amp; même i’ay pris quelquefois un ton badin, comme lors que ie dis,</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i"> De Bradamante &amp; de Marphise,</l>
              <l rend="i">Que le dessein fut grand &amp; doux !</l>
              <l rend="i">Elles triomphoient par leurs armes</l>
              <l rend="i">Encore plus que par leurs charmes.</l>
              <l rend="i">Il leur estoit permis de signaler leur bras</l>
              <l rend="i"> Dans les plus perilleux combats ;</l>
              <l rend="i">Ah qu’elles possedoient un heureux avantage !</l>
              <l rend="i">Quel plaisir de marquer son intrepidité !</l>
              <l rend="i">Si nostre sexe encor avoit un tel usage,</l>
              <l rend="i"> I’aurois déja pour mon partage,</l>
              <l rend="i"> Vn Brevet d’immortalité.</l>
            </lg>
          </quote>
          <p>Eh bien ! Madame, ces Vers, avec le souvenir des marques de mon Heroïsme, dont je vous ay tantost parlé, sont cause qu’on m’a écrit <hi rend="i">incognito</hi> une des plus je lies Epîtres du monde, où l’on me compare à Telesille. Je ne sçay pas si cette Heroïne a l’honneur d’estre connuë de vous, mais c’étoit une des plus illustres Sçavantes de l’antique Grece. Plutarque l’a celebrée fort glorieusement ; mais cependant je ne sçay si vous estes instruite de son histoire, quoy que j’aye pris soin de vous en informer dans le Triomphe de Madame Deshoulieres Telesille donc, comme vous sçavez, ou comme vous ne sçavez pas, étoit d’Argos, &amp; aprés avoir acquis dans la Grece une reputation immortelle par la beauté de ses Ouvrages, elle éclata encore par son courage d’une maniere toute distinguée. Pendant que tous les hommes étoient en campagne, dans une guerre où les Argiens n’avoient pas esté heureux, Telesille anima si vivement les Dames Argiennes à la deffense de leur Ville contre les Lacedemoniens, que ces lions de Grece furent contraints de se retirer, voyant de quelle maniere cette troupe d’Amazones bravoit la mort sous la conduite d’une heroïne si propre à soûtenir la gloire de sa Patrie. Je ne me souviens point d’avoir jamais fait d’action qui ressemble à celle-là. Cependant voyez ce que c’est que d’avoir bien de l’esprit. L’inconnu qui m’a écrit l’Epître que ie vous annonce, a trouvé l’art de faire voir dans ses Vers mille traits de ressemblance entre Telesille &amp; moy. Ainsi font les grands Peintres, ils songent plûtost à produire un beau Tableau, qu’ils ne s’embarrassent de faire ressembler. Cependant toutes mes amies, plus frapées des beautez de cette Piece que ie n’étois révoltée contre la comparaison, ont voulu que je répondisse à cet agréable Ouvrage. Si on n’y avoit parlé que de moy, i’aurois gardé le silence malgré leurs souhaits ; mais comme la gloire du Roy y étoit chantée avec justesse, l’empressement que i’ay de mêler ma voix à toutes les loüanges qu’on donne à ce Heros, me fit répondre brusquement à l’inconnu Epître pour Epître. La mienne ne commençoit qu’à paroître, quand Mademoiselle d’Alerac dont vous connoissez le bon goût, me pria de lui faire part de ces deux Ouvrages. Je les luy envoyai accompagnez d’une Lettre en Vers &amp; en Prose. Cette Lettre, ie croy, n’aura rien d’obscur pour vous ; car vous vous souvenez sans doute que dans une Epître que i’ay faite au sujet des Anciens &amp; des Modernes, qui a paru dans le Mercure de Novembre dernier, il y a ces quatre Vers :</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i">Faisons donc redire à l’Echo,</l>
              <l rend="i">D’Alerac passe autant Erinne,</l>
              <l rend="i">Que Scudery passe Sapho,</l>
              <l rend="i">Et des Houllieres, Corinne.</l>
            </lg>
          </quote>
          <p>Toutes ces Heroïnes, Madame, sont, ce me semble, de vostre connoissance. Pour Praxille, dont il est parlé aussi dans cette Lettre en question, si vous ne la connoissez pas, &amp; que vous ne vouliez point vous donner la peine de la démesler dans l’Histoire Greque, informez-vous d’elle dans le Triomphe de Madame des Houlieres. Mademoiselle d’Alerac, qui fait naturellement des plus jolis Vers du monde, a répondu à la Lettre que ie luy ay écrite, une autre Lettre meslée de Prose &amp; de Vers, qui est toute pleine d’esprit. Cette Demoiselle en fait tant briller dans la conversation, qu’il ne faut que la voir une fois pour estre convaincu que personne n’a plus de feu, d’esprit &amp; de vivacité. Vous connoissez si bien le caractere de toute sa Maison, que ie suis seure que vous trouverez que ce que i’en dis à la fin de la Lettre que i’écrivis à cette aimable Fille, n’est pas la moitié de ce qu’on y voit de propre à s’attirer l’estime la plus distinguée. Hé bien vous plaindrez-vous à present que ie ne vous fais pas assez de part de ce qui regarde les Muses ? Vous les aimez tant, qu’en bonne foy il y auroit de la dureté à ne vous apprendre pas tout ce qu’on sçait de leurs nouvelles, &amp; ie vous estime trop pour ne me pas faire un plaisir des occasions qu’elles me donneront de vous marquer combien ie suis parfaitement, Madame, vostre.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-05_097" resp="wordpro">
          <head>[Epistre en Vers]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, mai 1696 [tome 5], p. 97-102.</bibl>
          <p>Je croyois n’avoir plus à vous informer de rien, mais j’apprens qu’on a découvers que l’Epistre qui me veut fait repasser au moins pour Telezille la cadette, est du Marquis de V.… dont vous estimez le sçavoir &amp; la politesse.</p>
          <quote>
            <label>A MADEMOISELLE<lb />L’HERITIER.<lb /><hi rend="i">EPISTRE.</hi></label>
            <lg>
              <l rend="i">Des neuf Sçavantes Sœurs celebre Favorite,</l>
              <l rend="i">Charmante l’Heritier, dont les rares talens</l>
              <l rend="i"> Sont joints au plus touchant merite,</l>
              <l rend="i"> Que n’ay-je vos dons excellens !</l>
              <l rend="i"> Que n’ay-je vostre docte Lyre</l>
              <l rend="i">Pour chanter comme il faut ce qu’en vous on admire !</l>
              <l rend="i">En voyant le sçavoir, en voyant la clarté,</l>
              <l rend="i"> Le courage, la fermeté,</l>
              <l rend="i">Et le vif agrément qui chez vous toujours brille,</l>
              <l rend="i">On croit revoir en vous l’illustre Telesille,</l>
              <l rend="i">Qui sceut par son courage égaler en Argos</l>
              <l rend="i"> La gloire des plus grands Heros.</l>
              <l rend="i">Comme elle vous avez une ame d’Heroîne,</l>
              <l rend="i">Et si vous en trouviez le moment bienheureux,</l>
              <l rend="i"> Nassau si hardy dans ses vœux,</l>
              <l rend="i">Trouveroit sous vos coups son entiere ruine.</l>
              <l rend="i">Ainsi que Telesille eut toujours dans le cœur</l>
              <l rend="i"> Vn beau zele pour sa patrie,</l>
              <l rend="i">Pour la France &amp; Loüis toute pleine d’ardeur,</l>
              <l rend="i">On vous verroit donner vostre sang, vostre vie.</l>
              <l rend="i">La Grecque par hazard signala son envie,</l>
              <l rend="i"> Mais comme elle vous n’aurez pas</l>
              <l rend="i">De perilleux moyens d’exercer vostre bras.</l>
              <l rend="i">De l’auguste Loüis tel est le privilege,</l>
              <l rend="i"> Que dans tous ses vastes Etats,</l>
              <l rend="i">Vingt Souverains liguez avec tant de fracas,</l>
              <l rend="i"> A peine ont pû former un Siege,</l>
              <l rend="i">Et n’ont pû triompher dans les moindres combats.</l>
              <l rend="i"> Leur fureur plus que leur vaillance</l>
              <l rend="i">Eclata follement dans d’injustes exploits,</l>
              <l rend="i">Le Dauphiné seulement une fois,</l>
              <l rend="i"> Ainsi que la belle Provence,</l>
              <l rend="i"> Sentit l’effort du Piemontois.</l>
              <l rend="i">La Charsse fit alors l’action grande &amp; belle,</l>
              <l rend="i">Que vos doctes Ecrits sçauront rendre immortelle ;</l>
              <l rend="i"> Mais si l’on vit son intrepide cœur</l>
              <l rend="i">Dans cette occasion faire briller son zele ;</l>
              <l rend="i"> Malgré la pente naturelle</l>
              <l rend="i"> De son heroïque valeur,</l>
              <l rend="i"> Cette Sujette agissante &amp; fidelle</l>
              <l rend="i">Ne trouvera plus lieu d’exercer son ardeur,</l>
              <l rend="i"> Bellone dormira pour elle.</l>
              <l rend="i">L’invincible Loüis par ses prudens projets,</l>
              <l rend="i"> Sçait trop bien garder ses Sujets.</l>
              <l rend="i"> Ainsi vous n’aurez point la gloire</l>
              <l rend="i"> De repousser ses Ennemis,</l>
              <l rend="i">Puis que le juste Ciel par son ordre a permis</l>
              <l rend="i">Qu’il ait sous ses Drapeaux attaché la victoire.</l>
              <l rend="i"> Mais cependant consolez-vous,</l>
              <l rend="i">Vous chantez ses exploits sur des accords si doux,</l>
              <l rend="i">Qu’ils vous donnent un nom d’éternelle memoire,</l>
              <l rend="i"> Dont mon Sexe seroit jaloux,</l>
              <l rend="i"> Si tout les rares avantages,</l>
              <l rend="i"> Les vertus, les dons précieux,</l>
              <l rend="i">Qu’avec profusion vous receustes des Cieux,</l>
              <l rend="i">Ne sçavoient réunir pour vous tous les suffrages.</l>
              <l rend="i">Je dis tous, car on voit vostre Sexe charmant,</l>
              <l rend="i">Qui se sent honoré de vos sçavans Ouvrages,</l>
              <l rend="i">Estre rempli pour vous d’un vif empressement.</l>
              <l rend="i"> Puissiez-vous donc, illustre Fille,</l>
              <l rend="i"> Puissiez-vous goûter à jamais</l>
              <l rend="i">Vn sort aussi brillant, aussi rempli d’attraits,</l>
              <l rend="i"> Que fut celuy de Telesille.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-05_102" resp="wordpro">
          <head>Reponse de Mademoiselle l'Héritier</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, mai 1696 [tome 5], p. 102-107.</bibl>
          <quote>
            <label>REPONSE DE MADEMOISELLE<lb />L’HERITIER.</label>
            <lg>
              <l rend="i">Mon zele ardent &amp; par pour le plus grand des Rois,</l>
              <l rend="i"> Et mon amour pour la Patrie,</l>
              <l rend="i">Me donnent en effet quelqu’un des beaux endroits</l>
              <l rend="i"> De l’Heroïne qu’autrefois</l>
              <l rend="i"> La docte Grece a tant cherie ;</l>
              <l rend="i">Mais je n’ay point son sort, ses talens, ny sa voix.</l>
              <l rend="i"> Si Telesille fut vaillante</l>
              <l rend="i"> Autant qu’elle parut sçavante,</l>
              <l rend="i">C’est qu’elle put trouver le moment fortuné</l>
              <l rend="i">De montrer les vertus dont son cœur fut orné.</l>
              <l rend="i">Puis qu’il n’est pas permis au sexe dont nous sommes,</l>
              <l rend="i"> De braver les affreux hazards,</l>
              <l rend="i">Que quand les Ennemis entourent nos remparts,</l>
              <l rend="i">Et qu’en un autre temps il abandonne aux hommes</l>
              <l rend="i"> La gloire des exploits de Mars,</l>
              <l rend="i"> Sous le Heros dont la puissance</l>
              <l rend="i"> Fait fleurir aujourd’huy la France,</l>
              <l rend="i">Quels lauriers perilleux pourrions-nous acquerir ?</l>
              <l rend="i"> Bien loin d’avoir à nous défendre</l>
              <l rend="i">Des projets que sur nous on pourroit entreprendre,</l>
              <l rend="i">L’intrepide Loüis ne fait que conquerir.</l>
              <l rend="i"> Si d’une terreur passagere</l>
              <l rend="i"> La Provence &amp; le Dauphiné</l>
              <l rend="i">Virent quelques momens leur peuple consterné,</l>
              <l rend="i">Par le boüillant effort d’un Prince témeraire ;</l>
              <l rend="i">Ce Prince vit bien-tost que le Ciel en colere</l>
              <l rend="i">A son mauvais destin l’avoit abandonné.</l>
              <l rend="i">La Charsse faisant voir une noble assurance,</l>
              <l rend="i"> Sceut rassembler par sa prudence</l>
              <l rend="i">Vn peuple qui fuyoit étourdy, mutiné.</l>
              <l rend="i">Avec elle il combat, leur valeur est heureuse,</l>
              <l rend="i"> Et l’Heroïne genereuse</l>
              <l rend="i">De lauriers immortels voit son front couronné.</l>
              <l rend="i">De l’Auguste Loüis telle est la destinée,</l>
              <l rend="i">Que son juste party rend tout Sexe vainqueur.</l>
              <l rend="i">De l’illustre la Charsse admirons le bonheur.</l>
              <l rend="i">Puisse-t-lle toujours de gloire environnée,</l>
              <l rend="i">Estre auprés du grand Roy qui la comble d’honneur ;</l>
              <l rend="i">Mais vous avez raison, sous la loy fortunée</l>
              <l rend="i">  Prince vaillant &amp; brillant de splendeur,</l>
              <l rend="i"> Quelque guerriere qu’on soit née,</l>
              <l rend="i">On ne peut témoigner cette heroïque ardeur.</l>
              <l rend="i">Sous son regne rempli de bonheur, de sagesse,</l>
              <l rend="i"> Ny les Telesilles de Grece,</l>
              <l rend="i"> Ny les Jeannes de Vaucouleur,</l>
              <l rend="i">Ne trouveroient pas lieu d’exercer leur valeur.</l>
              <l rend="i"> Vous, dont l’aimable politesse</l>
              <l rend="i">Chante aussi noblement ce triomphant Heros ;</l>
              <l rend="i">Qu’auroit fait dans les Vers l’Heroïne d’Argos,</l>
              <l rend="i"> Occupez souvent vostre Lyre</l>
              <l rend="i">A celebrer un Roy que l’Vnivers admire.</l>
              <l rend="i">Pour moy, suivant toujours le zele que je sens</l>
              <l rend="i"> Pour ce Conquerant tout Auguste,</l>
              <l rend="i">Qui ne fait jamais rien que de grand, que de juste,</l>
              <l rend="i">Je mesleray ma voix à vos doctes accens.</l>
              <l rend="i">Mes tons ne seront pas merveilleux, ravissans,</l>
              <l rend="i">Ainsi que furent ceux de l’illustre Argienne,</l>
              <l rend="i">Mais du moins mon ardeur surpassera la sienne,</l>
              <l rend="i">Et j’auray des sujets cent fois plus excellens.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-05_107" resp="wordpro">
          <head>[Autres Epistres]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, mai 1696 [tome 5], p. 107-120.</bibl>
          <p>Mademoiselle l’Heritier, estant fort Amie de Mademoiselle d’Alerac, luy envoya ces deux Lettres, qu’elle accompagna de celle-cy.</p>
          <quote>
            <label>A MADEMOISELLE<lb />D’ALERAC.</label>
            <p>Puisque vous le souhaitez, Mademoiselle, je vous envoye la flateuse Epître du spirituel inconnu, qui me prodigue l’encens, &amp; la réponse que j’ay faite à cet agréable Ouvrage. Je voy bien que c’est pour me rendre le change de ce que je vous ay donné un nom fameux de l’antiquité, que ce sçavant Cavalier m’en donne un à mon tour. Ainsi que je vous ay nommée Erine, &amp; la charmante Comtesse de Murat, Praxille, de mesme l’on veut que Telesille soit desormais mon nom sur le Parnasse. Mais les Paralleles que j’ay faits sont plus justes que la comparaison qu’on a faite pour moy. Tout le monde est convaincu que Mademoiselle de Scudery est autant au dessus de Sapho par ses grands talens que par ses rares &amp; solides vertus. On n’est pas moins persuadé que Madame Deshoulieres a porté le sublime &amp; la justesse de la Poësie beaucoup plus loin que Corinne. Vous sçavez tous les raports que le beau naturel &amp; le spirituel enjoüement des Ouvrages de nôtre aimable Comtesse luy peuvent donner avec Praxille, &amp; à vôtre égard personne n’ignore.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i"> Qu’on voit en vous briller d’Erinne</l>
                <l rend="i">Les tours heureux, les agrémens divers,</l>
                <l rend="i">Comme elle vous pensez d’une maniere fine,</l>
                <l rend="i"> Et comme elle dans tous vos Vers</l>
                <l rend="i">Sans contrainte &amp; sans art certain beau feu petille.</l>
                <l rend="i">Quoy que dans quelques lieux on vante mes accords,</l>
                <l rend="i"> Il n’est point de pareils rapports</l>
                <l rend="i"> De l’Heritier à Telesille.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Mais quoy que le parallele ne soit pas juste, l’Epître qui le fait est si ingenieuse &amp; si bien tournée, que si elle ne me loüoit pas tant, je la loüerois beaucoup davantage en faveur des agrémens qu’on voit dans les Vers. Faisons donc grace à la comparaison. Quoy qu’elle soit fort outrée, ce n’est pas une affaire. J’en ay vû cent fois dans nos Poëtes &amp; dans nos Orateurs, qui l’estoient encore plus, &amp; je vous avoüe que quand même j’aurois quelque air de Telesille, je serois ravie de ne luy ressembler qu’imparfaitement. Quoy qu’en effet je sois partagée d’un courage assez ferme pour mépriser les dangers, s’il s’agissoit de témoigner mon zele à ma Patrie dans des occasions perilleuses, j’ay une joye infinie qu’elle n’ait nul besoin de mes services. Si j’avois vêcu sous ces regnes funestes, où les Ennemis de l’Etat ravageoient nos plus belles Provinces, &amp; pilloient nos Villes tour à tour, j’eusse esté sans doute la copie ou la suivante de la Pucelle d’Orleans ; mais je rens mille graces au Ciel, de vivre sous un regne éclatant, où mon Sexe, il est vray, peut rarement parvenir à faire quelques exploits guerriers, mais où Loüis le Grand luy en fournit de si merveilleux à chanter, que tous les antiques Heros n’ont jamais pû luy en donner de pareils. Nous sommes donc bien éloignez de nous trouversous un regne qui ressemble à ceux de quelques-une de nos Rois de la premiere Race, ou au commencement de celuy de Charles VII.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i"> Et j’avois vêcu sous ces Rois,</l>
                <l rend="i">Dont l’indolence estoit le caractere,</l>
                <l rend="i">I’aurois pû signaler par de fermes exploits</l>
                <l rend="i"> Vn zele ardent &amp; necessaire.</l>
                <l rend="i">Mais dans ces tristes temps où les François confus,</l>
                <l rend="i">Sentoient de leurs revers une douleur amere,</l>
                <l rend="i"> Ma Muse contrainte à se taire.</l>
                <l rend="i">Auroit vû de sa voix les talens superflus ;</l>
                <l rend="i">Au lieu que de nos jours Loüis par ses vertus</l>
                <l rend="i">M’ouvre à chaque moment une illustre carriere.</l>
                <l rend="i"> Ouy, je m’occupe toute entiere</l>
                <l rend="i">A chanter ses exploits rapides, glorieux.</l>
                <l rend="i">Ah, pour nostre bonheur j’aime mille fois mieux</l>
                <l rend="i"> En bien dire que d’en bien faire.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Vous voyez bien, Mademoiselle, que, n’en déplaise à mon courage, j’ay raison d’aimer mieux raconter qu’agir, puis qu’on a prescrit à mon Sexe de ne se pas mêler d’affaires si vigoureuses, que quand les Ennemis sont à nostre porte, ou qu’il arrive quelque autre occasion aussi pressante. Les prosperitez de la France me sont trop cheres, pour ne pas faire mille vœux au Ciel de ne trouver jamais aucun lieu de faire éclater ma fermeté. Cependant je veux bien estre Telesille, si l’on veut, mais une Telesile, dont tout le merite consistera à sentir un grand zele pour sa Patrie &amp; pour son Roy, &amp; à avoir quelques talens propres à chanter les loüanges de ce Heros. Je laisse à vostre illustre Sœur l’honneur d’avoir imité l’Heroïne d’Argos, par des endroits plus perilleux, &amp; d’abord qu’on ne me regardera qu’en Telesille de Paix, la comparaison ne deviendra guere moins juste que de vous à Erinne ; car lors que je fais d’attentives reflexions, vos avantages me paroissent bien autant au dessus des siens, que les miens sont au dessous de ceux de Telesille. Outre cet air charmant de douceur &amp; de tendresse, répandu dans toutes les productions d’esprit qui vous échapent, sans doute encore plus touchant en vous qu’en celle à qui on vous compare ; outre tous ces avantages, dis-je, on ne lit dans aucun endroit qu’Erinne fust d’une Maison aussi illustre dans la Grece, qu’est celle de la Tour du Pin en France ; ny on ne lit point non plus que cette sçavante de Lesbos eust eu une Sœur si celebre par une belle action, qu’une telle Heroïne auroit esté seule capable de couvrir sa Famille de gloire, si cette Famille n’en avoit pas esté partagée d’ailleurs. L’Erinne de Lesbos n’eut aucune de ces heureuses prérogatives. D’Alerac, l’Erinne de France, les posse de avec éclat, &amp; y joint encore le bonheur d’estre née d’une Mere qui rend incertain lequel on doit le plus admirer en elle de l’esprit ou de la vertu. Enfin l’Erinne de France a des Freres, qui sans estre ny Grecs ny Romains, sçavent pratiquer dans toute sa delicatesse la plus belle Urbanité. En bonne foy, pour mêler des termes modernes à ces expressions de l’antiquité, Lesbos auroit bien fait du bruit d’un Citoyen aussi sage &amp; aussi galant homme, qu’est le Marquis de la Charsse. Je conclus donc, que par mille raisons vous estes autant au dessus d’Erinne, que ie suis au dessous de Telesille. Mais comme une tendre amitié m’unit avec vous par les nœuds les plus étroits, dans une si belle union, le fort soulagera le foible. Nous ferons commerce de merite. Vous me ferez part genereusement de ce que vous avez de trop, cela rendra les choses égales ; &amp; ainsi vous resterez toujours Erinne, &amp; moy Telesille.</p>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-05_121" resp="wordpro">
          <head>Réponse de Mademoiselle d’Alerac, à Mademoiselle l'Heritier</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, mai 1696 [tome 5], p. 121-124.</bibl>
          <quote>
            <label>RÉPONSE<lb />De Mademoiselle d’Alerac,<lb /><hi rend="i">A Mademoiselle l’Heritier.</hi></label>
            <p>Que je sçay bon gré, Mademoiselle, au spirituel inconnu qui vous donne le nom de Telesille ! Il vous convient, si quelque chose peut vous assortir. Je vous l’aurois donné, ce nom, si je n’estois persuadée que le vostre vaut mieux que tous ceux dont l’on peut se servir. Si vous aviez vêcu dans ces siecles reculez, vous auriez rempli l’Histoire. Alors l’on auroit décidé pour les Anciens ; mais il vaut mieux que nos Neveux lisent ce qui vous distingue par mille beaux endroits, &amp; que nous jouïssions de l’heureux plaisir de vous voir, qui doit estre si cher à vos Amis.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i">L’on trouve en vous une amitié solide,</l>
                <l rend="i"> Vn commerce plein de douceur.</l>
                <l rend="i">Quand sur vos beaux endroits il faut que l’on décide,</l>
                <l rend="i"> Quelque bon goust qui guide,</l>
                <l rend="i">L’un tient pour vostre esprit, l’autre pour vostre cœur.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Il n’y a que l’amour qui se plaint de vous. Il est vray, Mademoiselle, que vous le bravez sans ménagement.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i"> Pour avoir plus d’esprit qu’une autre,</l>
                <l rend="i"> Croyez-vous sauver vostre cœur</l>
                <l rend="i">  D’une tendre langueur ?</l>
                <l rend="i">  C’est une pure erreur.</l>
                <l rend="i"> Ce cœur est fait comme le nostre,</l>
                <l rend="i">Dans vos Vers immortels vous chanterez un jour</l>
                <l rend="i"> La gloire de l’amour.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>Il sera seur de triompher lors que vous ferez valoir ses charmes.</p>
            <quote>
              <lg>
                <l rend="i"> Vos Vers ont un tour enchanteur,</l>
                <l rend="i">L’amour verra par eux augmenter son empire.</l>
                <l rend="i"> Telesille, il n’est point de cœur</l>
                <l rend="i">Qui ne se rende au son de vostre docte Lyre.</l>
              </lg>
            </quote>
            <p>L’amour me sçaura bon gré de mon préjugé, &amp; peut-estre par reconnoissance, laissera-t-il mon cœur à l’amitié, qui est si contente de moy, &amp; qui a tant de raison de l’estre. Vous me faites sentir, Mademoiselle, tout ce qu’elle a d’agreable par le plaisir que j’ay d’aimer, &amp; d’estre aimée d’une Amie de vostre merite. Je suis.</p>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-05_181" resp="wordpro">
          <head>[Sur l’Arbre gravé]*</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, mai 1696 [tome 5], p. 181-190.</bibl>
          <p>Les Poëtes, à qui ces choses ont plû, ne les ont pas negligées ; ils en ont fait l’endroit mignon &amp; favori des Elegies &amp; des Eglogues. Les Grecs, les Latins, les Espagnols, les Italiens &amp; les François ont triomphé là-dessus. Virgile que vous aimez tant, est à mon gré celuy qui a le mieux exprimé cet amusement rêveur des Amans. Il est vray, luy dis-je, &amp; je me souviens encore avec plaisir des rives du Mince, &amp; de la Bergere Amarylle. Titire va dans les bois graver ses amours sur les arbres.</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i">Certum est in silvis inter spelæa ferarum</l>
              <l rend="i">Malle pati, tenerisque meos incidere amores</l>
              <l rend="i">Arboribus.</l>
            </lg>
          </quote>
          <p>C’est un ancien usage, &amp; les Romains, aussi bien que nous, soulageoient par là leurs peines amoureuses. Mais peut-on rien voir de plus tendre &amp; de plus ingenieux que cette réponse ?</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i">Crescent illæ, crescetis amores,</l>
            </lg>
          </quote>
          <p>Un Poëte de nostre connoissance a dit d’une maniere bien respectueuse en parlant de sa passion à son Rival, qui s’amusoit comme luy à la décrire sur les arbres.</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i">Comme toy dans le sein des écorces profondes</l>
              <l rend="i">J’ay gravé mille fois mes flâmes sans secondes ;</l>
              <l rend="i">Mais ce que mon amour avoit osé tracer,</l>
              <l rend="i">Le respect aussitost me l’a fait effacer.</l>
            </lg>
          </quote>
          <p>Le Tircis de M<hi rend="sup">r</hi> de Segrais imite plus précisément l’Amant de Virgile, &amp; n’est pas si respectueux que nostre Ami, mais il est plus passionné,</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i">En mille &amp; mille lieux de ces rives champestres</l>
              <l rend="i">J’ay gravé son beau nom sur l’écorce des hestres.</l>
              <l rend="i">Sans qu’on s’en apperçoive il croistra chaque jour</l>
              <l rend="i">Helas ! sans qu’elle y songe, ainsi croist mon amour.</l>
            </lg>
          </quote>
          <p>On mit ces Vers en air, s’il vous en souvient, &amp; nous les avons tant chantez dans nostre jeunesse. Comme cet endroit touche infiniment, il estoit tout propre pour la Musique, &amp; je ne sçay qui a plus d’agrément, ou de l’air ou des paroles. Madame Deshoulieres a aussi fort heureusement imité cet endroit de Virgile, dans son Eglogue intitulée, <hi rend="i">Celimene</hi>, où cette amoureuse Bergere.</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i">Tantost cedant à la force</l>
              <l rend="i">De ses amoureux transports,</l>
              <l rend="i">Elle grave sur l’écorce</l>
              <l rend="i">Des arbrisseaux de ces bords.</l>
              <l rend="i">Puisse durer, puisse croistre</l>
              <l rend="i">L’ardeur de mon jeune Amant,</l>
              <l rend="i">Comme feront sur ce hestre</l>
              <l rend="i">Les marques de mon tourment.</l>
            </lg>
          </quote>
          <p>Cette Bergere me fait souvenir de l’Hermine du Tasse, qui faisoit la même chose dans sa solitude. Comme elle estoit extrémement affligée, sa plainte est fort touchante.</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i">Sur les écorces les plus dures,</l>
              <l rend="i">Hermine en diverses figures</l>
              <l rend="i">Graveson amoureux tourment ;</l>
              <l rend="i">Quoy que Tancrede la méprise,</l>
              <l rend="i">Le nom de ce cruel Amant</l>
              <l rend="i">Compose avec le sien une tendre Devise.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Mais ce chiffre aussi-tost redouble ses allarmes,</l>
              <l rend="i"> Et luy fait verser tant de larmes,</l>
              <l rend="i"> Qu’elle en arrose tout ce bois :</l>
              <l rend="i"> Dans la douleur qui la transporte,</l>
              <l rend="i"> Encor qu’il soit sourd à sa voix,</l>
              <l rend="i"> Elle luy parle de la sorte.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Croissez, branches qui me sont cheres,</l>
              <l rend="i"> Croissez avec ces caracteres</l>
              <l rend="i"> Où mon amour est si bien peint :</l>
              <l rend="i"> Si quelqu’un vient sous vôtre ombrage</l>
              <l rend="i"> Il en sera sans doute atteint.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Heureuse, ingrat Amant, si pour prix de ma peine,</l>
              <l rend="i"> Je puis l’obliger par pitié ;</l>
              <l rend="i"> A te porter autant de haine,</l>
              <l rend="i"> Que je te porte d’amitié.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Mais peut-estre toy-mesme un jour dans ces forests,</l>
              <l rend="i"> Tu verras les maux que j’endure ;</l>
              <l rend="i"> Et par d’inutiles regrets,</l>
              <l rend="i"> Tu plaindras ma triste avanture.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Ces chiffres dans ce lieu champêtre</l>
              <l rend="i">Me feront assez reconnoistre</l>
              <l rend="i"> Pour ne pas douter de mon sort,</l>
              <l rend="i"> Il se ressouviendra d’Hermine,</l>
              <l rend="i"> Tu l’aimeras je m’imagine ;</l>
              <l rend="i">Mais pourquoy, cher Tancrede, attendre aprés ma mort ?</l>
            </lg>
          </quote>
          <p>Ce ne sont pas icy les beaux Vers de M<hi rend="sup">r</hi> le Clerc, comme vous voyez. Je ne veux point me faire honneur de sa Traduction de la Jerusalem du Tasse ; mais, où ma memoire me manque, il faut que ma verve supplée. On ne perd rien au change, me répondit obligemment mon Amy. Cet endroit fait plaisir, &amp; je vous sçay bon gré de l’avoir mis en nostre Langue avec tant d’agrément. Mais pour parler poëtiquement &amp; dans le langage de nostre Virgile.</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i">Et jam summa procul villarum culmina fumant,</l>
              <l rend="i">Majoresque cadunt altis de montibus umbræ.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Des arbres, &amp; des monts les ombres redoublées</l>
              <l rend="i">Portent déja la nuit dans le fond des vallées.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-05_197" resp="wordpro">
          <head>Dialogue historique et moral d'un perroquet et d'une pie</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, mai 1696 [tome 5], p. 197-234.</bibl>
          <p>Je mesle toujours une Historiette dans mes Lettres. Vous en aurez une en Vers ce mois-cy, &amp; M<hi rend="sup">r</hi> Robinet en est l’Auteur. C’est toujours un feu d’esprit que le nombre des années ne ralentit point.</p>
          <quote>
            <label>DIALOGUE HISTORIQUE<lb />ET MORAL<lb />D’UN PERROQUET<lb />ET D’UNE PIE.</label>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l>Hé bien, nous voicy seuls, tu ne peux t’en dédire.</l>
              <l> Conte moy ta vie, &amp; m’apprens</l>
              <l>Comme tu m’as promis, ses états differens.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l> Ouy, mais tu n’en feras que rire.</l>
              <l> Peut estre mesme iras-tu les redire,</l>
              <l>Je sçais ton flus de langue, &amp; m’en dois défier.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l> Non, cher Verdelet, foy de Pie.</l>
              <l>Mon babil aisément se peut rectifier,</l>
              <l>Et je m’offre à souffrir pour dix ans la pepie,</l>
              <l> Si l’on m’entend rien publier.</l>
              <l> Dis moy d’abord des nouvelles des Indes,</l>
              <l>  Jadis le sejour si charmant</l>
              <l>  De ton amy, le Dieu des Brindes,</l>
              <l>De qui la soupe au vin est ton cher aliment.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l>Helas ! quand j’en sortis, à peine estois-je en l’âge,</l>
              <l> Où de parler, de boire, &amp; de manger,</l>
              <l>  On peut au plus avoir l’usage.</l>
              <l>  Avec plusieurs de mon plumage.</l>
              <l>Je fus pris dans un bois que l’on vint fourager ;</l>
              <l>  Et je tombay dans l’esclavage.</l>
              <l>  Par mer, on nous fit voyager.</l>
              <l>  Ainsi passant de plage en plage,</l>
              <l>Non sans me voir sort souvent en danger</l>
              <l> De faire un funeste naufrage,</l>
              <l> Enfin dans un Port étranger,</l>
              <l> J’eus pour logement une cage</l>
              <l>Comme celle où tu vois que l’on me fait loger.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l> Hé-bien, en cage, de la sorte,</l>
              <l> Comment de toy disposa-t-on ?</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l>Mon Acheteur jusqu’à Madrid m’apporte,</l>
              <l>  Et me met en bonne maison.</l>
              <l>  J’y fus reçu par une Dame</l>
              <l>  Qu’à son air comme à sa beauté</l>
              <l> Je reconnus d’abord, estre de haute game.</l>
              <l> En effet, elle estoit femme de qualité.</l>
              <l> Elle me fit caresse sur caresse,</l>
              <l> M’appella Perroquet mignon.</l>
              <l> Et, d’une main enchanteresse.</l>
              <l>Aux douceurs de sa bouche, ajoûta maint bon bon,</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l>  Cher Verdelet, que la Fortune</l>
              <l>Eut envers toy bien-tost adouci sa rigueur,</l>
              <l>  Et qu’aprés un peu de rancune</l>
              <l>  Elle établit bien ton bonheur !</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l>  Tu te trompes, ma pauvre Pie.</l>
              <l>Dans quelque estat brillant que je me visse alors,</l>
              <l> Je ne pouvois gouter cette nouvelle vie.</l>
              <l>Et tous les jours pour fuir je faisois mille efforts.</l>
              <l> Je regrettois mon Bois, mon Parentage</l>
              <l>  Et ma sauvage liberté ;</l>
              <l>Et quelque doux que fust mon esclavage</l>
              <l> C’estoit toujours une captivité.</l>
              <l> Je n’entendois point le langage</l>
              <l> Que ma Geoliere me parloit,</l>
              <l> Et je m’enfonçois dans ma cage</l>
              <l> Lors que la Belle m’appelloit.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l> Voila ce que c’est qu’estre beste</l>
              <l> Et sans aucun discernement ;</l>
              <l> Ce que c’est d’avoir une teste</l>
              <l> Qui manque de raisonnement.</l>
              <l>Si l’on ne t’eust pas pris malgré ton beau plumage</l>
              <l> Qui te fait icy rendre hommage</l>
              <l>Tu pouvois éprouver le malheureux destin</l>
              <l>D’avoir dans ta forest, aile ou teste cassée,</l>
              <l>Par le funeste plomb d’un Giboyeur malin</l>
              <l> Qui t’auroit mis en fricassée,</l>
              <l> Car les Indiens, ce dit-on,</l>
              <l>De chair de Perroquet ont l’appetit glouton.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l> Hé, ne blâme point tant les bestes.</l>
              <l>Ne peut-on pas du nombre te compter ?</l>
              <l> Si tu prétens le contester</l>
              <l> Tu peux tenir des raisons prestes,</l>
              <l>Mais ce n’est pas à quoy je me veux arrester.</l>
              <l> Je te diray seulement que les hommes</l>
              <l> Sont aussi bestes que nous sommes,</l>
              <l> Quand il s’agit de leur bonheur.</l>
              <l> De tous ceux que l’on a vûs naistre,</l>
              <l> Aucun encor n’a pû connoistre</l>
              <l>En quoy d’un sort heureux consiste la douceur,</l>
              <l> Aucun du moins, n’en fait un bon usage.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l>Oüais. Perroquet, comme tu sçais jaser !</l>
              <l> Tu veux, je croy, moraliser</l>
              <l> Et contrefaire l’homme sage,</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l>Je parle en Perroquet. La sçavante Henrica,</l>
              <l> C’estoit ma Maistresse Espagnole,</l>
              <l> Lisoit souvent ce beau passage-là,</l>
              <l> Dans certain livre appellé Seneca,</l>
              <l>Et je l’ay retenu parole pour parole.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l>Sans doute qu’elle avoit de l’esprit, je le voy,</l>
              <l> Mais raconte-moy son histoire</l>
              <l> En Perroquet de bonne foy</l>
              <l> Et de bienheureuse memoire.</l>
              <l> Que je sçache, de plus, comment</l>
              <l>On t’a fait consentir à te separer d’elle,</l>
              <l>Puis qu’elle te traitoit si bien, si tendrement.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l> Je sens une douleur mortelle</l>
              <l> Pensant à cet événement.</l>
              <l>De point en point je m’en vais te le dire.</l>
              <l> Pardonne-moy, si je soupire.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l> Soupire, &amp; parle promptement.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l>Quand je me fus défait de mon humeur farouche,</l>
              <l> Et qu’elle m’eut apprivoisé,</l>
              <l> J’en estois sans cesse baisé,</l>
              <l>Et je joignois mon bec à son aimable bouche.</l>
              <l> Elle y mettoit des pois sucrez</l>
              <l> A mon goust friand consacrez,</l>
              <l>Ces pois estoient pour moy d’une amorce puissante.</l>
              <l>Mon humeur en devint amoureuse &amp; galante.</l>
              <l>Je baisois son beau col, j’épluchois ses cheveux,</l>
              <l>  Dignes de mille &amp; mille vœux ;</l>
              <l>  Et cependant son doux langage</l>
              <l> M’entretenoit de cent propos jolis,</l>
              <l>Pour me dépaiser de mon jargon sauvage.</l>
              <l>Or, je profitay tant de ses discours polis,</l>
              <l>Quejamais Perroquet du plus riche plumage,</l>
              <l>Ne fut si beau parleur que je le fus en cage.</l>
              <l> Le Domestique &amp; l’Etranger,</l>
              <l> A tous propos venoient me loüanger,</l>
              <l> Et dés qu’on me faisoit paroistre</l>
              <l> Quelque moment à la fenestre,</l>
              <l> Vne Troupe pour m’écouter,</l>
              <l> Me formoit un grand Auditoire,</l>
              <l> Et j’oserois bien me vanter</l>
              <l>Que jamais Orateur n’eut l’art de debiter</l>
              <l> Ses talens avec plus de gloire.</l>
              <l> Ma cage, au reste, il faut-sçavoir</l>
              <l> Comment elle estoit ajustée.</l>
              <l> Tout y faisoit plaisir à voir</l>
              <l> Tant elle estoit bien concertée,</l>
              <l>Ma Maistresse Henrica me la fit faire exprés.</l>
              <l>L’or &amp; mille brillans y furent mis en œuvre,</l>
              <l> Et ce bijou fait à grands frais,</l>
              <l> Qu’on regardoit comme un chef-d’œuvre,</l>
              <l> Sembloit un vray petit Palais.</l>
              <l> Voilà quelle estoit ma fortune,</l>
              <l> Et j’ay dû t’en entretenir</l>
              <l>  Avant que de venir</l>
              <l> A l’avanture peu commune</l>
              <l> Où mon malheur me donna parti</l>
              <l> Et tu vas voir par quel hazard.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l> Ah ! Compere, je le devine.</l>
              <l> Tu faisois la Beste badine</l>
              <l> Autour de l’aimable Henrica,</l>
              <l> Et comme je me l’imagine,</l>
              <l> Quelqu’autre Beste en fut chagrine,</l>
              <l> D’humeur jalouse se piqua,</l>
              <l>Et d’auprés de la Belle, enfin, te débusqua.</l>
              <l> Voilà tout justement l’affaire.</l>
              <l> Mais, dis-moy, quel autre animal</l>
              <l> Te fut un si fascheux Rival ?</l>
              <l>Fut-ce quelque autre Oiseau qui mieux que toy sceust plaire ?</l>
              <l> Quelque beau chat, quelque beau chien,</l>
              <l> Qui rendit ta Dame infidelle ?</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l> Helas ! je ne me plains pas d’elle,</l>
              <l> Et tu ne devines pas bien.</l>
              <l>Cet Animal, pour te le dire en somme,</l>
              <l>Que je rendis jaloux, ne fut autre qu’un homme.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l> Un homme ! ô Ciel ! que me dis-tu ?</l>
              <l> Un homme jaloux d’une beste !</l>
              <l> Ah ! je ne l’aurois jamais crû.</l>
              <l>Quel bizarre martel dans une humaine teste !</l>
              <l>Mais qui fut le jaloux que ton bonheur choqua ?</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l> Ce fut le Mary d’Henrica.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l>Le Mary d’Henrica ! Le moyen de te croire ?</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l>Tu me croiras quand tu sçauras l’Histoire.</l>
              <l> Cette Dame comme j’ay dit,</l>
              <l>Avoit l’air grand, estoit fort belle.</l>
              <l>De plus, elle estoit jeune, elle avoit de l’esprit,</l>
              <l> Et nulle autre dans tout Madrid</l>
              <l> N’avoit tant de merite qu’elle.</l>
              <l>Faite comme cela, pour donner de l’amour,</l>
              <l>Je te laisse à juger comme elle estoit aimée,</l>
              <l>Entre-autres, un Seigneur des plus grands de la Cour,</l>
              <l>Avant son mariage, en eut l’ame charmée,</l>
              <l> Et sans quelque inégalité</l>
              <l> De biens, de qualité,</l>
              <l>A quoy fut joint une ligue formée</l>
              <l> Contre luy, par la Parenté,</l>
              <l> Il eust d’Henrica, fait sa Femme.</l>
              <l> Mais l’histoire dit que sa flame,</l>
              <l>Quoy qu’elle eust un Epoux, encor longtemps dura ;</l>
              <l>Que l’Epoux bien instruit, en eut l’ame allarmée ;</l>
              <l>  Que son Epouse il resserra,</l>
              <l>Et commit des Argus, enfin, dont la prunelle</l>
              <l> Avec grand soin faisoit la sentinelle,</l>
              <l> De peur que de jour ou de nuit,</l>
              <l> Le Seigneur par l’amour conduit,</l>
              <l> Ne se glissast dans la ruelle</l>
              <l>  De la Belle</l>
              <l>  A petit bruit ;</l>
              <l>Sortoit-elle un moment, il alloit avec elle.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l>Mais quoy, sans fondement agissoit il ainsi ?</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l> Ouy, jaloux dans l’excés sans cause,</l>
              <l> Il avoit tout ce vain soucy,</l>
              <l> Et la Médisance qui glose</l>
              <l>Sur la même pudeur, sans aucune mercy,</l>
              <l>A l’égard de la Belle, eut toujours bouche close.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l>  O le fatal poison</l>
              <l> Que la maudite frenesie</l>
              <l> Que l’on appelle jalousie,</l>
              <l>Qui souvent sans sujet vient broüiller la raison !</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l> Tu le vas encor mieux connoître</l>
              <l> Par la suite de ce recit.</l>
              <l> Ruydez (c’estoit le nom du Maitre)</l>
              <l> Estoit laid, ragot, sans esprit,</l>
              <l> Et d’ailleurs, avancé dans l’âge,</l>
              <l> Son bien qui n’estoit pas petit,</l>
              <l>Faisoit tout son merite &amp; tout son avantage.</l>
              <l> Quand la Nature un homme ainsi bastit,</l>
              <l> Elle luy laisse un penchant à l’ombrage ;</l>
              <l> Et si belle Femme il choisit,</l>
              <l>Il craint presque toujours qu’elle ne soit pas sage,</l>
              <l>Ainsi, quoyque prés d’elle, il tremble dans son lit.</l>
              <l> Ruydez troublé de cette sorte</l>
              <l> Croit voir sans cesse un Suborneur</l>
              <l>Qui caressant son aimable Consorte,</l>
              <l>Fait quelque bréche à son honneur.</l>
              <l>Or le Destin, un jour, permit pour mon malheur</l>
              <l>Qu’allant rêvant à cent fâcheuses choses</l>
              <l> Qui luy chargeoient beaucoup le cœur,</l>
              <l> Il trouve des Metamorphoses.</l>
              <l> Quoy qu’il fust fort petit Lecteur</l>
              <l> D’un bout à l’autre, il les feüillette,</l>
              <l> Et voit comment jadis les Dieux</l>
              <l> Pour tenir leur flame secrete,</l>
              <l> <hi rend="i">Incognitò,</hi> venoient en ces bas lieux,</l>
              <l> Travestis de maniere adrette</l>
              <l>De Jupiter les divers changemens</l>
              <l>En Cygne chez Léda, dans une Tour en pluye</l>
              <l>Luy remplissent le cœur de jaloux mouvemens,</l>
              <l>Il faut que devant luy tout le monde s’enfuye.</l>
              <l>Il va dans ses soupçons jusques à la fureur,</l>
              <l>Il pense qu’un Oiseau peut encor estre un homme.</l>
              <l> Trop prévenu de son erreur,</l>
              <l> L’Amant de sa Femme, il me nomme</l>
              <l> Et dans la Chambre d’Henrica,</l>
              <l> Il entre avec un, Qui va-là ?</l>
              <l> J’étois sur le sein de la Belle,</l>
              <l> Helas ! pour la derniere fois.</l>
              <l> Il se jetta sur moy, sur elle,</l>
              <l> Avec un affreux ton de voix,</l>
              <l>Et d’un fer afilé me blessa dans une aile.</l>
              <l> De mes jours croyant voir la fin,</l>
              <l> Avec un grand cri je m’élance</l>
              <l> Par la fenestre en un jardin,</l>
              <l> Où je fus ramassé soudain</l>
              <l>Par un pauvre Ouvrier, qui là de bonne chance</l>
              <l> Travailloit seul, &amp; m’emporta chez luy.</l>
              <l> O Ciel, quel y fut mon ennuy !</l>
              <l> Je meurs de chagrin quand j’y pense,</l>
              <l> Comme si c’estoit aujourd’huy.</l>
              <l>Le bon homme me mit dans une vieille cage</l>
              <l>De Merle ou Sansonnet, d’Aloüette ou Moineau,</l>
              <l>Sans égard à mon rang, à mon riche plumage,</l>
              <l> Et m’y nourrit de pain &amp; d’eau.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l>Compere, c’estoit là faire un peu penitence</l>
              <l> De tes plaisirs passez.</l>
              <l>Mais quel bonheur n’est pas sujet à l’inconstance.</l>
              <l>Poursui, voila moraliser assez.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l>Chez mon Hoste nouveau je ne demeuray guere.</l>
              <l>Dés que je fus gueri, le chetif Mercenaire</l>
              <l> A la sourdine me vendit.</l>
              <l>Comme je suis assez paré par la nature,</l>
              <l> Que mon babil m’avoit mis en credit,</l>
              <l>Et que la rareté de ma triste avanture</l>
              <l>Faisoit grand bruit par tout ; enfin tout cela fit</l>
              <l> Qu’un jeune Seigneur d’Italie,</l>
              <l> Sur le point de s’en retourner,</l>
              <l>M’acheta cent écus, exprés pour me donner</l>
              <l> A certaine aimable Julie,</l>
              <l> Qui de son cœur estoit l’attrait.</l>
              <l>L’Ouvrier est ravi d’une si bonne aubaine,</l>
              <l> Il me voit partir sans regret,</l>
              <l> Et moy, d’Henrica fort en peine</l>
              <l>Je pars sans de son sort apprendre le secret.</l>
              <l> Je sors de ma vilaine cage.</l>
              <l>Pour me faire agréer mon nouvel esclavage,</l>
              <l>On m’en presente une autre, avec un compliment</l>
              <l> Rempli d’un doucereux langage,</l>
              <l>Que toutefois j’écoute froidement.</l>
              <l>De nouveau sur la mer voila qu’on me promene.</l>
              <l>J’y suis plus agité de mes tristes soucis,</l>
              <l>Que ne l’est le Vaisseau par la vague incertaine,</l>
              <l> Qui de frayeur rend les Nochers transis.</l>
              <l>Nous arrivons à Naple, où demeuroit Julie.</l>
              <l>Le Seigneur qui m’apporte en est tres-bien receu.</l>
              <l>Aucun charmant transport envers luy ne s’oublie,</l>
              <l>Et par ce doux accueil pour l’Epoux on l’eust cru.</l>
              <l> Que dis je ? Non, en Italie,</l>
              <l>Comme depuis ce temps de plusieurs je l’ay sceu,</l>
              <l>Les Maris au retour de leurs plus longs voyages,</l>
              <l>Rarement sont receus par leurs cheres Moitiez</l>
              <l> Avec ces témoignages</l>
              <l>Où brille l’agrément des tendres amitiez.</l>
              <l>Aussi, ce Seigneur-là qui se nommoit Camille,</l>
              <l>N’estoit point de Julie encore le Mary.</l>
              <l>Ce n’estoit qu’un Amant qui s’en croyoit chery,</l>
              <l>Et l’un &amp; l’autre estoient d’une illustre Famille.</l>
              <l> De s’épouser ils estoient prests.</l>
              <l>On attendoit Camille avec impatience.</l>
              <l> Il revenoit en diligence,</l>
              <l> Et l’on faisoit de superbes apprests ;</l>
              <l> Je t’acheveray leur histoire,</l>
              <l>Ainsi qu’elle est écrite en ma memoire,</l>
              <l> Lors que je t’auray dit comment</l>
              <l> Je fus accueilli de Julie.</l>
              <l> Ce fut si favorablement,</l>
              <l>Que sans l’excés de ma mélancolie,</l>
              <l>J’en eusse esté dans le ravissement,</l>
              <l> On luy conte mon avanture,</l>
              <l>  Qui l’étonne beaucoup ;</l>
              <l> Elle voit la marque du coup</l>
              <l> Qui sur mon aile toujours dure.</l>
              <l>Le bruit par tout dans Naple en est semé,</l>
              <l>Le cas paroist tout extraordinaire,</l>
              <l>Jamais Oiseau ne fut tant estimé,</l>
              <l> Et le Phenix imaginaire</l>
              <l> Dans l’Univers n’est point si renommé.</l>
              <l> Si l’on m’eût mis à quelque Foire,</l>
              <l> Ou bien ailleurs, pour me montrer,</l>
              <l>Le peuple pour me voir, ayant sceu mon histoire,</l>
              <l>Eust donné tout l’argent qu’on eust pû desirer.</l>
              <l> Au reste, la Belle Julie</l>
              <l>Connoissant mon chagrin, se plaist à le flater ;</l>
              <l>Mais Henrica m’occupe, &amp; loin que je l’oublie,</l>
              <l> Accablé de mélancolie,</l>
              <l>Sans cesse l’on m’entend Henrica repeter.</l>
              <l>Revenons maintenant à Julie, à Camille.</l>
              <l> C’estoit un Couple fort complet.</l>
              <l>Julie estoit bien faite, &amp; Camille bien fait.</l>
              <l> Quel feu charmant dans leurs yeux brille !</l>
              <l>Ils avoient les cheveux chacun du plus beau blond,</l>
              <l> Le tour du visage un peu long.</l>
              <l>Ils estoient l’un &amp; l’autre aussi de taille riche,</l>
              <l> Et l’esprit ne leur manquoit pas.</l>
              <l>La fortune d’ailleurs ne leur estoit point chiche,</l>
              <l> De leurs Parens on faisoit cas.</l>
              <l>Enfin ils sembloient nez pour estre joints ensemble ;</l>
              <l> Mais que les choses d’icy-bas,</l>
              <l> Sont souvent autres qu’il ne semble !</l>
              <l> Voilà le jour de leur Hymen venu,</l>
              <l> Dont on s’estoit longtemps entretenu.</l>
              <l>L’une &amp; l’autre Famille est pleine d’allegresse.</l>
              <l>Les Epoux, comme on croit, ont tous deux les transports</l>
              <l> Que cause une même tendresse,</l>
              <l> Et l’on juge par ces dehors,</l>
              <l> Que l’Amant comme la Maistresse,</l>
              <l> A les simpatiques ressorts</l>
              <l>Dont dépend l’union des esprits &amp; des corps.</l>
              <l>Cependant quelques mois sont écoulez a peine,</l>
              <l> Que Julie a pour son Epoux</l>
              <l> De grands froids &amp; de grands dégousts,</l>
              <l>Venant, ce disoit-on, d’amoureuse migraine.</l>
              <l>Sur quoy fondé cela ? Sur Henrica, sur moy.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l>Sur Henrica, dis-tu, sur toy ?</l>
              <l>Cela ne se peut. Quelle histoire ?</l>
              <l>Tu veux rire.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l>  Moy, rire ? Non.</l>
              <l> La Belle fait semblant de croire</l>
              <l> Que cette Henrica, dont le nom</l>
              <l>Est si profondément gravé dans ma memoire,</l>
              <l>Et tant de fois mêlé dans mon jargon,</l>
              <l> Est quelque Maistresse jolie</l>
              <l> Que Camille a faite à Madrid.</l>
              <l> Elle ajoûte (quelle folie !)</l>
              <l>Que je suis un present que la Donc luy fit,</l>
              <l>Afin que tous les jours m’entendant parler d’elle,</l>
              <l> Il ait lieu de s’en souvenir.</l>
              <l> Elle conclut qu’il est un infidelle,</l>
              <l>Et que peut-estre même il aura fait venir</l>
              <l> Avec luy cette Belle ;</l>
              <l> Qu’elle est à Naple, &amp; qu’en secret</l>
              <l>Luy parlant chaque jour, il est Amant discret.</l>
              <l>Le pauvre homme est surpris, si jamais on peut l’estre,</l>
              <l> Du ridicule entestement</l>
              <l> Que son Epouse fait paroistre,</l>
              <l>Et ne sçait comment prendre un tel évenement.</l>
              <l> Ce n’est pas l’ordre en Italie,</l>
              <l>Que les Femmes y soient jalouses des Epoux.</l>
              <l> C’est aux Epoux que convient la folie</l>
              <l>D’estre de leurs Moitiez frenetiques jaloux.</l>
              <l> Camille là-dessus rumine,</l>
              <l>Et rumine si bien, ou disons mieux, si mal,</l>
              <l>Qu’il croit que sa Julie, en faisant ainsi mine</l>
              <l>De craindre une Rivale, aime quelque Rival,</l>
              <l>Il fait la guerre à l’œil pour découvrir les causes</l>
              <l>D’un malheur qui l’étonne, &amp; l’étonne à bon droit.</l>
              <l> Il examine toutes choses,</l>
              <l> Et sur le fait enfin il met le doigt ;</l>
              <l> Il découvre le pot aux roses.</l>
              <l> O que le Sexe feminin,</l>
              <l>  A l’ame courbe !</l>
              <l>  Ah, qu’il est fourbe !</l>
              <l>Qu’il a l’esprit hipocrite &amp; malin !</l>
              <l> Cela s’entend dans quelques Femmes.</l>
              <l>Car on sçait bien qu’il est nombre de Dames</l>
              <l> Qui nourrissent des feux constans,</l>
              <l> Et qui malgré les mœurs du temps</l>
              <l> Ne brûlent que de pures flâmes.</l>
              <l>Mais venons à Julie. On eust dit à luy voir</l>
              <l>Cet air que la vertu sur un visage imprime,</l>
              <l> Qu’elle regardoit comme un crime</l>
              <l> Tout ce qui blessoit son devoir.</l>
              <l>Pourtant avec cet air d’une pudeur extrême…</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l>Que vas-tu dire ? Avoit-elle un Amant ?</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l>Ouy, qu’elle aimoit fort tendrement,</l>
              <l> Et qui l’aimoit de même.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l>Les hommes vivent donc comme les Animaux.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l>Ils connoissent moins qu’eux &amp; les biens &amp; les maux.</l>
              <l>On les voit rechercher tout ce qui leur peut nuire ;</l>
              <l>Et s’il estoit des Bestes parmy nous,</l>
              <l>A qui l’usage eust appris l’art d’écrire,</l>
              <l> Nous leur ferions connoistre à tous</l>
              <l>Qu’en Morale mieux qu’eux nous sçavons nous conduire,</l>
              <l> Et qu’ils devroient chez nous s’instruire.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l>C’est ce qu’a dit Moliere, &amp; dans ce qu’il a dit</l>
              <l> Je trouve beaucoup d’apparence.</l>
              <l>Les Bestes ne sont pas si Bestes que l’on pense.</l>
              <l>  Mais poursui ton récit,</l>
              <l>J’ay d’en oüir la fin beaucoup d’impatience.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l>Les yeux qu’éclaire un interest d’honneur,</l>
              <l>Sont bien plus clair-voyans que ceux des Astronomes,</l>
              <l> Et dans les affaires du cœur</l>
              <l>Ils peuvent découvrir jusqu’aux moindres atomes.</l>
              <l> Ainsi Camille observa si bien ceux</l>
              <l> Qui s’approchoient de son Epouse,</l>
              <l> Qu’il découvrit enfin les feux</l>
              <l>  Dont la fausse jalouse,</l>
              <l>Et son Amant, brûloient tous deux.</l>
              <l>De certaines langueurs, de certaines œillades,</l>
              <l>Ordinaires aux gens qui d’amour sont malades,</l>
              <l>  Certains discours déconcertez,</l>
              <l>Un silence parlant mieux que le discours même,</l>
              <l>Tout cela luy donna d’infaillibles clartez,</l>
              <l> Pour voir leur passion extrême.</l>
              <l>Il les fait observer ensuite de fort-prés,</l>
              <l>Par des yeux vigilans qu’il y commet exprés.</l>
              <l>Il gagne par les dons quelques ames venales</l>
              <l>  Des ames de Valets,</l>
              <l>Que le gain tout-puissant peut rendre déloyales,</l>
              <l>Et par elles, il sçait les plus cachez secrets.</l>
              <l>Il n’a plus à douter du malheur de sa teste.</l>
              <l> Un jour qu’on le croioit bien loin,</l>
              <l> Il se posta dans un recoin,</l>
              <l> D’où sans peine il put voir la feste.</l>
              <l> Convaincu par ses propres yeux,</l>
              <l>Ne se possedant plus, de sa niche il s’élance,</l>
              <l> Et par la mort de ce couple odieux,</l>
              <l>A l’aide d’un poignard, satisfait sa vangeance.</l>
              <l> Grand desordre dans la maison.</l>
              <l>Grand bruit dans l’une &amp; dans l’autre famille,</l>
              <l> Mais la Justice avec raison,</l>
              <l> Absout l’infortuné Camille.</l>
              <l>Si l’on pouvoit, sur l’exemple d’autruy,</l>
              <l>  Se rendre sage,</l>
              <l> O qu’il est de fous aujourd’huy</l>
              <l> Qui craindroient un semblable orage !</l>
              <l> Mais il fut &amp; sera toûjours</l>
              <l> Des Amans fous de toute sorte,</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l>A leur dam, Verdelet, à nous, que nous importe</l>
              <l> Qu’il soit tant de folles amours ?</l>
              <l> Acheve viste ton Histoire.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l> Je la termine en peu de mots.</l>
              <l> Effrayé plus qu’on ne peut croire</l>
              <l>Du desastre arrivé que je t’ay dit en gros,</l>
              <l>Comme alors j’estois libre, arrangeant mon plumage,</l>
              <l> Je vole dans le voisinage,</l>
              <l>Où le destin me mit dans les mains d’un François,</l>
              <l> Qui m’a fait faire le voyage</l>
              <l>De Naple dans Paris, &amp; depuis plusieurs mois,</l>
              <l>J’y suis Oiseau Bourgeois, logé dans cette cage,</l>
              <l> Où de la tienne tu me vois.</l>
              <l> Voilà mon histoire finie,</l>
              <l> C’en est le récit tout entier,</l>
              <l> Que t’en semble, Margot, ma mie ?</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l>Ma foy, dans les Romans jamais nul Ecuyer</l>
              <l> Ne conta mieux la vie</l>
              <l> De son Heros avanturier.</l>
              <l> J’ay souvent oüy ma Maistresse</l>
              <l> Lire dans les fades Romans.</l>
              <l>Mais le chagrin me prend, &amp; de longtemps necesse,</l>
              <l>Quand j’entens l’Ecuyer, en discours peu charmans,</l>
              <l> Raconter à perte d’haleine</l>
              <l>Les exploits, les amours &amp; les enchantemens</l>
              <l> De leurs Heros coureurs de prétentaine.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l>Laissons là les Romans, &amp; songe qu’à ton tour</l>
              <l> Tu me dois ton histoire.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l>Ouy, mais c’est trop parler, sans manger &amp; sans boire.</l>
              <l>Pour discourir, nous avons tout le jour.</l>
              <l>N’imitons pas ces Heros de la Fable</l>
              <l>Que les Auteurs nuit &amp; jour font parler</l>
              <l> Et d’un Pays à l’autre aller</l>
              <l>Sans que jamais ils se mettent à table.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l>Je trouve tes avis tres-bons.</l>
              <l>Regalons-nous, mangeons, beuvons.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-05_309" resp="wordpro">
          <head>[Mort de Monsieur de la Bruyere]*</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, mai 1696 [tome 5], p. 309-310.</bibl>
          <p>Il me reste à vous dire qu’il vaque une place à l’Academie Françoise par la mort de M<hi rend="sup">r</hi> de la Bruyere, si connu par son Livre des caracteres de Theophraste. Il avoit foupé avec un appetit extraordinaire, &amp; presque aussitost aprés il tomba en Apoplexie. Il n’eut plus de connoissance, &amp; mourut à deux heures aprés minuit.</p>
        </div>
      </div>
      <div type="tome" xml:id="MG-1696-06">
        <head><hi rend="i">Mercure Galant</hi>, juin 1696 [tome 6]</head>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-06_007" resp="wordpro">
          <head>Eloge de Louis Le Grand</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, juin 1696 [tome 6], p. 7-14.</bibl>
          <p>Je vous ay toujours vû tant de zele pour le Roy, &amp; tant d’ardeur pour sa gloire, que je suis persuadé que ce seroit vous priver d’un fort grand plaisir, que de ne vous pas faire part de l’Eloge que M<hi rend="sup">r</hi> l’Abbé de Fourcroy a fait de cet Auguste Monarque. Tous les Ouvrages que je vous ay envoyez de luy, vous ont convaincuë qu’il pense juste, &amp; qu’il s’explique tres-heureusement sur tout ce qu’il pense.</p>
          <quote>
            <label>ELOGE<lb />DE<lb />LOUIS LE GRAND.</label>
            <p><hi rend="i">Naistre Prince, c’est un pur don de la fortune, mais estre né Roy, &amp; le sçavoir estre par merite, c’est de Roy par fortune se faire Roy par soy-même. Ne reconnoissez-vous pas icy le Portrait de Loüis le Grand, le plus sage &amp; le plus Chrestien des Rois ? En effet, qu’y a-t-il dans cet invincible Monarque qui ne soit digne d’admiration, &amp; au dessus de tous les Eloges ? Parleray je de cette assiduité dans les Conseils, où tout se passe sous ses yeux, de cette sagesse qui tempere le pouvoir des Grands, de cette activité, qui sans troubler son repos, penetre &amp; renverse les desseins de ses Ennemis, de cette valeur qui force tous les obstacles ? Quand je tairois toutes ces choses, pourrois-je oublier cette droiture de cœur qui fait les bons Rois ? Non sans doute ; faire l’Eloge de Louis le Grand, &amp; ne pas dire qu’il donne des exemples immortels d’une équité pure &amp; sans tache, ce seroit luy refuser un honneur qui est préferable à tous les autres. Sa vie n’est employée qu’à étendre &amp; à maintenir les droits &amp; l’Empire de la veritable Religion. Avec quel zele n’a t-il pas banny le Duel &amp; l’Heresie de son Royaume ? Je ne m’étendray ny sur la puissance de ce Prince, ny sur ses prosperitez, mais seulement sur ses vertus personnelles ; car si les avantages de la prosperité se font souhaiter, ceux de la vertu se font admirer. Sa douceur, sa bonté, son courage intrepide, sa pieté solide &amp; son amour pour les interests de l’Eglise, le font respecter de tous ceux pour qui la probité est une vertu. Il est liberal par le seul desir de faire du bien, magnifique sans orgueil, modeste sans affectation, tendre sans foiblesse, &amp; ferme sans dureté. Il se possede si bien, que ny la joye, ny la tristesse, ny la colere n’ont point de pouvoir sur son auguste Personne. Il écoute en Maistre, &amp; il-parle en Pere. S’il promet quelque chose, il s’en souvient toujours pour la donner, &amp; il ne l’accorde que pour l’oublier. On l’approche avec crainte, à cause de cet air majestueux qui luy est si naturel, &amp; on s’en retire avec admiration &amp; avec joye, tant ses manieres sont engageantes. Les Officiers de sa Maison joüissent auprés de luy d’un bonheur parfait. Il les excuse dans leurs fautes comme des hommes ; il les aime comme des amis, &amp; il les comble de bienfaits, comme s’ils estoient toujours dans le besoin. Ce sont toutes ces grandes qualitez qui le rendent le plus heureux Prince du monde ; heureux en Sujets qui luy rendent hommage ; heureux en un Fils qui fait gloire de marcher sur ses pas ; heureux en Petits-fils, qui tâcheront de l’imiter à mesure qu’ils avanceront en âge ; heureux en un Frere qui le respecte &amp; l’admire ; heureux en Princes de son Sang qui font consister toute leur felicité à luy obeir, encore plus par amour que par devoir ; heureux enfin en toutes choses. Puissiez-vous durer encore longtemps pour l’honneur de nostre Histoire, &amp; pour le bonheur des François, glorieuses années de Louïs le Grand ! Ce sont les vœux continuels de toute la France pour un Roy si sage &amp; si Chrestien.</hi></p>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-06_025" resp="wordpro">
          <head>[L’Amour &amp; la Folie, Fable]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, juin 1696 [tome 6], p. 25-31.</bibl>
          <p>Voicy un Ouvrage de Poësie dont vous ne trouverez pas le sujet nouveau, puis qu’il a déja esté traité par plusieurs personnes ; mais il y a des matieres toujours susceptibles de graces nouvelles, selon le tour heureux qu’on leur donne. La Fable qui suit est de ce nombre, &amp; M<hi rend="sup">r</hi> Moreau, Avocat General en la Chambre des Comptes de Dijon, en est l’Auteur. Vous sçavez quel est son talent pour la Poësie, &amp; qu’on en peut tout attendre.</p>
          <quote>
            <label>L’AMOUR ET LA FOLIE.</label>
            <lg>
              <l rend="i">Vn jour le grand Maistre des Cieux,</l>
              <l rend="i">Content d’un amoureux mistere,</l>
              <l rend="i">Et plus joyeux qu’à l’ordinaire,</l>
              <l rend="i">Voulut regaler tous les Dieux.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Il fit préparer l’Ambrosie,</l>
              <l rend="i">Et les mets les plus delicats,</l>
              <l rend="i">Et luy-mesme de ce repas</l>
              <l rend="i">Ordonna la ceremonie.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Par son ordre de tous costez</l>
              <l rend="i">Mercure porta la nouvelle</l>
              <l rend="i">De cette feste solemnelle</l>
              <l rend="i">A toutes les Divinitez.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">D’abord chacun fit sa partie</l>
              <l rend="i">Pour y paroistre des premiers.</l>
              <l rend="i">Les deux qui vinrent les derniers,</l>
              <l rend="i">Furent l’Amour &amp; la Folie.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Pour la feste de ce beau jour</l>
              <l rend="i">Leur presence estoit importante ;</l>
              <l rend="i">Car toute feste est languissante</l>
              <l rend="i">Sans la Folie &amp; sans l’Amour.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Dans une bonne intelligence</l>
              <l rend="i">On les voyoit vivre tous deux,</l>
              <l rend="i">Et mesme on remarquoit entr’eux</l>
              <l rend="i">Vne assez juste ressemblance.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Mais il arriva par malheur</l>
              <l rend="i">Qu’à la porte ils se rencontrerent,</l>
              <l rend="i">Et que tous deux se querellerent,</l>
              <l rend="i">Et mirent le Ciel en rumeur.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Le point d’honneur en fut la cause.</l>
              <l rend="i">L’Amour voulut prendre le pas,</l>
              <l rend="i">Mais l’autre n’y consentit pas,</l>
              <l rend="i">Et prétendit la mesme chose.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Tu n’entreras pas devant moy,</l>
              <l rend="i">Dit l’Amour, d’un ton de colere,</l>
              <l rend="i">Le grand Jupiter est mon Pere,</l>
              <l rend="i">Et tous les Dieux suivent ma loy.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Et moy, repartit la Folie,</l>
              <l rend="i">Moy que tu viens chercher toujours,</l>
              <l rend="i">Que ferois tu sans mon secours,</l>
              <l rend="i">Si je n’estois de la partie ?</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Comme on voit parmy nous souvent</l>
              <l rend="i">Les Prétieuses, les Bourgeoises,</l>
              <l rend="i">Exciter de semblables noises,</l>
              <l rend="i">Pour passer dessus, ou devant.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Aprés les raisons, les injures,</l>
              <l rend="i">Aprés les injures les coups,</l>
              <l rend="i">Puis on met sans dessus dessous</l>
              <l rend="i">Raisons, cornettes &amp; coëffures.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">De la Folie &amp; de l’Amour</l>
              <l rend="i">Telle fut alors la querelle,</l>
              <l rend="i">Qui pour ce dernier fut cruelle,</l>
              <l rend="i">Mais l’autre fit un mauvais tour.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Comme il osa dans sa furie</l>
              <l rend="i">La fraper avec son carquois,</l>
              <l rend="i">Elle à l’instant avec ses doigts</l>
              <l rend="i">Luy creve les yeux, il s’écrie.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Et de toutes parts on entend,</l>
              <l rend="i">A l’aide, au meurtre, on m’assassine,</l>
              <l rend="i">Si fort, que la Troupe Divine</l>
              <l rend="i">Accourut à cet accident.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Jupiter mesme en diligence</l>
              <l rend="i">Y vint, laissant là le regal.</l>
              <l rend="i">L’Amour luy découvrit son mal,</l>
              <l rend="i">Et le pressa pour la vangeance.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">La Folie de son costé,</l>
              <l rend="i">Dit ses raisons pour se défendre,</l>
              <l rend="i">Mais à peine put-on l’entendre,</l>
              <l rend="i">A voir l’Amour si maltraité.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Alors vint certaine Déesse,</l>
              <l rend="i">Que toucha ce malheur nouveau,</l>
              <l rend="i">Sur les yeux luy mettre un bandeau,</l>
              <l rend="i">Luy marquant toute sa tendresse.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Cependant malgré sa douleur</l>
              <l rend="i">Il avoit un parti contraire,</l>
              <l rend="i">Car il n’est si mauvaise affaire</l>
              <l rend="i">Qui ne trouve son défenseur.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Je veux dire qu’en ce rencontre,</l>
              <l rend="i">Comme en tous autres differends,</l>
              <l rend="i">On se partagea sur les rangs,</l>
              <l rend="i">L’un estoit pour, l’autre estoit contre.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Les uns soutenoient que l’Amour</l>
              <l rend="i">Devoit préceder sa partie,</l>
              <l rend="i">D’autres tenant pour la Folie,</l>
              <l rend="i">Condamnoient l’Amour à leur tour.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Enfin, Iupiter en bon Pere</l>
              <l rend="i">Accorda ce long démeslé,</l>
              <l rend="i">Et dit à l’Amour désolé,</l>
              <l rend="i">Ces mots qui finirent l’affaire.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Puis qu’il faut qu’à vivre sans yeux</l>
              <l rend="i">La Folie ainsi te réduise,</l>
              <l rend="i">Je veux qu’en tout temps, en tous lieux,</l>
              <l rend="i">Ce soit elle qui te conduise.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Ainsi dit, ainsi fait, &amp; c’est depuis ce jour</l>
              <l rend="i">Que par tout la Folie accompagne l’Amour.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-06_054" resp="wordpro">
          <head>[Ode de Mademoiselle des Houllieres]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, juin 1696 [tome 6], p. 54-60.</bibl>
          <p>Je vous envoye une Ode d’un tour tres-fin &amp; tres-delicat, &amp; je ne puis vous en donner une idée plus avantageuse, qu’en vous disant qu’elle est de Mademoiselle des Houlieres. Cette illustre Fille d’une Mere qui n’estoit qu’esprit, &amp; qui excelloit dans la Poësie, a herité d’un si beau talent, &amp; donne aux matieres qu’elle traite un tour qui n’est pas commun. Elle a voulu faire voir pourquoy les Belles s’acquierent si peu d’Adorateurs, &amp; que les dégousts que les hommes ont pour elles, ne viennent que du peu de soin qu’elles ont de leur cacher leur foiblesse. Cet Ouvrage merite d’autant plus l’approbation qu’il a receuë d’un grand nombre de Connoisseurs, que les Vers ne sont que de cinq syllabes, ce qui rend les rimes difficiles à trouver.</p>
          <quote>
            <label>ODE.</label>
            <lg>
              <l rend="i">Le plus beau des mois</l>
              <l rend="i">Remplit nostre attente.</l>
              <l rend="i">La terre est riante,</l>
              <l rend="i">Déja dans les Bois</l>
              <l rend="i">Le Rossignol chante :</l>
              <l rend="i">Déja les moutons</l>
              <l rend="i">Paissent les herbettes,</l>
              <l rend="i">Et font mille bonds</l>
              <l rend="i">Au son des Musettes.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Cent objets aimez,</l>
              <l rend="i">Dont la mort trop dure</l>
              <l rend="i">Borna l’avanture,</l>
              <l rend="i">En fleurs transformez</l>
              <l rend="i">Parent la verdure.</l>
              <l rend="i">Vn frais éclatant</l>
              <l rend="i">Sur son teint demeure,</l>
              <l rend="i">Qu’un zephir galant</l>
              <l rend="i">Anime à toute heure.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Le naissant gazon</l>
              <l rend="i">Dans les bois, à l’ombre</l>
              <l rend="i">D’un boccage sombre,</l>
              <l rend="i">Offre à la raison</l>
              <l rend="i">Des perils sans nombre.</l>
              <l rend="i">Le Maistre des cœurs</l>
              <l rend="i">Qui veille sans cesse,</l>
              <l rend="i">Cache sous les fleurs</l>
              <l rend="i">Le trait qui nous blesse.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Mais à quoy vous sert,</l>
              <l rend="i">Pour vous mieux surprendre,</l>
              <l rend="i">Amour, de nous tendre</l>
              <l rend="i">Sur le gazon vert</l>
              <l rend="i">Vn piege si tendre ?</l>
              <l rend="i">Quel est le Berger</l>
              <l rend="i">Qui daigne nous mettre</l>
              <l rend="i">Dans l’affreux danger</l>
              <l rend="i">De luy trop permettre ?</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> En vain tous les jours</l>
              <l rend="i">La Nature appelle</l>
              <l rend="i">La saison nouvelle</l>
              <l rend="i">A vostre secours.</l>
              <l rend="i">Ah, que vous sert elle ?</l>
              <l rend="i">Les seuls animaux,</l>
              <l rend="i">Tout fier que vous estes,</l>
              <l rend="i">Sont dans nos hameaux</l>
              <l rend="i">Vos seules conquestes.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Les brillans appas,</l>
              <l rend="i">Qui dans le belâge</l>
              <l rend="i">Sont nostre partage,</l>
              <l rend="i">Ne nous valent pas</l>
              <l rend="i">Vn seul tendre hommage.</l>
              <l rend="i">Quitte ton carquois,</l>
              <l rend="i">Enfant plein de charmes,</l>
              <l rend="i">A de vains emplois</l>
              <l rend="i">Refuse tes armes.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Pour l’aneantir</l>
              <l rend="i">Replonge le monde</l>
              <l rend="i">Dans la nuit profonde,</l>
              <l rend="i">D’où l’a fait sortir</l>
              <l rend="i">Ton ardeur feconde.</l>
              <l rend="i">Icy, comme ailleurs,</l>
              <l rend="i">Que rien ne s’augmente,</l>
              <l rend="i">Et de nos malheurs</l>
              <l rend="i">Que tout se ressente.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Mais pourquoy crier ?</l>
              <l rend="i">Quel dépit m’anime ?</l>
              <l rend="i">Eh ! quoy donc sans crime</l>
              <l rend="i">L’Vnivers entier</l>
              <l rend="i">Seroit ta victime !</l>
              <l rend="i">Ouy, ce n’est qu’à nous,</l>
              <l rend="i">Foibles que nous sommes,</l>
              <l rend="i">Qu’on doit les dégousts</l>
              <l rend="i">Qu’ont pour nous les hommes.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Lors que la pudeur</l>
              <l rend="i">Sans qui la tendresse</l>
              <l rend="i">Détruit la sagesse,</l>
              <l rend="i">Cachoit au vainqueur</l>
              <l rend="i">Vn peu de foiblesse,</l>
              <l rend="i">Cent &amp; cent Autels</l>
              <l rend="i">S’érigeoient aux Belles,</l>
              <l rend="i">Et sur les Mortels</l>
              <l rend="i">Tu regnois par elles.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-06_158" resp="wordpro">
          <head>Suite du Dialogue historique et moral du Perroquet &amp; de la Pie</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, juin 1696 [tome 6], p. 158-178.</bibl>
          <p>Sur la fin du Dialogue que je vous envoyay le mois passé, de deux Oiseaux babillards, la Pie promettoit au Perroquet de luy raconter ses avantures. M<hi rend="sup">r</hi> Robinet, qui en est l’Auteur, luy a fait tenir parole, &amp; c’est un recit que vous prendrez plaisir à entendre.</p>
          <quote>
            <label>SUITE DU DIALOGUE<lb />HISTORIQUE ET MORAL<lb />Du Perroquet &amp; de la Pie.</label>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l>Ouvre l’oreille, Perroquet.</l>
              <l>Je suis preste à te satisfaire.</l>
              <l> Je viens d’affiler mon caquet</l>
              <l>Dans le petit repas qu’exprés j’ay voulu faire.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l>Je suis pareillement tout prest à t’écouter,</l>
              <l> Et pour te donner audience,</l>
              <l>Sans que mes intestins puissent m’inquiéter,</l>
              <l> Je les ay remplis d’importance.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l> Je te parois ce que je ne suis pas.</l>
              <l> On ne doit point en croire ma figure.</l>
              <l>De cette verité toy-mesme jugeras</l>
              <l>Quand ie t’auray fait part d’une étrange avanture.</l>
              <l>Tous mes Parens estoient du noble Genre humain,</l>
              <l> Et du temps des Metamorphoses,</l>
              <l>Où des Dieux ce dit-on, le pouvoir souverain,</l>
              <l>Ainsi qu’il leur plaisoit, changeoit soudain les choses.</l>
              <l>En ce temps-là vivoit un certain Pierus,</l>
              <l>Quoy que d’un sang commun, riche comme un Ciésus.</l>
              <l>Epoux d’une Evippé, Femme à tel point feconde</l>
              <l> Que l’on ne pouvoit l’estre plus.</l>
              <l> Elle mit neuf Filles au monde,</l>
              <l>Qui se piquoient de sçavoir bien chanter.</l>
              <l>Leur orgueil devint tel qu’elles eurent l’audace,</l>
              <l> En un beau jour de disputer</l>
              <l>Le Prix du Chant aux Filles du Parnasse.</l>
              <l> Que cet orgueil leur dut coûter !</l>
              <l>Neuf Mortelles, comment ! attaquer neuf Déesses !</l>
              <l>Mieux auroient-elles fait d’irriter neuf Tygresses.</l>
              <l>Chez les Mortels, le Sexe est fort vindicatif ;</l>
              <l>Mais chez les Dieux, il l’est bien davantage,</l>
              <l> Et son couroux peut faire outrage</l>
              <l> Dans le degré superlatif,</l>
              <l>De ces trop fiéres Sœurs, en les traitant d’impies,</l>
              <l> Les neuf Muses firent neuf Pies.</l>
              <l> Peut-on voir un sort plus chetif ?</l>
              <l>D’un corps comme le mien, d’un semblable plumage,</l>
              <l>On revestit chacune ; &amp; pour les mieux railler,</l>
              <l>On changea leur discours en ce rude ramage</l>
              <l>Où du gozier souvent on m’entend piailler,</l>
              <l> Incommodant le voisinage.</l>
              <l>On leur laissa l’humeur de babiller</l>
              <l>Que leur donna la Nature en partage.</l>
              <l>Aussi-tost dans les Bois, on les vit s’envoler</l>
              <l> Pour vivre là, d’un air sauvage.</l>
              <l>Cette punition doit apprendre, à mon sens,</l>
              <l>Qu’il est tres dangereux de s’attaquer aux Grands,</l>
              <l>Mais qui s’attaque aux Dieux court plus grand risque encore.</l>
              <l> C’est une noire impieté,</l>
              <l>Et qui l’ose commettre, en devinst-il Pécore,</l>
              <l>Reçoit un chastiment qu’il a bien merité.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l> Ho, ho ! Margot, ma chere Pie,</l>
              <l> Est-ce à toy de moraliser ?</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l>Comme je te l’ay dit, à mon lignage impie</l>
              <l>La faculté resta de sçavoir bien jaser,</l>
              <l>Et sa Posterité jusqu’à moy la conserve.</l>
              <l> C’est le Poëte Martial,</l>
              <l> De qui si piquante est la verve,</l>
              <l> Qui le dit, &amp; ne dit pas mal.</l>
              <l> Il ajoûte qu’à nous entendre</l>
              <l> Parler si délibérément,</l>
              <l>A moins que de nous voir, on ne pourroit comprendre</l>
              <l>Que nous fussions Oiseaux.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l>  Il a raison, vraiment.</l>
              <l>Tu viens-là de m’apprendre une assez belle histoire,</l>
              <l> Et sur ta foy, je la veux croire.</l>
              <l> Je ne sçay si les Perroquets</l>
              <l>Ont par metamorphose autrefois esté faits,</l>
              <l> A te dire le vray, j’en doute.</l>
              <l>Mais qu’importe ? reprens ton sujet, je t’écoute.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l>Tu vois que sans le sort du sang de Piérus,</l>
              <l>Dont la fecondité s’est par tout répanduë,</l>
              <l> Et dont il faut que je sois descenduë,</l>
              <l>J’aurois peut-estre esté de ces Objets pourvûs</l>
              <l>Des appas tout-puissans dont les cœurs sont vaincus.</l>
              <l> Cela s’entend, quelque Fille charmante.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l>Egrillarde sur tout, &amp; mesme trop allante.</l>
              <l>Les Amans dont pour toy le cœur auroit pris feu,</l>
              <l>Auroient en vain tâché de te rendre constante ;</l>
              <l> Tu leur aurois joüé beau jeu.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l> Bon, bon, Perroquet, tu veux rire.</l>
              <l> De tout ce que je viens de dire,</l>
              <l> Je ne te cautionne rien.</l>
              <l>C’est ainsi que je l’ay souvent en du lire,</l>
              <l> Et je m’en ressouviens tres-bien.</l>
              <l>Ecoute maintenant ce qu’avec certitude</l>
              <l>Je puis te garantir estre une verité.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l> Dy, mais supprime le prélude</l>
              <l> Qui n’est d’aucune utilité.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l>Tu sçauras donc qu’encor que si bien je caquette,</l>
              <l>Je ne suis qu’un Enfant, &amp; presqu’à la bavette.</l>
              <l> Je n’ay qu’un an au plus, &amp; l’on m’a toujours dit</l>
              <l>Qu’on vint me dénicher dans le Bois de Vincenne,</l>
              <l> Où Pierre, Martin, ou David,</l>
              <l>Selon l’Adage, issu de caboche bien saine,</l>
              <l> Trouva pour lors la Pie au nid.</l>
              <l> J’avois dans ce nid Sœur &amp; Frere,</l>
              <l> Et nostre Pere &amp; nostre Mere</l>
              <l>Firent tous leurs efforts, mais inutilement,</l>
              <l> Pour empêcher l’enlevement</l>
              <l> De leur prétieuse couvée,</l>
              <l> Qui fut de la sorte enlevée.</l>
              <l>Je crois cela du moins conjecturalement,</l>
              <l>Car je ne voyois goute en cet évenement.</l>
              <l>Quelqu’un de ce Logis chez l’Oiseleur m’achete,</l>
              <l> Et me nourrit à la brochette.</l>
              <l> C’est des Oiseleurs le jargon,</l>
              <l>Qui veut dire donner à l’oiseau nourriçon,</l>
              <l>Comme je l’ay depuis appris d’un Interprete,</l>
              <l>De l’aliment au bout d’un fort menu bâton.</l>
              <l>Quand je fus parvenuë à l’âge d’être instruite,</l>
              <l> On me fit leçon sur leçon,</l>
              <l>Dont je retins bien mieux le mauvais que le bon.</l>
              <l> Je fus espiegle dans la suite.</l>
              <l> Je pris &amp; prens plaisir encor,</l>
              <l>A dire aux Passans des injures</l>
              <l> Et quand je puis prendre l’essor,</l>
              <l> J’applique mon bec aux captures.</l>
              <l>Je vole or, argent, fil, laine, aiguilles, lassets,</l>
              <l> Et les magasins que j’en fais</l>
              <l>Sont en des lieux cachez, dont point je ne me vante,</l>
              <l>Je laisse de mes vols soupçonner les Valets,</l>
              <l>  Et la Servante.</l>
              <l> On les accuse, &amp; moy j’en ris aprés.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l>Hé quoy, ton penchant donc, est d’estre larronnesse ?</l>
              <l>Oh, tu fais-là, vraiment, un honneste métier !</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l>Plusieurs y font gagner tous les jours le Cordier.</l>
              <l>Mais c’est pour de grands vols, les miens sont tours d’adresse.</l>
              <l>Ce sont simples jeux d’un Oiseau ;</l>
              <l> Des passe-temps, des bagatelles,</l>
              <l>Qui n’ont rien de fort laid, non plus que de fort beau,</l>
              <l>Et qui sont moins pour moy, que fautes venielles.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l> Quand tu voles, tu t’ébaudis ;</l>
              <l> Mais les injures que tu dis ?</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l>En vain sur ces sujets tu prétens me confondre.</l>
              <l> Il m’est aisé de te répondre</l>
              <l>Touchant ma médisance, &amp; touchant mes larcins.</l>
              <l> Je péche, mais sur les exemples.</l>
              <l> J’en ay tous les jours de trop amples,</l>
              <l> Et tous les quartiers en sont pleins.</l>
              <l> Combien de laides &amp; de belles,</l>
              <l> Combien de Dames à carreau</l>
              <l>Distilent tous les jours de leur malin cerveau,</l>
              <l> Des médisances criminelles,</l>
              <l>Et par chaque parole arrachant un lambeau</l>
              <l> De l’honneur de tels &amp; de telles ?</l>
              <l> Combien de vilains Usuriers</l>
              <l> Font des vols indignes de grace,</l>
              <l>Faisant, pour devenir de monstrueux Rentiers,</l>
              <l> De toutes parts arborer la besace ?</l>
              <l> Sans sortir de cette maison</l>
              <l>(Parlons bas, car souvent les murs ont des oreilles)</l>
              <l>La Maistresse qui fut une Dame Alizon,</l>
              <l>Et qui n’a point en luxe aujourd’huy de pareilles,</l>
              <l>Discourt à tous momens, &amp; du tiers &amp; du quart,</l>
              <l> Et de chacun l’honneur déchire.</l>
              <l>C’est à force d’oüir son bec si goguenard</l>
              <l> Que je m’accoutume à médire.</l>
              <l> Le Maistre est un Fesse-Mathieu</l>
              <l> Qui n’est riche que de rapines,</l>
              <l> Et qui n’auroit ny feu ny lieu,</l>
              <l> Sans les usuraires machines.</l>
              <l>Je ne puis dérober que des colifichets,</l>
              <l>Mais sans croire pécher contre les loix divines,</l>
              <l>Si je pouvois voler au gré de mes souhaits,</l>
              <l>Contre luy dans cet art je ferois maints projets</l>
              <l> Qui sur son bien rabatroient grosse somme,</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l>Songes-tu bien, Margot, à ce que tu me dis ?</l>
              <l>Nôtre Maître est un Gentilhomme</l>
              <l> Qui descend des preux Amadis,</l>
              <l>  Si celebres jadis.</l>
              <l>Il le disoit l’autre jour à sa table,</l>
              <l> Et comme moy tu l’entendis.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l> Ouy, mais c’est une pure Fable.</l>
              <l>Un Monsieur qui pour lors dînoit avecque luy,</l>
              <l> Remarqua qu’un nombre innombrable</l>
              <l> De francs vilains sont nobles aujourd’huy,</l>
              <l>De qui tous les Parens furent de bas lignage,</l>
              <l> Chausse-guestres, Gagne-petits,</l>
              <l>Qu’en Marquis, qu’en Barons, &amp; gens d’un haut étage</l>
              <l>Ils ont, pour s’illustrer, à plaisir travestis</l>
              <l>Par le secours venal d’un Genealogiste.</l>
              <l>Qui donnant un faux lustre à tous ces escargots,</l>
              <l> Les fait descendre, dans sa liste,</l>
              <l> De la côte des grands Heros.</l>
              <l>Ne te souvient-il pas qu’il dit toutes ces choses,</l>
              <l> Et qu’il rioit de tout son cœur</l>
              <l> De ces sortes metamorphoses</l>
              <l>Qui d’un Faquin, font un riche Seigneur ?</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l> Je m’en souviens, &amp; mesme du bon conte.</l>
              <l> Que l’on fit d’un plaisant Marquis,</l>
              <l> Et d’un tres-ridicule Comte,</l>
              <l>Qui, pour bien soutenir ces deux titres exquis,</l>
              <l>N’avoient point d’autres Fiefs que de vieilles ruines,</l>
              <l> Où les Choüettes, les Hiboux,</l>
              <l>Les Limaces, les Rats, &amp; mille autres vermines,</l>
              <l> Avoient leurs dignes rendez-vous,</l>
              <l>Si bien que des gaillards, qui faisoient les peintures</l>
              <l> De gens de semblable renom,</l>
              <l>Et qui nommoient les choses par leur nom,</l>
              <l>Les appelloient le Comte &amp; Marquis des Mazures.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l>Oh, de semblables Nobles faux,</l>
              <l> Qu’il est en effet un grand nombre,</l>
              <l>Et combien on en voit qui par mille défauts</l>
              <l>Rendent encor leur roture plus sombre !</l>
              <l> Pour revenir à ceux d’icy,</l>
              <l> Nostre Maître &amp; nostre Maîtresse,</l>
              <l> J’en ay souvent oüy dire cecy</l>
              <l> A leurs Valets, Gille &amp; Lucrece ;</l>
              <l> Que l’Epoux &amp; l’Epouse aussi</l>
              <l> Estoient d’une vile naissance ;</l>
              <l> Qu’un Pere, fameux Usurier,</l>
              <l> Dont ils sont toujours le métier,</l>
              <l>Les avoit par ses vols laissez dans l’opulence.</l>
              <l>Et qu’on le regardoit par tout dans son quartier,</l>
              <l> Comme un homme sans conscience,</l>
              <l>Qui voudroit, s’il pouvoit, voler le monde entier.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l> Je suis surpris de ta Satyre,</l>
              <l> Et je trouve fort à redire</l>
              <l> Que tu parles si franchement</l>
              <l> Et du Maistre &amp; de la Maistresse,</l>
              <l>Qui t’ont fait élever chez eux soigneusement.</l>
              <l> Je condamne pareillement</l>
              <l>  Gille &amp; Lucrece,</l>
              <l>De s’en entretenir si peu discretement ;</l>
              <l> Car il faut toujours qu’on honore</l>
              <l> Ceux de qui l’on mange le pain.</l>
              <l>Je ne suis qu’un Oiseau, c’est-à-dire pécore,</l>
              <l> Mais mon sentiment n’est point vain</l>
              <l>Le <hi rend="i">Decorum</hi> se doit garder en toute chose.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l> Tu fais l’important, je le voy.</l>
              <l> Corrige toutefois ta glose.</l>
              <l>Lorsque nous médisons, Gille, Lucrece, &amp; moy,</l>
              <l> Ce n’est pas à tort &amp; sans cause,</l>
              <l> Car tu vois assez comme quoy</l>
              <l>On nous fait chaque jour un chétif ordinaire.</l>
              <l>Nous n’avons bien souvent que du pain &amp; de l’eau.</l>
              <l>Des jours maigres &amp; gras, c’est la meilleure chere,</l>
              <l>Et si par grand hazard on fait quelque cadeau,</l>
              <l>Nous n’avons entre nous nulle part au gâteau.</l>
              <l>  Dailleurs Gille &amp; Lucrece</l>
              <l> Sont chaque jour, ou battus, ou criez,</l>
              <l> Par le Maistre ou par la Maîtresse,</l>
              <l> Et qui pis est, tres-mal payez.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE PERROQUET.</label>
              <l>Voilà bien des griefs, à moins on peut se plaindre,</l>
              <l> Je ne te condamne plus tant.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA PIE.</label>
              <l> On peut même sans se contraindre,</l>
              <l> Pester contre eux tambour battant.</l>
              <l> Hé ! comment pourroit-on se taire ?</l>
              <l> Remarques-tu qu’on nous loge tous deux</l>
              <l> Dans des cages d’oiseaux poüilleux,</l>
              <l> Et qui n’ont rien de propre à plaire ?</l>
              <l> N’en dire rien est une grande affaire.</l>
              <l> En nous la Satyre prend feu,</l>
              <l>Lors que l’on est piqué, comme l’on dit, au jeu.</l>
              <l>Taisons-nous neanmoins, ou changeons de ramage.</l>
              <l> Jentens nostre train revenir.</l>
              <l> Ah ! foin, que c’est un grand dommage</l>
              <l> De ne pouvoir s’entretenir</l>
              <l> Sur un tel sujet davantage !</l>
              <l> Là, là, quelque jour reviendra,</l>
              <l> Où tout le reste se dira.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-06_301" resp="wordpro">
          <head>[Députation de l’Academie Françoise]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, juin 1696 [tome 6], p. 301-305.</bibl>
          <p>Les derniers jours du mois passé, l’Academie Françoise complimenta M<hi rend="sup">r</hi> le Duc de Richelieu, sur la naissance du Duc de Fronsac, son Fils. M<hi rend="sup">r</hi> Charpentier, Doyen &amp; Chancelier de la Compagnie, &amp; M<hi rend="sup">r</hi> l’Abbé Testu, furent chargez de ce compliment, &amp; de presenter en même temps à ce Duc un exemplaire du Dictionnaire de l’Academie Françoise, ce qui fut receu avec beaucoup de ressentiment. M<hi rend="sup">r</hi> Charpentier, qui portoit la parole, luy dit en substance : <hi rend="i">Qu’encore que le nom de Richelieu ne pust jamais finir, &amp; que ce fust un de ces noms celebres qui n’ont plus rien à craindre de la vicissitude des choses humaines, neanmoins on ne pouvoit s’empêcher de se réjoüir quand on voyoit naistre des heritiers de ce grand nom, &amp; qu’on voyoit éclore de nouvelles fleurs de cette tige immortelle ; Que le glorieux ministere du Cardinal de Richelieu, &amp; son zele infatigable pour le service de son Prince &amp; de sa Patrie, avoient merité cet attachement universel aux interests de sa Maison. Que l’Academie Françoîse qui a une relation plus étroite avec ce grand Cardinal, qu’aucune autre Compagnie du Royaume, se faisoit un sujet de joye tout particulier de voir revivre le sang de cet homme incomparable en la personne de ce noble Enfant qui vient de naistre. Qu’elle les avoit chargez de l’en venir feliciter &amp; en même temps de luy offrir ce fruit de ses veilles si longtemps attendu, &amp; qu’ils luy presentoient non seulement de la part de cette Compagnie, mais encore de la part &amp; au nom de ce fameux Cardinal. Que c’estoit un Ouvrage dont il avoit donné le Plan ; que c’estoit sur ses idées qu’on avoit travaillé, &amp; que l’Academie auroit sujet de s’estimer heureuse, si elle avoit sceu profiter de ses lumieres, &amp; si dans la poursuite d’un dessein si vaste, elle ne s’estoit point éloignée des routes qu’il luy avoit tracées.</hi></p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-06_305" resp="wordpro">
          <head>[Réponse au Critique du Dictionnaire de l’Academie]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, juin 1696 [tome 6], p. 305-307.</bibl>
          <p>Je ne suis pas étonné que la Critique que l’on a faite du Dictionnaire de l’Academie n’ait fait nulle impression sur vostre esprit. L’Auteur l’attaque par de si foibles endroits, que si cette Compagnie n’y trouvoit autre chose à reformer, elle ne s’appliqueroit pas, comme elle fait, à revoir ce grand Ouvrage. Cependant, M<hi rend="sup">r</hi> Millement de Messange n’a pû laisser cette Critique sans y faire une réponse, qu’il presenta le 28. du mois passe à tous ceux de l’Academie, qui, ce jour-là, composérent l’Assemblée. La substance de son Compliment fut, qu’il luy estoit glorieux d’avoir trouvé une occasion de marquer son zele à ce Corps illustre, &amp; que ce qu’il venoit de donner au Public n’estoit que la premiere partie de sa Réponse ; qu’il employeroit ses soins pour faire que la seconde fust plus digne des personnes pour qui il avoit l’honneur de parler ; qu’il avoit fait ce qu’il avoit pû pour se retenir sur leurs loüanges, &amp; qu’il avoit eu plus d’égard à leur modestie qu’à leur merite. Ce Compliment fut reçû avec beaucoup d’honnesteté, &amp; M<hi rend="sup">r</hi> Dacier, alors Directeur, remercia M<hi rend="sup">r</hi> de Messange au nom de la Compagnie. Cette Réponse est divisée en cinquante Articles dont les uns font voir que tous les caracteres d’une mauvaise Critique se trouvent dans celle du Dictionnaire de l’Academie, &amp; les autres sont des Remarques sur une partie des choses que contient cette Critique. On la trouve chez le sieur Pierre Ballard, ruë Saint Jacques, à Sainte Cecile.</p>
        </div>
      </div>
      <div type="tome" xml:id="MG-1696-07">
        <head><hi rend="i">Mercure Galant</hi>, juillet 1696 [tome 7]</head>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-07_007" resp="wordpro">
          <head>[Prélude]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, juillet 1696 [tome 7],  p. 7-9.</bibl>
          <p>Jamais Monarque n’a esté si égal en tout que le Roy. Il a toujours aimé la justice jusqu’à décider souvent contre luy-même, &amp; en tout temps il a soutenu avec éclat les qualitez merveilleuses qui le distinguent de tous les autres Souverains, toujours sage par ses Ordonnances, toujours prudent dans ses entreprises, toujours aussi honneste homme que grand Roy, &amp; toujours affable sans descendre de la majesté que luy doit donner l’élevation du Trône qu’il remplit si dignement. C’est sur cette égalité qui ne peut estre assez admirée, que M<hi rend="sup">r</hi> Magnin, Conseiller au Siege Présidial de Mâcon, a fait une Devise, dont le Soleil est le corps, &amp; qui a ces mots pour ame, <hi rend="i">Æterni numinis Index.</hi></p>
          <p>On les a expliquez par ces quatre Vers.</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i">Images de celuy qui ne change jamais,</l>
              <l rend="i">Loüis &amp; le Soleil, dans leur grandeur suprême,</l>
              <l rend="i">Pleins de la majesté du Dieu qui les a faits,</l>
              <l rend="i">Et regneront toujours, &amp; brilleront de même.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-07_038" resp="mercure">
          <head>[Reception de M. l'Evêque de Chalons]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, juillet 1696 [tome 7],  p. 38-64.</bibl>
          <p/>
          <p>Je vous ay marqué dans ma derniere Lettre que Messire Jean-Baptiste-Louis-Gaston de Noailles, Evêque &amp; Comte de Châlons, Pair de France, y avoit été reçû avec des acclamations extraordinaires. On ne doit pas en estre surpris. Son nom y est devenu si cher dans la personne de Mr l'Archevêque de Paris son frere, qu'on ne sçauroit exprimer les applaudissemens &amp; les témoignages d'amour &amp; de respect que tous les Peuples de ce Diocese ont fait paroître à sa reception. Ce Prelat est aussi tres-recommandable par luy-même, d'avoir à l'âge de vingt-sept ans une pieté &amp; une doctrine consommée ; &amp; mille autres qualitez peu communes, qui l'ont rendu digne des bien-faits de Sa Majesté, qui ne veille pas moins aux besoins de l'Eglise par la qualité de Roy tres-Chrestien, en luy donnant des Evesques capables de la bien gouverner, qu'à la gloire de son Empire, par celle du plus grand Heros de la terre. L'abondance de la matiere ne m'ayant pas permis alors d'entrer dans le détail des circonstances de cette reception, je vous diray aujourd'huy que le 7. du mois passé, le Chapitre de Châlons ayant appris que ce Prelat devoit arriver le lendemain, députa Mr Laigneau, Grand Archidiacre, Mr de S. Remy, Archidiacre d'Astenay, Mr de Létache &amp; Mr de Bar, Chanoines, pour l'aller complimenter à l'entrée du Diocese ; &amp; de la part de la Ville, Mr de Cuissotte, premier Echevin, &amp; Mr Bougier, Echevin, &amp; Conseiller au Presidial, furent aussi députez pour luy aller faire un semblable compliment. Le 8. qui fut le jour qu'il entra, on mit toute la Bourgeoise sous les armes. Les Boutiques furent fermées, &amp; les chemins par où il devoit passer, couverts d'une infinité de personnes de toutes conditions &amp; de tous âges, qui allérent au devant de luy. La Porte par où ce Prelat devoit passer, fut entiérement couverte d'un dessein de Portique de l'Ordonnance Toscane, pris du Sçavant Vignole, &amp; peint par le sieur Aubert, dans un si bon ordre, tant de la Peinture, que de l'Architecture, que cela faisoit un relief admirable. Dans le couronnement qui composoit le principal ceintre, on avoit representé les Armes de la Maison de Noailles. [...]</p>
          <p>Cependant Mr de Châlons estoit attendu de son Peuple avec impatience, &amp; il arriva environ à quatre heures du soir, accompagné de Mr le grand Prevost qui avoit esté au devant de luy à la teste de ses Archers, &amp; de quantité de jeunesse à cheval. Il passa à travers la Bourgeoisie qui estoit restée pour border les ruës, depuis l'extremité du Faubourg, jusqu'au Palais Episcopal. Son Carosse s'arresta devant l'Eglise de Saint Sulpice, où ce Prelat entra pour se revestir de ses habits Pontificaux, après avoir oüi un Discours du Curé de cette Paroisse. Pendant ces ceremonies, tout le Clergé, tous les Ordres Religieux vinrent en Chappe au devant de luy jusques à cette Paroisse de Saint Sulpice, d'où il sortit sous un Dais magnifique, &amp; remplissant de mille benedictions son Peuple, qui le benissoit dans son coeur, il vint dans la Cathedrale, où aprés avoir prêté le serment, il fut harangué [...] au grand Portail de cette Eglise, par Mr l'Abbé Laigneau, Docteur de Sorbonne, &amp; digne Chef de son Chapitre. [...]</p>
          <p>Ce Prelat répondit fort doctement &amp; avec une grace qui fit sentir dans le coeur de tous ceux qui l'écoutérent, des mouvemens secrets d'estime &amp; d'inclination, en mesme temps qu'elle imprimoit un profond respect. Aprés cela il fut introduit &amp; installé par Mr le Doyen à la teste du Chapitre, dans la forme que l'on a coûtume d'observer en de pareilles occasions ; ensuite de quoy il entonna le Te Deum, qui fut chanté par la Musique. Il fut conduit dans son Palais Episcopal, par le Chapitre, au nom duquel Mr le Doyen luy fit encore un compliment. Il y reçut aussi ceux de tous les Corps de la Ville, de Mr de Vaugency, Lieutenant General du Presidial à la teste de sa Compagnie ; de Mr du Sorton, President des Tresoriers de France, de Messieurs les Elûs, de Mr de Letrées à la teste des Echevins &amp; Conseillers de la Ville. [...]</p>
          <p>Le 19. du même mois, Mr l'Evêque de Châlons alla au College des Jesuites, où il assista à la representation d'une Piece de Theatre, que l'on avoit préparée pour marquer la joye que toute la Ville ressentoit de ce que le Roy luy avoit donné la conduite de ce Diocese. Cette Piece estoit divisée en trois parties, avec autant de Concerts de Musique que l'on y avoit entremeslez. Le premier de ces Concerts exprimoit les regrets de plusieurs Bergers, sur l'absence d'un Sacificateur [sic] qu'on leur avoit enlevé. Le second faisoit parler ces mêmes Bergers à l'Echo, qui leur répondoit favorablement, &amp; le troisième estoit un Dialogue entre eux &amp; le Dieu Pan, qui leur accordoit un Protecteur. La Musique &amp; les Simphonies estoient de la composition de Mr Bouteiller, Parisien, Maistre de Musique de la Cathedrale de Chalons. Plusieurs Devises servoient à la décoration du Theatre, &amp; elles estoient disposées sur les deux faces. Dans l'une estoient celles qui regardoient les personnes de la Maison de Noailles les plus distinguées par leurs Dignitez Ecclesiastiques.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-07_080" resp="wordpro">
          <head>[Lettre sur un Passage de Terence]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, juillet 1696 [tome 7],  p. 80-97.</bibl>
          <p>On seroit bien-aise de sçavoir le sentiment des Sçavans sur un passage de Terence, qui fait le sujet de la Lettre que vous allez lire.</p>
          <quote>
            <p><hi rend="i">J’ay lû, Monsieur, avec plaisir dans le Mercure d’Avril dernier, l’explication d’un passage du premier livre de l’Eneide, &amp; suis bien-aise qu’on ait enfin pris cette voye pour se proposer les difficultez qui se rencontrent en certains autres passages des Anciens. Ce sera un moyen de plaire &amp; d’instruire en mesme temps. Pour imiter celuy qui vient de nous donner ses conjectures sur les deux Vers de Virgile, rapportez dans ce Mercure, voicy un passage de Terence qui a bien moins encore esté entendu jusqu’à present. Il est dans la premiere Scene du second Acte de Phormion</hi>. Nil suave meritum est.</p>
            <p><hi rend="i">Toute l’obscurité qu’on y trouve regarde le verbe</hi> meritum est. <hi rend="i">On a prétendu la résoudre dans les Nouvelles de la Republique des Lettres, du mois de Février 1687. en disant que</hi> mereri <hi rend="i">signifie</hi> gagner. <hi rend="i">Ce passage donc signifieroit</hi>, on n’a rien gagné de bon, <hi rend="i">sçavoir, à faire des noces, parce que ces paroles qu’on lit un peu auparavant</hi>, non, non sic futurum est, non potest, <hi rend="i">s’entendent des noces. Mais ce n’est pas seulement à ces paroles qu’il faut rapporter ce passage de Terence, mais aussi à ce qui précede immediatement</hi>. Egon’ illam cum illo ut patiar nuptam unum diem ? <hi rend="i">Vous verrez dans la suite, Monsieur, que l’usage de la Latinité le demande. Ainsi je ne vois pas que</hi> nil suave meritum est <hi rend="i">puisse signifier</hi>, on n’a rien gagné de bon à faire ces Noces.</p>
            <p><hi rend="i">Je m’estois autrefois déterminé au sentiment de ceux qui ont cru qu’il y avoit dans l’original</hi>, nihil suave meritu’ est, <hi rend="i">pour</hi> nihil suave meritus est, <hi rend="i">&amp; que ce qu’on lit autrement dans les Manuscrits, n’estoit qu’un effet de l’ignorance des Copistes. Cette conjecture ne repugnant ny à la maniere d’écrire des Anciens, ny à la mesure des Vers ; &amp; d’ailleurs presentant un sens assez naturel, je fus autrefois d’autant plus disposé à la suivre, qu’elle dissipoit tout coup d’un toute l’obscurité, que Mrs de Port Royal, &amp; les autres, ont trouvée dans ce passage ; mais tout bien consideré, c’est faire au regard de cette difficulté, ce que fit Alexandre à l’égard du Nœud. Gordien, &amp; je ne crois pas qu’il soit permis à Mrs les Critiques, quand un passage les arreste, de supposer pour certaines leurs conjectures contre le témoignage de tous les exemplaires. Il faudroit au moins pour cela qu’il fût autrement entierement impossible d’y donner un bon sens, ce qui ne se peut pas dire du passage en question.</hi></p>
            <p><hi rend="i">Le fameux M<hi rend="sup">r</hi> le Févre rapporte icy deux endroits de Plaute, dont le premier est</hi>, in Pænul. Act. 1. Sc. 3. Ut non ego te hodie emittam manu, non meream quantum aquæ in mari, neque nubis quantum, neque quot stellæ in cœlo, neque hoc, neque illud. <hi rend="i">L’autre passage, dont il ne marque pas précisément le lieu, porte</hi>. Neque nodie, ut te perdam, meream Deûm divitias mihi. <hi rend="i">D’où il infere que</hi> nihil suave meritum est, <hi rend="i">se doit ainsi expliquer</hi>. Quidquid possum merere, quidquid à me mereri potest, quæcumque ad me utilitas ex tolerantia mea redire queat, totum id respuam, &amp; longè asperner, illam ut cum illo nuptam vel unum patiar diem, nolim Deûm immortalitatem merere. <hi rend="i">Aprés quoy il conclut</hi>, &amp; hæc ad locum Terentii satis difficilem, sed qui, ut spero, nihil posthac habebit quod lectorem possit morari.</p>
            <p><hi rend="i">Cette paraphrase fait parler Demiphon comme s’il regardoit pour soy l’avenir, au lieu que constamment ce bon homme parle du passé, disant</hi> meritum est, <hi rend="i">&amp; non pas</hi> mereatur, <hi rend="i">ou</hi> meritum sit, <hi rend="i">comme il y a dans les passages de Plaute</hi>, meream. <hi rend="i">De plus</hi>, nihil suave, <hi rend="i">sont des termes bien foibles pour un Pere outré de colere avec tant de sujet. Ajoûtez que Terence faisoit gloire d’imiter Plaute ; &amp; outre qu’il avoit lû ses Livres, il n’estoit ny moins fort, ny moins riche en expressions, ce qui se trouveroit pourtant icy, si M<hi rend="sup">r</hi> le Févre avoit bien rencontré.</hi></p>
            <p>Verùm, <hi rend="i">dit cet illustre Critique</hi>, antequam manum de tabula tollo, hoc quoque monendum arbitror illud nomen <hi rend="i">meritum</hi> non esse substantivum, quod tamen putavit non modo Donati excerptor, sed &amp; Budæus ipse. Hinc autem omnes doctos arbitror in errorem inductos fuisse,</p>
            <p><hi rend="i">Peu s’en est pourtant fallu que je n’aye esté du sentiment de ces Auteurs, &amp; je n’y balancerois pas, si</hi> nihil suave <hi rend="i">estoient des termes seulement à peu prés aussi forts que</hi> quantum aquæ <hi rend="i">&amp;c.</hi> Deûm divitias, Deûm immortalitatem. <hi rend="i">M<hi rend="sup">r</hi> le Fevre dit luy même dans ses Notes</hi>, Pretium ætas altera sordet, qui locus Horatii huic germanus est. <hi rend="i">Or</hi> Pretium &amp; Meritum <hi rend="i">sont quelquefois synonimes. Ne pourroit on pas dire sur ce fondement-là</hi>, nihil suave meritum est, ut &amp;c. <hi rend="i">pour</hi> nihil suave pretium est, ut <hi rend="i">&amp;c.</hi> Il n’y a point de douceur qui puisse estre pour moy un motif assez puissant pour m’engager à cette complaisance. <hi rend="i">En verité je suis quasi tenté de m’en tenir là.</hi></p>
            <p><hi rend="i">Mais j’ay encore quelques remarques à faire qui m’entraînent ailleurs. Premierement au regard de l’usage qu’on faisoit autrefois de</hi> mereri <hi rend="i">&amp; de</hi> meritus, <hi rend="i">Je trouve dans Plaute</hi> in Captivis. Act. V. Sc. derniere <hi rend="i">Tynd.</hi> At ego grandis grandem natu ob furtum ad carnificem dabo. Meritus est. <hi rend="i">Phil.</hi> Meritus est. <hi rend="i">Tynd.</hi> Ergo huic ædepol, meritum mercedem dabo.</p>
            <p><hi rend="i">Secondement, du temps de Terence on tenoit sans doute, comme on a toujours fait, ces maximes de Morale qui ont obligé Plaute à dire</hi> Stich. Act. 1. Sc. 2. Promerenti optimè hocce preti redditur ? Bene merenti mala es, malè merenti bona es.</p>
            <p><hi rend="i">Alors aussi l’on croyoit sans doute, qu’un homme par la consideration de sa vie passée pourroit meriter, ou non, le pardon d’une faute qu’il venoit de commettre. Ainsi Caton opinant dans le Senat sur le sujet des complices de Catilina, qu’on avoit arresté, dit entre autres choses</hi>. Videlicet vita cætera eorum huic sceleri obstat.</p>
            <p><hi rend="i">D’ailleurs, je ne trouve pas impossible que Demiphon n’eust sujet de dire, comme Chremes, Act. IV. Sc. I</hi>. Est sæva mulier intus. Vereor ne uxor aliquâ hoc resciscat mea. Quod si sit, ut me excutiam atque egrediar domo, id restat, nam ego meorum solus, sum meus ; <hi rend="i">&amp; je crois d’autant mieux que Demiphon n’avoit pas plus de sujet de se loüer de son Fils Phædrie, que Chremes d’Antiphon, dans l’idée de Terence, qui tenoit pour maxime au regard des jeunes garçons</hi>, Qui unum novit, omnes noverit, adeo sunt simili ingenio.</p>
            <p><hi rend="i">Quand donc il dit presentement</hi>, nihil suave meritum est, <hi rend="i">aprés avoir dit</hi>, Egon’ &amp;c. <hi rend="i">ne pourroit on pas rendre ainsi sa pensée ?</hi> Videlicet cætera vita illius harum nuptiarum veniam à me postulat, immo nunquam bene de me meruit is sævæ uxoris filius, matri obnoxior, eique adeo haud quaquam siem bonus, in re præsertim tam mala. <hi rend="i">ou bien en François</hi>. Quoy, je souffrirois qu’elle soit sa femme seulement un jour ? Non, non, ne m’ayant jamais obligé en rien, au contraire n’ayant toujours fait que me chagriner, il ne merite pas que j’aye pour luy cette complaisance.</p>
            <p><hi rend="i">Pour mieux entrer dans la pensée de Terence, il faut considerer que Demiphon estoit en colere, d’autant plus qu’Antiphon &amp; Geta venoient de le pousser à bout par leurs réponses. Il parle donc icy comme Neptune dans Virgile</hi>, Quos ego ! <hi rend="i">Je veux dire qu’il ne dit pas tout ce qu’il auroit dit de sang froid. Que si nous suppléons ce qui manque à son Discours, toutes les difficultez se trouveront, à mon avis, levées.</hi></p>
            <p><hi rend="i">Pour cet effet j’ay encore recours à Plaute, disant</hi> Aulul. <hi rend="i">selon Lambin</hi>, ut inopem atque innoxium abs te atque abs tuis me irrideas ? Namque de te neque re, neque verbis merui, ut faceres quod facis. <hi rend="i">Prenons icy le tour de Terence, &amp; faisons dire à Plaute</hi> ; namque de te neque re, neque verbis quid à me meritum est, ut faceres quod facis. <hi rend="i">Et reciproquement donnant aux paroles de Terence le tour de celles de Plaute, disons</hi>, Egon’ <hi rend="i">&amp;c.</hi> nihil suave de me autre aut verbis meruit, ut hoc faciam. <hi rend="i">N’ay ie pas icy raison de dire</hi>, Plautina germana sunt Terentianis, &amp; vicissim Terentiana Plautinis ?</p>
            <p><hi rend="i">Ceux qui prendront la peine de lire cette explication de ce passage de Terence, en jugeront ; &amp; si j’apprens, Monsieur, par le jugement que vous en ferez que ces sortes de recherches peuvent estre de quelque utilité, je pourray vous en donner de temps à autre. Cependant je voudrois bien que quelque Critique m’apprist comment il entend ces deux passages du même Terence</hi>, Ita fugias, ne præter casam. Terent. Phorm. Act. V. Sc. 2. nam de te quidem sat scio, peccando detrimenti nil fieri potest. Hecyr. Act. II. Sc. 1. <hi rend="i">Je ne suis guere content des Interpretes, ny de moy même sur ces deux passages, mais je suis veritablement, Monsieur, vostre tres, M.M.</hi></p>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-07_097" resp="wordpro">
          <head>[Sonnet]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, juillet 1696 [tome 7],  p. 97-100.</bibl>
          <p>La Dissertation sur un Passage de Virgile, dont il est parlé au commencement de cette Lettre, est de M<hi rend="sup">r</hi> Sarrau, Auteur de plusieurs ouvrages qui ne portent point son nom, &amp; que je vous ay envoyez en differentes occasions. Je luy rens la justice que je luy dois à l’égard de cette Dissertation, si-tost que j’apprens qu’elle est de luy. Un de ses Amis, qui souffre avec peine qu’il se cache si long-temps, luy a adressé ce Sonnet.</p>
          <quote>
            <lg>
              <l><hi rend="i">Sarrau, dont les polis &amp; les sçavans Discours</hi></l>
              <l rend="i">Augmentent fort souvent les Tresors du Mercure,</l>
              <l rend="i">Quand tu répans les fruits de ta belle lecture ;</l>
              <l rend="i">Dans les moindres sujets on t’admire toujours.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Les plus fameux Auteurs, dont les écrits ont cours,</l>
              <l rend="i">Pour pouvoir t’imiter se donnent la torture,</l>
              <l rend="i">Et les foibles Sçavans, de ta litterature,</l>
              <l rend="i">Pour former leur genie, empruntent le secours.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Le tour de ta pensée, &amp; si juste &amp; si rare,</l>
              <l rend="i">Est le fleau declaré d’un esprit qui s’égare,</l>
              <l rend="i">Ton entretien, sur tout, a des charmes divers.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Le Mercure le sçait ; il cherit tes Ouvrages,</l>
              <l rend="i">Et quand tu prens le soin de luy remplir ses pages,</l>
              <l rend="i">De ton Nom en revanche il remplit l’Vnivers.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-07_107" resp="mercure">
          <head>[Ceremonie faite en Sorbonne]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, juillet 1696 [tome 7],  p. 107-117.</bibl>
          <p/>
          <p>Le 28. du mois passé, jour de l'Octave de la Feste-Dieu, Mr l'Archevesque de Paris, Docteur de Sorbonne, porta le Saint Sacrement à la Procession de Sorbonne, qui ne se fait tous les ans que ce jour-là de l'octave, sans qu'elle se fasse le premier jour de la Feste. Comme c'est un usage étably depuis longtemps, que les Archeveques de Paris fassent cette fonction la premiere année qu'ils sont Archevesques, ce Prelat avoit esté invité à la faire par une députation de huit Docteurs. Ainsi ce jour-là, il se rendit dans l'Eglise de Sorbonne à six heures &amp; demie du matin, en habit &amp; en camail violet. Estant passé dans la Sacristie, il s'y revestit de ses habits Pontificaux, &amp; il en sortit pour commencer la grand'Messe. On devoit faire la Procession auparavant, mais le mauvais temps empescha que l'on ne sortist à l'heure marquée, &amp; Mr l'Archevêque la celebra pontificalement, ayant pour Diacre, &amp; Soudiacre, deux des plus anciens Docteurs. [description de la procession, précision des noms et fonctions]</p>
          <p>[...] La Procession passa devant le College de Harcourt, où il y avoit une grande Symphonie, &amp; mesme un concert de Trompettes. Il y en avoit aussi un magnifique au College du Plessis. Le zele &amp; l'air modeste de Mr l'Archevesque, qui ne manque point de se trouver à toutes les actions de pieté où il peut assister, quelque penibles qu'elles puissent estre, édifierent beaucoup en cette Procession, laquelle estant rentrée dans l'Eglise, ce Prelat donna la Benediction du S. Sacrement, &amp; chacun se retira.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-07_122" resp="wordpro">
          <head>Le Bonheur de l’honneste Homme</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, juillet 1696 [tome 7],  p. 122-124.</bibl>
          <p>Voicy des Vers qui enseignent les moyens de vivre heureux. Ils sont de M<hi rend="sup">r</hi> l’Abbé Bardou.</p>
          <quote>
            <label>LE BONHEUR<lb />de l’honneste Homme.</label>
            <lg>
              <l rend="i">Plus de bonheur que de science,</l>
              <l rend="i">Beaucoup de foy pour son Curé.</l>
              <l rend="i">Vn bien mediocre assuré,</l>
              <l rend="i">Peu d’Amis, gens de confiance.</l>
              <l rend="i">Point de Maistre, peu de Valets,</l>
              <l rend="i">Beaucoup d’horreur pour le Palais.</l>
              <l rend="i">Assez de travail &amp; d’étude</l>
              <l rend="i">Pour éviter l’inquietude ;</l>
              <l rend="i">Autant qu’il faut d’oisiveté.</l>
              <l rend="i">Pour une honneste volupté,</l>
              <l rend="i">Eviter l’amoureux caprice,</l>
              <l rend="i">L’ambition &amp; l’avarice ;</l>
              <l rend="i">Laisser couler sans murmurer</l>
              <l rend="i">Ce qui ne peut toujours durer :</l>
              <l rend="i">Au jour d’éternelle durée</l>
              <l rend="i">Tenir son ame préparée.</l>
              <l rend="i">Ami, voila, selon mes vœux.</l>
              <l rend="i">Tout ce qu’il faut pour estre heureux.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-07_124" resp="wordpro">
          <head>[Vers à l’imitation des precedens]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, juillet 1696 [tome 7],  p. 124-126.</bibl>
          <p>Nous devons à une Muse anonyme les Vers suivans, qui ont esté faits à l’imitation de ceux de M<hi rend="sup">r</hi> l’Abbé Bardou.</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i">Joüir d’un bien qu’on ne doit point au crime,</l>
              <l rend="i">Avir de ses Amis la tendresse &amp; l’estime,</l>
              <l rend="i"> Les rassembler quand on veut, non toujours,</l>
              <l rend="i">Tout autour d’une table &amp; propre &amp; delicate,</l>
              <l rend="i"> Où l’esprit brille, où l’allegresse éclate ;</l>
              <l rend="i">Au merite oublié prester quelque secours.</l>
              <l rend="i">Lassé du tumulte des Cours</l>
              <l rend="i">Revoir de temps en temps la paisible Province,</l>
              <l rend="i">Où par de seuls bienfaits éclate le pouvoir.</l>
              <l rend="i"> Honoré des regards du Prince,</l>
              <l rend="i">Le servir par amour autant que par devoir,</l>
              <l rend="i">Libre de mille emprunts que trop de faste exige,</l>
              <l rend="i">Ne se voir assiegé que par gens qu’on oblige.</l>
              <l rend="i">Sans que d’un Creancier le visage odieux,</l>
              <l rend="i">Et vous glace le sang, &amp; vous blesse les yeux.</l>
              <l rend="i">D’un feu toujours modeste avoir l’ame saisie,</l>
              <l rend="i">Et toujours ignorer la noire jalousie,</l>
              <l rend="i"> Ami, voila, selon mon jugement,</l>
              <l rend="i">Tout ce qu’il faut pour vivre heureusement.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-07_126" resp="wordpro">
          <head>[Sur une courte visite]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, juillet 1696 [tome 7],  p. 126-129.</bibl>
          <p>La même Muse anonyme a produit ces autres Vers, sur une visite imprévûë &amp; courte d’une fort belle personne, &amp; d’une naissance distinguée.</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i">Dans quel sombre chagrin sa retraite me plonge !</l>
              <l rend="i">Quelle tristesse suit un moment si flateur !</l>
              <l rend="i">Helas ! je pers si-tost un objet enchanteur ;</l>
              <l rend="i">Mais l’ay-je vûë au moins, &amp; n’est-ce point un songe ?</l>
              <l rend="i">Quel sujet l’amenoit ? dans quel temps ? dans quels lieux ?</l>
              <l rend="i">Ne me trompay-je point ? en croiray-je mes yeux ?</l>
              <l rend="i"> En vain une Mere en alarmes</l>
              <l rend="i">La dévore de l’œil, l’attache à son costé.</l>
              <l rend="i">Aurois-je vû venir cette jeune beauté</l>
              <l rend="i">Seule &amp; sans suite icy que l’éclat de ses charmes ?</l>
              <l rend="i"> Que dis-je, ô Ciel ! quel appareil pompeux</l>
              <l rend="i">Peut égaler les ris, les graces &amp; les jeux,</l>
              <l rend="i">Les folâtres amours, les Venus ravissantes,</l>
              <l rend="i">Compagnes en tous lieux de ses beautez naissantes ?</l>
              <l rend="i">Jamais si belle escorte &amp; si brillante Cour</l>
              <l rend="i">Ne sceut accompagner la Mere de l’Amour.</l>
              <l rend="i">Mais enfin trop presente à mon ame éperduë,</l>
              <l rend="i"> Peut-estre ay-je crû l’avoir vûë.</l>
              <l rend="i">Non, je n’en doute plus, c’est l’objet accompli,</l>
              <l rend="i"> C’est la Princesse que j’adore.</l>
              <l rend="i">J’ay vû qu’à son aspect le jour s’est embelli,</l>
              <l rend="i"> Et de mon cœur j’en crois le trouble encore.</l>
              <l rend="i"> D’un fier dépit ce matin occupé</l>
              <l rend="i"> Je iurois de briser mes chaînes.</l>
              <l rend="i">Contre elle ie formois mille entreprises vaines,</l>
              <l rend="i">Elle vient, d’un regard elle a tout dissipé.</l>
              <l rend="i">I’ay senti dans mon cœur expirer ma colere,</l>
              <l rend="i"> Et n’ay plus songé qu’à luy plaire.</l>
              <l rend="i">D’un esprit amoureux, étrange aveuglement ?</l>
              <l rend="i"> Sur un rigoureux traitement,</l>
              <l rend="i"> Sur un procedé qui nous blesse,</l>
              <l rend="i">On s’arme quelquefois d’un fier ressentiment.</l>
              <l rend="i"> Loin d’un objet charmant.</l>
              <l rend="i">Paroît-on devant luy ; dès le premier moment,</l>
              <l rend="i">Plus que iamais encor on ressent sa foiblesse.</l>
              <l rend="i">Au moins tel fut pour moy le fruit de mille efforts.</l>
              <l rend="i">Mais, Dieux, quelle est l’ardeur dont mon ame est saisie ?</l>
              <l rend="i"> D’un cœur épris i’ay les feux, les transports,</l>
              <l rend="i"> I’en ay même la jalousie,</l>
              <l rend="i">Et ie sens dans un sort étrange à concevoir,</l>
              <l rend="i">Tous les feux d’un amour dont ie n’ay nul espoir.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-07_138" resp="wordpro">
          <head>[Histoire]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, juillet 1696 [tome 7],  p. 138-166.</bibl>
          <p>Il est dangereux de s’assurer trop sur ses propres forces contre les surprises de l’amour. La fidelité la plus éprouvée a quelquefois peine à résister à ses charmes, &amp; qui ne fuit point dans le peril, manque rarement à estre vaincu. Un Cavalier, dont le seul defaut estoit son peu de fortune, s’estant par hazard rencontré un jour auprés d’une Veuve d’un merite distingué, embrassa avec plaisir l’occasion de connoistre par luy même, si on ne la flatoit point dans les belles qualitez que ses Amis luy donnoient. Il s’attacha à l’entretenir, &amp; fut si content de son esprit &amp; de ses manieres, qu’ayant obtenu permission de la voir chez elle, il fit son bonheur des soins empressez qu’il luy rendit. La Dame pouvoit avoir vingt cinq ans, &amp; l’indépendance où la mettoit le Veuvage, la laissant maistresse de ses actions, elle menoit une vie douce &amp; aisée, sans aucune autre contrainte que celle qui est commune à toutes les Femmes raisonnables, qui doivent compte de leur conduite au Public. Elle estoit bien faite, avoit des manieres pleines d’agrément, les yeux petits, mais remplis de feu, le teint vif &amp; fort brillant, la taille grande, une fraischeur qui faisoit plaisir, &amp; sans un peu de grosseur, rien n’auroit esté à condamner dans son embonpoint. Elle avoit d’ailleurs l’air noble, &amp; un sçavoir vivre qui faisoit le charme de tous ceux qui la voyoient. Mais tout cet exterieur qui frapoit les yeux, n’avoit rien de comparable aux qualitez de son ame. Elle l’avoit droite, &amp; sans aucun fard, les sentimens élevez, l’esprit bien faisant &amp; toujours égal, &amp; l’humeur si douce, qu’on se pouvoit assurer en tout de sa complaisance. Le Cavalier ne la vit pas fort long-temps sans découvrir tout ce qui la distinguoit de la pluspart des personnes de son Sexe. Il en demeura charmé, &amp; l’égalité qu’il luy trouva en toutes rencontres, luy ayant fait concevoir combien il seroit heureux s’il pouvoit passer sa vie avec elle, il luy declara tout le pouvoir qu’elle avoit sur luy, &amp; la pria de vouloir résoudre de sa destinée. La Dame qui le trouvoit d’un caractere estimable, &amp; qui jugeoit par l’attachement qu’il luy faisoit voir, combien il y avoit de sincerité dans ses protestations, voulut bien luy avoüer que son cœur n’y estoit pas insensible ; mais comme elle avoit de la prudence, &amp; qu’elle sçavoit que presque toujours une passion aveugle se trouve suivie des plus fâcheux repentirs, elle luy representa, que quelque violent amour qu’il sentist pour elle, il devoit examiner les suites terribles de l’engagement qu’il luy proposoit; que la fortune de l’un ny de l’autre n’estoit point assez considerable pour se hazarder à se marier ensemble, s’il n’y arrivoit du changement, &amp; qu’elle avoit assez d’estime pour luy, pour le preferer à des partis beaucoup plus avantageux, dés que ses affaires seroient dans l’estat où il se flatoit de les pouvoir mettre ; que jusque-là il devoit se contenter de la voir comme une Amie en qui il pourroit avoir une entiere confiance. Ces sentimens estoient si honnestes &amp; si raisonnables, que le Cavalier ne s’obstina point à les combatre. Il dit à la Dame qu’il luy suffisoit d’estre asseuré des favorables dispositions qu’elle luy marquoit, pour venir à bout de faire réüssir en peu de temps certains projets qui luy devoient procurer de grands avantages. La Dame luy ayant promis d’employer pour leur succés tout le credit qu’elle avoit sur des personnes puissantes, il redoubla son attachement, &amp; ses assiduitez furent si fortes, qu’on les soupçonna d’estre mariez secretement. Cependant il se passa plus de trois années, sans qu’on vist le dénouëment des esperances qui avoient flaté le Cavalier. C’estoit toujours un surcroist d’amour du costé du cœur, mais rien n’avançoit du costé de la fortune, &amp; enfin la Dame étant obligée d’aller en Province, où ce qu’elle avoit de bien sembloit déperir faute d’y veiller par elle mesme, elle resolut de quitter Paris, &amp; de se charger des soins qu’elle avoit toûjours negligé de prendre. Il falloit s’en éloigner de cinquante lieuës, &amp; il parut que la séparation fut tres rude au Cavalier. Quelles assurances ne luy donna-t-il point avant qu’elle s’éloignast, qu’il l’aimeroit toujours avec passion, &amp; que jamais il n’aimeroit qu’elle ? Il la conjura, pour le consoler de son absence, de luy vouloir bien écrire souvent, &amp; il vous est aisé de juger qu’il n’eut pas de peine à obtenir ce qui luy faisoit plaisir à elle-mesme. Elle partit, il en soupira, mais le long-temps que les affaires de l’aimable Veuve devoient l’obliger de passer à la Campagne, ayant fait, faire reflexion au Cavalier qu’il meneroit une vie bien triste, s’il soupiroit jusqu’à son retour, il crut qu’il estoit d’un homme sage, de chercher à adoucir par d’agreables visites le chagrin que luy causoit son éloignement. Ainsi il se plut à voir une Dame, entre autres, dont le merite n’estoit pas moins distingué que sa naissance. Il la trouva d’un commerce aisé, &amp; les égards qu’elle luy marqua, luy ayant donné de l’empressement à venir chez elle, cet empressement redoubla beaucoup aprés qu’il se fut rendu un peu familier avec sa Fille. C’estoit une jeune Blonde, dont la naissante beauté avoit dequoy faire impression sur les cœurs les moins disposez à la tendresse. Elle estoit fort enjoüée, avoit l’esprit délicat &amp; penetrant, beaucoup de raison &amp; de sagesse, quoy que son peu d’âge la pust dispenser d’en avoir tant, &amp; une vivacité qui la faisant briller dans la conversation, luy attiroit beaucoup de loüanges. Elle joignoit d’ailleurs à mille agrémens répandus dans sa personne, une taille fine qui charmoit tous ceux qui la voyoient. Aussi le Cavalier ne put-il résister à tant de charmes. Il aima la Belle presque aussi tost qu’il la vit, &amp; dés la premiere occasion qu’il trouva de luy parler sans témoins, il s’en déclara éperduement amoureux. La Belle qui n’estoit pas Fille à s’accommoder d’une passion si prompte, luy dit qu’il alloit bien vite, &amp; que toute jeune qu’elle estoit, elle sçavoit bien que les protestations qu’il se plaisoit à luy faire, estoient un langage ordinaire aux hommes ; qu’elle vouloit bien qu’il se divertist, mais qu’il devoit aussi trouver bon qu’elle écoutast comme un conte toutes les protestations qu’il luy faisoit. Le peu de foy qu’ajoûta la Belle aux discours du Cavalier, ne fut point capable de le rebuter. Il redoubla ses visites &amp; ses soins, &amp; dés qu’il pouvoit trouver la Belle seule, il estoit à ses genoux à luy jurer un amour qui ne finiroit jamais. Il luy marquoit même par ses larmes le desespoir qu’elle luy causoit, en ne répondant point à sa passion, &amp; il en estoit si fort aveuglé, qu’il l’eust épousée sur l’heure, sans attendre l’imaginaire fortune dont il se flatoit, si elle eust voulu y consentir. La Belle traita longtemps de plaisanterie la conqueste qu’il vouloit luy persuader qu’elle avoit faite, &amp; agissoit avec luy comme n’y faisant nulle attention ; mais enfin connoissant par ses manieres, &amp; par ses transports de passion, que la chose estoit devenuë fort serieuse, elle le pria de luy expliquer comment il accordoit dans son cœur l’amour qu’il prétendoit qu’elle luy eust inspiré, avec celuy qu’il avoit pour l’aimable Veuve. Il luy répondit qu’il n’y avoit plus de Veuve pour luy ; que comme elle avoit pris son parti en le quittant, il se tenoit dégagé de ce qu’il pouvoit luy avoir promis ; &amp; pour la convaincre qu’il ne songeoit plus à elle, il luy apporta toutes les Lettres qu’il en recevoir, &amp; luy offrit de n’avoir plus avec elle aucun commerce, pourvû qu’elle l’assurât de son amour. Les Lettres qu’il luy montra, luy firent connoistre que la Veuve estoit instruite du nouvel attachement qu’il avoit pris. Elle le felicitoit d’avoir sceu plaire à une jolie personne, dont le merite estoit une preuve de son bon goust, &amp; luy disoit que quand elle n’auroit pas esté informée de ses assiduitez, le peu d’empressement qu’il avoit à luy écrire, luy auroit appris qu’il sçavoit remedier aux déplaisirs de l’absence ; qu’il faisoit bien de se dissiper agreablement, &amp; qu’elle luy sçavoit bon gré de chercher toujours à mener une vie douce. Le Cavalier crut avoir gagné beaucoup en faisant voir à la Belle que la Veuve s’estoit apperceuë de son refroidissement, ce qui estoit une marque qu’elle commençoit à luy estre indifferente. Il ne se contenta pas de ce sacrifice, il voulut y ajoûter celuy d’un petit Portrait de l’aimable Veuve qu’il portoit au bras, &amp; qu’il avoit receu d’elle pour assurance de l’engagement qu’elle s’estoit fait de l’épouser, si leur fortune le pouvoit permettre. Ces sacrifices firent un effet contraire à ce qu’il avoit pensé. La Belle cessa d’estimer le Cavalier, &amp; ne songea plus qu’à s’en défaire. Le peu de bien qu’il avoit ne luy permettoit aucune pensée de mariage. Elle estoit trop sage pour se pardonner un amour d’amusement, &amp; quand elle en eust esté capable, elle ne pouvoit douter qu’il ne la sacrifiast à son tour à une nouvelle passion, comme il vouloit luy sacrifier la Veuve. D’ailleurs, ses visites assiduës ne produisoient rien que de fâcheux pour sa reputation. Ainsi la Mere, qu’on blâmoit de les souffrir, se chargea d’en rompre le cours. Elle dit au Cavalier qu’estant Ami de sa Fille, il devoit chercher tout ce qui pouvoit servir à sa gloire, &amp; que puisqu’on murmuroit de ce qu’il venoit si souvent chez elle, elle estoit persuadée qu’il voudroit bien renoncer en sa faveur à cette assiduité. Le Cavalier ne put consentir à voir rarement la personne qu’il aimoit. Il resista à la Mere, &amp; luy parla avec tant d’emportement, que s’en tenant offensée elle rompit entierement avec luy, &amp; luy deffendit de la voir jamais. Il eut beau faire, elle ne s’adoucit point, &amp; il chercha inutilement pendant quinze jours les moyens de voir la Belle. Il ne le pouvoit à moins qu’elle ne voulust luy donner un rendez vous, &amp; pour l’obtenir il luy écrivit de la maniere du monde la plus tendre, luy reïterant que si la Veuve luy faisoit la moindre peine, elle n’avoit qu’à parler, &amp; que jamais il ne la verroit. La Belle, à qui l’on donna la lettre, refusa obstinément d’y faire réponse, &amp; le Cavalier en fut si piqué qu’il n’eut plus pour elle les égards qu’il luy devoit. Il n’en dit rien qui luy pust estre desavantageux, mais il fit l’indifferent, &amp; cherchant à se consoler de l’avanture avec des personnes plus commodes qu’elle, il répondit à ceux qui luy en parlérent, qu’il s’estoit trouvé avec la Belle en de certaines situations, qui l’avoient obligé à dire des honnestetez qu’on avoit voulu appeller amour, mais qu’il n’avoit cherché qu’à se divertir, &amp; que si tost qu’il avoit connu que ses visites mettoient la Mere en mauvaise humeur contre sa fille, elles luy tenoient si peu au cœur qu’il n’avoit eu aucune peine à y renoncer. La Belle à qui l’on conta ce qu’il disoit d’elle, crut qu’un homme qui en usoit d’une maniere si desobligeante, ne meritoit pas qu’elle l’épargnast. Elle avoit appris l’adresse dont il se servoit en écrivant à la Veuve, à qui elle envoya l’unique lettre qu’elle avoit de luy. La Lettre estoit si parlante que la Veuve fut convaincuë qu’il l’avoit sacrifiée. Elle trouva pourtant à propos de dissimuler, &amp; continua toûjours à luy écrire, feignant de prendre pour des veritez tout ce qu’il voulut luy faire croire sur cette rupture. Aprés tout, il n’estoit pas trop blâmable. Il estoit jeune. L’absence affoiblit l’amour, &amp; une belle personne qu’on voit souvent doit faire excuser un peu d’infidelité. Ainsi il n’eut tort que pour luy-mesme, parce que s’abandonnant trop à ses plaisirs, il n’eut pas le soin qu’il devoit avoir de ses affaires, &amp; negligea bien des choses qui auroient contribué à son établissement. L’aimable Veuve en usa d’une autre sorte. Non-seulement elle remit son bien en valeur par toutes les peines qu’elle se donna, mais elle s’attacha avec tant d’adresse auprés d’un vieil Oncle qui n’avoit jamais voulu se marier, qu’estant mort un an aprés qu’elle fut dans la Province, il luy laissa par son Testament une somme assez considerable. Enfin, elle revint à Paris, où le Cavalier reprit ses empressemens. Elle luy reprocha d’une maniere fine &amp; spirituelle, ses avantures galantes, qui luy avoient laissé si peu sentir son éloignement, &amp; il se tira d’affaires en luy disant qu’on ne pouvoit estre dans le commerce du monde, sans laisser échaper auprés des femmes des choses flateuses qu’elles expliquoient selon que le cœur leur en disoit, &amp; que jamais, quelques douceurs qu’il eust debitées, le sien n’avoit esté attaché qu’à elle seule. La Veuve n’insista point là-dessus, mais elle prit fort son serieux sur sa nonchalance à se procurer des avantages dont il avoit un fort grand besoin. Il luy parla de nouveau des esperances où quelques Amis l’entretenoient, &amp; elle luy dit de bonne amitié, que s’il n’agissoit plus fortement, &amp; ne sortoit de son indolence, le genre de vie où il s’estoit trop accoutumé, l’empescheroit d’arriver à rien de solide. Il ne put se vaincre, &amp; continua de rechercher le plaisir sans aucun attachement pour les choses qui devoient faire sa principale occupation. Cependant la Veuve, toûjours pleine de merite, &amp; dans une fortune plus abondante qu’elle n’avoit esté jusques-là, trouva un party qui luy convenoit. Elle donna sa parole, &amp; les conditions estoient arrestées quand le Cavalier en fut averty. Il fit paroistre un vif desespoir, &amp; crut avoir droit de la traiter d’Infidelle. L’aimable Veuve luy laissa jetter son feu, &amp; aprés avoir écouté tous ses reproches, elle luy montra pour toute réponse la Lettre qu’il avoit écrite à la jeune Blonde, par laquelle il s’engageoit à ne plus garder nulle liaison avec sa Rivale. Il la quitta fort confus, n’ayant pas crû jusques-là, que cette Lettre eust esté entre ses mains. Rien ne le pouvoit justifier de l’avoir écrite, &amp; se condamnant soy-mesme, il laissa achever le mariage auquel il voyoit qu’il s’opposeroit inutilement. Ainsi n’esperant plus rien ny de l’amour ny de la fortune, il embrassa le party que ses Amis luy conseillerent de prendre, sur l’offre qui luy fut faite d’un Benefice qui le mettoit en estat de subsister tres honnestement. Il prit le petit collet, &amp; comme il a beaucoup d’esprit &amp; d’étude, il peut aller loin s’il veut s’appliquer à bien remplir ce nouvel estat.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-07_166" resp="wordpro">
          <head>Ode sur la mort de Madame la Presidente Nicolaï</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, juillet 1696 [tome 7],  p. 166-172.</bibl>
          <p>Vous m’avez paru touchée de la mort de Madame la Presidente Nicolaï, qu’un mal aussi prompt que violent a enlevée de la terre, au commencement de ses plus belles années. Ainsi je croy vous faire plaisir de vous envoyer des Vers qui ont esté faits sur cette mort. Ils sont de M<hi rend="sup">r</hi> Dader de Toulouse.</p>
          <quote>
            <label><hi rend="i">ODE</hi><lb />SUR LA MORT<lb />de Madame la Presidente<lb />Nicolaï.</label>
            <lg>
              <l rend="i">Esprit saint, daignez promptement</l>
              <l rend="i">Exaucer mon humble priere,</l>
              <l rend="i">Eclairez mon entendement</l>
              <l rend="i">D’un rayon de vostre lumiere.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> A me l’accorder aujourd’huy</l>
              <l rend="i">Vostre gloire vous sollicite.</l>
              <l rend="i">Je veux chanter Nicolaï,</l>
              <l rend="i">Vostre plus chere favorite.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Avos Loix fidelle en tout temps,</l>
              <l rend="i">Et de vos faveurs prévenuë,</l>
              <l rend="i">Elle a suivi vos mouvemens,</l>
              <l rend="i">Sans iamais vous perdre de veuë.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Elle sceut joindre à la beauté</l>
              <l rend="i">L’esprit, l’agrément, la sagesse.</l>
              <l rend="i">Sa douceur, son humilité</l>
              <l rend="i">S’accordoient avec sa richesse.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Son cœur charitable &amp; discret</l>
              <l rend="i">Parmy l’éclat &amp; l’abondance,</l>
              <l rend="i">Trouva l’admirable secret</l>
              <l rend="i">De luy faire aimer l’indigence.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Aux regles des premiers Chrestiens</l>
              <l rend="i">Elle s’estoit accommodée :</l>
              <l rend="i">Elle posseda de grands biens,</l>
              <l rend="i">Et n’en fut iamais possedée.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Les livres saints &amp; l’oraison</l>
              <l rend="i">Faisoient ses plus cheres delices.</l>
              <l rend="i">Ses Serviteurs dans sa maison</l>
              <l rend="i">L’imitoient en ses exercices.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Le meilleur d’entre les Parens,</l>
              <l rend="i">Qui pour les siens toujours s’applique,</l>
              <l rend="i">Prend moins de soin de ses Enfans,</l>
              <l rend="i">Qu’elle n’en prit d’un Domestique.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Du Jeu, du Bal, de l’Opera</l>
              <l rend="i">Elle s’interdisoit l’usage.</l>
              <l rend="i">Son exemple condamnera</l>
              <l rend="i">Ceux qui n’en ont pas le courage.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Sans fiel, sans trouble, sans chagrin,</l>
              <l rend="i">Libre de toute inquietude,</l>
              <l rend="i">Son salut, sa derniere fin</l>
              <l rend="i">Faisoient sa principale étude.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Elle joüit en ce bas lieu</l>
              <l rend="i">D’une paix tranquille &amp; profonde.</l>
              <l rend="i">Son cœur toujours cheri de Dieu,</l>
              <l rend="i">Le fut aussi de tout le monde.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Que si les Anges dans les Cieux</l>
              <l rend="i">Estoient susceptibles d’envie,</l>
              <l rend="i">Je dirois que ces envieux</l>
              <l rend="i">Ont conspiré contre sa vie.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Avec ces Esprits bienheureux</l>
              <l rend="i">Elle avoit tant de ressemblance,</l>
              <l rend="i">Que la prenant pour l’un a’entr’eux,</l>
              <l rend="i">On admiroit son innocence,</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Sa vertu plus pure que l’or,</l>
              <l rend="i">Fit voir, en tous lieux reverée,</l>
              <l rend="i">Que la terre avoit un tresor</l>
              <l rend="i">Qui n’estoit dû qu’à l’Empirée.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Par l’ordre qui luy fut prescrit,</l>
              <l rend="i">Du Ciel son ame estoit sortie,</l>
              <l rend="i">Et sur les pas de Iesus-Christ</l>
              <l rend="i">Elle a regagné sa patrie.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Sur le point de finir son sort,</l>
              <l rend="i">Bien loin de craindre le naufrage,</l>
              <l rend="i">Elle vit approcher la mort</l>
              <l rend="i">Sans jamais changer de visage.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Grands &amp; petits, tristes Mortels,</l>
              <l><hi rend="i">Vous qui la vistes dans nos Temples</hi></l>
              <l><hi rend="i">Chaque jour au pied des Autels,</hi></l>
              <l rend="i">Reglez vos mœurs sur ses exemples.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Pour vaincre comme elle a vaincu,</l>
              <l rend="i">Combattez de la mesme sorte.</l>
              <l rend="i">Vivez ainsi qu’elle a vêcu,</l>
              <l rend="i">Et vous mourrez comme elle est morte.</l>
            </lg>
          </quote>
          <quote>
            <label>EPITAPHE<lb />De Madame la Présidente<lb />Nicolaï.</label>
            <lg>
              <l rend="i">L’on ne vit iamais icy-bas</l>
              <l rend="i">Tant de vertu, tant de merite.</l>
              <l rend="i">La Terre pleure son trépas,</l>
              <l rend="i">Lors que le Ciel s’en felicite.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-07_233" resp="wordpro">
          <head>[Prix remporté]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, juillet 1696 [tome 7],  p. 233-234.</bibl>
          <p>Le Prix des Sonnets en Bouts rimez, donnez cette année par Mrs de la Compagnie des Lanternistes de Toulouse, &amp; dont je vous ay fait part lors qu’ils ont esté proposez, vient d’estre donné à Mademoiselle de Nouvelon, Fille de feu M<hi rend="sup">r</hi> Lheritier, Conseiller &amp; Historiographe du Roy, &amp; Sœur Cadette de Mademoiselle Lheritier, qui remporta l’année derniere le même Prix, par le jugement de la même Compagnie. Comme il ne se peut que parmy le grand nombre de Sonnets qui ont concouru, il ne s’en soit trouvé d’excellens, la gloire de cette jeune Muse en est beaucoup plus complete.</p>
          <p>Les Vers que vous allez lire sont de saison, &amp; dignes du Pere François l’Ami, de la Doctrine Chrestienne, qui en est l’Auteur.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-07_234" resp="wordpro">
          <head>Prières pour le Roy</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, juillet 1696 [tome 7],  p. 234-237.</bibl>
          <quote>
            <label>PRIERE POUR LE ROY.</label>
            <lg>
              <l rend="i">Seigneur, qui vois Loüis sur le char de la gloire,</l>
              <l rend="i">Vser modestement des droits de la Victoire,</l>
              <l rend="i">Et tout prest à borner ses glorieux projets,</l>
              <l rend="i">Pour dresser dans l’Europe un trophée à la Paix,</l>
              <l rend="i">Rens ses jours assurez aux dépens de nos testes</l>
              <l rend="i">Et conserve à la Erance un Roy si genereux</l>
              <l rend="i">Qu’il joüisse longtemps du fruit de ses conquestes,</l>
              <l rend="i"> Qu’il vive, &amp; nous mourrons heureux.</l>
            </lg>
          </quote>
          <p>Mademoiselle l’heritier, dont je viens de vous parler, a fait voir le même zele par cette autre Priere pour le Roy.</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i">Seigneur, qui de Loüis vois le zele &amp; la foy,</l>
              <l rend="i">De tes plus doux presens partage ce grand Roy.</l>
              <l rend="i">Sur son front glorieux fais que la santé brille ;</l>
              <l rend="i">Remplis de tes faveurs son auguste Famille.</l>
              <l rend="i">Rens ce Prince vaillant vainqueur de toutes parts,</l>
              <l rend="i"> Permets que ses armes heureuses,</l>
              <l rend="i">Qui briserent cent fois Bataillons &amp; remparts,</l>
              <l rend="i"> Se rendent encor plus fameuses.</l>
              <l rend="i">Tu lis du haut des Cieux dans le cœur des Humains.</l>
              <l rend="i">De ce pieux Heros benis tous les desseins.</l>
              <l rend="i"> Fais par ta main toute-puissante,</l>
              <l rend="i"> Aprés cent triomphes nouveaux,</l>
              <l rend="i">Qu’à l’Vnivers surpris de tant d’exploits si beaux,</l>
              <l rend="i"> Il redonne une Paix charmante,</l>
              <l rend="i"> Ne trouve pas trop de temerité</l>
              <l rend="i"> Dans toutes ces vastes demandes,</l>
              <l rend="i"> Puis que Louis par ta bonté,</l>
              <l rend="i">Nous fait voir des vertus qui sont encor plus grandes.</l>
              <l rend="i">Pour couronner tes dons, ta grace doit, Seigneur,</l>
              <l rend="i"> Le mettre au comble du bonheur.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-07_237" resp="wordpro">
          <head>[Reflexions sur le Ridicule, &amp; sur les moyens de l’éviter]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, juillet 1696 [tome 7],  p. 237-240.</bibl>
          <p>Il a paru depuis peu de jours un Livre nouveau d’une grande utilité. Il a pour titre, <hi rend="i">Reflexions sur le ridicule, &amp; sur les moyens de l’éviter</hi> ; &amp; qu’y a-t-il de plus utile pour chaque Particulier, que de connoistre le ridicule qu’il a, puisqu’en effet, il n’y a personne qui en soit exempt, &amp; que tel qui condamne dans les autres de grands foibles qu’il y trouve, s’en trouvera encore de plus grands, s’il veut bien s’examiner sans se faire grace ? Ce livre est divisé en plusieurs Chapitres qui traitent de differentes manieres, sçavoir, de l’indiscretion, de l’affectation, de la sotte vanité, du mauvais goust, de l’imposture, de l’esprit chagrin, de l’impertinence, de la prévention, de l’interest, de la suffisance, des contre-temps, de la bizarrerie, de la fausse delicatesse, &amp; des bien-séances, &amp; tous ces Chapitres sont comme autant de miroirs, où chacun pouvant se regarder sans estre vû, a tout le temps qu’il luy faut pour bien peser les avertissemens qu’on luy donne sur ses deffauts, &amp; en profiter, sans estre obligé d’en rougir qu’avec luy mesme. La correction qu’on reçoit en cachette &amp; sans témoins ne doit point blesser les personnes raisonnables, &amp; c’est le fruit qu’on tire de la lecture de cet Ouvrage, qu’en nous faisant remarquer le foible que nous avons, il nous met en estat de nous en défaire, sans nous l’avoir reproché ouvertement. Il est de la composition de M<hi rend="sup">r</hi> l’Abbé de Bellegarde, qui prêcha l’année derniere au Louvre avec beaucoup de succés le jour de la Feste de Saint Louis, devant M<hi rend="sup">rs</hi> de l’Academie Françoise. Ce livre se trouve chez le S<hi rend="sup">r</hi> Jean Guignard, au Palais, à l’entrée de la grande Salle, &amp; vous ne pourrez douter que le stile n’en soit tres-net &amp; tres-épuré, quand je vous diray que son Auteur nous a donné depuis peu d’excellentes Reflexions sur l’élégance &amp; la politesse du stile.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-07_283" resp="mercure">
          <head>[Mort de Michel Lambert]*</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, juillet 1696 [tome 7],  p. 283-284.</bibl>
          <p/>
          <p>Michel Lambert, Maistre de la Musique de la chambre du Roy, dont les Airs &amp; les compositions sont recherchées avec tant d'empressement. Mademoiselle Lambert, sa fille unique, avoit épousé le fameux Baptiste Lully, Secretaire &amp; Surintendant de la Musique de S. M. Le Roy en donnant sa place à Mr Collasse, Maistre de la Musique de la Chapelle, a dit qu'il la lui donnoit comme au meilleur Musicien qu'il pust choisir. Il y a deux Maistres de Musique de la Chapelle. C'est Mr de la Lande qui a l'autre place.</p>
        </div>
      </div>
      <div type="tome" xml:id="MG-1696-08">
        <head><hi rend="i">Mercure Galant</hi>, août 1696 [tome 8]</head>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-08_026" resp="wordpro">
          <head>Paraphrase sur le Pseaume, Quàm bonus Israël Deus his qui recto sunt corde !</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, août 1696 [tome 8], p. 26-37.</bibl>
          <p>Je vous envoye la Paraphrase dont je viens de vous parler. La lecture de cet Ouvrage vous fera connoistre que jamais M<hi rend="sup">r</hi> Boyer n’a écrit avec plus de force, ny plus nettement.</p>
          <quote>
            <label>PARAPHRASE<lb />SUR LE PSEAUME,<lb />Quàm bonus Israël Deus his qui recto sunt corde !</label>
            <lg>
              <l rend="i">Que le Seigneur est bon ! sa divine clemence</l>
              <l rend="i">Se répand tous les jours avec magnificence</l>
              <l rend="i"> Sur les vrais Enfans d’Israël.</l>
              <l rend="i"> Le merite de l’innocence</l>
              <l rend="i">Est un puissant attrait aux yeux de l’Eternel.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Mon ame cependant foible &amp; mal éclairée</l>
              <l rend="i">Eleve contre luy des murmures ingrats.</l>
              <l rend="i"> Ma raison qui s’est égarée,</l>
              <l rend="i">En détournant mes yeux de la route assurée,</l>
              <l rend="i">A presque dans l’erreur précipité mes pas.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Je n’ay pû voir sans trouble &amp; sans envie</l>
              <l rend="i"> Les prosperitez du Pecheur.</l>
              <l rend="i">L’heureuse paix, le bonheur de sa vie,</l>
              <l rend="i">Allument dans mon sein la jalouse fureur.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">J’attendois que la foudre, ou quelque grand supplice</l>
              <l rend="i">Rendroient sa fin honteuse &amp; son trépas affreux,</l>
              <l rend="i">Et que le Dieu vangeur, en se faisant justice,</l>
              <l rend="i">Consoleroit enfin l’innocent malheureux.</l>
              <l rend="i">Le Pecheur ne voit rien qui trouble sa fortune :</l>
              <l rend="i"> Nul mal n’offre à son souvenir</l>
              <l rend="i">Les horreurs de la mort, &amp; l’idée importune</l>
              <l rend="i"> Du tenebreux &amp; terrible avenir.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Il s’endort sur son indolence.</l>
              <l rend="i"> Libre de crainte &amp; de douleur,</l>
              <l rend="i"> Il fonde sur son opulence</l>
              <l rend="i"> L’éternité de son bonheur.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Bien qu’il soit tout ce que nous sommes,</l>
              <l rend="i"> Il semble né sous d’autres loix ;</l>
              <l rend="i"> Et ne sentir ny le joug, ny le poids</l>
              <l rend="i">Des maux sous qui l’on voit gemir les autres hommes.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Ainsi-tout fier de sa prosperité,</l>
              <l rend="i"> Loin de rougir de son impieté,</l>
              <l rend="i"> Il aime à la rendre publique,</l>
              <l rend="i">Et se couvrant de son iniquité,</l>
              <l rend="i"> Il en flate sa vanité</l>
              <l rend="i">Comme d’un ornement superbe &amp; magnifique.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l><hi rend="i">Il cherche avidement toutes les voluptez,</hi></l>
              <l rend="i">Et suit tous les appas dont les sens sont flatez ;</l>
              <l rend="i"> Sa vie est une longue yvresse.</l>
              <l rend="i"> Idolâtre de ses plaisirs,</l>
              <l rend="i"> Vers eux il retombe sans cesse</l>
              <l rend="i"> Comme au centre de ses desirs.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Il medite toujours &amp; roule en sa pensée</l>
              <l rend="i">La noire calomnie &amp; l’erreur insensée,</l>
              <l rend="i">Toujours prest, toujours prompt à les faire éclater :</l>
              <l rend="i"> Et du haut de ce rang sublime,</l>
              <l rend="i"> Où son orgueil l’a fait monter</l>
              <l rend="i"> Par l’injustice &amp; par le crime,</l>
              <l rend="i">Il parle fierement, &amp; se fait écouter.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Sa langue jusqu’au Ciel, au mépris du tonnerre</l>
              <l rend="i"> Eleve sa témerité,</l>
              <l rend="i"> Et sa noire malignité</l>
              <l rend="i"> Se répand sur toute la terre.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Son bonheur avec sa puissance</l>
              <l rend="i"> Attire la foule chez luy.</l>
              <l rend="i">Tous les Peuples flatez d’une douce esperance,</l>
              <l rend="i">Avec empressement cherchent dans son appuy</l>
              <l rend="i">La longueur des beaux jours, &amp; l’heureuse abondance.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Dieu, disent-ils, ne sçait-il pas</l>
              <l rend="i"> Tout ce qui se passe icy-bas ?</l>
              <l rend="i">Entre le Ciel &amp; nous est-il quelque distance</l>
              <l rend="i"> Qui nous cache au Dieu d’Israël,</l>
              <l rend="i">Ou quelque ombre qui puisse à cet œil éternel</l>
              <l rend="i">D’un desordre si grand ôter la connoissance ?</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Les richesses, les biens à ses Enfans promis,</l>
              <l rend="i">Et qui de son amour sont les marques fidelles,</l>
              <l rend="i"> Sont aux mains des Peuples rebelles,</l>
              <l rend="i"> A la honte de ses Amis.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">C’est donc en vain, grand Dieu, que mon obeissance</l>
              <l rend="i">A rempli vostre loy dans toute sa rigueur ;</l>
              <l rend="i">En vain j’ay conservé la pureté du cœur,</l>
              <l rend="i"> Et la gloire de l’innocence.</l>
              <l rend="i"> Rien ne m’a separé de vous.</l>
              <l rend="i">I’éprouve cependant tous les ma de la vie,</l>
              <l rend="i"> Et je suis accablé des coups</l>
              <l rend="i">Qui devroient écraser la teste de l’Impie.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Mais que dis-je, Seigneur ? j’imite &amp; je deffens</l>
              <l rend="i"> La Nation idolatre &amp; rebelle.</l>
              <l rend="i">  Prèvaricateur infidelle,</l>
              <l rend="i">Je parle son langage, &amp; donne à vos Enfant</l>
              <l rend="i">L’exemple scandaleux d’une erreur criminelle.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> I’ay par de longs &amp; penibles efforts,</l>
              <l rend="i">Sondé vostre sagesse &amp; ses divins ressorts.</l>
              <l rend="i">Dans ses profonds secrets ma raison s’est perduë.</l>
              <l rend="i">Vne vaine recherche a rebuté mes yeux,</l>
              <l rend="i"> Et de mes regards curieux</l>
              <l rend="i"> I’ay vû l’audace confonduë.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Vostre justice enfin ceder à vostre bonté,</l>
              <l rend="i">Et me faisant entrer dans vostre Sanctuaire,</l>
              <l rend="i">I’ay de vos Iugemens dévoilé le mistere</l>
              <l rend="i">Et du Pecheur seduit par son impunité</l>
              <l rend="i"> I’ay compris l’orgueil temeraire,</l>
              <l rend="i"> Et l’affreuse felicité.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Vous placez les Pecheurs dans un rang honorable ;</l>
              <l rend="i">Mais ils ne sentent pas qu’en se croyant heureux,</l>
              <l rend="i">Leur cheute d’autant plus devient inévitable,</l>
              <l rend="i"> Que le piege tendu pour eux,</l>
              <l rend="i">Devient sous les appas d’un sort si favorable</l>
              <l rend="i"> Plus glissant &amp; plus dangereux.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Cette fausse grandeur si longtemps respectée,</l>
              <l rend="i">Et que l’illusion d’un espoir decevant</l>
              <l rend="i"> A trop indignement flatée,</l>
              <l> <hi rend="i">D’un seul soufle du Dîeu vivant</hi></l>
              <l rend="i"> Est dans l’abîme du neant</l>
              <l rend="i"> Soudainement précipitée.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Tel qu’un songe enfanté dans le sein du sommeil</l>
              <l rend="i"> Se dissipe dans le réveil,</l>
              <l rend="i"> Telle sera la gloire de l’Impie.</l>
              <l rend="i"> Vous ferez voir aux Peuples étonnez,</l>
              <l rend="i">Pour détromper leurs yeux qu’il avoit fascinez,</l>
              <l rend="i">De toute sa grandeur l’image évanoüie.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l><hi rend="i">Que si je n’ay pû voir sans estre transporté</hi></l>
              <l rend="i">D’étonnement, de douleur &amp; de rage,</l>
              <l rend="i"> Le regne de l’impieté ;</l>
              <l rend="i">Si ce spectacle affreux a glacé mon courage</l>
              <l rend="i"> De honte &amp; de stupidité,</l>
              <l rend="i"> I’attendois de vostre clemence</l>
              <l rend="i">Qu’elle m’éclairciroit sur tout ce que je voy,</l>
              <l rend="i">Et feroit à mes yeux, pour consoler ma foy,</l>
              <l rend="i"> Triompher vostre Providence.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Vous avez rassuré mon esprit incertain</l>
              <l rend="i">Dans les égaremens de mes folles pensées,</l>
              <l rend="i">Et vous m’avez tiré, me tenant par la main,</l>
              <l rend="i"> De ces routes embarassées</l>
              <l rend="i"> Qui confondent le cœur humain.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Tout plein de vostre amour, &amp; conduit par luy même,</l>
              <l rend="i">Le retrouve en luy seul ma force &amp; tout mon bien.</l>
              <l rend="i"> C’est ma felicité suprême</l>
              <l rend="i">De m’attacher à vous par ce sacré lien.</l>
              <l rend="i"> Tout ce qui n’est pas vous, n’est rien,</l>
              <l rend="i">Et je ne suis heureux qu’autant que je vous aime.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-08_108" resp="wordpro">
          <head>[Epistre en Vers]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, août 1696 [tome 8], p. 108-114.</bibl>
          <p>Vous me devez tenir quelque compte du soin que je prens de vous envoyer ce que je puis recouvrer des Ouvrages de Mademoiselle l’Heritier, dont l’heureux talent vous est connu. Voicy une Epistre &amp; une Elegie de sa façon, qui me sont tombées entre les mains.</p>
          <quote>
            <label>A MADEMOISELLE<lb />D’ALERAC,<lb />En luy envoyant une Elegie sur la mort d’Acante.<lb /><hi rend="i">EPISTRE.</hi></label>
            <lg>
              <l rend="i">Je ne suis aujourd’huy badine ny naïve,</l>
              <l rend="i">Je vais grimper mes vers sur les grands sentimens.</l>
              <l rend="i">Aimable d’Alerac, daignez estre attentive</l>
              <l rend="i">Aux accens langoureux d’une Muse plaintive</l>
              <l rend="i">Qui va chanter deux malheureux Amans.</l>
              <l rend="i">Vous qui me reprochez que l’amour ny ses chaisnes</l>
              <l rend="i"> N’excitent jamais ma pitié,</l>
              <l rend="i"> Quoy qu’il soit vray que l’amitié</l>
              <l rend="i">Fasse seule à son gré mes plaisirs &amp; mes peines.</l>
              <l rend="i">Je sçay parler de feux, de soupirs, &amp; de gesnes :</l>
              <l rend="i"> Vous m’allez voir plaindre le sort</l>
              <l rend="i">D’une Iris de ces lieux aussi tendre que belle,</l>
              <l rend="i">Qui d’un Amant chery pleure la triste mort.</l>
              <l rend="i"> Iusqu’au tombeau cet Amant fut fidelle,</l>
              <l rend="i">Je croy que de nos jours on n’en pourra compter</l>
              <l rend="i"> Aucuns qui veüillent l’imiter.</l>
              <l rend="i">Vainement d’Amadis l’heureux temps se rappelle,</l>
              <l rend="i">Vainement Celadon offre un parfait modele,</l>
              <l rend="i"> On ne sçait plus que coquetter.</l>
              <l rend="i">La tendresse regnante est fort propre à gâter</l>
              <l rend="i"> Le cœur ainsi que la cervelle,</l>
              <l rend="i">Sage, &amp; cent fois heureux qui peut s’en exempter !</l>
              <l rend="i"> En étalant cette Morale,</l>
              <l rend="i">Si je croyois changer &amp; le siecle &amp; les mœurs,</l>
              <l rend="i"> Mon erreur seroit sans égale.</l>
              <l rend="i"> Mais puisqu’une étoile fatale</l>
              <l rend="i">Fait qu’on ne peut fixer l’inconstance des cœurs,</l>
              <l rend="i">Laissez-moy, s’il vous plaist, tranquillement médire</l>
              <l rend="i"> De l’Amour &amp; de son empire.</l>
              <l rend="i">Ce commerce coquet de trompeuses ardeurs</l>
              <l rend="i">Ne merite-t-il pas mille traits de satyre ?</l>
              <l rend="i"> Il est vray que si j’apprenois</l>
              <l rend="i"> L’heroïque delicatesse</l>
              <l rend="i"> D’un nouveau Phenix de tendresse,</l>
              <l rend="i">Comme la rareté m’anime &amp; m’interesse,</l>
              <l rend="i"> De nouveau je le chanterois.</l>
              <l rend="i"> Bien-tost vous me verriez encore</l>
              <l rend="i">Le cœur plein d’enjoüement pleurex par metaphore,</l>
              <l rend="i"> Mais à parler de bonne foy</l>
              <l rend="i">Ce sera grand hazard quand j’auray cet employ.</l>
              <l rend="i">L’usage de traiter comme de Turc à More</l>
              <l rend="i">Vn cœur, dont certain temps on adora la loy,</l>
              <l rend="i"> S’interrompra fort peu, je croy.</l>
              <l rend="i">Si je voulois prôner les regrets des Bergeres,</l>
              <l rend="i">Qui vont se plaindre aux rochers d’alentour,</l>
              <l rend="i"> De maux que leur cause l’amour :</l>
              <l rend="i">Par des Amans sujets à des flames legeres,</l>
              <l rend="i"> Je me donnerois trop d’affaires.</l>
              <l rend="i">Il vaut mieux celebrer les immortels lauriers</l>
              <l rend="i"> Qui couvrent le front des Guerriers.</l>
              <l rend="i"> Je laisse à vostre aimable Muse</l>
              <l rend="i"> Exactement suivre les pas</l>
              <l rend="i"> De l’Illustre &amp; tendre la Suze.</l>
              <l rend="i">Pour moy j’aime à chanter les Heros, les combats,</l>
              <l rend="i">Et je peindray toujours leurs glorieux fracas,</l>
              <l rend="i">Sans craindre d’en tracer une image confuse.</l>
              <l rend="i">Quand je veux celebrer Louis &amp; ses Exploits,</l>
              <l rend="i">La troupe des neuf Sœurs jamais ne me refuse,</l>
              <l rend="i"> Le secours de sa docte voix</l>
              <l rend="i"> On a toujours les Muses favorables</l>
              <l rend="i">Lors que de ce Heros, le modele des Rois,</l>
              <l rend="i"> On vante les faits admirables :</l>
              <l rend="i"> Trop heureux qui vit sous ses loix.</l>
              <l rend="i">D’Alerac, dont l’illustre &amp; vaillante famille,</l>
              <l rend="i">Luy marqua son ardeur, &amp; son zele à la fois,</l>
              <l rend="i">Admirez avec moy la gloire dont il brille ;</l>
              <l rend="i">Puis écoutez les plaintives chansons</l>
              <l rend="i">De l’Iris, dont ie peins la douleur infinie.</l>
              <l rend="i"> Vous verrez par leur harmonie</l>
              <l rend="i">Que ie prens bien ou mal toutes sortes de tons.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-08_115" resp="wordpro">
          <head>Elégie sur la Mort d’Acante</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, août 1696 [tome 8], p. 115-125.</bibl>
          <quote>
            <label>ELEGIE<lb />SUR LA MORT<lb />D’ACANTE.</label>
            <lg>
              <l rend="i">Las de faire briller sa lumiere feconde</l>
              <l rend="i">Le bel Astre du jour s’alloit cacher sous l’onde,</l>
              <l rend="i">Lors que portant mes pas vers un Boccage épais</l>
              <l rend="i">Où ie voulois chercher le silence &amp; le frais,</l>
              <l rend="i">I’y vis une Beauté, dont le charmant visage</l>
              <l rend="i">Enchaîne mille cœurs dans un dur esclavage.</l>
              <l rend="i">C’estoit la jeune Iris, mais qui dans ce moment</l>
              <l rend="i">Avoit beaucoup perdu de son vif agrément.</l>
              <l rend="i">Paroissant se livrer aux plus rudes allarmes,</l>
              <l rend="i">Ses beaux yeux ne brilloient qu’au travers de ses larmes,</l>
              <l rend="i">Et leur eau flétrissoit les roses de son teint.</l>
              <l rend="i">D’un tourment si cruel son cœur estoit atteint,</l>
              <l rend="i">Que dans l’accablement de sa douleur mortelle</l>
              <l rend="i">Elle n’apperçut point que i’estois auprés d’elle.</l>
              <l rend="i">Ainsi ie l’entendis sur des tons languissans</l>
              <l rend="i">Exprimer par ces mots le trouble de ses sens.</l>
              <l rend="i"> Le Printemps vainement vient embellir nos Plaines,</l>
              <l rend="i">Ses renaissans attraits vont augmenter mes peines,</l>
              <l rend="i">Je me souviens, helas ! que son dernier retour</l>
              <l rend="i">M’enleva pour jamais l’objet de mon amour.</l>
              <l rend="i"> Trop sensible aux lauriers que donne la Victoire,</l>
              <l rend="i">Aux combats mon Acante entraîné par la gloire,</l>
              <l rend="i">Quel que fust sur son cœur le pouvoir de mes yeux,</l>
              <l rend="i">Se resolut bien-tost d’abandonner ces lieux.</l>
              <l rend="i">Mais ce jeune Heros, dont l’ame grande &amp; belle</l>
              <l rend="i">Brûla toûjours pour moy d’une ardeur si fidelle,</l>
              <l rend="i">Me dit en me quittant d’un air touchant &amp; doux,</l>
              <l rend="i">Le devoir, belle Iris, va m’éloigner de vous,</l>
              <l rend="i">Luy seul peut exiger cet effort de ma flâme :</l>
              <l rend="i">La gloire &amp; vos beaux yeux regnent seuls sur mon ame.</l>
              <l rend="i">Peut-estre qu’en suivant Louis &amp; ses Guerriers,</l>
              <l rend="i">Je pourray partager quelqu’un de leurs lauriers :</l>
              <l rend="i">Et peut-estre qu’aussi l’aveugle destinée</l>
              <l rend="i">Rendra d’un coup fatal ma course terminée.</l>
              <l rend="i">Cependant, tel que soit mon sort dans les combats,</l>
              <l rend="i">Mourant au champ d’honneur je ne m’en plaindray pas.</l>
              <l rend="i">Mais avant mon départ, apprenez-moy, de grace,</l>
              <l rend="i">Si pour moy vostre cœur n’a point fondu sa glace.</l>
              <l rend="i">Si i’apprens que vostre ame est sensible à mes feux,</l>
              <l rend="i">Après ce doux aveu ie mourray trop heureux :</l>
              <l rend="i">Ou si dans les perils, le sort malgré les armes,</l>
              <l rend="i">Veut conserver mes jours pour me rendre à vos charmes,</l>
              <l rend="i">Je viendray consacrer à vos brillans regards</l>
              <l rend="i">Les lauriers les plus doux dont m’aura chargé Mars.</l>
              <l rend="i">Ah, cruel souvenir, dont la douleur me tuë !</l>
              <l rend="i">D’Acante à ce discours ie détournay la vûë.</l>
              <l rend="i">Son ardeur, ses soupirs, sa generosité,</l>
              <l rend="i">Triomphoient en secret de toute ma fierté :</l>
              <l rend="i">Et cependant, helas, cette fierté severe</l>
              <l rend="i">Vouloit qu’il ignorast qu’il avoit sceume plaire.</l>
              <l rend="i">Ainsi pour contenter ses injustes rigueurs,</l>
              <l rend="i">Quoy que ie fusse preste à répandre des pleurs,</l>
              <l rend="i">Je dis en affectant une ame indifferente,</l>
              <l rend="i">De mon tranquille cœur n’esperez rien, Acante.</l>
              <l rend="i">Mais cependant croyez, pour soulager vos maux,</l>
              <l rend="i">Que vous n’aurez pas lieu de craindre vos rivaux.</l>
              <l rend="i">Ils trouveront toujours ma rigueur inflexible ;</l>
              <l rend="i">Je me garderay bien d’estre iamais sensible,</l>
              <l rend="i">Puis qu’aujourd’huy l’on voit l’Amant le plus charmé,</l>
              <l rend="i">Devenir inconstant si tost qu’il est aimé.</l>
              <l rend="i">Acante desolé de ma froideur cruelle</l>
              <l rend="i">Me iura vainement une ardeur éternelle,</l>
              <l rend="i">Il n’obtint pour ses feux nul espoir de secours,</l>
              <l rend="i">Mais me voyant former mille vœux pour ses jours,</l>
              <l rend="i">A travers ses douleurs il garda l’esperance</l>
              <l rend="i">Que je pourrois enfin couronner sa constance.</l>
              <l rend="i">Il partit. Quel tourment ! quelle affreuse langueur</l>
              <l rend="i">Par ce triste départ troubla mon foible cœur !</l>
              <l rend="i">Je le blâmay cent fois d’avoir pû se deffendre</l>
              <l rend="i">D’un Amant si parfait, si constant, &amp; si tendre,</l>
              <l rend="i">Et juray qu’aussi-tost qu’il seroit prés de moy</l>
              <l rend="i">Il sçauroit mon ardeur &amp; recevroit ma foy.</l>
              <l rend="i"> Tous les jeunes Amans empressez à me plaire</l>
              <l rend="i">Attiroient mes mépris, attiroient ma colere.</l>
              <l rend="i">Je les voyois languir dans un honteux repos,</l>
              <l rend="i">Bien loin de ressembler à mon charmant Heros,</l>
              <l rend="i">Dont en cent lieux divers la prompte Renommée</l>
              <l rend="i">Racontoit les exploits à mon ame charmée.</l>
              <l rend="i"> Mais que je goutay peu ce plaisir trop flateur !</l>
              <l rend="i">Bien-tost, helas, bien-tost un coup plein de fureur</l>
              <l rend="i">Accablant mon Amant sous sa rude tempeste</l>
              <l rend="i">Malgré tant de lauriers n’épargna pas sa teste.</l>
              <l rend="i">Quoy, je respire, ah Ciel ! quand une affreuse mort</l>
              <l rend="i">De cet objet si cher à terminé le sort ?</l>
              <l rend="i">Encor si dans le cours d’une si belle vie</l>
              <l rend="i">I’avois à mon Acante, au gré de son envie,</l>
              <l rend="i">Laissé voir un moment que ses ardens soupirs</l>
              <l rend="i">M’avoient rendu sensible à ses tendres desirs,</l>
              <l rend="i">Je ne souffrirois pas une peine si rude.</l>
              <l rend="i">Mais qui peut adoucir sa triste inquietude ?</l>
              <l rend="i">Toujours aveuglément ma barbare fierté,</l>
              <l rend="i">Sans se laisser fléchir par sa fidelité,</l>
              <l rend="i">Accabloit sous l’orgueil d’une dure conduite</l>
              <l rend="i">Vn Amant dont mon cœur adoroit le merite.</l>
              <l rend="i">Helas ! pour luy ravir la lumiere du jour,</l>
              <l rend="i">Sort, que n’attendois-tu du moins que mon amour</l>
              <l rend="i">Eust appris son ardeur à ce Guerrier aimable.</l>
              <l rend="i">I’aurois quitté le jour sans estre si coupable.</l>
              <l rend="i">Mais puisque tout conspire à mes tristes malheurs,</l>
              <l rend="i">Ne tarissons jamais la source de nos pleurs.</l>
              <l rend="i">Tant de mois écoulez depuis la mort d’Acante</l>
              <l rend="i">Me font connoître assez que le temps les augmente.</l>
              <l rend="i">Mais si lors que vécut ce Heros amoureux,</l>
              <l rend="i">Je luy fis ressentir un destin rigoureux,</l>
              <l rend="i">Je veux qu’après sa mort, pour n’estre point ingrate,</l>
              <l rend="i">De nos tristes amours la tendre histoire éclate.</l>
              <l rend="i">Ah ! pour éterniser un feu qui fut si beau,</l>
              <l rend="i">Allons nous enfermer dans le mesme Tombeau.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-08_171" resp="mercure">
          <head>[Histoire]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, août 1696 [tome 8], p. 171-238.</bibl>
          <p>.</p>
          <p/>
          <p>Vous avez pris trop de plaisir à lire les avantures de la petite Marquise Marquis de Banneville, pour en avoir perdu la memoire. La Dame qui s'estoit donné la peine de les écrire, avoit oublié plusieurs circonstances, dont je n'ay pû jusqu'icy vous faire part, comme vous le remarquerez par l'histoire du beau Sionad, que vous n'avez point veuë, &amp; la même Dame l'ayant ajoûtée, avec plusieurs autres particularitez, je ne veux pas vous priver d'une lecture qui assurément vous sera très-agréable, quoy que la matiere vous en soit déjà connuë pour la plus grande partie.</p>
          <p/>
          <p>HISTOIRE</p>
          <p>De la Marquise-Marquis</p>
          <p>de Banneville.</p>
          <p/>
          <p>Il n'y avoit que six mois que le Marquis de Banneville, Gentilhomme de Berry, estoit marié à une jeune personne, belle, de beaucoup d'esprit &amp; heritiere, lors qu'il fut tué au Combat de Saint Denis. Sa Veuve fut touchée sensiblement. Ils estoient encore dans les premieres ardeurs, &amp; nul chagrin domestique n'avoit troublé leur bonheur. Elle ne se laissa point aller à une douleur éclatante, &amp; sans faire les cris ordinaires, elle se retira à une de ses maisons de campagne, pour y pleurer à son aise, sans contrainte &amp; sans ostentation ; mais à peine y fut-elle arrivée, qu'on luy fit remarquer à des signes certains, qu'elle estoit grosse. [...] Sa grossesse fut fort heureuse, mais quand les temps approcherent, mille pensées la vinrent tourmenter. La mort funeste d'un homme de guerre se representa à ses yeux avec toutes ses horreurs ; elle crut voir la même avanture pour ce cher enfant qu'elle attendoit, &amp; ne pouvant s'accoutumer à une idée si triste, elle souhaita mille fois que le Ciel luy donnast une Fille, qui par son Sexe se trouvast à couvert d'une si cruelle destinée. Elle fit plus, &amp; se mit en teste de corriger la nature, si elle ne répondoit pas à ses desirs. Elle prit toutes les précautions necessaires, &amp; fit prometter à sa Sage-femme d'annoncer à haute voix la naissance d'une Fille, quand même ce seroit un Garçon. La chose ainsi resoluë fut aisément executée. L'argent fait tout ; la Marquise estoit la maistresse dans son Chasteau, &amp; la nouvelle courut bien tost qu'elle avoit eu une Fille, quoy que dans la verité elle eust eu un Garçon. On porta l'Enfant au Curé, qui dans la pure bonne foy le baptisa sous le nom de Mariane. La Nourrice fut ainsi gagnée, &amp; la petite Mariane fut élevée par sa Nourrice, qui dans la suite devint sa Gouvernante. On luy apprit tout ce qu'une Fille de qualité doit sçavoir, la Danse, la Musique, le Clavessin. Ses Maistres n'avoient qu'à dire, &amp; dans le moment elle saisissoit tout ce qu'ils avoient à luy dire. Une si grand facilité de genie força sa Mere à luy faire apprendre les Langues, l'Histoire ; &amp; même la Philosophie, sans craindre que tant de sciences se broüillassent dans une teste, où tout se rangeoit avec un ordre admirable ; &amp; ce qui ravissoit en admiration, c'est qu'un esprit si beau sembloit estre dans le corps d'un Ange. [...] Elle vivoit dans une ignorance profonde, ne soupçonnant pas seulement qu'elle pust estre autre qu'une Fille. On l'appeloit dans la Province, la belle Mariane. Tous les petits Gentilshommes voisins, qui la regardoient comme une grande heritiere, luy venoient faire la cour. [...]</p>
          <p>La belle Mariane employoit jusqu'à midi a étudier, &amp; le reste du jour à se parer. Après avoir donné, disoit-elle, agreablement, tout le matin à mon esprit, il est bien juste de donner l'apresdînée à mes yeux, à ma bouche, à toute ma petite personne. Et effectivement elle ne commençoit à s'habiller qu'à quatre heures du soir. La Compagnie etoit d'ordinaire assemblée à cette heure là, &amp; se faisoit un plaisir de la voir à sa toilette. [...] Tout ce qu'il y avoit de jeunes gens autour d'elle étoient dans une espece d'adoration ; aussi n'oublioit-elle rien, pour les piquer encor davantage. [...]</p>
          <p>Les choses en étoient là, lorsque la Marquise de Banneville fut obligée de venir à Paris solliciter un Procés, que lui fit un de ses voisins. Elle ne manqua pas d'y mener sa Fille, &amp; reconnut dans la suitte, qu'une jolie personne n'est pas inutile dans les sollicitations. [...]</p>
          <p>La Marquise de Banneville en arrivant à Paris, alla voir la Comtesse d'Aletref, son ancienne amie, &amp; luy demanda ses avis &amp; sa protection pour sa Fille. La Comtesse fut frapée de la beauté de Mariane, &amp; la baisa avec tant de plaisir qu'elle y retourna plusieurs fois. Elle se chargea de sa conduite, pendant que la mere vaqueroit à ses procés, &amp; promit de ne pas la laisser manquer de plaisirs. Elle ne pouvoit tomber en meilleure main. [...]</p>
          <p>Elle avoit une fille d'une beauté parfaite, &amp; si belle à douze ans, qu'on craignoit pour la durée, &amp; que des traits formez de si bonne heure, ne perdissent bien tost le mignon, qui en faisoit tout l'agrément. La petite Mariane fut reçûë à bras ouverts &amp; de la mere &amp; de la fille, à qui elle tenoit compagnie, pendant que la mere joüoit. Elles se faisoient fort grand plaisir l'une à l'autre, &amp; se consoloient ensemble des petites incivilitez que le jeu leur attiroit journellement. [...] C'est ainsi que ces deux jeunes personnes moralisoient au dessus de leur âge. A voir leur petit minois, fin, delicat, éveillé, on ne les eust pas cru capables de reflechir sur les vices du temps, &amp; selon les apparences, les Fontanges, les Jardinieres devoient tenir le premier rang dans la plupart de leurs conversations.</p>
          <p>Cependant la marquise de Banneville dormoit en paix. [...]</p>
          <p>Mariane, que l'on commença a nommer la petite Marquise, promit à sa mere de lui decouvrir tous les mouvemens de son coeur, &amp; se fiant sur le passé, elle crut pouvoir affronter sans peril la galanterie de la Cour de France. C'eust été une entreprise bien temeraire il y a trente ans. On lui fit des habits magnifiques ; on essaya sur elles les modes les plus nouvelles. La Comtesse qui presidoit à tout cela, prit soin elle-même de la faire coiffer par Mademoiselle de Canillac. [...]  La Comtesse luy envoya son carosse l'aprés dinée &amp; la menoit à la Comedie, à l'Opera, ou dans des maisons de jeu. On l'admiroit par tout. Les filles &amp; les femmes ne pouvoient se lasser de lui faire des caresses, &amp; les plus belles n'avoient aucune jalousie des louanges qu'on donnoit à sa beauté. Certain charme caché, qu'elles sentoient sans le comprendre, entrainoit leurs coeurs, &amp; les forçoit à rendre un hommage sincere au merite de la petite Marquise ; car personne ne lui échapoit, &amp; son esprit encore plus imperieux que sa beauté, lui faisoit des conquestes plus seures &amp; plus durables. [...] La petite Marquise avoit sur le visage, un lustre de modestie, qui lui attiroit le respect ; elle sçavoit distinguer les temps, &amp; n'alloit jamais à l'Eglise qu'avec des coiffes, point de mouches, évitant l'étalage, que recherchent la plupart des femmes. Il faut, disoit-elle, prier Dieu à la Messe, &amp; danser au bal, &amp; le faire de tout son coeur.</p>
          <p>Il y avoit trois mois qu'elle passoit la vie fort agreablement, lors que le Carnaval arriva. Tous les Princes, tous les Officiers étoient revenus de l'armée, &amp; les divertissemens publics se réchauffoient de toutes parts. Chacun faisoit des parties de plaisirs, &amp; M... preparoit un grand bal dans son Palais. Ce Prince aussi beau que vaillant, aussi aimable parmi les Dames, que fier parmi les soldats, vouloit qu'on se divertît dans sa maison, &amp; selon sa coutume, on y disposoit toutes choses pour la feste du Lundi gras. La Comtesse qui n'estoit plus assez jeune pour aller au bal à visage découvert, y voulut aller en masque, &amp; mit la petite Marquise de la partie. On l'habilla en Bergere avec des habillemens trés simples, mais trés propres. Ses cheveux qui lui pendoient à la Ceinture, étoient renouez en grosses boucles avec des rubans couleur de rose ; ni perles ni Diamans, de belles cornettes ; deux ou trois petites mouches, elle n'étoit parée que d'elle-même &amp; ne laissa pas d'attirer tous les regards. La beauté y étoit alors dans son triomphe. La Princesse de C... &amp; Madame la D...... étoient arrivées de V.... incognito. La Duchesse d'H..... &amp; la Marquise de R... y disputoient de charmes, &amp; l'on y remarquoit avec encore plus d'etonnement &amp; de plaisir, le beau Prince Sionad, qui aprés avoir vaincu les ennemis du Roi par la force de son bras, venoit sous des habits de femme disputer au beau Sexe, &amp; remporter au jugement des connoisseurs, le prix de la souveraine beauté.</p>
          <p>En entrant dans le bal, la Comtesse prit son parti, &amp; s'alla mettre derriere le beau Sionad. Ma Princesse, luy dit elle en l'abordant &amp; lui presentant la petite Marquise, voici une petite Bergere, qui n'est pas indigne de quelques uns de vos regards. Elle s'approcha aussitost avec respect, &amp; voulut baiser le bas de la robe du Prince, ou pour mieux dire, de la Princesse, mais il la releva &amp; l'embrassant avec tendresse, la belle Enfant, s'écria-t-il avec transport, les jolies traits ! Quel souris ! quelle finesse ! Ou je me trompe, ou elle a encore plus d'esprit que de beauté. La petite Marquise n'avoit encore répondu que par une petite mine riante &amp; modeste, lorsque le D.... de C...... la vint prendre pour danser. Le respect que toute la Compagnie devoit à ce grand Prince, attira d'abord les yeux &amp; l'attention, mais quand on vit avec quelle grace la petite Marquise lui rispostoit sans estre embarassée, son oreille, sa legereté, ses petits sauts en cadence, ses souris fins sans estre malicieux, l'eclat nouveau qu'un exercice violent répandoit sur son visage, on fit dans toute la salle comme de concert, un profond silence. Les violons eurent le plaisir de s'entendre, &amp; chacun parut occupé de la voir &amp; de l'admirer. La dance finit avec des acclamations, dont le Prince, tout beau &amp; tout aimé qu'il est, n'eut que la moindre partie.</p>
          <p>A peine la Marquise de Banneville fut elle retournée chez elle, que sa Fille lui dit ; Est-il possible, ma chere, Maman, que cette belle Princesse, qui m'a fait tant d'amitiez au bal, qui est si belle, si aimable, soit un garçon ? La Comtesse d'Aletref me l'a dit tout bas, mais pour moi je ne le sçaurois croire. Cela est pourtant vrai, repliqua la Mere, &amp; la premiere fois que nous verrons la Comtesse, je la prierai de nous conter son histoire. [...]</p>
          <p>Le lendemain, la Comtesse d'Aletref étant venuë les voir, elles la mirent d'abord sur le beau Sionad. [...] Il est vrai reprit-elle, que personne ne sçait mieux que moi, tout ce qui regarde le beau Sionad. [...] Je satisferai vôtre curiosité, ma belle Enfant, quand vous voudrez. Tout à l'heure, Madame, dit la petite Marquise en se jettant à son cou. Vous êtes vive, reprit la Comtesse, mais vous étes si aimable, qu'il faut faire tout ce que vous voulez.</p>
          <p/>
          <p>HISTOIRE</p>
          <p>Du beau Sionad.</p>
          <p/>
          <p>Le beau Prince dont j'ay à vous entretenir, est né dans les glaces du Septentrion. Le Prince son Pere l'eut en secret de la belle Sophie, qui pour cacher son avanture amoureuse, voulut danser au Bal trois jours aprés estre accouchée, &amp; par là contracta une maladie qui luy donna la mort au bout de sept ou huit mois, les apparences de l'honneur luy ayant paru plus précieuses que la vie. Sa perte redoubla la tendresse du Pere envers l'Enfant, reste unique d'une Mere si vertueuse. On n'épargna rien pour le conserver dans un âge fort tendre &amp; une complexion si delicate. [...] Enfin dès qu'il eut atteint l'âge de douze ans, le Prince son Pere n'estant pas content des Maistres de son pays, &amp; ne le les croyant pas assez habiles, l'envoya en France, pour y achever des études qu'il avoit fort heureusement commencées. Il luy donna un équipage honneste, mais modeste, ne voulant pas qu'il fust connu pour ce qu'il estoit, &amp; luy fit porter le nom de Comte de Garden. Son Gouverneur eut ordre de s'adresser à moy, &amp; de prendre mon avis en toutes choses. Je le mis au College d'Harc.... le plus beau de Paris, &amp; en meilleur air. Le jeune Comte s'y perfectionna bien-tost dans la connoissance des Langues, &amp; devint le premier de ses Classes. On songea vers la fin de l'année à representer une Tragedie, selon la coutume. Le Regent prit pour objet les amour d'Alexandre &amp; de Statira ; il falloit donner les Personnages ; on choisit le Comte de Garden pour representer la Princesse. [...]</p>
          <p>[...] [S]on Gouverneur vint m'avertir deux mois avant qu'on representast la Tragedie, que son Maistre y devoit faire un des principaux Personnages, &amp; qu'il avoit recours à moy pour l'aider à y réussir. J'allay aussi-tost au College, &amp;  trouvay que ces bons Regens avoient les yeux justes, de choisir le petit Comte pour en faire une Fille. Je luy demanday si ce personage luy feroit plaisir, &amp; il me dit qu'il n'en sçavoit rien. Helas ! je me reproche de luy avoir mis dans la teste l'amour de luy-même. Il ne sçavoit pas qu'il estoit beau, je l'en fis appercevoir. [...] Je me chargeay de luy faire faire une robe magnifique, &amp; même pour l'accoutumer, je luy envoyay deux jours aprés un Maistre à danser, pour luy apprendre à marcher &amp; à faire la reverence en Fille, &amp; même à conduire ses yeux avec la modestie du Sexe. [...]</p>
          <p>Mes soins ne furent pas inutiles. Je l'allois voir au College tous les huit jours, &amp; le trouvoit toujours changé. [...] Sa démarche estoit toute changée, &amp; jusqu'au ton de sa voix, il l'avoit adouci pour paroistre entierement Fille. [...]</p>
          <p>Enfin, huit ou dix jours avant la Tragedie je l'amenay chez moy, pour l'accoutumer entierement aux habits de femme. Je luy mis dés le lendemain ceux que je luy avois fait faire exprès, qui luy allerent admirablement ; &amp; comme ce n'estoit point des habits de Comedien, je le menay avec moy à l'Opera &amp; à la Comedie, où chacun se récria sur sa beauté. Je le menay aussi deux ou trois fois au College pour repeter son rôle avec les autres. Il avoit tout l'air d'une Fille ; on luy portoit la queuë. [...] &amp; quoy qu'il ne fust pas aussi paré de Diamans qu'il le devoit estre le jour de la Tragedie, on ne laissoit pas de l'admirer, &amp; les Regens me remercioient bien affectueusement du soin que j'en prenois. Il passoit comme en triomphe au milieu de la cour, [...].</p>
          <p>Enfin le jour de la Tragedie etant arrivé, je pris plaisir à l'habiller moi-même. Sa robe étoit de tafetas incarnat, recouvert par tout d'une broderie d'argent fort legere, la jupe de même. [...] La Tragedie devoit commencer à une heure selon la coutume, &amp; il en étoit deux que nous n'étions pas encore sortis de chez moy. On nous vint querir en grande hâte &amp; je crus en arrivant au College que tout étoit perdu. Madame, me dit le Principal, les yeux rouges de colere, on vous attend il y a plus d'une heure, &amp; le monde s'impatiente. On representoit la Tragedie dans la Chapelle. Je passai par la petite porte, &amp; montant sur le teatre je fis avancer ma petite Princesse, &amp; dis tout haut. Nous vous avons fait attendre, mais c'étoit pour parer la Reine Statira. Chacun cria qu'elle étoit belle comme un Ange, &amp; la Tragedie commença. [...]</p>
          <p>Comme je m'étois apperceuë qu'il étoit fort aise d'être habillé en fille, je luy dis le soir pour me réjouir, Monsieur le Comte, voilà la Tragédie jouée. Il faut reprendre l'Epée &amp; le Justaucorps. Il y a assez longtems, que vous vous contraignez. Moy, Madame, me contraindre, reprit-il avec précipitation, &amp; croyant que je parlois tout de bon ! Je ne me suis point contraint, &amp; c'est un fort grand plaisir pour moy, d'entendre par tout où je vais, ah la belle fille ! la jolie enfant ! qu'elle est aimable ! Je serois cens ans avec un Justaucorps &amp; une Epée, qu'on ne me diroit rien de pareil. Je l'embrassai de tout mon coeur, &amp; luy dis, hé bien, ma belle Princesse, vous serez fille, tant que vous serez avec moy. [...] Ainsi la belle Princesse de Garden parut à la Cour &amp; à la Ville dans tout son éclat. Tout le monde la prenoit pour une fille, &amp; ceux même, qui sçavoient son histoire, avoient peine à s'imaginer la verité. Nous faisions tous les jours des parties de divertissement. Un jeune Prince de Saxe, qui étoit à Paris à l'Académie, nous donna bien du plaisir. Il devint amoureux de la Princesse, &amp; ne nous quittoit point d'un pas. Nous le trouvions par tout, à l'Opera, à la Comedie, aux Tuilleries. Son Gouverneur, qui avoit oui dire dans les Universitez d'Allemagne, qu'il faut un peu d'amour pour débourrer les jeunes gens, ne s'opposoit point à une passion, qu'il croyoit fort innocente. [...]</p>
          <p>L'année suivante se passa à peu prés de la même maniere, mais au Printemps de 1694. le jeune Comte voulut absolument aller à la guerre. Il avoit dix-sept ans, &amp; il en a presentement dix-neuf. Il a fait deux Campagnes, &amp; s'est fait connoistre digne de sa naissance ; mais quand l'hiver ramene la saison des divertissemens, il se souvient de sa beauté, qu'il oublie pendant qu'il se faut battre, &amp; se fait un plaisir assez souvent de prendre les habits du beau Sexe, qui ne luy sont pas desavantageux. Vous fustes hier témoin de ses charmes, &amp; qu'à la réserve de la Princesse de C..... &amp; de Madame la D.. qui le disputeroient à Venus, je ne dis rien de vous, petite Marquise, il attiroit toute l'attention du Bal, &amp; en faisoit l'un des principaux ornemens.</p>
          <p>Voilà tout ce que j'ay à vous dire du beau Sionad, mais je suis trompée si vous ne le connoissez bien tost aussi bien que moy. Il m'a fait voir beaucoup de curiosité pour la petite Marquise [...].</p>
          <p>Cette Histoire se trouvant plus longue qu'elle ne m'avoit paru, je suis obligé d'en remettre la suite jusqu'au mois prochain, pour vous faire part des nouvelles de la guerre.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-08_266" resp="mercure">
          <head>[Ceremonie faite en l'Eglise Sainte-Geneviéve]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, août 1696 [tome 8], p. 266-280.</bibl>
          <p/>
          <p>Vous vous souvenez, Madame, qu'en l'année 1694. trois mois de secheresse obligerent Mr l'Archevêque de Paris d'ordonner des Processions particulieres pendant neuf jours, par un Mandement du 14. de May. Mrs les Prevosts des Marchands &amp; Echevins, accompagnez des Conseillers &amp; Quartiniers de la Ville, sortirent le 19. de ce mois de l'Hostel de Ville à pied, en robes noires, &amp; aprés avoir fait leurs stations à Nostre-Dame, ils allerent entendre la Messe à Saint Geneviéve, où au nom de toute la Ville, ils demanderent à Dieu par l'intercession de cette sainte Patronne de Paris, les secours qui leur estoient necessaires. Mr l'Archevêque, qui avoit sceu leur dessein, se rendit en même temps dans la même Eglise, &amp; il y dit la Messe pontificalement, estant servi seulement par les Officiers de Mr l'Abbé de Sainte Geneviève. Le 27. May de la même année la Procession generale se fit, aprés que le Parlement l'eut ordonnée par un Arrest, qu'il rendit sur l'ordre exprés qu'il en avoit receu de Sa Majesté. Elle fut fort solemnelle, &amp; vous en sçavez la marche, &amp; toutes les ceremonies qui s'y pratiquerent. La Messe ayant esté dite à Nostre Dame, &amp; tout le monde en estant sorti pour accompagner la Chasse de Sainte Geneviéve, à peine fut-elle dans son Eglise, &amp; Mrs de Ville dans leur Hostel, qu'il tomba une pluye tres-abondante, qui fut un signe de l'heureuse recolte des biens de la terre qu'on devoit avoir. En effet, toutes les Provinces du Royaume se trouvérent tres-fertiles en toutes sortes de fruits, &amp; Mr l'Archevesque ordonna le 9. Aoust suivant, des Prieres de Quarante-heures par toutes les Eglises de son Diocese, pour en rendre grace à Dieu. Mrs les Prevost &amp; Echevins, qui avoient esté le 19. May à Sainte Geneviéve, resolurent d'y retourner le 10 Septembre, pour rendre à Dieu, de pareilles actions de graces ; ce qu'ils firent par une Messe solemnelle que Mr l'Abbé de Sainte Geneviéve celebra Pontificalement, après quoy le Te Deum  fut chanté. Ce jour là ils s'engagérent solemnellement de faire faire un Tableau, qu'ils offriroient, &amp; qui seroit un monument éternel de leur reconnoissance pour les faveurs qu'ils avoient reçûës du Ciel par l'entremise de cette Sainte Patronne. Mr Largilliere, Peintre fameux par quantité d'excellens ouvrages, fut choisi pour executer le dessein de ce Tableau, &amp; l'ayant achevé le premier jour de ce mois, il fut arresté que le 9. on feroit la ceremonie de le presenter. Ainsi ce jour-là, Mrs les Prevost des Marchands, &amp; Echevins en robes rouges &amp; my-parties, sortirent de l'Hostel de Ville, accompagnez des Conseillers &amp; Quartiniers, &amp; se rendirent sur les neuf heures du matin à Sainte Geneviéve, où ils furent reçûs à la porte de l'Eglise par Mr l'Abbé &amp; par les Religieux, qui leur presentérent de l'eau-benîte. Mr le Prevost des Marchands fit un petit Discours au nom de la Ville sur le sujet qui les amenoit, &amp; aussi-tost le Tableau qui estoit élevé vis-à-vis le Crucifix &amp; au-dessus de la Porte du Choeur, fut découvert. [...]</p>
          <p>Mrs les Prevost des Marchands &amp; Echevins &amp; autres Officiers de Ville, ayant pris leurs places dans le Choeur selon leur rang, on commença la Messe qui fut chantée en Musique. Elle estoit de la composition de Mr Campra, qui y réüssit parfaitement. On chanta à l'Offertoire un fort beau Motet, qui fut admiré de tout le monde, &amp; dont voicy les paroles. Cantate Domino omnis terra, anuunciate [sic] ex die in diem salutare Dei Narrate ingentibus gloriam ejus, &amp; in cunctis populis mirabilia ejus. Deest panis, non sunt aquæ. Ecce Virgo Genovefa oravit, &amp; coelum dedit pluviam &amp; terra fructum suum. Pendant la Messe la Chasse fut découverte &amp; éclairée d'un grand nombre de cierges chargez d'Ecussons aux Armes de la Ville. Ceux qui ont l'honneur de porter cette précieuse Relique quand on la porte processionnellement, furent invitez à cette Ceremonie, &amp; tinrent toujours un cierge ardent en leur main, selon leur coutume, pour marque qu'ils sont préposez pour faire amande honorable devant Dieu, en reparation des crimes qui ont attiré sa colere sur son Peuple. La Messe finie, on chanta la Priere pour le Roy, qui fut suivie de la Benediction que donna Mr l'Abbé de Sainte Geneviéve.</p>
        </div>
      </div>
      <div type="tome" xml:id="MG-1696-09">
        <head><hi rend="i">Mercure Galant</hi>, septembre 1696  [tome 9]</head>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-09_060" resp="wordpro">
          <head>La Gloire mal entendue</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, septembre 1696 [tome 9], p. 60-71.</bibl>
          <p>La Piece qui suit a esté si applaudie de tout ce qu’il y a de plus fins &amp; de plus habiles Connoisseurs, que je ne vous sçaurois rien envoyer de meilleur goust. Elle est de M<hi rend="sup">r</hi> Pertault de l’Academie Françoise. Il y fait parler la Gloire, qui se plaint de ce qu’on la cherche où elle n’est pas.</p>
          <quote>
            <label>LA GLOIRE<lb />MAL ENTENDUE.<lb /><hi rend="i">VERS LIBRES.</hi></label>
            <lg>
              <l rend="i">De toutes les Beautez qui brillent sous les Cieux,</l>
              <l rend="i">Je suis la plus aimée &amp; la plus inconnuë.</l>
              <l rend="i">L’éclat de mon Palais ébloüit tous les yeux,</l>
              <l rend="i">Peu de gens cependant en trouvent l’avenuë.</l>
              <l rend="i"> Vn Prelat y croit arriver</l>
              <l rend="i">Par son train magnifique &amp; par sa bonne table,</l>
              <l rend="i"> Et pense que pour me trouver</l>
              <l rend="i">Il prend une route immanquable ;</l>
              <l rend="i">Sur tout quand six chevaux, gros, larges &amp; puissans,</l>
              <l rend="i"> Fiers d’un beau Char où l’or éclate,</l>
              <l rend="i"> Et de leurs houppes d’écarlate,</l>
              <l rend="i"> Eclaboussent tous les passans.</l>
              <l rend="i"> Je l’aimerois bien davantage</l>
              <l rend="i">En faisant sa visite avec moins d’équipage,</l>
              <l rend="i"> Et même avec un seul Mulet,</l>
              <l rend="i">Tel qu’on voyoit aller de village en village</l>
              <l rend="i"> Son défunt Confrere d’Alet.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Vn Gentilhomme en sa Gentilhommiere</l>
              <l rend="i"> Pense beaucoup faire pour moy,</l>
              <l rend="i">Quand la canne à la main il fait trembler d’effroy</l>
              <l rend="i"> Le Paysan sous sa chaumiere,</l>
              <l rend="i"> Ou qu’il débauche sa Fermiere.</l>
              <l rend="i">Il croit que de frauder Marchands &amp; Creanciers,</l>
              <l rend="i"> Sans que jamais la plus criante dette</l>
              <l rend="i"> Le mortifie ou l’inquiete,</l>
              <l rend="i"> C’est estre Noble, &amp; de seize quartiers ;</l>
              <l rend="i"> Mais si plein d’une belle audace</l>
              <l rend="i"> Il attaquoit avec vigueur</l>
              <l rend="i"> L’endroit meurtrier d’une Place,</l>
              <l rend="i">Qu’il prouveroit bien mieux sa noblesse &amp; son cœur !</l>
              <l rend="i"> Ou si touché de la misere</l>
              <l rend="i"> De ceux dont il est le Seigneur,</l>
              <l rend="i"> Et les traitant avec douceur,</l>
              <l rend="i">Il se faisoit moins voir leur Maistre que leur Pere.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Un Juge auprés de moy croit fort se distinguer</l>
              <l rend="i"> Quand de ses Confreres peu sages,</l>
              <l rend="i"> Il enleve tous les suffrages</l>
              <l rend="i"> A force de les haranguer ;</l>
              <l rend="i">Lors que de tout son Corps estant le plus fort membre,</l>
              <l rend="i">Au gré de ses Amis il gouverne sa Chambre.</l>
              <l rend="i"> Qu’il feroit mieux d’estre tranquille &amp; doux,</l>
              <l rend="i"> Et de rendre justice à tous !</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Quiconque à la Finance utilement s’applique,</l>
              <l rend="i">En meubles, en habits peut estre magnifique,</l>
              <l rend="i"> Il peut avoir Carosses, Palfreniers,</l>
              <l rend="i"> Et sur toue, de bons Cuisiniers.</l>
              <l rend="i">Il pourra se choisir une aimable Compagne,</l>
              <l rend="i"> Et se donner à la campagne</l>
              <l rend="i"> Vne maison belle &amp; de prix,</l>
              <l rend="i"> Retraite des jeux &amp; des Ris ;</l>
              <l rend="i"> Il peut y remuer des terres,</l>
              <l rend="i">Y faire des jets d’eau, des canaux, des bassins,</l>
              <l rend="i"> Et de magnifiques parterres,</l>
              <l rend="i">Dont le Nostre luy-même aura fait les desseins.</l>
              <l rend="i"> I’en suis d’accord, l’argent qu’il y dépense</l>
              <l rend="i"> Retourne au pauvre en diligence.</l>
              <l rend="i"> Mais que par luy soient achetez</l>
              <l rend="i"> Des Marquisais &amp; des Comtez,</l>
              <l rend="i"> Pour en porter les noms illustres,</l>
              <l rend="i">Sur tout si ses Ayeux n’ont esté que des Rustres :</l>
              <l rend="i"> Vn tel orgueil est ridicule &amp; vain,</l>
              <l rend="i">Et pour venir à moy prend un mauvais chemin.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Lors qu’un Prédicateur, bien fait de sa personne,</l>
              <l rend="i"> Ayant belles mains, belles dents,</l>
              <l rend="i">Par des discours polis, fleuris &amp; transcendans,</l>
              <l rend="i"> Sur un grand Auditoire tonne :</l>
              <l rend="i"> Lors qu’il le charme ou qu’il l’étonne,</l>
              <l rend="i">Tantost par son sçavoir, tantost par de beaux traits,</l>
              <l rend="i"> Et tantôt par de beaux portraits,</l>
              <l rend="i">Il croit, car se flater est chose bien facile,</l>
              <l rend="i">Que déja son beau nom dans mon Temple est gravé</l>
              <l rend="i"> Sur l’endroit le plus élevé.</l>
              <l rend="i"> Ah, qu’il luy seroit plus utile</l>
              <l rend="i"> De prêcher le pur Evangile !</l>
              <l rend="i"> Qu’il luy seroit plus glorieux,</l>
              <l rend="i">Non pas d’oüir l’Auditeur qui l’admire,</l>
              <l rend="i">Mais de le voir s’en aller sans rien dire,</l>
              <l rend="i">Le cœur gros de soupirs, &amp; les larmes aux yeux !</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Vn Avocat, qui par son éloquence,</l>
              <l rend="i"> Sur une affaire de bibus,</l>
              <l rend="i">Qu’on auroit pû vuider en un quart d’heure au plus,</l>
              <l rend="i"> A tenu toute l’Audience :</l>
              <l rend="i"> Qui par son babil a jetté</l>
              <l rend="i"> Trois de Messieurs sur le costé,</l>
              <l rend="i"> Dormans d’un doux &amp; profond somme,</l>
              <l rend="i"> Se regarde comme un grand homme.</l>
              <l rend="i"> Qu’il eust esté plus à propos,</l>
              <l rend="i">Pour me gagner &amp; pour gagner sa cause,</l>
              <l rend="i">  De ne dire que quatre mots,</l>
              <l rend="i"> Sans mettre en jeu ny Philon, ny Berose,</l>
              <l rend="i">Ny le galant Auteur de la Metamorphose,</l>
              <l rend="i"> Qui tous ny de loin ny de prés</l>
              <l rend="i"> N’avoient que voir dans ce procés,</l>
              <l rend="i">Mais telle est, dira t-on, l’éloquence feconde.</l>
              <l rend="i"> Quel abüs ! &amp; jusques à quand</l>
              <l rend="i"> Ignorera-t-on dans le monde</l>
              <l rend="i">Qu’un Orateur trop long ne peut estre éloquent ?</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Vn Moine adroit, qui pour toutes sciences,</l>
              <l rend="i">Sçait rendre son Convent celebre &amp; frequenté,</l>
              <l rend="i">Ou qui, doux &amp; commode, a de l’habileté</l>
              <l rend="i"> A manier les consciences,</l>
              <l rend="i"> Qui se fourant où sont reclus</l>
              <l rend="i"> De vieux Devots avec de vieux écus,</l>
              <l rend="i"> Les induit saintement à faire</l>
              <l rend="i"> De gros legs à son Monastere ;</l>
              <l rend="i">Tout Moine enfin qui par son entregent</l>
              <l rend="i">A sa maison fait venir de l’argent,</l>
              <l rend="i"> Croit que je luy suis toute acquise,</l>
              <l rend="i">Parce que son Prieur l’aime &amp; le préconise.</l>
              <l rend="i">Mais s’il reflechissoit comment il est vestu,</l>
              <l rend="i">Pourquoy dans un Convent il a voulu se mettre,</l>
              <l rend="i">Ce qu’en faisant ses vœux il a fallu promettre,</l>
              <l rend="i">Quelle est de son estat la premiere vertu,</l>
              <l rend="i"> S’il songeoit bien que le silence,</l>
              <l rend="i"> La retraite, la penitence,</l>
              <l rend="i"> La pauvreté, l’obeissance,</l>
              <l rend="i">  Font son essence :</l>
              <l rend="i">Triste de ces succés, honteux de son talent,</l>
              <l rend="i">Il iroit se cacher dans une grotte obscure,</l>
              <l rend="i"> Et là seul confus &amp; dolent,</l>
              <l rend="i"> Et quelquefois se flagellant,</l>
              <l rend="i"> Prier sans cesse &amp; coucher sur la dure.</l>
              <l rend="i">Pour se combler d’honneur, &amp; d’un honneur qui dure,</l>
              <l rend="i"> Le moyen seroit excellent.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Une Femme propre &amp; galante</l>
              <l rend="i">De mes plus beaux rayons se croit toute brillante,</l>
              <l rend="i">Quand sur son foible Epoux elle a gagné le pas :</l>
              <l rend="i"> Lors que pompeusement parée</l>
              <l rend="i">Et de tout le plein pied s’estant seule emparée,</l>
              <l rend="i">Elle l’a relegué dans un vieux galetas,</l>
              <l rend="i"> Quand Precieuse devenuë,</l>
              <l rend="i">Et plus que luy cent fois du beau monde connuë,</l>
              <l rend="i"> Par tout elle fait du fracas.</l>
              <l rend="i">Teste à l’évent qui ne sçait pas encore</l>
              <l rend="i">Qu’une Femme d’esprit, qu’une Femme de cœur,</l>
              <l rend="i"> N’a pas de plus solide honneur,</l>
              <l rend="i">Que d’avoir un Epoux que tout le monde honore.</l>
              <l rend="i">Pour un seul qui vers moy sçait conduire ses pas,</l>
              <l rend="i"> J’en vois cent qui prennent le change,</l>
              <l rend="i"> Et qui par une erreur étrange</l>
              <l rend="i"> Me cherchent où je ne suis pas</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-09_085" resp="mercure">
          <head>[Suite de l'histoire du mois dernier]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, septembre 1696 [tome 9], p. 85-180.</bibl>
          <p/>
          <p>Je viens au reste des avantures de la petite Marquise. Elle alloit souvent à la Comedie, qu'elle aimoit bien mieux que l'Opera. On y pleure, disoit-elle, &amp; quel plaisir de pleurer ! On y voit des malheureux, on les plaint, &amp; ce qui est admirable, en les plaignant on voudroit souvent estre à leur place au hazard de souffrir comme eux. Elle y alloit toujours de bonne heure, afin de recevoir les applaudissemens de toute l'Assemblée ; car dés qu'on allumoit les Lustres, &amp; qu'on la pouvoit remarquer dans sa loge, &amp; le theatre &amp; le parterre, tout n'avoit attention qu'à elle. Chacun se récrioit sur ce visage enfantin, où toutes les graces estoient rassemblées : aussi sçavoit-elle bien les faire valoir par ses petites manieres. [...] Elle estoit un jour dans la premiere loge extraordinairement parée. Elle devoit le soir aller à un souper &amp; au Bal chez l'Ambassadeur de Venise. Une robe de velours noir toute chamarrée de Diamans, un mouchoir volant, qui laissoit entrevoir une gorge naissante, mille rubans couleur de rose, des boucles d'oreilles de Rubis, tout sembloit contribuer à rehausser l'éclat de ses yeux &amp; les agrémens de son visage. Les Comediens joüoient une Comedie intitulée, L'Isle enchantée. Un Comedien venoit d'annoncer la venuë de la Déesse de la Jeunesse. Il en avoit fait douze ou quinze Vers une description fort agreable, &amp; achevoit ce Vers,</p>
          <p>Seigneur, vous allez voir cette aimable Déesse,</p>
          <p>lors que tout d'un coup, &amp; comme de concert, vingt voix du Parterre s'écrierent ensemble, la voilà, la Déesse de la Jeunesse,  en levant les mains vers la loge où estoit la petite Marquise. Le theatre sans balancer suivit l'exemple du Parterre. Tous se leverent en confusion, &amp; passerent de son costé, en disant, Ouy, la Deesse de la Jeunesse, Voilà ses yeux, sa bouche, ses agrémens, voilà jusqu'à ses petites façons. Les Comediens eurent beau demander silence, il fallut qu'ils s'arrestassent tout court, &amp; qu'ils vinssent eux-mêmes rendre hommage à la petite Marquise. Elle en vouloit rire au commencement ; mais voyant que c'estoit tout de bon, sa modestie fut poussee à bout, &amp; pour éviter tant de regards qui la devoroient, elle s'enfonça dans sa loge, &amp; ne se remontra aux yeux du Public, que quand le bruit fut cessé &amp; la Comedie recommencée. Cela ne laissa pas de luy faire grand plaisir. Il faut bien que je sois belle, disoit-elle à sa mère avec une ingenuité charmante, puisque tant de gens le disent.</p>
          <p>Une autre fois, qu'elle étoit à la Comedie avec la Comtesse d'Altref, elle remarqua dans la loge un jeune homme fort bien fait [...]. Elle s'attacha par curiosité à le regarder &amp; lui trouva une phisionomie si douce &amp; si aimable que ne pouvant se retenir, Madame, dit elle à la Comtesse d'Altref, voilà un beau garçon. Il est vrai, dit la Comtesse, mais il fait le beau, &amp; cela ne sied point à un homme. Que ne s'habille-t-il en fille ? la Comedie continuoit, on ne causa plus, mais la petite Marquise tournoit souvent la tête, &amp; ne se sentoit plus d'attention pour le faux Alcibiade, qu'on representoit. A quelques jours de là, étant à la Comedie dans la troisiéme loge, le même jeune homme, qui se faisoit assez remarquer par ses ajustemens extraordinaires, se trouva dans la deuxiéme loge, &amp; voyant à son aise la petite Marquise, qui étoit dans la troisiéme, il eut pour elle toute l'attention qu'elle avoit euë pour lui la premiere fois, &amp; ne se contraignit pas tant. Il tourna toûjours le dos aux Comediens, &amp; ne pouvoit détourner ses regards de dessus la petite Marquise, qui de son costé lui répondoit un peu plus souvent que l'exacte modestie ne l'eust voulu. Elle sentoit dans ce commerce mutuel de regards, ce qu'elle n'avoit jamais senti, une certaine joye delicate &amp; profonde, qui des yeux passe dans le coeur, &amp; qui fait toute la felicité de la vie. Enfin quand la Comedie fut achevée, en attendant la petite piece, le beau jeune homme sortit de sa loge pour aller demander le nom de la petite Marquise. Les Portiers, qui la voyoient souvent, lui dirent son nom sans se faire prier, &amp; même sa demeure, &amp; voyant que c'étoit une personne de qualité, il resolut de faire connoissance, s'il pouvoit, &amp; même sans aller plus loin, il s'avisa (l'amour est ingenieux) d'entrer tout d'un coup dans la loge de la petite Marquise, en feignant de se tromper. Ah, Mesdames, s'écria-t-il, je vous demande pardon, je croyois entrer dans ma loge. La Marquise de Banneville aimoit assez les avantures, &amp; ne manqua pas celle-cy. Monsieur, luy dit-elle fort honnestement, nous sommes fort heureuses que vous vous soyez trompé. Quand on est fait comme vous, on est bien receu par tout. Elle avoit envie par là de le retenir pour le voir tout à son aise, l'examiner, lui &amp; son ajustement, faire plaisir à sa Fille, dont elle avoit deja remarqué l'emotion, &amp; en un mot se rejouit innocemment. Il se fit encore un peu presser, &amp; puis demeura dans la loge, sans vouloir se mettre au premier rang ; on lui fit cent questions, ausquelles il répondit avec beaucoup d'esprit &amp; un certain agrément dans le son de la voix &amp; dans toutes ses manieres qui le rendoient fort aimable. La petite Marquise lui demanda pourquoy il avoit des pendans d'oreilles. Il repondit que c'estoit habitude &amp; qu'ayant eu les oreilles percées dès son enfance, il y avoit toûjours mis des boucles de Diamans ; &amp; qu'au reste, il croyoit qu'on pardonneroit à son âge ces petits ajustemens, qui proprement ne conviennent qu'au beaux sexe. Tous vous sied bien, Monsieur, lui dit la petite Marquise en rougissant, &amp; vous pouvez mettre des bracelets, sans que nous nous y opposions. Vous ne serez pas le premier ; tout tourne dans le monde galant. La plus part des filles veulent avoir des cravates &amp; des perruques. Ce sont toutes des Amazones, &amp; beaucoup de jeunes gens mettent des pendans d'oreilles &amp; des mouches, &amp; s'ajustent comme des filles. La conversation ne tomba pas. Le beau jeune homme, qui sçavoit l'histoire, leur dit, que nos grands peres avoient porté des pendans d'oreilles &amp; des bracelets de Diamans, &amp; que la mode en pouvoit fort bien revenir.</p>
          <p>Cependant la piece étant finie, il reconduisit les Dames à leur carosse, &amp; fit suivre le sien jusqu'à la maison de la Marquise, &amp; là, sans oser entrer, il envoya un Page faire un compliment, &amp; dire que son escorte leur avoit esté assez inutile. [...] Enfin au bout de trois semaines, un Conseiller au Parlement, frere de la Marquise de Banneville, lui vint proposer un matin de recevoir la visite du Marquis de Bercourt, son bon ami &amp; son voisin. Il l'assura que c'estoit un fort honneste homme, &amp; l'amena dés l'aprésdinée. [...] Il leur proposa un jour de faire une petite lotterie de bijoux. La chose fut executée sur le champ. Les meres fournirent quelque argent pour elles &amp; pour leurs filles. Il devoit y avoir cinq ou six billets noirs, mais chacun fut bien étonné, quand en ouvrant ses billets, il ne s'en trouva que des noirs. Chaque Dame faisoit de grands cris en ouvrant chaque billet. Il est vray que tous ces lots n'estoient que des bagatelles, des Tablettes, des Etuis, des Rubans, mais la surprise &amp; la joye n'en furent pas moins grandes, &amp; quoy que le Marquis s'en deffendist, on vit bien que cela ne pouvoit venir que de luy. Il avoit fait amitié avec les deux Orphées de nôtre siecle, Descoteaux &amp; Filbert, &amp; les amenoit souvent chez la petite Marquise. C'est là qu'ils deployoient tout le secret de leur Art. Ils estoient tout autres que chez les plus grands Seigneurs. Tantost leur flute poussoit de ces tons ravissans qui transportent l'âme hors d'elle même ; tantost ils s'abandonnoient aux charmes d'une Musique naturelle, &amp; chantoient les beautez de la petite Marquise, en chantant celles de leur Bergere. La difference de leurs voix &amp; peut-estre de leurs inclinations, quoy que fort amis, faisoit un contraste, &amp; l'on ne sçavoit qui plaisoit davantage, ou l'enjouement de l'un, ou la tendresse de l'autre. [...]</p>
          <p>C'est ainsi que les journées se passoient agreablement chez la Marquise de Banneville, jusqu'à ce que la chere Enfant fust parfaitement rétablie. On la revit avec joye aux promenades publiques. Les Comediens disoient en riant, qu'ils vouloient l'annoncer dans leurs Affiches. Elle recommença à faire sa vie. Le Marquis de Bercourt y venoit souper tous les soirs, &amp; la Mere estoit fort contente, parce que sa Fille ne parloit point de ce mariage, qui lui faisoit tant de peine. Elle esperoit que contente d'aimer, &amp; d'estre aimée de son cher Marquis [de Bercourt], elle se croiroit heureuse dans la liberté entiere qu'elle luy donnoit de faire toutes ses volontez, mais elle fut détrompée au bout de trois mois. [...]</p>
          <p>[...] [La petite Marquise] alloit souvent au Bal, à la Comedie, à l'Opera, &amp; toujours avec la même Compagnie. Le Marquis ne la quittoit pas, &amp; tous ses autres Amans voïant assez que c'estoit une affaire reglée, s'estoient retirez. [...] Ainsi le mariage fut arresté. On leva les étoffes, &amp; la ceremonie se fit chez [son] bon oncle, qui comme Tuteur, voulut donner le festin des nôces.</p>
          <p>Jamais la petite Marquise ne parut si belle, que ce jour là. [...] On les unit pour jamais, &amp; chacun leur donnoit mille benedictions. Le soir, le festin fut magnifique. La musique &amp; les violons n'y manquerent pas. Enfin l'heure fatale étant arrivée, les parens &amp; les amis les mirent ensemble dans un lit de parade, &amp; les embrasserent, les hommes en riant, &amp; quelques Vieilles en pleurant. [...]</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-09_198" resp="mercure">
          <head>[Spectacle donné à Rouën]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, septembre 1696 [tome 9], p. 198-204.</bibl>
          <p/>
          <p>La Tragedie du College de Roüen, où se fait la distribution des Prix, fondez par Mr du Parlement de Normandie, fut representée le 30. du mois passé, avec un succés extraordinaire. Tout contribua à la faire réussir, le choix des Acteurs qui declamerent beaucoup mieux que n'ont coutume de faire des Ecoliers, l'Assemblée qui estoit tres-nombreuse, &amp; où se trouverent plusieurs personnes de distinction, &amp; sur tout les agrémens de la Musique &amp; de la Danse, dont la Piece estoit entemeslée, &amp; dont l'execution contenta toutes les personnes de bon goust. Cette Piece fut terminée par un Compliment à Mrs du Parlement, que le Fils de Mr Petit de Captot, Avocat General en la Cour des Aides de Normandie, recita avec une grace particuliere. Ce Compliment parut noble, &amp; singulier, &amp; propre au sujet ; &amp; comme il reçut de grands applaudissemens, je croy devoir vous en faire part. il est de la composition du Pere Buffier, Jesuite, dont on a vû il y a longtemps de fort beaux Vers sur differentes matieres.</p>
          <p/>
          <p>Auguste Parlement, dont l'illustre presence</p>
          <p>Vient honorer les Muses de ces lieux,</p>
          <p>Et de qui la magnificence</p>
          <p>Anime les beaux Arts par des dons précieux,</p>
          <p>Goûtez icy le fruit de leur reconnoissance.</p>
          <p>Il n'est point indigne de vous,</p>
          <p>Quelque leger qu'il soit en apparence,</p>
          <p>Vous devez en estre jaloux.</p>
          <p/>
          <p>Jadis les Senateurs du Conseil le plus sage,</p>
          <p>Du Tribunal le plus majestueux,</p>
          <p>Du venerable Areopage,</p>
          <p>S'en firent une gloire, &amp; vous faites comme eux.</p>
          <p>Leurs presens excitoient les esprits de la Grece</p>
          <p>A mille exercices divers</p>
          <p>De l'Eloquence &amp; du bel Arts des Vers.</p>
          <p>Athenes fut ainsi l'école &amp; la maistresse</p>
          <p>De l'Europe, de l'Univers.</p>
          <p>L'on apprit d'elle ainsi le secret heroïque</p>
          <p>De former noblement les moeurs,</p>
          <p>De polir les esprits sans corrompre les coeurs,</p>
          <p>De parler dans la République</p>
          <p>Avec autant de dignité,</p>
          <p>Qu'on y donnoit des Loix avecque majesté.</p>
          <p/>
          <p>Loin d'elle, loin de nous, loin d'un Empire illustre,</p>
          <p>Cette âpre &amp; farouche équité,</p>
          <p>Qui des beaux Arts n'emprunte point le lustre,</p>
          <p>Et qui n'a d'ornement que sa rusticité,</p>
          <p>Ne sçauroit estre le partage</p>
          <p>Que du feroce Ameriquain,</p>
          <p>Ou d'un peuple encor plus sauvage,</p>
          <p>Mais dont jamais ne put souffrir l'usage</p>
          <p>Le Grec habile, &amp; le poli Romain.</p>
          <p/>
          <p>D'un Senateur Français le noble caractere</p>
          <p>A-t-il des droits moins excellens ?</p>
          <p>Non, quelque soit l'éclat de ses autres talens,</p>
          <p>Ce ne sera jamais qu'une obscure lumiere,</p>
          <p>S'il ne tient d'Apollon ses traits les plus brillans.</p>
          <p>Si les Muses ne peuvent faire</p>
          <p>Ses soins, son étude ordinaire,</p>
          <p>Qu'il en fasse du moins ses divertissemens,</p>
          <p>Et qu'il se montre ainsi distingué du vulgaire.</p>
          <p>Jusque dans ses amusemens.</p>
          <p/>
          <p>O vous, florissante jeunesse,</p>
          <p>Qu'un illustre Senat prend plaisir aujourd'huy</p>
          <p>D'animer à la politesse,</p>
          <p>Profitez de ses dons, &amp; formez-vous sur luy.</p>
          <p>Contemplez à loisir sa dignité, sa gloire,</p>
          <p>D'avoir eu des Pellots, des Rys, des Montholons,</p>
          <p>Comme l'on vit ailleurs des Thous, de Lamoignons,</p>
          <p>Rendre leur nom éternel dans l'Histoire,</p>
          <p>Par l'honneur qu'ils ont fait aux Filles de Memoire.</p>
          <p>Que dans vous, comme en eux,</p>
          <p>Apollon &amp; Themis</p>
          <p>Fassent un jour cette heureuse alliance,</p>
          <p>Qui seule peut former en France,</p>
          <p>Un Magistrat digne des Lis,</p>
          <p>Digne de prononcer les Arrests de Loüis.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-09_217" resp="wordpro">
          <head>[Entretiens sur les anciens Auteurs]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, septembre 1696 [tome 9], p. 217-219.</bibl>
          <p>Il paroist depuis peu de jours un Livre nouveau, qui a pour titre, <hi rend="i">Entretiens sur les anciens Auteurs</hi>. Il est de M<hi rend="sup">r</hi> de Martignac, qui s’est distingué avec beaucoup d’avantage parmy tout ce qu’il y a de gens de Lettres, par ses excellentes Traductions de Virgile &amp; d’Horace. Son dessein a esté formé sur la Bibliotheque de Photius, Pataiarche de Constantinople, qui nous ayant laissé des Extraits de plusieurs Livres qui ne subsistent plus à present, a rendu par là un service considerable aux Sçavans. M<hi rend="sup">r</hi> de Martignac introduit Cleante &amp; Timandre, tous deux remplis d’érudition, qui en parlant des Auteurs anciens, marquent leur Patrie, leur Siecle, leurs Emplois, &amp; leur maniere d’écrire. Ils rapportent même des Fragmens de leurs Ecrits, pour donner une plus ample idée de la matiere qu’ils traitent. Ce Livre contient en abregé la Vie de quarante-sept de ces Illustres, dont le nom vivra toujours, à commencer par Homere ; &amp; cet Ouvrage, qui n’est pas moins curieux qu’utile, ne peut donner qu’un fort grand plaisir à ses Lecteurs. Il se trouve chez le S<hi rend="sup">r</hi> Guillaume de Luynes, Libraire au Palais, dans la Salle des Merciers.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-09_226" resp="mercure">
          <head>[Liste des Marchandises contenues sur les Vaisseaux de la Flotte de Smirne appartenant aux March. de Marseille]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, septembre 1696 [tome 9], p. 226-227.</bibl>
          <p/>
          <p>Je vous envoye un détail des marchandises que l'on a trouvées sur six des Vaisseaux qui sont venus de nostre flote de Smirne. Leur charge est estimée plusieurs millions ; &amp; on a eu à Marseille d'autant plus de joye de leur arrivée, que le Roy a fait la grace à cette Ville là de luy accorder la franchise de son Port. Aussi pour marquer combien  cette joye estoit generale, on y a chanté un Te Deum, &amp; allumé des feux dans toutes les ruës. [...]</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-09_266" copyOf="JLB-MG-1696-09_269" resp="mercure">
          <head>[Publication de la Paix &amp;c]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, septembre 1696 [tome 9], p. 266-290.</bibl>
          <p>Peu de jours aprés, le Roy, à la priere de Monsieur le Duc de Savoye, consentit à accorder aux Alliez une Tréve de trente jours en Italie, pour leur donner le temps de se concerter pour accepter la neutralité. Ces quinze jours estant expirez, S. M. voulut bien en accorder encore vingt, à la priere de ce même Prince, &amp; quand ils furent passez, Elle fit publier cette Ordonannce. [...]</p>
          <p/>
          <p>Cette Ordonnance ayant esté renduë publique, la Paix fut publiée le 10. Mrs du Chastelet se rendirent à l'Hostel de Ville, où il y eut un grand repas. La marche commença ensuite. Elle estoit composée des Archers du Guet, de la Compagnie de Mr le Prevost de l'Isle, &amp; des trois cens Archers de Ville, divisez en trois Compagnies. Toutes ces Troupes avoient une infinité d'Officiers bien montez, &amp; estoient accompagnées des Hautbois &amp; Trompettes de la Chambre, &amp; de celles de la Ville. Mrs du Chastelet &amp; de la Ville marchoient ensemble, &amp; Mrs du Chastelet avoient la droite. Il y avoit six Herauts &amp; le Roy d'Armes, qui publia la paix. La premiere publication se fit devant le Palais des Tuileries parce que c'est le dernier endroit du Louvre que le Roy ait habité.</p>
          <p/>
          <p>Je ne vous ay rien dit de cette Paix ; mais qu'aurois-je pû vous dire de mieux que ce que porte la Lettre du Roy à Mr l'Archevêque de Paris, dont voicy les termes :</p>
          <p/>
          <p>Mon Cousin. Comme dans cette guerre que je soutiens seule depuis neuf ans contre l'Europe conjurée, je n'ay eu d'autres vûës que de défendre la Religion, &amp; de vanger la Majesté des Rois, Dieu a protegé sa cause, il a conduit mes desseins, &amp; secondé mes entreprises. Les heureux succés qui ont accompagné mes Armes, m'ont esté d'autant plus agreables, que je me suis toujours flaté qu'ils pourroient contribuer à la Paix. [...] C'est pour rendre graces au Dieu des Armées qui a bien voulu se montrer le Dieu de Paix, &amp; pour le prier de rendre à l'Europe une tranquillité si necessaire &amp; que luy seul peut donner, que j'ay resolu de faire chanter le Te Deum dans l'Eglise Cathedrale de ma bonne Ville de Paris le 13. du present mois, ainsi que vous le fera plus particulierement entendre le Grand Maistre ou le Maistre des Ceremonies, auquel j'ordonne d'inviter à cette Ceremonie mes Cours, &amp; ceux qui ont accoutumé d'y assister. [...]</p>
          <p/>
          <p>Mr des Granges, Maistre des Ceremonies, ayant invité en même temps les Cours Superieures de se trouver à ce Te Deum, elles y assisterent, ayant Mr le Chancelier à leur teste. Le Clergé s'y trouva aussi. Il y eut le soir un Feu d'Artifice devant l'Hostel de Ville. La Paix y estoit representée, tenant d'une main un rameau d'olivier, qui en est le simbole. Elle estoit appuyée de l'autre sur un bouclier aux Armes de France, pour marquer que la force des armes victorieuses du Roy, en a toujours esté le plus ferme appuy. On y voyoit sur le piedestal une Inscription Latine, dont voicy la traduction. A LA GLOIRE DE LOUIS LE GRAND, POUR EN AVOIR DONNE LA PREMIERE OUVERTURE DE LA PAIX A L'EUROPE, EN ROMPANT UNE LIGUE EN ITALIE PAR UNE NOUVELLE ALLIANCE. [...]</p>
          <p>Je ne vous parle point des réjoüissances qui se firent par toute la Ville. Elles éclaterent à la maniere accoutumée en de pareilles occasions, le peuple reglant toujours sa joye, quelque interest qu'il ait à la Paix, sur le plaisir qu'elle fait au Roy, &amp; ne l'ayant jamais demandée, ny même souhaitée contre sa volonté.</p>
          <p>Je vous envoye un Lettre touchant les réjoüissances, qui furent faites le même jour par une grande Princesse.</p>
          <p>Me la Duchesse de Nemours donna une Fête à l'Hostel de Soissons pour marquer sa joye, &amp; l'interest qu'elle prend à cette paix. Tout y parut magnifique &amp; bien imaginé ; cette Feste ayant esté conduite par M. Baron qui a l'honneur d'estre à cette Princesse, &amp; que son intelligence &amp; sa capacité font distinguer parmy les plus honnestes gens. Plusieurs fontaines de vin ouvrirent la Scene. Elles furent suivies d'une illumination au dehors &amp; au dedans de cet Hôtel, &amp; il n'y eut pas une fenestre qui n'eût sa lanterne, ny d'endroits où l'on ne vist de petites lampes. Elle estoient placées dans la Cour par arcades, par compartimens &amp; par cordons, qui entouroient tous les étages de ce Palais, &amp; dont la symetrie fort juste composoit un tour qui faisoit l'effet du monde le plus agreable à la veuë. Au milieu de la Cour vis à vis les fenestres de l'appartement de la Princesse, s'élevoit une espece d'Amphitheatre qui avoit trois faces où les Armes de France &amp; de Savoye estoient marquées par l'arrangement de ces petites lampes qui en faisoient briller les traits. Sous les Portiques qui font les entrées &amp; les sorties de la Cour pendoient des Lustres de Cristal de Roche chargez de bougies. Les Salles, les Antichambres &amp; les Cabinets rendoient une lumiere extraordinaire, &amp; ne cedoient en rien à la clarté de la cour. Tout estoit remply de bras, de Plaques &amp; de Torcheres. Tout ce que l'abondance peut fournir de plus delicat &amp; de plus exquis, fut servy sur deux tables qui furent mises dans la premiere Salle. Les personnes à qui Madame de Nemours avoit fait l'honneur de les inviter, les remplirent, &amp; elles furent bientost environnées des Dames de Paris les plus parées &amp; les mieux faites, que le bruit de cette magnificence avoit attirées en ce lieu. Il fut permis dans un jour consacré à la liberalité, de distribuer avec profusion les fruits &amp; les confitures des tables à celles qui les entouroient. Ces Dames s'en trouverent si honorées qu'elle se crurent de la Feste, ou du moins necessaires pour la rende complete. Pendant ce temps-là, les plus excellens Violons joüerent les airs de Lully avec tant de perfection &amp; de succés, que Madame de Nemours, ingrate naturellement à la Musique, crut toute la soirée qu'elle l'aimoit. Les tables enlevées, on se mit aux fenestres. Comme il y en avoit un grand nombre, on y fit placer les personnes de distinction, sans qu'il y eût aucun embarras.</p>
          <p>Le bruit des Trompettes &amp; des Tambours apprit que le Feu alloit commencer, &amp; l'on n'entendit plus qu'un tonnerre de Boëtes qui redoubloit à chaque instant. Chacun eut ensuite les yeux attachez sur les Armes de France &amp; de Savoye, qui brûlerent dans la Cour sans se consumer. Ce Feu fut beau dans toutes ses parties, &amp; finit par cinq grosses gerbes, qui peu de temps aprés descendirent en pluye de feu, &amp; couvrirent toute la cour. L'on apperceut ensuite au même endroit d'où l'artifice estoit parti, un Soleil admirable, mis exprés en l'honneur de la Devise de Sa Majesté. Il en sortit de tous costez une infinité de rayons enflammez, &amp; compassez avec une tres-grande justesse.</p>
          <p>Ce Soleil demeura fixe fort longtemps, &amp; les yeux auroient toujours esté attachez dessus, sans un composé de plusieurs fusées volantes réunies ensemble, qu'on appelle une Girande, qui vola en l'air par dessus cette Tour si élevée, qui est dans la cour, &amp; qu'on dit avoir esté bastie par une Reine, pour y faire observer les Astres. On en fut redevable à la liberalité de Mesdemoiselles de Soissons &amp; de Carignan, qui s'en estoient fait une affaire particuliere. Les Trompettes, dont le nombre estoit grand, firent ensuite trois tours autour de la machine. Les Tambours qui leur succederent, en firent autant ; mais les Fifres &amp; les Hautbois bien concertez ensemble, chasserent tous ces bruits de guerre, par des sons plus tendres, &amp; firent place à une plus douce harmonie, dont l'Assemblée fut vivement touchée. Il parut aprés cela trois tables, l'une toute couverte de Caffé, l'autre de Thé, &amp; la troisième de Chocolat, dont tout le monde fut regalé. Il y eut ensuite un grand Bal, dans un lieu éclairé d'une infinité de bougies. L'Assemblée qui le composoit, fut augmentée par la compagnie qui eut l'honneur de venir à la suite de Mesdemoiselles de Carignan. Ce Bal dura jusques à une heure aprés minuit, &amp; chacun s'en retourna fort satisfait &amp; comblé de differens plaisirs.</p>
        </div>
      </div>
      <div type="tome" xml:id="MG-1696-10">
        <head><hi rend="i">Mercure Galant</hi>, octobre 1696 [tome 10]</head>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-10_007" resp="wordpro">
          <head>[Ode au Roy]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, octobre 1696 [tome 10], p. 7-15.</bibl>
          <p>Quoy que le Roy ait toujours fait l’admiration de toute la terre, on peut dire que ce Monarque n’a jamais montré tant de grandeur d’ame, qu’il en fait paroistre dans les favorables dispositions où nous le voyons de donner encore une fois la Paix à l’Europe. N’attendez point que je m’étende sur ce qu’il y a d’heroïque dans ce glorieux dessein. Je ne trouve point de termes pour exprimer ce que nous devons aux bontez de ce grand Prince, &amp; il vaut mieux que je m’en rapporte à l’Ouvrage dont je vais vous faire part. Il est de Mademoiselle l’Heritier, &amp; a esté honoré des prétieuses loüanges de Sa Majesté, à qui il fut presenté il y a quelques jours.</p>
          <quote>
            <label>AU ROY.<lb /><hi rend="i">ODE.</hi></label>
            <lg>
              <l rend="i">Heros que tout cherit, Heros que tout admire,</l>
              <l rend="i">Grand Roy, dont le seul nom fait trembler l’Vnivers,</l>
              <l rend="i">J’ose ceder enfin au zele qui m’inspire,</l>
              <l rend="i"> Et chanter tes faits dans mes Vers.</l>
              <l rend="i">Aucun feu n’est pareil au beau feu qui me guide,</l>
              <l rend="i">En vain ma voix peu seure, &amp; mon Sexe timide,</l>
              <l rend="i">Tremblant d’un tel projet veulent m’épouvanter ;</l>
              <l rend="i">Un noble empressement rend leur crainte inutile.</l>
              <l rend="i"> Plus l’entreprise est difficile,</l>
              <l rend="i"> Plus il est beau de la tenter.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Jusqu’icy m’exerçant sur des accords champestres,</l>
              <l rend="i">I’ay celebré Pomone &amp; Flore tour à tour :</l>
              <l rend="i">Ou gravé sur les troncs des saules &amp; des hestres,</l>
              <l rend="i"> Des maximes contre l’amour.</l>
              <l rend="i">Mais aujourd’huy quittant la rustique Musette,</l>
              <l rend="i">Pour toy, brave Loüis, j’embouche la Trompette,</l>
              <l rend="i">Sur la foy du secours que j’attens des neuf Sœurs.</l>
              <l rend="i">Lors qu’avec un pur zele on travaille à ta gloire</l>
              <l rend="i"> Ces doctes Filles de Memoire</l>
              <l rend="i"> Doivent prodiguer leurs faveurs.</l>
              <l rend="i">Que ton nom glorieux n’a-t-il point fait pour elles ?</l>
              <l rend="i">Tes brillantes vertus &amp; tes exploits divers,</l>
              <l rend="i">Sont cause que cent fois leurs Lyres immortelles,</l>
              <l rend="i"> Ont charmé par leurs doux concerts.</l>
              <l rend="i">Si ton ame à la fois &amp; tranquille &amp; guerriere,</l>
              <l rend="i">N’avoit sceu leur fournir une illustre carriere,</l>
              <l rend="i">Elles auroient langui dans un honteux repos.</l>
              <l rend="i">Les Heros font briller cette Troupe sçavante,</l>
              <l rend="i"> Ainsi que leur langue élegante</l>
              <l rend="i"> Sçait faire briller les Heros.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Mais jamais on ne vit aucun d’eux sur la terre,</l>
              <l rend="i">Luy fournir des sujets si merveilleux que toy.</l>
              <l rend="i">Tu charmes dans la Paix, &amp; quand tu fais la guerre,</l>
              <l rend="i"> Ton bras porte par tous l’effroy.</l>
              <l rend="i">Avec rapidité tu gagnes des Batailles,</l>
              <l rend="i">Tu détruis des remparts, tu forces des murailles :</l>
              <l rend="i">Tu fais dans mille lieux admirer ta valeur :</l>
              <l rend="i">Et quand chez l’Ennemi tu semes l’épouvante,</l>
              <l rend="i"> D’une tranquillité charmante</l>
              <l rend="i"> Tes Sujets goûtent la douceur.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Les funestes poisons d’une fatale envie,</l>
              <l rend="i">Rendant de tes vertus vingt Souverains jaloux,</l>
              <l rend="i">Les portent à troubler ta triomphante vies</l>
              <l rend="i"> Mais que servent leurs foibles coups ?</l>
              <l rend="i">En vain leur fol orgueil sçait les unir ensemble,</l>
              <l rend="i">Sous tes vaillans efforts leur fiere Ligue tremble,</l>
              <l rend="i">Et te cede malgré son aveugle fureur.</l>
              <l rend="i">Contrainte d’admirer le Heros qui la dompte,</l>
              <l rend="i"> Elle reconnoist à sa honte,</l>
              <l rend="i"> Ce que peut ton bras &amp; ton cœur.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Mais quoy qu’avec éclat tes redoutables armes</l>
              <l rend="i">Te fassent triompher au milieu des hazards,</l>
              <l rend="i">Tu préferes la Paix, &amp; ses solides charmes,</l>
              <l rend="i"> Aux plus brillans lauriers de Mars.</l>
              <l rend="i">Ta bonté, ta candeur, ta sagesse profonde,</l>
              <l rend="i">N’occupent ton esprit que du repos du monde,</l>
              <l rend="i">Vn soin si glorieux regle tous tes desseins.</l>
              <l rend="i">Comme l’Estre Eternel dont les Rois sont l’Image,</l>
              <l rend="i"> Tu fais sans cesse ton ouvrage</l>
              <l rend="i"> Du bonheur de tous les humains.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Rien ne peut s’opposer à ta valeur rapide,</l>
              <l rend="i">Et cependant bien-tost remplissant nos souhaits,</l>
              <l rend="i">Nous te verrons domptant ton courage intrepide,</l>
              <l rend="i"> A l’Europe donner la Paix.</l>
              <l rend="i">Par tes soins bienfaisans cette belle exilée</l>
              <l rend="i">Sera dans l’Univers à la fin rappellée,</l>
              <l rend="i">Malgré la fiere Ligue &amp; ses vœux impuissans.</l>
              <l rend="i">Lors cent Peuples divers, où déja l’on t’adore,</l>
              <l rend="i"> Feront du Couchant à l’Aurore</l>
              <l rend="i"> Pour toy toujours fumer l’encens.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-10_091" resp="mercure">
          <head>[L'art de prononcer parfaitement la Langue Françoise]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, octobre 1696 [tome 10], p. 91-106.</bibl>
          <p/>
          <p>Il paroist depuis peu un Livre intitulé, L'art de prononcez parfaitement la Langue Françoise. Il se vend chez le Sieur d'Houry, ruë Saint Jacques, devant la Fontaine Saint Severin, au Saint Esprit. J'aurois beaucoup de choses à vous dire de ce Livre, mais un fort habile homme ayant écrit sur cet Ouvrage, je vous envoye sa Lettre, qui vous fera connoistre l'utilité que le Public en retirera.</p>
          <p>Si l'impolitesse de ces importuns, dont vous me faites un si plaisant portrait, &amp; le long sejour qu'il faut que vous fassiez chez eux, Monsieur, vous fait regreter celuy de nostre Ville, &amp; si ce que vous dites est vray, que le souvenir de nos conversations passées fait presentement tout vôtre plaisir , je ne doute pas que le nouveau Livre que je vous envoye avec ceux que vous me demandez, ne vous donne beaucoup de satisfaction, &amp; que sa lecture ne vous dédommage de tout ce que vous souffrez dans le commerce de ces Précieux, qui parlent &amp; qui prononcent si mal une Langue que vous parlez si bien, &amp; que vous aimez préferablement à toutes celles que vous possedez ? Comme elle estoit le sujet le plus ordinaire de nos entretiens, &amp; que vous avez dû remarquer que je l'aimois autant que vous, &amp; que je ne souhaitois pas moins de la voir en degré de perfection, où nos derniers Auteurs l'auroient portée, sans doute, si le manque d'application de tous les Ecivains à l'une des choses la plus essentielle, pour en fixer l'usage, n'en eust retardé le progrés. Vous n'aurez pas de peine à deviner que c'est de la prononciation que j'entens parlez ; mais peut estre ne voudrez vous pas croire que mon nouvel Auteur n'ait rien laissé à dire sur ce sujet, &amp; qu'il ait entierement épuisé une matiere si épineuse, si delicate, &amp; si necessaire pour bien parler nostre Langue. Peut estre, dis je, que vous ne le croirez pas que vous n'ayez lû son Livre, qui est intitulé, L'art de prononcer parfaitement la Langue Françoise, lequel j'apprehende que vous ne receviez pas si-tost, parce que le paquet des Livres dans lequel j'ay mis celuy cy, n'ira pas à beaucoup prés si vite que ma Lettre. Ainsi pour satisfaire à l'impatiente curiosité que cette nouvelle vous donnera, &amp; pour m'épargner les reproches que vous ne manqueriez pas de me faire, si je ne vous expliquois pas autant au long que peut souffrir cette Lettre, le contenu de ce nouveau Traité, je vous diray en peu de mots que ce Livre, quoy que simple dans la maniere de l'intituler, ne laisse pas d'estre également utile &amp; aux François, &amp; aux Etrangers ; qu'il peut même estre d'un grand secours aux Avocats, aux Prédicateurs, &amp; à tous ceux qui parlent en Public, &amp; qui, quelques delicats qu'ils soient dans l'énonciation, ne le sont pas toujours autant dans la prononciation de nostre Langue. Pour estre qu'un Titre si resserré que celuy que luy donne son Auteur, le fera rebuter de quelques esprits superficiels, qui croyent que l'on apprend aussi facilement à bien prononcer une Langue qu'à boire &amp; à manger. Mais ils se trompent. C'est une erreur où l'on estoit au commencement de ce siecle, où quantité de gens croyoient avoir acquis l'art de bien parler, pourvû qu'ils fissent bien entendre ce qu'ils pensoient. C'est de quoy les esprits superieurs à ces derniers ne sont pas convenus, quand ils ont fait reflexion sur les Remarques que Mr de Vaugelas, Mr Ménage, le Pere Bouhours, &amp; quantité d'autres personnes polies &amp; sçavantes ont données au Public.  Ces Maistres de l'Art de parler ont fait assez connoitre la difference qu'il y a entre s'exprimer nettement, &amp; s'exprimer simplement pour se faire entendre. Cette difference est encore parfaitement bien prouvée par nostre Auteur, qui s'applique aussi à démontrer sensiblement la difference qu'il y a d'une prononciation reguliere &amp; polie, à celle qui est trop negligée &amp; trop affectée. Tout son Ouvrage est divisé en quatre parties. La premiere nous donne une définition précise de l'articulation, nous apprend ce que signifient les mots d'articuler &amp; d'articulation dans le sens propre &amp; dans le figuré ; nous fait connoistre que les anciens Grammairiens n'ayant point de mots propres pour signifier les mouvemens des organes de la voix, se sont servis des termes d'articuler &amp; d'articulation, qui sont des termes d'anatomie, pour signifier la jonction qui se fait d'un son avec un autre, par rapport à l'articulation qui se fait des membres du corps humain ; considerant ces sons &amp; ces mouvemens d'organes, commes autant d'articles &amp; de petits membres separez, qui font le corps d'une parole, quand on les joint ensemble pour la former ; il nous fait connoistre tous les mouvemens qui servent à l'articulation des sons simples &amp; composez, &amp; nous prouve enfin en quoy consiste la bonne articulation, ce qui regarde particulierement les Enfans François, les Etrangers, &amp; les personnes qui ont quelque indisposition dans les organes, qui les empêche de bien articuler. La seconde partie traite de la maniere de prononcer les trois sons differens de nos E, &amp; la maniere de les orthographier ; en sorte qu'à l'inspection des caractères qui les figurent sur le papier on en puisse connoistre parfaitement les sons. La troisiéme s'étend sur la prononciation des consones finales devant des mots commencez par des voyelles, soit qu'on parle en public, qu'on lise ou déclame des Vers, ou soit qu'on parle dans le discours familier, dont il fait une distinction toute particuliere, &amp; c'est une des essentielles parties de la premiere action, &amp; dans laquelle une quantité de gens de toute sorte d'ordre manquent, &amp; même des plus sçavans, &amp; qui se mêlent de parler en public.</p>
          <p>Si nous nous restraignons au simple titre du Livre, il paroistra n'estre utile qu'aux Etrangers, mais dés que nous considererons toutes les remarques qu'il renferme, nous demeurerons d'accord qu'il nous est encore plus necessaire qu'aux autres, puis qu'il est plus pardonnable à un Etranger de ne pas prononcer nostre Langue dans la derniere regularité, qu'à un François, qui est de naissance &amp; de condition à devoir bien parler sa Langue. Voilà, Monsieur, quel est à peu près l'essentiel de ce Livre, qui d'ailleurs comprend tout ce que l'on peut dire sur la prononciation. L'on ne doit pas s'imaginer que l'Auteur, pour arriver à la fin qu'il s'est proposée, se soit fait un modele de préceptes imaginaires &amp; inusitez, ny qu'il se soit fait des monstres pour les combattre, comme disent quantité de gens remplis d'eux-mêmes, parce que l'Auteur cite des prononciations, qu'ils n'ont, disent-ils, jamais oüies que dans la bouche de la populace, quoy qu'il y en ait quantité parmy eux, qui sont sujets à faire les mêmes fautes. Ce n'est pas aux gens de la lie du peuple qu'il s'adresse ; c'est aux gens les plus sçavans &amp; les plus polis, &amp; qui se mêlent d'écrire &amp; de parler en public, à qui plusieurs fautes échapent, pour n'y pas faire de reflexion, &amp; quelque-fois manque de sçavoir le bon usage. Il l'établit sur celuy de la Cour, &amp; de la plus saine partie des gens polis &amp; sçavans, qui sont nez &amp; élevez à Paris. C'est de cet usage qu'il a recueilli toutes les voix, &amp; dont il a tiré toutes ses remarques. C'est par le commerce qu'il a sceu entretenir avec des gens sçavans &amp; polis, qu'il a acquis toutes ces manieres fines &amp; deliées de prononcer sa Langue ; &amp; c'est encore plus par la connoissance des Langues étrangeres, tant mortes que vivantes, &amp; particulierement par la difference de la leur avec celle de la Françoise, qu'il est parvenu à nous en prescrire la juste &amp; parfaite prononciation. Enfin ce Livre me paroist si complet dans son genre, que je ne crois pas qu'on puisse aisément s'en passer, si l'on veut bien parler nostre Langue ; &amp; ce qui me le fait croire, est que l'on ne peut ordinairement parvenir à ces manieres de prononcer avec justesse, que par deux moyens, qui sont aussi peu certains, qu'il nous font faire bien du chemin. L'un est qu'en refléchissant de soy même sur nostre prononciation, on pourroit rencontrer par hazard, &amp; par une succession de plusieurs années ce que ce Traité nous démontre si certainement, &amp; en bien peu de temps ; &amp; l'autre ne se peut acquerir que par la reflexion, que des Amis prévenus, &amp; qui croiroient parfaitement bien parler, nous feroient faire sur nostre Langue : en quoy nous nous trompons aussi bien qu'eux ; ce que l'on ne fait point en s'instruisant dans ce Livre, puis qu'il est entierement conforme au meilleur usage, qui est celuy du Prince, &amp; de la plus saine partie des gens qui l'environnent, &amp; qui est suivie de tous ceux du Royaume qui parlent le plus regulierement &amp; le plus poliment. Je suis.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-10_106" resp="wordpro">
          <head>Le Berger Mouton, Fable</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, octobre 1696 [tome 10], p. 106-134.</bibl>
          <p>Je vous envoye la Fable du Berger-Mouton. Elle est de M<hi rend="sup">r</hi> Boüillet Ingenieur. Cette Fable a esté fort applaudie dans quelques assemblées où elle a esté leuë.</p>
          <quote>
            <label>LE BERGER<lb />MOUTON.<lb /><hi rend="i">FABLE.</hi></label>
            <lg>
              <l>Une belle &amp; jeune Bergere,</l>
              <l>Au teint de lis, aux yeux fripons,</l>
              <l>Mais d’une humeur farouche &amp; fiére,</l>
              <l>N’aimoit que ses petits moutons.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>Tous les Bergers de son Village</l>
              <l>Avoient gémi pour ses appas ;</l>
              <l>Mais comme le mépris outrage,</l>
              <l>Ils estoient sortis d’esclavage,</l>
              <l>En voyant que Philis ne les écoutoit pas.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>Le seul Berger Tircis, plus fidele &amp; plus tendre,</l>
              <l> Ne cessoit point de soupirer,</l>
              <l>Et souvent à la Belle, il alloit faire entendre</l>
              <l>Les maux que son amour luy faisoit endurer ;</l>
              <l> Mais son coeur farouche &amp; rebelle</l>
              <l> Rebutoit ses pressans desirs,</l>
              <l> Et le plus souvent la cruelle</l>
              <l> Rioit de ses ardens soupirs.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l> Outré de cette indifference</l>
              <l> Ce Berger se plaignoit un jour,</l>
              <l> Et des Destins, &amp; de l’Amour</l>
              <l> Qu’il accusoit de sa souffrance,</l>
              <l>Et le dépit mortel qui luy serroit le coeur,</l>
              <l>Luy fit en ces regrets épancher sa douleur.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>Non, tu n’és pas un Dieu, tu n’és qu’une chimere,</l>
              <l> Disoit-il, au fils de Cythere,</l>
              <l>En vain des insensez encensent tes Autels,</l>
              <l>Un Barbare n’est point au rang des Immortels.</l>
              <l> Quelle est ta cruelle manie</l>
              <l>Tu me brûles le coeur pour l’ingrate Philis,</l>
              <l> Qui n’aime que sa Bergerie,</l>
              <l>Et ne paye nos feux que par de froids mépris.</l>
              <l>Moutons par trop chéris d’une fiére Bergere,</l>
              <l>Qui paissez sous ses yeux, au pied de ce côteau,</l>
              <l>Puisque vous seuls sçavez luy plaire</l>
              <l>Que ne suis je un mouton de vostre heureux troupeau.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>Amour sans se fâcher, entendit sa complainte.</l>
              <l> Et ses propos injurieux.</l>
              <l>Le tranquille repos dont joüissent les Dieux,</l>
              <l> Fait qu’ils n’ont jamais l’ame atteinte</l>
              <l> De douleur, de haine, de crainte,</l>
              <l>Ny de cent passions qui devorent nos coeurs,</l>
              <l>Et puis d’oüir se plaindre, &amp; conter ses douleurs,</l>
              <l>Amour est dés longtemps fait à ce badinage.</l>
              <l>Pour un Amant content du succés de ses feux,</l>
              <l> Il en fait mille malheureux,</l>
              <l> Qui contre luy disent la rage.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>Il descend donc du Ciel, &amp; vient dans le Hameau</l>
              <l> Où Tircis au pied d’un Ormeau,</l>
              <l>Dans les bras de Morphée alloit finir sa plainte,</l>
              <l>Le Berger fut saisi de surprise &amp; de crainte.</l>
              <l>Amour le rassura, Non, Berger, ne crains rien,</l>
              <l>Luy dit-il, &amp; je viens pour soulager ta peine.</l>
              <l>Tu veux estre Mouton. Tu veux par ce moyen</l>
              <l> Estre aimé de ton inhumaine ?</l>
              <l> Sois donc Mouton, je le veux bien,</l>
              <l> Que ton corps se charge de laine,</l>
              <l> Et bien-tost viendra l’heureux jour</l>
              <l> Qui couronnera ton amour.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l> Il dit, &amp; de son arc touchant trois fois la teste</l>
              <l>Du Berger qui s’estoit prosterné devant luy,</l>
              <l> Se changea tout d’un coup en moutonniere beste,</l>
              <l> Oreilles, jambes, queuë, &amp; tout ce qui s’ensuit ;</l>
              <l> Mais le tout si parfait que Jupiter luy-mesme.</l>
              <l> Qui descend quelquefois de sa grandeur suprême,</l>
              <l> Pour se cacher sous l’animale peau,</l>
              <l>S’il se fust fait mouton, ne se fust fait plus beau.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l> L’Amour aprés ce coup s’envole à tire d’ailes,</l>
              <l> Et la douce vapeur que ce Dieu répandit,</l>
              <l> Adoucit si fort les cruelles,</l>
              <l> Que chaque Amant, à ce qu’on dit,</l>
              <l>Obtint dans ce jour-là des faveurs de sa Belle.…</l>
              <l> Je dis faveurs de bagatelle.</l>
              <l> Honny soit qui pense autrement.</l>
              <l>Baiser le bras, la main, un doigt tant seulement,</l>
              <l>Pour qui sçait bien aimer, cela vaut tout un monde.</l>
              <l>Quelqu’un alla plus loin, qui ne s’en repentit ;</l>
              <l> Enfin une lieuë à la ronde,</l>
              <l> Tout le monde s’en ressentit.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l> Beauté pour qui je fais ce conte,</l>
              <l>Amour ne fut jamais si proche de chez vous,</l>
              <l>Et fy, ne point aimer avec des yeux si doux,</l>
              <l> Vous devriez mourir de honte.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>Mais, me dira quelque Caton,</l>
              <l>Tout ce discours est inutile,</l>
              <l>Revenez à vostre mouton,</l>
              <l>Ne vous échauffez point la bile.</l>
              <l>Tout à l’heure j’y vais venir ;</l>
              <l>Il faut pardonner ma foiblesse :</l>
              <l>Lors que je parle de tendresse</l>
              <l>Je ne sçaurois jamais finir.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l> Le Berger fait mouton, &amp; tres-content de l’estre,</l>
              <l> Descend au pied de ce côteau,</l>
              <l> Où Philis prés de son troupeau,</l>
              <l>Pour se desennuyer, chantoit un air champestre ;</l>
              <l>Il se mesle au troupeau, s’approche doucement,</l>
              <l>La dévore des yeux, faisant semblant de paistre,</l>
              <l>Et quoy que bien masqué, tremble à chaque moment</l>
              <l> Qu’elle n’aille le reconnoistre.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>Le Soleil se plongeoit dans le sein de Thetis,</l>
              <l>Philis se leve, &amp; marche, assemble ses brebis</l>
              <l> Sous l’empire de sa houlette.</l>
              <l>Et d’abord mon Berger sous la laine caché,</l>
              <l>Suit pas à pas la Belle, &amp; va broutant l’herbette</l>
              <l> Sur laquelle elle avoit marché.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>Ses tendres béellemens, dont raisonnoit la Plaine,</l>
              <l>Son attache à la suivre, &amp; plus que tout cela,</l>
              <l> Son embonpoint, sa belle laine,</l>
              <l> (Femme souvent se prend par là)</l>
              <l>Le firent remarquer par l’aimable Bergere :</l>
              <l>Grands Dieux, le beau mouton, dit-elle, en l’approchant,</l>
              <l>T’avois-je en mon Troupeau, puis de sa pannetiere</l>
              <l>Tire un morceau de pain, puis le va carressant,</l>
              <l>Puis l’appella Robin. Robin vient &amp; la flatte,</l>
              <l> Ainsi qu’un chien donne la patte,</l>
              <l>Du bout de son museau luy caresse la main,</l>
              <l>Fait mille petits bonds, pour plaire à sa Maîtresse,</l>
              <l>La Bergere luy rend caresse pour caresse,</l>
              <l>Et le laisse déja s’appuyer sur son sein.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l> Amour inspire icy ma Muse</l>
              <l> Pour dire les transports charmans</l>
              <l>Que Robin ressentit, dans ces heureux momens,</l>
              <l> Mais je sens qu’elle me refuse :</l>
              <l>Ah ! pour les dire bien, il faudroit estre Amant</l>
              <l>  Content.</l>
              <l>Un profane ne peut parler de ce mistere.</l>
              <l>Et lors qu’on est heureux, on veut toûjours se taire.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>Ce ne fut point encor le comble des plaisirs</l>
              <l>Où Robin vit porter ses plus tendres desirs.</l>
              <l>Tous les jours, mille fois, une bouche charmante</l>
              <l> Le baisoit amoureusement,</l>
              <l>Des mains d’une blancheur vive autant qu’éclatante ;</l>
              <l>Luy mettoient tous les jours des fleurs pour ornement.</l>
              <l>Il joüissoit tout seul de sa belle Bergere,</l>
              <l> Seul prés d’elle sur la feugere,</l>
              <l>Il goûtoit, tous les jours, un plaisir enchanté.</l>
              <l> Qu’estant Berger il n’eust jamais goûté.</l>
              <l>On ne se cachoit point de Robin pour rien faire.</l>
              <l>Un ruisseau dont l’onde étoit claire</l>
              <l>Invitoit quelquefois Philis à s’y baigner,</l>
              <l>Et Robin, au ruisseau l’alloit accompagner.</l>
              <l> Que de beautez &amp; que de charmes</l>
              <l>Interdits aux mortels, estoient vûs dans le bain,</l>
              <l>  Par Robin ;</l>
              <l> Mais qu’ils luy coûteront de larmes,</l>
              <l>Que de maux vont troubler ses tranquilles douceurs,</l>
              <l> Je fremis alors que j’y pense,</l>
              <l> Hé qu’il luy faudra de constance,</l>
              <l> Pour supporter tous ses malheurs.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l> Philis auprés d’une fontaine</l>
              <l> Baisoit tendrement son Robin</l>
              <l> Lavoit ses pieds, peignoit sa laine,</l>
              <l>Partageoit avec luy son fromage &amp; son pain,</l>
              <l> Et déja toute la journée</l>
              <l>Dans cet amusement s’estoit presque écoulée.</l>
              <l>Elle alloit du Hameau reprendre le chemin,</l>
              <l> Lors qu’un Berger de son Village</l>
              <l>Cherchant pour son Troupeau quelque gras pâturage,</l>
              <l>Arrive à la fontaine où la Bergere estoit.</l>
              <l> Par hazard ce Berger tenoit</l>
              <l>Un chien dessous son bras qui plut fort à la Belle.</l>
              <l> Vous avez-là, Berger, dit-elle,</l>
              <l>  Un joly petit chien.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE BERGER.</label>
              <l> Bergere, il est à vous,</l>
              <l>Je suis trop content qu’il vous plaise.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LA BERGERE.</label>
              <l>Ne mord il point, est il bien doux ?</l>
              <l>Voulez-vous bien que je le baise ?</l>
              <l>Laissez-le moy pour un moment ;</l>
              <l>Sçait-il quelque tour de souplesse ?</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>LE BERGER.</label>
              <l>S’il en sçait, vous allez le voir tout maintenant.</l>
              <l> Allons, Marquis, que l’on se dresse,</l>
              <l>Dansez autour de moy, sautez sur ce baston,</l>
              <l> Allez caresser le mouton,</l>
              <l> Donnez la patte à la Bergere ;</l>
              <l> Etendez-vous.…</l>
              <l>Faites le mort, mais avec agrément ;</l>
              <l>Marquis, obeissez à ce commandement.</l>
              <l>Le Berger s’apperçut qu’il plaisoit à la Belle,</l>
              <l>Et comme dés longtemps, il soupiroit pour elle,</l>
              <l>Il crut par ce moyen arriver à sa fin :</l>
              <l> Ce n’est pas le plus long chemin</l>
              <l> Pour terminer une amoureuse affaire,</l>
              <l> Et la vertu la plus austére</l>
              <l> Ne tient gueres contre un Amant</l>
              <l>  Donnant,</l>
              <l> C’est un dangereux caractere ;</l>
              <l>Il offrit donc encor son chien à la Bergere,</l>
              <l>Qui fit quelque façon, quelque temps resista,</l>
              <l> Et puis à la fin l’accepta.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>Hé, que faisoit Robin, me direz-vous, peut-estre,</l>
              <l>Pendant tout ce temps-là, s’amusoit-il à paistre ?</l>
              <l>Helas, non, le pauvre Robin</l>
              <l>Auprés de sa Bergere estoit triste &amp; chagrin :</l>
              <l>Du Berger &amp; du chien, il avoit tout à craindre,</l>
              <l>De luy, comme mouton ; de l’autre, comme Amant :</l>
              <l>Tous les deux pouvoient nuire à son contentement,</l>
              <l>Mais que bientost il eut des sujets de se plaindre.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>Philis se radoucit au present du Berger,</l>
              <l>Et l’Amour dans son coeur, prit aussi-tost naissance</l>
              <l>Sous l’habit specieux de la reconnoissance.</l>
              <l>Robin, s’apperçut bien qu’elle alloit s’engager :</l>
              <l>Ses regards, ses discours, tout sentoit la tendresse.</l>
              <l>Que faire en pareil cas, caresser sa Maistresse,</l>
              <l>Redoubler ses transports, ce sont soins superflus,</l>
              <l>Robin fit tout cela, mais il ne plaisoit plus.</l>
              <l>Osoit-il s’approcher, une main ennemie</l>
              <l>S’armoit de sa houlette, &amp; le chargeoit de coups,</l>
              <l> Ces momens autrefois si doux,</l>
              <l>Se passoient à traîner une mourante vie,</l>
              <l>Pendant qu’un chien chéry, joüissoit à ses yeux</l>
              <l>Des baisers prodiguez qu’il meritoit bien mieux.</l>
              <l> Pendant que cette heureuse beste</l>
              <l>Portoit ces fleurs, jadis ornement de sa teste,</l>
              <l>Et que Philis parfois disoit en le flattant,</l>
              <l>Helas ! qu’à son Berger n’osay-je en faire autant.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>Du desolé mouton mettez-vous en la place.</l>
              <l>Amans qui ressentez des mouvemens jaloux,</l>
              <l>Est-il prés de ses maux un mal qui ne soit doux.</l>
              <l>Je sens à ce recit que tout mon sang se glace.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l> L’heureux Berger en sa presence</l>
              <l>A l’aimable Philis venoit parler d’amour,</l>
              <l> La suivoit tout le long du jour</l>
              <l> Et Philis avec complaisance</l>
              <l>Recevoit du Berger &amp; les soins &amp; les voeux.</l>
              <l>Il est vray que Marquis partageoit sa tendresse,</l>
              <l>Mais il n’estoit aimé de sa belle Maîtresse,</l>
              <l>Que parce qu’il venoit de cet Amant heureux.</l>
              <l>On aime le Berger quand son chien on caresse.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>Le malheureux Robin voyoit avec douleur</l>
              <l>Le chien dans son giron, le Berger dans son coeur ;</l>
              <l>Mais ce ne fut pas tout, on parla d’himenée.</l>
              <l>Philis du mot d’amour autrefois allarmée,</l>
              <l> N’est plus cette mesme Philis :</l>
              <l> Elle y consent, le jour est pris,</l>
              <l>Chacun &amp; s’empresse &amp; s’appreste,</l>
              <l> Et veut avoir part à la feste</l>
              <l> Qui se faisoit dans le Hameau.</l>
              <l> Philis cherche dans son troupeau</l>
              <l>Le mouton le plus gras pour faire un sacrifice,</l>
              <l> Qui luy rende l’Himen propice.</l>
              <l> Robin, malgré tous ses malheurs</l>
              <l>Quoy qu’il ne broutâst plus, quoy qu’il versast des pleurs,</l>
              <l>Se trouva le plus beau de la troupe béelante,</l>
              <l> Et vit la rage dans le coeur,</l>
              <l>Sa Maistresse cruelle encor plus qu’inconstante,</l>
              <l>Le mettre entre les mains du Sacrificateur.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l> Déja l’on avoit vû paroistre</l>
              <l>Les Epoux précedez par un concert champestre,</l>
              <l> Déja le cortege nombreux</l>
              <l> De Bergers en habit de feste,</l>
              <l> Des chapeaux de fleurs sur leur teste ;</l>
              <l>Et pour un sort pareil faisans chacun des voeux,</l>
              <l>Avoient passé parmy les Bergeres aimables,</l>
              <l>Qui par cent airs joyeux prioient les Immortels</l>
              <l>D’estre aux Amans benins &amp; favorables.</l>
              <l>Déja l’encens fumoit sur les Autels,</l>
              <l>Et Robin destiné pour estre la victime,</l>
              <l>Chargé de fleurs, helas ! lugubres ornemens,</l>
              <l>Et des fleurs du passé souvenirs desolans,</l>
              <l>Dont l’ingrate Philis pour aggraver son crime,</l>
              <l>Elle mesme avoit fait les festons, &amp; les noeuds,</l>
              <l>Saisi de desespoir, de fureur, &amp; de crainte :</l>
              <l>Ne comptant déja plus sur le secours des Dieux,</l>
              <l>Et prest à recevoir une mortelle atteinte,</l>
              <l>Presentoit son gosier au meurtrier couteau ;</l>
              <l> Quand par un spectacle nouveau</l>
              <l> Toute la feste fut troublée,</l>
              <l> L’Amour parut dans l’Assemblée.</l>
              <l>Et s’approchant d’abord des Sacrificateurs,</l>
              <l>Arrestez, leur dit-il, c’est assez de malheurs,</l>
              <l>Trop loin, de ce Berger, j’ay poussé la souffrance,</l>
              <l> Il est temps de tarir ses pleurs,</l>
              <l> Et de couronner sa constance.</l>
              <l><hi rend="i">Mouton, deviens Berger</hi>, aussi-tost fait que dit,</l>
              <l> Robin mouton s’évanoüit</l>
              <l> Et Tircis parut en sa place.</l>
              <l>La Bergere transie &amp; plus froide que glace,</l>
              <l>Connut d’abord son crime, &amp; craignoit justement</l>
              <l> De l’Amour quelque chastiment,</l>
              <l>Quand ce Dieu se tournant vers elle,</l>
              <l>Et luy perçant le coeur d’un trait vif &amp; brûlant :</l>
              <l> Soupire, luy dit-il, cruelle,</l>
              <l>Soupire &amp; rends heureux un si fidele Amant.</l>
              <l>Ce coup fit son effet. L’aimable Pastourelle</l>
              <l>Versant de tendres pleurs, qui la rendoient plus belle,</l>
              <l>Aux pieds de son Tircis se prosterne à l’instant.</l>
              <l> Tant de témoins de sa foiblesse,</l>
              <l> Ny sa propre délicatesse,</l>
              <l>Ne purent arrester ce premier mouvement.</l>
              <l> Tircis avec empressement</l>
              <l> Releve l’aimable Bergere.</l>
              <l>Par mille embrassemens, ils unissent leurs coeurs.</l>
              <l>Chacun à cet aspect, s’attendrit, fond en pleurs,</l>
              <l>Tous deux pleurent aussi, la douleur les fait taire,</l>
              <l>Mais certaine douleur, qui vaut bien des plaisirs,</l>
              <l>Douleur qui vient toujours de l’excés des desirs,</l>
              <l>Que n’eussent-il pas dit si dans cette occurrence,</l>
              <l>Où l’Amour les unit pour la premiere fois,</l>
              <l>Ce Dieu, leur eust permis l’usage de la voix,</l>
              <l>Que ne dirent-ils point par ce tendre silence.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>L’Amour dans ce moment reprit son vol aux cieux</l>
              <l> En presence de l’assemblée.</l>
              <l>Tircis ne sçait encore s’il doit croire à ses yeux,</l>
              <l> Et craint que son ame troublée</l>
              <l> De desespoir &amp; de frayeur,</l>
              <l> Ne luy donne d’un faux bonheur</l>
              <l> La fausse &amp; peu durable idée</l>
              <l> Le Peuple plein d’étonnement</l>
              <l> Entoura ce parfait Amant,</l>
              <l>Chacun à ses malheurs prend part &amp; s’interesse ;</l>
              <l>Mais rempli tout entier de sa belle Maistresse,</l>
              <l> Ses regards languissans &amp; doux</l>
              <l>Semblent luy dire, helas, qu’attendons-nous,</l>
              <l> Unissons nostre destinée.</l>
              <l>Les Sacrificateurs tous prests pour l’Himenée,</l>
              <l>Ne firent que changer le sujet de leurs voeux :</l>
              <l> Ils offrent au lieu de victime,</l>
              <l> Leurs coeurs au Dieu qui les anime,</l>
              <l>Et l’Himen sur le champ, en vient serrer les noeux.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l> Que de Morale dans ce Conte.</l>
              <l> Ou y peut voir premierement</l>
              <l> Que quand on aime constament</l>
              <l> Il n’est rien qu’on ne surmonte.</l>
              <l>On y voit la foiblesse &amp; la legereté,</l>
              <l>  On y voit l’infidelité,</l>
              <l> Les compagnes inseparables</l>
              <l>Du Sexe à qui les Dieux donnérent le beauté</l>
              <l>Comme un poison fatal qui nous rend miserables,</l>
              <l> Mais l’on y voit en mesme temps</l>
              <l>Que lors qu’enfin l’Amour nous rend contens :</l>
              <l>Un moment de plaisirs paye toutes nos peines,</l>
              <l> Et que si l’on souffre longtemps</l>
              <l> Lors qu’on aime des inhumaines,</l>
              <l> Plus on endure de tourmens</l>
              <l>Plus les plaisirs en deviennent charmans.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-10_137" resp="wordpro">
          <head>Traduction en Vers du Livre de la Sagesse</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, octobre 1696 [tome 10], p. 137-138.</bibl>
          <p>Je vous envoye le Livre de la Sagesse, traduit en Vers François, avec une Epistre dedicatoire, contenant le parallele de la vie du Roy. Cet Ouvrage est de M<hi rend="sup">r</hi> du Vernay, Avocat au Parlement. On en voit peu qui doivent estre plus recherchez, tant par la beauté de la matiere, qui convient à toutes sortes de personnes, que par l’agrément que les Vers luy donnent.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-10_138" resp="wordpro">
          <head>Epistre en Vers de Mademoiselle des Houlieres</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, octobre 1696 [tome 10], p. 138-148.</bibl>
          <p>Vous ne pouvez mieux regaler vos Amies, qu’en leur faisant part de l’Ouvrage que je vous envoye.</p>
          <quote>
            <label>EPITRE<lb />De M<hi rend="sup">lle</hi> Deshoullierres,<lb />A MADEMOISELLE ***</label>
            <lg>
              <l rend="i"> Helas ! où vous engagez-vous ?</l>
              <l rend="i">Vous ignorez les maux qu’un parfait amour cause ;</l>
              <l rend="i">Vous ne voyez, Iris, que ce qu’il a de doux,</l>
              <l rend="i"> Sans examiner autre chose.</l>
              <l rend="i">Le Berger qui vous plaist est charmant, je le crois,</l>
              <l rend="i">Il a mille vertus, il est tendre, agreable,</l>
              <l rend="i"> Mais ce Berger, pour estre aimable,</l>
              <l rend="i">Vous met-il à couvert des maux que je prévois ?</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Je ne crains point pour vous la funeste avanture</l>
              <l rend="i">D’Ariane laissée en proye à sa douleur.</l>
              <l rend="i">Vous n’éprouverez point un semblable malheur,</l>
              <l rend="i">Vous n’aurez point d’Amant perfide, ny parjure.</l>
              <l rend="i"> Vostre vertu, vostre beauté,</l>
              <l rend="i">Les dons qu’à mis en vous la sçavante Nature,</l>
              <l rend="i">Seront les seurs garans de sa fidelité.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Mais pour rendre heureuse une Belle,</l>
              <l rend="i">Est ce assez, croyez-vous, qu’un Amant soit fidelle ?</l>
              <l rend="i">Qu’il possede à la fois les précieux tresors</l>
              <l rend="i"> De l’esprit, de l’ame &amp; du corps,</l>
              <l rend="i">Et qu’il soit des Bergers le plus parfait modele.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Le sort ingenieux à nous persecuter,</l>
              <l rend="i">Ne vous donne peut-estre un Amant plein de charmes,</l>
              <l rend="i">Que pour vous condamner à d’éternelles larmes.</l>
              <l rend="i">Ah ! si dans vostre cœur que tout semble agiter,</l>
              <l rend="i">La raison aujourd’huy se fait encore entendre,</l>
              <l rend="i">Evitez un panchant qu’il est beau d’éviter,</l>
              <l rend="i"> Et songez pour vous mieux défendre</l>
              <l rend="i">Du dangereux poison qui sçait tout enchanter,</l>
              <l rend="i">Que la mort d’un Amant soumis, fidelle, &amp; tendre,</l>
              <l rend="i">Est de tous les malheurs le plus à redouter.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">On se dit, mais en vain, quand la mort nous separe</l>
              <l rend="i">D’un Amant dont l’amour a formé les beaux nœuds,</l>
              <l rend="i">Que rien ne garantit de cette loy barbare,</l>
              <l rend="i">Et que tout est soumis à ce qu’elle a d’affreux.</l>
              <l rend="i">Quoy qu’à tous les Mortels cette loy soit commune,</l>
              <l rend="i">On se croit seul en butte au destin rigoureux,</l>
              <l rend="i"> Et dans cet estat douloureux</l>
              <l rend="i"> Tout nous rend la vie importune,</l>
              <l rend="i">La perte des presens que nous fait la fortune,</l>
              <l rend="i"> Touche moins un cœur genereux.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">La raison qui vous met au dessus des foiblesses,</l>
              <l rend="i">Vous peut mettre aisément au dessus des richesses,</l>
              <l rend="i">Dont l’appas seducteur enchante les humains.</l>
              <l rend="i">Mais helas ! belle Iris, quand on perd ce qu’on aime,</l>
              <l rend="i">Cette fiere raison dont l’empire est suprême,</l>
              <l rend="i">Renonce sans effort à ses droits souverains,</l>
              <l rend="i">Et loin de condamner nostre douleur extrême</l>
              <l rend="i">Dans les cœurs malheureux, elle rend elle-même</l>
              <l rend="i">Ses plus sages conseils inutiles &amp; vains.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Pour affoiblir les maux où ma crainte vous livre,</l>
              <l rend="i">Je vois, j’entens déja l’industrieux amour</l>
              <l rend="i"> Toujours attentif à vous suivre,</l>
              <l rend="i">Vous déguiser l’horreur que l’on a de survivre</l>
              <l rend="i">A la perte d’un bien que l’on perd sans retour.</l>
              <l rend="i">Du temps où nous vivons (si vous osez l’entendre)</l>
              <l rend="i"> Iusqu’aux temps les plus reculez,</l>
              <l rend="i">Helas ! charmante Iris, ce Dieu pour vous surprendre,</l>
              <l rend="i">Vous parlera de cent &amp; cent cœurs desolez,</l>
              <l rend="i">Qui sur les sombres bords toujours prests à descendre,</l>
              <l rend="i"> Par ses soins se sont consolez.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Mais loin de vous laisser séduire</l>
              <l rend="i">Aux charmes trop puissans de ce Dieu plein d’appas,</l>
              <l rend="i">Dans ce qu’il vous dira cherchez à vous instruire ;</l>
              <l rend="i">Un cœur que la raison gouverne &amp; sçait conduire,</l>
              <l rend="i">Est, vous le sçavez bien, d’un grand prix icy-bas.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Ne vous reposez point sur les puissantes armes</l>
              <l rend="i"> Du temps qui triomphe toujours,</l>
              <l rend="i">Des plus vives douleurs, des plus tendres amours,</l>
              <l rend="i">Le temps, quand la raison autorise nos larmes ;</l>
              <l rend="i">Contre nostre douleur est d’un foible secours.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Artemise autrefois, cette illustre Artemise,</l>
              <l rend="i">Ce modele étonnant de vertu, de grandeur,</l>
              <l rend="i">Conserva pour Mausole une heroïque ardeur,</l>
              <l rend="i">Et pleine des transports d’une flâme permise,</l>
              <l rend="i">Elle porta si loin l’excès de sa douleur,</l>
              <l rend="i"> Que ny le temps, ny sa valeur,</l>
              <l rend="i">Ny même ce tombeau d’éternelle memoire,</l>
              <l rend="i">Ne purent l’empêcher de faire de son cœur</l>
              <l rend="i">Vn sepulcre vivant, où l’amour eut la gloire</l>
              <l rend="i">De renfermer (ah ! j’en fremis d’horreur)</l>
              <l rend="i">Les restes précieux de son fameux vainqueur.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">D’un destin si cruel, d’une vertu si rare,</l>
              <l rend="i">Pourquoy chercher, Iris, un exemple si loin ?</l>
              <l rend="i">D’un amour aussi grand, d’un sort aussi barbare</l>
              <l rend="i">Ce siecle heureux est le témoin.</l>
              <l rend="i">Dans un Temple sacré brillante, jeune &amp; belle,</l>
              <l rend="i">Des Vrsins, dont le nom doit estre respecté,</l>
              <l rend="i"> Donna de sa fidelité</l>
              <l rend="i">Vn exemple fameux qui la rend immortelle.</l>
              <l rend="i">Le temps de ses douleurs n’arresta point le cours.</l>
              <l rend="i">Au pied des saints Autels elle pleura toujours,</l>
              <l rend="i">Toujours d’un Epoux mort la tendre &amp; triste image</l>
              <l rend="i">Se retraçoit à son cœur amoureux,</l>
              <l rend="i"> Et jusqu’à ce moment heureux,</l>
              <l rend="i">Que le foible Mortel avec crainte envisage,</l>
              <l rend="i"> Elle porta la gloire de ses feux.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Cet exemple pour vous doit estre redoutable,</l>
              <l rend="i">Vn grand cœur aux malheurs est souvent destiné,</l>
              <l rend="i">Le vostre est genereux, grand, sensible, équitable,</l>
              <l rend="i">Et tel enfin qu’il faut pour estre infortuné.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-10_148" resp="mercure">
          <head>[Réjouissances faites pour la Paix de Savoye]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, octobre 1696 [tome 10], p. 148-152.</bibl>
          <p/>
          <p>Je ne vous parle point des réjoüissances qui se sont faites dans toutes les Villes de France ; ma Lettre seroit trop remplie de repetitions. Je me contenteray de vous dire ce qui s'est fait à cette occasion dans la Ville de Mante, afin que par ce qui s'est passé dans une Ville, qui n'est pas du premier rang, vous jugiez de la joye qui a éclaté dans toutes les autres, &amp; de la dépense ingenieuse qui s'y est faite.</p>
          <p>On y avoit representé sur un Theatre de seize pieds en quarré, Mercure avec des ailes aux pieds, &amp; un caducée dans sa main droite, autour duquel on avoit écrit ce Vers,</p>
          <p>On vient à bout de tout lors que l'Amour s'en mesle.</p>
          <p>De sa main gauche pendoient les Armes de France &amp; de Savoye accolées ensemble, &amp; au dessus, Sic juncta foedere pacis. A la face du Theatre estoit un grand Tableau, contenant cet Emblême, avec ces paroles pour inscription, La vangeance desarmée par l'Amour. Cet Emblême representoit un grosse nuë en forme d'orage, &amp; Jupiter dessus, le visage en colere, son tonnerre sous ses pieds, &amp; ses foudres à la main, prest à lancer sur une grande &amp; vaste plaine, ornée de Chasteaux, Villes maisons, arbres, fruits, fleurs &amp; verdure. Au dessus de cette Ville paroissoit l'Amour s'élançant &amp; fendant les airs, pour aller à la rencontre de Jupiter, avec le Portrait de la jeune Princesse de Savoye, soutenu d'un ruban couleur de feu. Ces Vers estoient écrits au dessus.</p>
          <p/>
          <p>A voir Jupiter en colere,</p>
          <p>Le bras levé, le foudre en main,</p>
          <p>Qui n'auroit pas cru que demain</p>
          <p>Ces lieux ne seroient plus que cendre, que poussiere ?</p>
          <p>Mais pour fléchir un Dieu justement irrité,</p>
          <p>Admirez le pouvoir d'une jeune Beauté,</p>
          <p>Et quel est l'effet de ses charmes.</p>
          <p>Jupiter s'adoucit en voyant tant d'attraits,</p>
          <p>Et l'Amour l'obligeant de mettre bas les armes,</p>
          <p>En faveur de l'Himen luy fait donner la Paix.</p>
          <p/>
          <p>Le Feu d'artifice fut executé avec l'admiration de toute la Ville, par les soins du Sieur Quillet, Ingenieur. Aprés que le Te Deum eut esté chanté dans l'Eglise Collegiale, par la Musique, en presence de Mrs les Maire &amp; Echevins, &amp; de tous les Corps de la Ville, Mr le Duc de Sully &amp; Me la Duchesse, son Epouse, prirent part à cette réjoüissance publique.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-10_168" resp="wordpro">
          <head>[Madrigaux]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, octobre 1696 [tome 10], p. 168-172.</bibl>
          <p>Les Vers qui suivent sont de Mademoiselle Itier, dont je vous en ay souvent envoyé, qui ont eu l’avantage de vous plaire.</p>
          <quote>
            <label>Sur la publication de la Paix<lb />de Savoye, dans le temps<lb />de la maladie du Roy.<lb /><hi rend="i">MADRIGAL.</hi></label>
            <lg>
              <l rend="i">La Savoye avec nous, grace au Ciel, est unie.</l>
              <l rend="i">Louis par cette Paix vient de combler nos vœux.</l>
              <l rend="i">On n’en sçauroit douter, par tout on la publie,</l>
              <l rend="i">Il est vray, mais Louis souffre un mal douloureux,</l>
              <l rend="i">Tout le monde l’a veuë, &amp; ne l’a point sentie.</l>
            </lg>
          </quote>
          <quote>
            <label>AU ROY.<lb />Sur le retour de sa santé, &amp;<lb />sur la Paix de Savoye.<lb /><hi rend="i">MADRIGAL.</hi></label>
            <lg>
              <l rend="i">Grand Roy, l’aimable Paix si longtemps attendüe ;</l>
              <l rend="i">Par vos penibles soins du Ciel est descendüe,</l>
              <l rend="i">Mille feux dans la nuit faisant un nouveau jour,</l>
              <l rend="i"> Nous ont annoncé son retour.</l>
              <l rend="i">Les Peuples ont beni celuy qui nous l’envoye ;</l>
              <l rend="i"> Cependant parmy tant de joye</l>
              <l rend="i">Nous ne pouvons joüir d’un tranquille bonheur,</l>
              <l rend="i">Tant que d’un mal cruel vous sentiez la douleur :</l>
              <l rend="i">Mais vostre santé, Sire, a calmé nos alarmes,</l>
              <l rend="i">Et seule, de la Paix nous fait goûter les charmes.</l>
            </lg>
          </quote>
          <quote>
            <label>A MONSEIGNEUR<lb />LE DUC<lb />DE BOURGOGNE.<lb /><hi rend="i">MADRIGAL,</hi><lb />Fait à Versailles en voyant<lb />passer ce Prince.</label>
            <lg>
              <l rend="i">Prince, tout rit à vos desirs,</l>
              <l rend="i">La Paix, l’Hymen, &amp; les Plaisirs</l>
              <l rend="i">Amenent en ces lieux une jeune Princesse,</l>
              <l rend="i"> Digne d’avoir vostre tendresse.</l>
              <l rend="i"> Vous luy plairez à vostre tour.</l>
              <l rend="i">Qui pourroit resister, Prince, à tant de merite,</l>
              <l rend="i"> Vous estes plus beau que l’Amour,</l>
              <l rend="i"> Et la gloire est à vostre suite.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-10_172" resp="wordpro" copyOf="JLB-MG-1696-10_176">
          <head>[Histoire]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, octobre 1696 [tome 10], p. 172-203.</bibl>
          <p>On est exposé à bien des chagrins, quand on aime une personne vraiment digne d’être aimée, &amp; que la fortune ne seconde pasle desir qu’on a de la rendre heureuse. Un Cavalier des plus accomplis, &amp; d’une naissance distinguée, avoit autant de desavantage du côté du bien, qu’il estoit heureusement partagé pour les qualitez qui font le veritable honneste homme. Son Pere qui avoit toujours vêcu avec grand éclat, t’étoit ruiné par l’excés de sa dépense &amp; le peu qu’il avoit sauvé aprés sa mort, du débris de ses affaires, n’estoit pas assez considerable pour le faire subsister commodement, s’il ne trouvoit quelque moyen de les rétablir. Le plus propre pour cela estoit d’épouser une femme riche, qui luy donnast dequoy se tirer des embarras où le mettoit son peu de fortune, &amp; c’est à quoy il eust réussi sans peine, estant d’un merite generalement connu, s’il eust eu moins de delicatesse sur le choix qu’il falloit faire, mais comme il cherchoit à vivre heureux en se mariant, la pluspart de celles qu’on luy proposoit, avoient pour luy des défauts essentiels, dont ils ne pouvoit s’accommoder. L’une le dégoûtoit pour estre trop laide, l’autre pour avoir l’esprit peu fin ou l’humeur bizarre, &amp; il se sentoit pour quelques autres, selon leurs differentes manieres, une antipathie qu’il ne pouvoit vaincre. Cependant il vivoit comme il pouvoit, sans se mettre en peine que de son repos, estimé de tout le monde, &amp; souhaité dans tout ce qu’il y avoit de Societez où l’on consideroit le merite. Ses honnestetez &amp; sa complaisance faisoient qu’il plaisoit à toutes les Dames, quoy qu’il n’affectast de plaire à aucune en particulier, &amp; il menoit une vie d’autant plus douce, que n’ayant point d’autre ambition que celle de faire voir beaucoup de droiture dans ses sentimens, il se faisoit des Amis de tous costez. Un jour qu’il rendit visite à une Dame qu’il voyoit de temps en temps, il trouva chez elle une fort jolie personne, que l’on pria de chanter, &amp; qui s’en acquitta avec une grace qui charma tous ceux qui l’entendirent. Il s’approcha d’elle pour luy applaudir sur un si heureux talent, &amp; estant entré en une conversation particuliere, avec cette aimable Fille, il luy trouva autant d’esprit que de politesse, &amp; un agrément dans ses manieres, qui luy fit connoistre que l’on avoit pris grand soin de son éducation. Elle estoit née Demoiselle, mais sous une Etoile aussi malheureuse que celle du Cavalier, beaucoup de merite &amp; fort peu de bien. Sa Mere luy avoit toujours donné d’utiles leçons pour sa conduite, &amp; elles vivoient ensemble dans une union qui faisoit plaisir. Le Cavalier fut informé de toutes ces choses, &amp; comme il aimoit passionnément la Musique, chantant luy-mesme assez agreablement, il ne se put empescher quelques jours aprés d’aller chez la Belle, où il fut reçû avec l’accueil obligeant qu’il trouvoit par tout. La Mere &amp; la Fille luy parurent deux personnes admirables, &amp; s’il fut charmé de leurs manieres aussi nobles que polies, il leur donna lieu de dire que le Portrait qu’on faisoit de luy, ne le flattoit point, &amp; qu’il estoit parfaitement digne de la réputation qu’il s’estoit acquise. Il chanta quelques Airs avec la Belle qui accompagnoit du Clavessin. Elle en joüoit avec beaucoup de délicatesse, &amp; elle n’ignoroit rien de ce qu’une Fille de naissance doit sçavoir, quand elle veut s’attirer quelque distinction dans le monde. Tout cela estant soûtenu par une figure aimable ; &amp; un grand fond de raison meslé là-dedans, avec une égalité d’humeur dont rien n’approchoit, faisoit un merite que l’envie mesme avoit de la peine à contester. Cette premiere visite du Cavalier fut suivie de plusieurs autres, &amp; on se fit un plaisir d’autant plus grand de les recevoir, qu’ayant l’esprit infiniment éclairé, il répandoit dans la conversation, je ne sçay quel agrément qui la rendoit toûjours vive, &amp; qui faisoit qu’en sa bouche les choses les plus communes sembloient avoir de la nouveauté. Il faisoit voir de grandes honnestetez pour la Belle, mais elles n’estoient que sur le pied d’Ami, &amp; ne pouvant rien pour sa fortune, quoy qu’elle luy inspirast de fort tendres sentimens, il eust cru faire une chose indigne de luy, s’il eust cherché à luy faire prendre de l’amour. Cependant insensiblement il s’accoûtuma à des assiduitez qui firent craindre à la Mere qu’un si grand commerce ne préjudiciast aux interests de de sa Fille. Elle s’en expliqua avec luy, &amp; aprés luy avoir representé qu’ils n’estoient point le fait l’un de l’autre, puisqu’aucun des deux n’étoit assez riche pour pouvoir s’abandonner à son inclination, elle le pria de mettre des bornes aux empressemens qu’il faisoit paroistre, &amp; qui pouvoient estre cause qu’aucun party ne s’offriroit pour la Belle, par la crainte qu’on auroit qu’il n’y eust entr’eux quelque engagement de cœur. Le Cavalier entra dans ses sentimens, &amp; ne trouvant rien que de fort juste dans ce qu’elle crut devoir exiger de luy, il s’y soumit, en luy protestant que s’il avoit eu cent mille écus dont il eust pu la faire maistresse, elle n’auroit point esté en peine de chercher ailleurs un Gendre. Le retranchement de ses visites qui commençoient à n’estre plus si frequentes, luy fit sentir qu’il s’estoit trompé dans les sentimens qu’il avoit pris pour la Belle. Comme il n’avoit eu dessein que d’estre de ses Amis, il prétendoit n’avoir point esté plus loin ; mais ce qu’il souffrit à ne la plus voir aussi souvent qu’il avoit fait jusque là, luy fit connoistre que son cœur l’avoit trahy. Il en eut un veritable chagrin, &amp; l’impossibilité qu’il trouvoit de part &amp; d’autre, à rien esperer qui pust autoriser son amour, le mit dans un trouble qui luy fit passer de méchantes heures. La Belle de son costé vivoit moins contente, estant privée de la vûë du Cavalier. Elle avoüoit son foible à sa Mere, qui ne pouvant condamner l’estime particuliere qu’elle témoignoit pour luy, se trouvoit gênée comme elle de la contrainte où elle l’avoit assujettie. Aussi la trouverent-elles si rude pour elles-mesmes, que quand aprés l’avoir observée un peu de temps, il redevint peu à peu plus assidu, ny l’une ny l’autre n’eut la force de s’en plaindre. La Belle fit encore plus en sa faveur. Il s’offrit quelques Amans, qui en l’épousant luy assuroient une vie commode &amp; assez tranquille, &amp; la difference qu’elle trouva d’eux au Cavalier, ne luy permit pas de les écouter. La reconnoissance qu’il en eut, fit qu’il chercha toutes sortes de moyens pour se faire une fortune qui la pust indemniser des avantages qu’elle refusoit pour luy, &amp; comme il luy échapoit quelquesfois des plaintes, sur ce que des Amis puissans qu’il faisoit agir, ne s’employoient point avec assez de chaleur pour le succés d’une affaire dont il auroit pû tirer un profit considerable, la Mere luy dit un jour en riant, que s’il estoit homme à se faire un peu de violence, parce que le bien ne se pouvoit acquerir sans peine, elle répondoit qu’elle luy feroit toucher deux cens mille frans en argent comptant, sans ce qu’il pourroit avoir de plus, pourvû qu’il se contraignist à bien ménager la chose. Le Cavalier répondit sans balancer qu’il n’y auroit rien de fâcheux pour luy, s’il estoit vray qu’on pust luy faire donner la somme dont on luy parloit, &amp; alors la Mere ajoûta que peut estre il feroit le delicat, quand il auroit scû ce qu’elle avoit à luy proposer, mais qu’aprés tout, ce devoit estre une affaire tres-sérieuse pour luy, &amp; que difficilement il pourroit trouver un moyen plus sûr de se tirer d’embarras pour toute sa vie. Il s’agissoit d’épouser une Dame extrémement riche, qui ne se donnant que soixante ans, estoit connuë pour en avoir au moins quatre-vingt, &amp; qui par haine pour des Heritiers collateraux, qui l’avoient des-obligée en plusieurs rencontres, cherchoit à acheter un Mary qui les vangeast de leurs injustices, en la tirant de l’oppression qu’elle en souffroit. Le Cavalier s’écria sur la proposition, &amp; la Belle qui estoit presente, luy demanda d’un air tendre &amp; engageant, s’il se croiroit obligé de luy dérober son cœur pour le donner à la vieille Dame ; car pour les marques d’estime, de complaisance, &amp; même d’amitié reconnoissante, elle sçavoit qu’il estoit trop honneste pour s’en vouloir dispenser, ce qui suffisoit dans les mariages de cette nature. Elle dit encore qu’elle estoit fort seure qu’en l’estat où il estoit, l’amour seul qu’il luy avoit protesté l’obligeoit à balancer sur la réponse qu’il avoit à faire ; &amp; que s’il vouloit luy témoigner qu’il l’aimoit sincerement, il falloit qu’il acceptast le parti. On employa le reste du jour à examiner le pour &amp; le contre ; &amp; enfin, aprés de fort longs raisonnemens &amp; des contestations que le Cavalier forma sans estre écouté, la Mere &amp; la Fille conclurent au mariage. Il n’en voulut laisser le soin à la Mere, qu’à condition que les deux cens mille francs seroient partagez avec la Belle, pour qui seule il consentoit au sacrifice que l’on exigeoit de luy. On luy répondit qu’il falloit faire l’affaire, &amp; qu’il verroit ensuite quelles resolutions il auroit à prendre. La vieille Dame, qui estoit d’une richesse à se faire rechercher, avoit force prétendans, &amp; l’irresolution où elle estoit pour le choix, cessa tout d’un coup, lors qu’on luy eut proposé le Cavalier. Sa réputation, non seulement d’honneste homme, mais d’homme sage &amp; d’une exacte équité, ne souffrit aucun obstacle à la conclusion de l’affaire. On la termina en peu de jours. Les deux cens mille francs luy furent comptez, &amp; il en fit un usage dont la Belle eut tout sujet d’estre satisfaire. D’ailleurs, le contract qui fut signé entre les Parties, luy assura tous les avantages que les Loix permettent. Il y fut marqué que tous les meubles luy appartiendroient aprés la mort de la Dame, &amp; cet article estoit tres-considerable. Sa complaisance valut encore beaucoup. Comme il en avoit pour elle dans toutes les choses qu’il prévoyoit luy devoir faire plaisir, il ménagea si bien son esprit, qu’il luy fit vendre une partie de son fond, dont l’argent passa entre ses mains. On luy avoit fait depuis long-temps des chicanes fort injustes, pour l’empêcher de toucher d’assez grosses sommes, qui luy estoient deuës par les Receveurs de quelques Terres dont elle avoit l’usufruit. Elle y alla avec son nouvel Epoux, &amp; en six mois il luy fit avoit raison de ceux qui s’estoient declarez contre elle. Il n’agissoit avec tant d’ardeur que pour assurer du bien à la Belle, à qui il ne manquoit pas de rendre compte de tout, &amp; dont les réponses adoucissoient le chagrin que luy causoit son absence. Il ne fut pas plûtost de retour qu’il courut chez elle. Il ne trouva que sa Mere, qui luy dit d’un visage assez riant, qu’elle avoit à luy apprendre une chose qui pourroit d’abord luy faire peine, mais qu’elle estoit fort persuadée que quand il y auroit fait reflexion, il avoûroit qu’elle estoit d’une nature à luy devoir donner de la joye. Sa Fille s’estoit mariée depuis trois jours à un homme extraordinairement riche, &amp; qui luy avoit donné des sommes immenses. Le Cavalier fut frappé si vivement de ce coup terrible, qu’il demeura quelque temps sans pouvoir parler. Il dit ensuite tout ce que le desespoir &amp; l’excessive douleur peuvent faire dire quand on a perdu tout ce qui peut faire aimer la vie. Il s’estoit sacrifié pour une personne qu’il aimoit uniquement, &amp; cette mesme personne avoit esté assez infidelle pour se donner à un autre. Ce fut là-dessus un si rapide torrent de paroles &amp; de plaintes, que la Mere eut peine à obtenir un moment pour luy apprendre que ses reproches estoient malfondez ; puisque sa Fille avoit cru ne devoir pas estre moins genereuse que luy, &amp; qu’elle n’avoit consenti à se marier que pour le voir en estat de luy faire part d’une fortune qu’il trouveroit assez éclatante pour meriter qu’il s’en réjoüist. Le Cavalier s’adoucit un peu quand il eut appris le nom de celuy qu’elle venoit d’épouser. C’estoit un Financier riche à millions, qui n’avoit point eu d’enfans, &amp; qui estant demeuré veuf depuis un mois dans une extrême vieillesse, avoit plutost choisi une compagne agréable pour vivre avec luy, que pris une femme. On luy avoit proposé une infinité de Filles, des plus aimables, &amp; de toutes fortes de conditions, &amp; il avoit préferé la Belle, qu’il connoissoit comme sa voisine, &amp; qu’il se fit un plaisir de mettre dans un estat fort brillant. Ces circonstances affoiblirent fort le déplaisir que le Cavalier avoit marqué de la fâcheuse nouvelle qu’on luy avoit annoncée, &amp; le lendemain il alla rendre visite à la Belle. Son vieux Mary le reçût fort obligeamment, &amp; luy témoigna que les personnes de son caractere faisoient toûjours grand plaisir à voir. La Belle qui n’avoit pas moins de vertu que de conduite, ne le quittoit pas un seul moment, &amp; par ses soins assidus elle luy ostoit tout sujet de jalousie. Elle n’en faisoit pas plus mal ses affaires. Plus elle se montroit empressée pour luy, plus il estoit liberal pour elle. Tous ses devoirs estoient remplis admirablement auprés de ce vieux Mary, &amp; elle s’en acquitta toûjours de si bonne grace, qu’il ne parut point qu’il y eust de la contrainte. Du moins si ces devoirs la firent souffrir, ce fut pour fort peu de temps, puis qu’il mourut trois ou quatre mois aprés qu’il l’eut épousée. Sa mort affligea le Cavalier, qui voyant la jeune Veuve un party fort important par le grand bien que le bon homme luy avoit laissé, apprehenda que son cœur ne se laissast séduire à l’ambition dans un temps où il n’estoit pas en pouvoir de profiter des sentimens favorables qu’elle avoit pour luy. En effet, son merite &amp; sa beauté tirérent un nouvel éclat de sa fortune, &amp; parmy des propositions qui luy furent faites, il y en eut de quelques personnes d’un rang extrêmement élevé. C’estoit dequoy allarmer le Cavalier. Elle avoit beau l’assurer de sa constance. Sa Femme, dont il n’osoit souhaiter la mort, sembloit obstinée à vivre, &amp; il avoüoit qu’il estoit injuste d’exiger de la belle Veuve qu’elle renonçast pour luy à tous les honneurs qu’il luy voyoit mépriser. Enfin, pour le tirer du chagrin où il s’abîmoit insensiblement, &amp; se délivrer en mesme temps de cette foule d’Adorateurs dont elle voyoit de jour en jour augmenter le nombre, elle fit sans en consulter personne, ce qu’aucun d’eux n’auroit pû s’imaginer. Elle s’enferma dans un Convent avec sa Mere, &amp; elle n’y vit que le Cavalier, &amp; quelques personnes à qui il falloit qu’elle parlast quelquefois pour ses affaires. Il fut d’autant plus charmé de cette conduite, qu’elle la soutint pendant six années que vécut encore sa Femme, sans que tout ce qu’on pût faire pour la rappeller au monde, produisit aucun effet. Si tost que le Cavalier fut veuf, elle quitta sa retraite, &amp; personne ne douta qu’il ne dûst estre l’heureux qui emporteroit ce que tant d’autres avoient poursuivi inutilement. Leur mariage qui fut arresté quelque temps aprés, fit admirer la conformité de leurs destinées, &amp; on applaudit à la generosité de l’aimable Veuve, qui ayant reçu les marques les plus convainquantes de l’amour du Cavalier, par le sacrifice qu’il luy avoit fait de sa personne, pour luy procurer du bien, s’estoit conservée pour luy avec une fermeté inébranlable.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-10_203" resp="mercure">
          <head>[Lettre en Prose &amp; en Vers sur une Feste donnée par les Chevaliers de l'Arquebuse d'Epernay]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, octobre 1696 [tome 10], p. 203-210.</bibl>
          <p/>
          <p>Je vous envoye une Lettre mêlée de Prose &amp; de Vers, que vous vous trouverez tres-agreable.</p>
          <p/>
          <p>J'ay receu, Monsieur, avec plaisir le détail que vous m'avez fait de tous les feux de joye qu'on a allumez à Paris, en réjoüissance de la Paix de Savoye, &amp; je suis persuadé que vous recevrez de même la Relation que je vous envoye, d'une feste que Mrs les Chevaliers de l'arquebuse ont faite à Epernay, sur le même sujet. Vous sçavez que cette illustre Compagnie, où j'ay l'honneur d'avoir une place, est composée de la meilleure Noblesse, &amp; des premiers Officiers de la Ville : Ainsi vous ne doutez pas que nous ne nous soyons animez à l'envy à marquer nostre zéle pour la gloire de nostre invincible Monarque.</p>
          <p/>
          <p>Au seul récit de son grand nom</p>
          <p>Je me sens excité des transports d'Appollon,</p>
          <p>Pour mieux raconter cette Histoire,</p>
          <p>Où l'on verra l'effet des travaux de Louis,</p>
          <p>Venez à mon secours, vous Filles de Memoire,</p>
          <p>Qui rendez éternels ses exploits inoüis.</p>
          <p/>
          <p>Mais où m'emporte mon ardeur ? je prens un ton trop haut, &amp; j'ay peur de n'avoir pas assez d'haleine pour le soûtenir ; il faut ménager ma voix. Je vous diray donc plus simplement, Monsieur, que nostre Feste commença le 30. Septembre, par six Prix qui furent tirez en presence des plus honnestes gens de la Ville, invitez à cette ceremonie.</p>
          <p/>
          <p>Chacun tira là de son mieux,</p>
          <p>Moins pour les prix que pour la gloire</p>
          <p>De remporter une victoire,</p>
          <p>Et je fus des victorieux.</p>
          <p/>
          <p>Il faut que la Gloire ait bien des charmes, puisque je ne puis m'empescher de vous faire un tel aveu. Pardonnez le moy ; il vient moins en pareille occasion d'un exces de vanité, que d'un transport de joye. Aprés cet exercice, nous allâmes tous en bon ordre au bruit des Tambours &amp; des Hautbois, devant nôstre Hostel allumer un Feu d'Artifice qui y estoit preparé, &amp; qui fit un effet admirable.</p>
          <p/>
          <p>Lors que le feu prenoit au bois</p>
          <p>Le Peuple assemblé dans les ruës</p>
          <p>Faisoit retentir jusqu'aux nuës</p>
          <p>Le nom du plus puissant des Rois :</p>
          <p>A peine au bruit de tant de voix,</p>
          <p>Nos armes estoient entenduës.</p>
          <p/>
          <p>La Feste n'auroit pas esté complette si les Dames n'y avoient pas esté invitées. Dans nostre Hostel qui estoit illuminé de toutes parts, nous leur donnâmes un Bal, qui fut suiviy d'une magnifique collation.</p>
          <p/>
          <p>Brillantes à l'envy de mille attraits divers,</p>
          <p>Elles disoient dans leurs transport de joye,</p>
          <p>Louis fait la Paix de Savoye,</p>
          <p>Il conclura bientost celle de l'Univers,</p>
          <p>Que n'avons nous part à sa gloire !</p>
          <p>Que nous sommes à plaindre, helas !</p>
          <p>De ne pouvoir le suivre où la Victoire</p>
          <p>Accompagne toûjours ses pas.</p>
          <p>C'est luy qui nous assemble en ce fameux repas,</p>
          <p>A sa santé nous devons boire,</p>
          <p>Il ne s'en offensera pas ;</p>
          <p>Buveurs, si vous voulez nous croire,</p>
          <p>Vous mettrez tous vos vins au bas.</p>
          <p/>
          <p>Rien n'estoit plus capable de nous animer à la bonne chere. Je vous assure aussi que chacun s'acquitta parfaitement bien de son devoir, &amp; que pour une Paix particuliere, il y eut bien des cartaux de bus.</p>
          <p/>
          <p>Malgré la vendange frugale,</p>
          <p>Quand nôtre invincible Louis</p>
          <p>Conclura la Paix generale,</p>
          <p>Combien nous vuiderons de muids !</p>
          <p/>
          <p>La Collation finie, chacun se retira au bruit de nos boëtes &amp; de nos arquebuses, qui n'avoient point cessé de tirer pendant toute le temps que nous restâmes dans nôtre Hostel. Voilà comment se passa nôtre Feste. Voyez si nôtre Compagnie ne s'est pas bien distinguée par ces differentes réjoüissances, &amp; si vous ne serez pas bien aise de l'apprendre. Je suis, Monsieur,</p>
          <p/>
          <p>Vostre tres-humble &amp;  tres-obeissant Serviteur,</p>
          <p>DU ROCHERET</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-10_210" resp="wordpro">
          <head>[Madrigaux faits par Mademoiselle de Scudery]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, octobre 1696 [tome 10], p. 210-212.</bibl>
          <p>Les Vers qui suivent sont de Mademoiselle de Scudery.</p>
          <quote>
            <label>SUR LA TREVE<lb />Entre la France &amp; la Savoye.<lb /><hi rend="i">MADRIGAL.</hi></label>
            <lg>
              <l rend="i">Loüis est toujours admirable,</l>
              <l rend="i">Et de tous les Heros le plus inimitable ;</l>
              <l rend="i">Par luy nous allons voir une agreable Paix.</l>
              <l rend="i">En pourrions-nous avoir un plus heureux présage ?</l>
              <l rend="i"> Nous voyons déja son image</l>
              <l rend="i"> Pleine de douceur &amp; d’attraits.</l>
              <l rend="i">Mais si les Alliez, peu touchez de ses charmes,</l>
              <l rend="i"> Refusent de poser les armes,</l>
              <l rend="i">Les Aigles, les Lions, &amp; les fiers Leopards</l>
              <l rend="i">Seront punis sur la Terre &amp; sur l’Onde,</l>
              <l rend="i">Et leur orgueil jusqu’à la fin du monde</l>
              <l rend="i"> Sera maudit de toutes paris,</l>
              <l rend="i">Quand Loüis triomphant joüira de la gloire</l>
              <l rend="i">D’avoir pu préferer la Paix à la Victoire.</l>
            </lg>
          </quote>
          <quote>
            <label>SUR LA PAIX<lb />Entre la France &amp; la Savoye.<lb /><hi rend="i">MADRIGAL.</hi></label>
            <lg>
              <l rend="i">O Paix ! aimable Paix, qui descendez des Cieux,</l>
              <l rend="i"> Que vous estes belle à nos yeux !</l>
              <l rend="i">Nous avions déja vû vostre agreable image,</l>
              <l rend="i">Mais en original vous plaisez davantage.</l>
              <l rend="i">En vain les Alliez méprisent vos appas,</l>
              <l rend="i">Vous leur verrez enfin un sentiment plus juste :</l>
              <l rend="i">Honteux &amp; rebutez d’inutiles combats</l>
              <l><hi rend="i">Ils vous tendrons la main aux pieds de nostre</hi> AUGUSTE.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-10_238" resp="wordpro">
          <head>Priere à la Reine</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, octobre 1696 [tome 10], p. 238-246.</bibl>
          <p>Rien n’est plus commun que les Vers, mais rien n’est si rare que les bons, &amp; l’on en trouve peu du caractere que demande la veritable Poësie. Ceux que je vous envoye sont de cette nature. M<hi rend="sup">r</hi> de Senecé, premier Valet de Chambre de la Reine, en est l’Auteur.</p>
          <quote>
            <label>PRIERE<lb />A LA REINE.</label>
            <lg>
              <l>Esprit né pour regner, à qui le Sang d’Austriche</l>
              <l>Jusqu’au Trône des Lis a frayé le chemin,</l>
              <l>Où trop tost les Vertus vous ont prêté la main,</l>
              <l>Pour vous faire monter sur un Trône plus riche.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>Détournez un moment vos regards absorbez</l>
              <l>Dans le vaste Ocean des divines lumieres ;</l>
              <l>Contemplez de LOUIS les fatigues guerrieres,</l>
              <l>Et tant de vains projets par sa valeur tombez.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>Si les felicitez d’éternelle durée</l>
              <l>D’un bonheur passager prennent accroissement,</l>
              <l>Vous aurez du plaisir à voir l’abaissement</l>
              <l>Où ce Heros réduit l’Europe conjurée.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>Aprés huit ans complets, ses Agresseurs ardens</l>
              <l>Languissent chaque jour dans un estat plus triste,</l>
              <l>Et malgré leur fureur son Royaume subsiste</l>
              <l>Invincible au dehors, &amp; tranquille au dedans.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>Ainsi des Aquilons quand la rage s’allume,</l>
              <l>Ils poussent vers les bords Neptune fremissant ;</l>
              <l>Ils ont beau l’y pousser, son orgueil menaçant</l>
              <l>Se brise, s’aplanit, se résout en écume.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>Le Party des Liguez va devenir desert ;</l>
              <l>Chacun de la raison écoute les murmures :</l>
              <l>Le mieux sensé d’entre eux a rompu leurs mesures,</l>
              <l>Comme un son discordant desordonne un Concert.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>Déja l’aimable Paix si longtemps desirée,</l>
              <l>Descend du Mont-Cenis par un vol gracieux :</l>
              <l>La Discorde en gemit, &amp; se bouche les yeux</l>
              <l>Offensez par l’éclat de son aile dorée.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>Le Sang avec le Sang est reconcilié :</l>
              <l>Pour gage de sa foy le Pô donne à la Seine</l>
              <l>Une jeune Beauté, que l’Hymen nous amene</l>
              <l>D’une chaîne éternelle avec l’Amour lié.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>O Reine ! ô des François esperance solide,</l>
              <l>Quel fâcheux souvenir elle va dissiper,</l>
              <l>Et qu’il leur sera doux de luy voir occuper</l>
              <l>Le Siege le plus prés de vostre Siege vuide.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>Vostre protection nous permet d’esperer</l>
              <l>Que vous procurerez à son esprit docile</l>
              <l>De vos pieux talens la semence fertile.</l>
              <l>Est-il rien de plus grand qu’on luy puisse augurer ?</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>Le bruit court que Loüis, qui sçait mieux que tout autre</l>
              <l>L’art de former un cœur au Trône destiné,</l>
              <l>A, comme il fait toujours, sagement ordonné</l>
              <l>Qu’on luy fasse une Cour des débris de la vostre.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>Comme un vase recent, qu’embaume une liqueur,</l>
              <l>Par de sçavantes mains avec soin préparée,</l>
              <l>Par ces vieux Courtisans la Princesse inspirée,</l>
              <l>De vos rares vertus conservera l’odeur.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>Icy, luy diront-ils, Terese prosternée</l>
              <l>Méprisant des grandeurs les fragiles appas,</l>
              <l>N’esperant qu’en son Dieu, méditant le trépas,</l>
              <l>Passoit comme un moment la plus longue journée.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>C’est dans cet Hôpital, où de ses charitez</l>
              <l>On conserve à jamais la memoire adorable:</l>
              <l>Voicy les mêmes plats, que sa main secourable,</l>
              <l>Sans mépris, sans dégoust au Pauvre a presentez.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>Par l’émulation sa jeune Ame excitée</l>
              <l>Du Ciel qui la protege observera les loix,</l>
              <l>Et l’Etat, qui se forme à l’exemple des Rois</l>
              <l>Verra des vieux Chrestiens l’ardeur résuscitée.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>Mais, quand de sa Maison le plan sera dressé,</l>
              <l>REINE, si quelquefois les soins de consequence</l>
              <l>Admettent des soucis d’une moindre portance,</l>
              <l>Des horreurs de l’oubli préservez Senecé.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-10_320" resp="mercure">
          <head>[Arrivée de Madame la Princesse de Savoye au Pont Beauvoisin, avec un détail de tout ce qui s'est passé à sa reception &amp; son entrée à Lyon]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, octobre 1696 [tome 10], p. 320-324.</bibl>
          <p/>
          <p>[...] Les ruës de la Ville [de Lyon], par où [la princesse] passa, estoient bordées par dix-huit cens jeunes hommes, tous d'une mesme taille, &amp; magnifiquement vétus. On avoit choisi dans tous les quartiers de la Ville, la jeunesse la mieux faite, &amp; qui estoit le plus en estat de faire de la dépense. Mrs les Prevost des Marchands &amp; Echevins firent leur compliment à la Princesse, entre les deux Portes. Mr le Marquis de Canaple qui commande dans la Ville, la reçut à la porte de la maison de Mr de Mascarany, qui luy avoit esté preparée comme la plus belle de la Ville. Ce Logis a toûjours été gardé par la Compagnie franche de Souternon, les Arquebusiers, &amp; les Gardes du Corps du Roy. Le lendemain 19. la Princesse alla à la Messe à l'Eglise de S. Jean : Elle fut reçuë à la Porte par Mrs les Comtes de Lyon, &amp; complimentée par Mr le Doyen : Elle estoit accompagnée de Mr le Comte de Brionne, de Mr  le Marquis de Dangeau, &amp; de toutes les Dames. La Messe fut chantée en Musique, quoy que ces Chanoines ne chantent jamais que le Plein-Chant. Cette Princesse alla l'aprés-dînée aux Jesuites. Elle entra dans leur maison &amp; vit leur Bibliotheque. Elle permit aux Peres Celestins, de faire tirer le soir, dans leur jardin, un tres-beau feu d'artifice, qui fut accompagné de quantité de boëtes. Tout leur Convent estoit illuminé, aussi bien leur clocher, qui estoit remply de Trompettes.</p>
          <p>Cette Princesse alla le 20. à la Messe dans leur Eglise, où elle fut receuë avec beaucoup de zele, &amp; l'on peut dire avec magnificence, ce Convent ayant esté fondé par un Duc de Savoye. Le mesme jour Elle alla aux Dames de Saint Pierre, &amp; aux Carmelites, où le Peuple la suivit, ainsi qu'il avoit fait les jours précedens. Elle se fit voir de temps en temps pour contenter sa curiosité. Pendant tout le temps qu'elle a demeuré à Lyon, toute la Place de Belle-cour, &amp; toutes les avenuës ont esté éclairées toutes les nuits par un nombre infini de lanternes. Cette Princesse a toujours mangé seule, &amp; tous les Instrumens de l'Opera, qui est établi à Lyon, se sont fait entendre pendant tous ses repas. Elle partit le Dimanche 21. &amp; la joye cessa dans la Ville de Lyon. La Bourgeoisie se mit encore sous les armes, &amp; luy donna mille benedictions à son départ, en l'appellant Princesse de la Paix.</p>
        </div>
      </div>
      <div type="tome" xml:id="MG-1696-11">
        <head><hi rend="i">Mercure Galant</hi>, novembre 1696 [tome 11]</head>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-11_030" resp="wordpro">
          <head>L’Automne</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, novembre 1696 [tome 11], p. 30-40.</bibl>
          <p>L’Ouvrage que vous allez lire, vous fera trouver l’Automne au milieu de l’Hiver.</p>
          <quote>
            <label>L’AUTOMNE.</label>
            <lg>
              <l rend="i">Voicy cette Saison où fut créé le Monde.</l>
              <l rend="i">Saison qui fut alors si belle &amp; si feconde.</l>
              <l rend="i">Cet Automne fameux, où tant &amp; tant de fruits</l>
              <l rend="i">Qu’on ne cultiva pas, se trouverent produits.</l>
              <l rend="i">Où tant &amp; tant de fleurs, de même, sans culture,</l>
              <l rend="i">Sortirent à l’instant du sein de la Nature.</l>
              <l rend="i">Où tant d’arbres, enfin, de la terre sortans,</l>
              <l rend="i">Parurent aussi hauts qu’ils sont aprés cent ans.</l>
              <l rend="i">O l’aimable saison, où, parmy l’abondance,</l>
              <l rend="i">Regnoit d’abord par tout une pleine innocence.</l>
              <l rend="i">Où la douceur estoit, comme au cœur des Agneaux,</l>
              <l rend="i">Dans le farouche cœur des plus fiers Animaux.</l>
              <l rend="i">Où les Lions, les Ours, les Tygres, les Panieres</l>
              <l rend="i">Estoient devant Adam, des bestes familieres.</l>
              <l rend="i">Où les Moutons paissoient, même au milieu des Lous,</l>
              <l rend="i">Sans craindre de leur dent un affamé courous.</l>
              <l rend="i">Où le Ciel regardoit benignement la terre,</l>
              <l rend="i">Qui rien n’apprehendoit ny foudre, ny tonnerre.</l>
              <l rend="i">Où l’homme sans travail pouvoit vivre content.</l>
              <l rend="i">Mais las ! ce que je dis ne dura qu’un instant.</l>
              <l rend="i">Ainsi puis-je nommer, peut-estre, une journée</l>
              <l rend="i">Qui d’Adam mesura l’heureuse destinée.</l>
              <l rend="i">Las ! helas ! le Serpent, auteur de nos malheurs,</l>
              <l rend="i">S’estoit déja caché sous les premieres fleurs,</l>
              <l rend="i">Et de dessous ces fleurs il sortît pour répandre</l>
              <l rend="i">Le funeste venin que l’on verra s’étendre</l>
              <l rend="i">Iusqu’aux derniers Neveux du premier des Humains,</l>
              <l rend="i">Dont le commun bonheur se perdit en ses mains.</l>
              <l rend="i">Comme donc un éclair frape les yeux, &amp; passe</l>
              <l rend="i">Sans qu’il en reste en l’air la moins visible trace.</l>
              <l rend="i">De même cet Automne, en un jour seulement,</l>
              <l rend="i">Eut aussi-tost sa fin que son commencement.</l>
              <l rend="i">A l’instant tout changea, par l’effet d’un seul crime</l>
              <l rend="i">Dont tout le Genre humain demeura la victime.</l>
              <l rend="i">Les Panteres, les Ours, les Tygres, les Lions</l>
              <l rend="i">Tomberent contre l’Homme en des rebellions.</l>
              <l rend="i">Ils parurent alors des bestes carnacieres,</l>
              <l rend="i">Qui s’allerent cacher en d’affreuses tanteres.</l>
              <l rend="i">Les moutons &amp; les loups devinrent ennemis,</l>
              <l rend="i">Et nul commerce entr’eux ne se vit plus permis.</l>
              <l rend="i">Le Ciel chastia l’Homme, &amp; luy fit de ses Astres,</l>
              <l rend="i">Aupar avant benins, des sources de desastres.</l>
              <l rend="i">Les deux plus grands Flambeaux pompeusement produits</l>
              <l rend="i">Pour faire de beaux jours, &amp; d’aussi belles nuits,</l>
              <l rend="i">Eurent ordre aussi-tost, remplissant leur carriere,</l>
              <l rend="i">De laisser bien souvent éclipser leur lumiere</l>
              <l rend="i">Les Elemens créez pour nos commoditez.</l>
              <l rend="i">Furent par le peché, contre nous révoltez.</l>
              <l rend="i">Le Feu nous menaça de cruels incendies,</l>
              <l rend="i">L’homme craignit, de l’air, d’affreuses maladies.</l>
              <l rend="i">L’Eau luy fit redouter ses fiers débordemens,</l>
              <l rend="i">La Terre l’effraya par ses grands tremblemens.</l>
              <l rend="i">Cet Element encor, à l’abord si fertile,</l>
              <l rend="i">Devint en ce moment, par tout sec &amp; sterile.</l>
              <l rend="i">La Terre, helas ! perdit certain germe fecond.</l>
              <l rend="i">Qui devoit enrichir incessamment son fond,</l>
              <l rend="i">Et le remplir de biens, sans que l’homme avec peine</l>
              <l rend="i">Préparast la moisson, d’ordinaire incertaine,</l>
              <l rend="i">Il fallut au travail alors mettre la main.</l>
              <l rend="i">L’homme y fut obligé pour en tirer son pain,</l>
              <l rend="i">Et tous ses Descendans, jusqu’aux dernieres Races,</l>
              <l rend="i">Sont au même labeur engagez, sur ses traces,</l>
              <l rend="i">Ses veilles, ses sueurs sont le prix de ce pain,</l>
              <l rend="i">Qui luy sert tous les jours à combattre la faim.</l>
              <l rend="i">Mais la terre est ingrate, &amp; rend pour tant de peines</l>
              <l rend="i">Des semences d’espoir, des apparences vaines,</l>
              <l rend="i">Qui flatent quelque temps par une douce erreur,</l>
              <l rend="i">Et font aprés gemir le pauvre Laboureur.</l>
              <l rend="i">L’Automne qui suivit cet Automne admirable,</l>
              <l rend="i">Dans ses jours les plus beaux, ne fut guere semblable.</l>
              <l rend="i">Les rigueurs de l’Hiver, les ardeurs de l’Esté,</l>
              <l rend="i">En ont le plus souvent tout l’agréement ôté.</l>
              <l rend="i">L’une &amp; l’autre saison vint usurper sa place.</l>
              <l rend="i">Tantost il est brûlant, &amp; d’autres fois il glace,</l>
              <l rend="i">Et comme si le monde alloit se détruisant,</l>
              <l rend="i">On ne reconnoist pas un Automne à present.</l>
              <l rend="i">Il ne fut que d’un jour au temps du premier Homme,</l>
              <l rend="i">Qui le vit comme on voit les objets dans un somme.</l>
              <l rend="i">Mais il le vit du moins avec tous ses appas.</l>
              <l rend="i">Il eut ce privilege, &amp; nous ne l’avons pas.</l>
              <l rend="i">L’Automne est aujourd’huy, le nom d’une chimere,</l>
              <l rend="i">Dont deux ou trois Saisons font l’estre imaginaire.</l>
              <l rend="i">Mais on peut dire aussi que l’Esté, le Printemps</l>
              <l rend="i">Sont encore des noms sans sujets subsistans.</l>
              <l rend="i">Que l’un &amp; l’autre enfin, sont moins dans la nature,</l>
              <l rend="i">Que dans un Air d’Ambruis, ou dans une Peinture,</l>
              <l rend="i">Et que l’affreux Hiver, comme un cruel Tyran,</l>
              <l rend="i">Des trois belles Saisons occupe seul le rang.</l>
              <l rend="i">Desordre infortuné qui vint du premier crime,</l>
              <l rend="i">Dont la tache funeste en tous les cœurs s’imprime !</l>
              <l rend="i">Sans ce crime fatal cet Automne charmant,</l>
              <l rend="i">Dont je viens d’ébaucher le tableau simplement,</l>
              <l rend="i">Auroit duré toujours, &amp; toujours la Nature</l>
              <l rend="i">L’auroit entretenu dans sa temperature.</l>
              <l rend="i">Nous aurions en luy vû le Printemps par les fleurs,</l>
              <l rend="i">L’Esté par ses épis, sans l’excés des chaleurs.</l>
              <l rend="i">Le redoutable Hiver que la Nature abhorre,</l>
              <l rend="i">Ce tyran inhumain de Pomone &amp; de Flore,</l>
              <l rend="i">N’eust jamais dépouillé nos Jardins &amp; nos Bois,</l>
              <l rend="i">Et réduit, tous les ans, la Nature aux abois.</l>
              <l rend="i"> Mais quoy ! si le Pechê que fit le premier Homme,</l>
              <l rend="i">Pour avoir seulement mordu dans une pomme,</l>
              <l rend="i">Causa dans un instant tout ce desastre affreux,</l>
              <l rend="i">Où cet Homme soudain se vid si malheureux.</l>
              <l rend="i">Que dis-je ? Si le Ciel comprit dans sa vengeance</l>
              <l rend="i">Les Descendans d’Adam, même avant leur naissance,</l>
              <l rend="i">Avant, par leurs pechez, qu’ils eussent merité</l>
              <l rend="i">De sentir les effets de sa severité.</l>
              <l rend="i">Quels desordres, helas ! quels fleaux si funestes,</l>
              <l rend="i">Devons-nous redouter des coleres celestes,</l>
              <l rend="i">Quand depuis si longtemps tous ces coupables Fils</l>
              <l rend="i">Inondent l’Vnivers par d’énormes delits.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-11_079" resp="wordpro">
          <head>[Lettre sur les habits des Dames de Jérusalem]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, novembre 1696 [tome 11], p. 79-84.</bibl>
          <p>La Lettre qui suit est écrite sur une matiere assez curieuse pour faire plaisir aux Dames.</p>
          <quote>
            <label><hi rend="i">LETTRE</hi><lb /><hi rend="i">De M<hi rend="sup">r</hi> de Cipiere de Bordeaux, à M<hi rend="sup">r</hi> le Prieur de S. sur les Habits des Dames de Jerusalem.</hi></label>
            <p>La Satyre que vous m’avez envoyée contre le Luxe des Dames de nostre siecle, m’a donné beaucoup de plaisir, &amp; je ne doute pas qu’elle n’en donne autant à tous ceux qui liront la description que vous y faites de leurs Habits &amp; de leurs coëffures. Je ne sçay si à voir la diversité de ces ornemens, on pourroit bien deviner à quelle partie du corps il les faut ajuster, supposé qu’on n’ait jamais vû personne qui les portast. Je ne sçay encore si nos Geometres pourroient trouver des noms pour toutes les diverses figures qu’on leur donne ; quand mesme ils en chercheroient dans le Grec, suivant leur coutume. Et pour moy, quand je vois une femme coëffée &amp; habillée à la mode ; il me semble voir une Colonne &amp; un Chapiteau d’ordre Gothique, sans nulle proportion ny symetrie dans ses parties, &amp; avec des ornemens bien bizarres.</p>
            <p>On me dira peut-estre que j’ay moy-mesme le goust encore plus bizarre &amp; plus irregulier. Je le veux, mais si l’on peut ne considerer que les coëffures des Dames, &amp; faire un peu d’abstraction du bon air qu’elles leur donnent, je suis assuré que ceux-mesme qui sont enchantez de la galanterie &amp; de la propreté de ces ornemens, seront bientost du mesme sentiment que vous &amp; moy là-dessus.</p>
            <p>Voilà, Monsieur, ce qu’à fait vostre Satyre dans mon esprit ; mais n’esperez pas pour cela qu’elle fasse le même effet sur celuy des Dames. Le Sexe est trop delicat pour luy pouvoir parler de reforme, il ne reçoit des loix que de l’Usage &amp; de la Mode. C’est un Roy &amp; une Reine qui regnent avec empire sur luy, &amp; il se fait gloire de porter les habits &amp; les couleurs de leurs Majestez. Ainsi comptez, Monsieur, que les Dames s’opposeront à vostre dessein si vous en avez quelqu’un contre leur liberté, &amp; qu’elles appelleront encore à leur secours les Belles de Hollande &amp; d’Angleterre, qui vont aujourd’huy vêtues à la Françoise. Il n’y a point de guerre entr’elles, quoy que leurs Peres, leurs Maris &amp; leurs Freres se la fassent entr’eux. Contentes de mettre quelquefois la discorde &amp; la guerre entre les hommes, elles joüissent de la Paix dans leur Republique feminine, si cela se peut dire.</p>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-11_107" resp="wordpro">
          <head>[Epistre en Vers]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, novembre 1696 [tome 11], p. 107-114.</bibl>
          <p>Je vous envoye deux Lettres, dont le stile vous paroistra aisé &amp; naturel.</p>
          <quote>
            <label>A MADEMOISELLE<lb />L’HERITIER.<lb /><hi rend="i">EPITRE.</hi></label>
            <lg>
              <l rend="i">L’Heritier, vostre beau genie</l>
              <l rend="i">Fait de vous une autre Vranie,</l>
              <l rend="i">Tout se rend aux attraits divers</l>
              <l rend="i">De vostre Prose &amp; de vos Vers.</l>
              <l rend="i">Vos œuvres n’ont point de pareilles ;</l>
              <l rend="i">Que de beautez, que de merveilles</l>
              <l rend="i">On y voit briller à l’envy !</l>
              <l rend="i">Peut on n’en estre pas ravy ?</l>
              <l rend="i">Vostre Art surpasse la Nature,</l>
              <l rend="i">Et la plus legere avanture</l>
              <l rend="i">Qui part de vos sçavantes mains,</l>
              <l rend="i">Enleve le cœur des humains.</l>
              <l rend="i">Vos expressions accomplies,</l>
              <l rend="i">D’un beau feu sont toutes remplies ;</l>
              <l rend="i">Vit-on jamais plus d’agrément ?</l>
              <l rend="i">Par tout c’est pur enchantement.</l>
              <l rend="i">Ce n’est pourtant point une Fée,</l>
              <l rend="i">Par qui les beaux secrets d’Orphée</l>
              <l rend="i">Vous furent donnez à foison ;</l>
              <l rend="i">C’est dans vostre heureuse Maison,</l>
              <l rend="i">Qu’on voit Orateur &amp; Poëte,</l>
              <l rend="i">Témoin vostre chere Cadette,</l>
              <l rend="i">Qui vient de remporter un Prix</l>
              <l rend="i">Sur les plus delicats esprits.</l>
              <l rend="i">Si cette jeune Muse brille,</l>
              <l rend="i">Vous parez l’illustre famille</l>
              <l rend="i">Où l’on fut toujours revestu</l>
              <l rend="i">Et de science &amp; de vertu.</l>
              <l rend="i">Digne Rameau de vostre Branche</l>
              <l rend="i">Vous fistes le Portrait de Blanche :</l>
              <l rend="i">Ce fut sans doute d’aprés vous,</l>
              <l rend="i">Où tout fut éloquent &amp; doux.</l>
              <l rend="i">On sçait que vous avez encore</l>
              <l rend="i">Le courage de Leonore ;</l>
              <l rend="i">Vous suiveriez d’un pas heureux</l>
              <l rend="i">La Charsse &amp; ses exploits fameux,</l>
              <l rend="i">Et vostre solide finesse</l>
              <l rend="i">Feroit la nique à la Princesse,</l>
              <l rend="i">Elle dont les tours si jolis</l>
              <l rend="i">Sont par vostre plume embellis.</l>
              <l rend="i">Si vos Heros, vos Heroïnes</l>
              <l rend="i">Etalent des vertus divines,</l>
              <l rend="i">C’est que souvent vous leur prestez</l>
              <l rend="i">Quelqu’une de vos qualitez,</l>
              <l rend="i">De ces qualitez glorieuses,</l>
              <l rend="i">Qui sont par tout victorieuses,</l>
              <l rend="i">Elles portent des traits vainqueurs</l>
              <l rend="i">Sur les esprits &amp; sur les cœurs.</l>
              <l rend="i">Si-tost qu’on attaque les Belles,</l>
              <l rend="i">Vous seule combattez pour elles,</l>
              <l rend="i">Et vostre Sexe a le bonheur</l>
              <l rend="i">Que vous deffendiez son honneur :</l>
              <l rend="i">Les Dames à tort outragées</l>
              <l rend="i">Sont avec usure vangées,</l>
              <l rend="i">Vous choisissez l’occasion</l>
              <l rend="i">De devenir leur Champion.</l>
              <l rend="i">Le Triomphe de Deshoulieres</l>
              <l rend="i">Brave nos Muses les plus fiéres,</l>
              <l rend="i">Il sçait de mille beaux esprits</l>
              <l rend="i">Effacer les malins écrits :</l>
              <l rend="i">Où si mal à propos on fronde</l>
              <l rend="i">Cette belle moitié du monde,</l>
              <l rend="i">Vous prenez si bien son party,</l>
              <l rend="i">Qu’ils en auront le démenty,</l>
              <l rend="i">Ces fameux Faiseurs de Critique ;</l>
              <l rend="i">Enfin par vos soins heroïques,</l>
              <l rend="i">Elle offre de nouveaux attraits,</l>
              <l rend="i">Et ne craindra rien desormais :</l>
              <l rend="i">Son Destin sera des plus calmes,</l>
              <l rend="i">A l’ombre de vos doctes Palmes.</l>
              <l rend="i">Primez, triomphez nuit &amp; jour,</l>
              <l rend="i">Mais triomphez moins de l’Amour,</l>
              <l rend="i">On peut sans choquer la sagesse</l>
              <l rend="i">Pencher un peu vers la tendresse,</l>
              <l rend="i">Il est dangereux d’outrager</l>
              <l rend="i">Vn Dieu si prompt à se vanger ;</l>
              <l rend="i">Quoy qu’il soit aussi doux qu’aimable,</l>
              <l rend="i">Il n’en est pas moins redoutable,</l>
              <l rend="i">Encor que vous braviez sa loy,</l>
              <l rend="i">Qu’il soit prés de vous sans employ,</l>
              <l rend="i">Vous faites de luy des Peintures</l>
              <l rend="i">Qui sont de riches migniatures :</l>
              <l rend="i">Vous dépeignez mieux ce Vainqueur</l>
              <l rend="i">Que si vous l’aviez dans le cœur ;</l>
              <l rend="i">Et quand vous nous contez la peine</l>
              <l rend="i">Ou d’Iris, ou de Celimene,</l>
              <l rend="i">On jureroit que vous sentez</l>
              <l rend="i">Tous les maux que vous nous contez.</l>
              <l rend="i">Mais quoy que vostre esprit en dise,</l>
              <l rend="i">On suit bien peu vostre Devise,</l>
              <l rend="i">Qu’on doit en rime seulement</l>
              <l rend="i">Penser &amp; parler tendrement.</l>
              <l rend="i">Pour un bel objet on s’empresse :</l>
              <l rend="i">Est il de cœur qu’Amour ne blesse ?</l>
              <l rend="i">Contre luy l’on a beau s’armer,</l>
              <l rend="i">Oüy, tost ou tart il faut aimer,</l>
              <l rend="i">Si sur vostre exemple on n’étale</l>
              <l rend="i">Vne fermeté sans égale.</l>
              <l rend="i">En vous à la fois on peut voir</l>
              <l rend="i">Bon cœur, grandeur d’ame &amp; sçavoir.</l>
              <l rend="i">Et l’on sçait par experience</l>
              <l rend="i">Jusques où va vostre science,</l>
              <l rend="i">Combien le bel art d’Apollon</l>
              <l rend="i">Vous distingue au sacré Valon.</l>
              <l rend="i">Vostre élegante Poësie</l>
              <l rend="i">Vous rend digne de l’Ambrosie.</l>
              <l rend="i">Enjoüé, sublime, &amp; moral,</l>
              <l rend="i">Tout pour vostre Muse est égal,</l>
              <l rend="i">Vous sçavez en chaque maniere</l>
              <l rend="i">Acquerir une gloire entiere.</l>
              <l rend="i">Vos Stances, Sonnets, Madrigaux</l>
              <l rend="i">Ont le pas sur tous leurs rivaux.</l>
              <l rend="i">Vous rendez leur premiere place</l>
              <l rend="i">Aux enfans proscrits du Parnasse,</l>
              <l rend="i">Les agreables Bouts-rimez,</l>
              <l rend="i">C’est encor par où vous charmez.</l>
              <l rend="i">Combien d’illustres Assemblées</l>
              <l rend="i">Vantent de vos Oeuvres meslées,</l>
              <l rend="i">La politesse &amp; l’heureux tour ?</l>
              <l rend="i">Puis-je le bien faire à mon tour ?</l>
              <l rend="i">Non souffrez que je me retienne :</l>
              <l rend="i">Quelle audace seroit la mienne,</l>
              <l rend="i">Moy qui fais des Vers par hazard,</l>
              <l rend="i">Sans étude &amp; presque sans art,</l>
              <l rend="i">D’oser peindre en grand l’Heroïne,</l>
              <l rend="i">Qui sur le Parnasse domine.</l>
              <l rend="i">Pardon, l’Heritier, si j’ay fait</l>
              <l rend="i">L’ébauche de vostre Portrait.</l>
            </lg>
            <p>Le moins sçavant &amp; le plus zelé Confrere de la Compagnie des Lanternistes.</p>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-11_114" resp="wordpro">
          <head>Response de Mademoiselle l'Heritier</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, novembre 1696 [tome 11], p. 114-121.</bibl>
          <quote>
            <label>RESPONSE<lb />De Mademoiselle l’Heritier à l’Epitre du plus zelé Confrere de l’illustre Compagnie des Lanternistes.<lb /><hi rend="i">EPITRE.</hi></label>
            <lg>
              <l rend="i"> Vous, qu’Apollon unit à ce celebre Corps,</l>
              <l rend="i">Qui sur les bors de la Garonne,</l>
              <l rend="i">Destine tous les ans une illustre Couronne,</l>
              <l rend="i">A l’heureux Amphion qui par de doux accords :</l>
              <l rend="i"> Chanter a le mieux sur sa Lyre ;</l>
              <l rend="i"> Vn Roy que l’Vnivers admire.</l>
              <l rend="i">D’où vient, Damon, que vous interrompez</l>
              <l rend="i">Tous ces progrés, aux beaux Arts, aux Sciences,</l>
              <l rend="i"> Ou dans vos doctes conferences</l>
              <l rend="i"> Sans cesse vous vous occupez ?</l>
              <l rend="i"> Pour chanter avec tant de grace</l>
              <l rend="i">Ces fruits de mon loisir qu’un certain ascendant,</l>
              <l rend="i">Qu’un penchant naturel à dormir au Parnasse,</l>
              <l rend="i"> M’a fait produire en badinant.</l>
              <l rend="i"> Dans une brillante jeunesse,</l>
              <l rend="i"> Sans ambition, sans tendresse,</l>
              <l rend="i">J’ay fait tous mes plaisirs de gouter les douceurs</l>
              <l rend="i"> Du commerce des doctes Sœurs ;</l>
              <l rend="i"> Et sur les rives du Permesse :</l>
              <l rend="i"> I’ay mille fois cueilli des fleurs.</l>
              <l rend="i"> Du moment que je sçûs l’usage</l>
              <l rend="i"> D’en faire un heureux assemblage</l>
              <l rend="i">Ma main les consacrant à l’Auguste Loüis</l>
              <l rend="i">Rendit à ce Heros un éclatant hommage.</l>
              <l rend="i">I’ay vanté mille fois ses exploits inoüis,</l>
              <l rend="i">I’ay mille fois tracé des tableaux de sa gloire</l>
              <l rend="i">Aux lambris éternels du Temple de Memoire.</l>
              <l rend="i"> Mais en celebrant ce Vainqueur,</l>
              <l rend="i"> L’esprit a moins fait que le cœur,</l>
              <l rend="i">Si j’ay chanté ses faits d’une heureuse harmonie</l>
              <l rend="i">Vn zele plein d’ardeur a guidé mon genie.</l>
              <l rend="i"> Pour le reste de mes chansons,</l>
              <l rend="i"> Dont si sçavament vôtre Muse,</l>
              <l rend="i"> Sçait applaudir les divers tons,</l>
              <l rend="i"> Qu’avec peine je me refuse</l>
              <l rend="i"> Le doux plaisir de l’avoüer :</l>
              <l rend="i"> Souffrez pourtant que je l’accuse</l>
              <l rend="i"> De trop flateusement loüer.</l>
              <l rend="i"> I’ay fait d’assez vives peintures</l>
              <l rend="i"> De quelques tendres avantures ;</l>
              <l rend="i"> Mais quand j’aurois fait des portraits</l>
              <l rend="i"> Ou brillent d’assez heureux traits !</l>
              <l rend="i"> Pourroient-ils estre comparables</l>
              <l rend="i"> A ceux des Romans admirables</l>
              <l rend="i"> De la sçavante Scudery</l>
              <l rend="i"> Son stile d’Apollon chery</l>
              <l rend="i"> Fera reverer ses ouvrages,</l>
              <l rend="i"> Iusqu’aux plus reculez des âges ;</l>
              <l rend="i"> Qui donneront le rang d’aprés</l>
              <l rend="i"> A ceux de l’illustre Ségrais.</l>
              <l rend="i"> Ah ! que je suis bien loin d’atteindre !</l>
              <l rend="i">A l’Art divin qu’ils ont de peindre</l>
              <l rend="i"> Les transports &amp; les mouvemens</l>
              <l rend="i"> Qui troublent le cœur des Amans.</l>
              <l rend="i">Quoy que des feux d’amour une seule étincelle,</l>
              <l rend="i">Dérange les esprits, cause d’affreux tourmens,</l>
              <l rend="i"> Dans les Vers &amp; dans les Romans :</l>
              <l rend="i"> La peinture en est toûjours belle ;</l>
              <l rend="i"> Mais gardons-nous bien du malheur</l>
              <l rend="i"> De les sentir dans nostre cœur</l>
              <l rend="i">On prétend, il est vray, qu’avec quelques lumieres,</l>
              <l rend="i"> I’ay peint pour la posterité</l>
              <l rend="i"> La Charsse, ainsi que Deshoulieres :</l>
              <l rend="i"> Mais ma main équitable a seulement presté</l>
              <l rend="i"> Des couleurs à la verité.</l>
              <l rend="i">On dit que remplissant deux celebres carrieres,</l>
              <l rend="i"> Avec d’éloquentes manieres</l>
              <l rend="i">I’ay deffendu les droits du Sexe mal-traité ;</l>
              <l rend="i"> Mais quand j’entray dans cette lice</l>
              <l rend="i"> Tant de raison, tant de justice,</l>
              <l rend="i"> Se trouverent de mon costé.</l>
              <l rend="i">Que sans qu’il fust besoin d’employer pour les Dames</l>
              <l rend="i"> Ce bel Art qui gagne les ames,</l>
              <l rend="i"> Leur Sexe vif, modeste &amp; doux</l>
              <l rend="i"> Sceut triompher de ses jaloux.</l>
              <l rend="i"> I’ay peint dans mes écrits encore</l>
              <l rend="i"> Les Bois, les Eaux, Pomone &amp; Flore.</l>
              <l rend="i">I’ay décrit les guérets, j’ay décrit les moissons,</l>
              <l rend="i"> Moralisé sur les Saisons.</l>
              <l rend="i">Mais toutes mes Chansons simples &amp; naturelles</l>
              <l rend="i">N’oseroient aspirer au grand titre de belles.</l>
              <l rend="i">Peut-estre à l’avenir que mon stile plus fort</l>
              <l rend="i">Pourra leur faire prendre un plus brillant effort.</l>
              <l rend="i"> La Muse mesme de Malherbe</l>
              <l rend="i"> N’avoit pas dans ses premiers ans</l>
              <l rend="i"> Cet air magnifique &amp; superbe</l>
              <l rend="i"> Qu’on luy vit dans un autre temps.</l>
              <l rend="i">Ainsi peut-estre un jour mille phrases sublimes,</l>
              <l rend="i">Ioindront au naturel qu’on trouve dans mes rimes</l>
              <l rend="i"> La pompe de leurs ornemens.</l>
              <l rend="i"> Si malgré plus d’un grand obstacle,</l>
              <l rend="i">Le Parnasse daignoit enfin vous faire voir</l>
              <l rend="i"> En ma faveur un tel miracle,</l>
              <l rend="i"> Alors je pourrois recevoir</l>
              <l rend="i"> L’Encens plein de delicatesse</l>
              <l rend="i"> Que m’offre vostre politesse.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-11_144" resp="wordpro">
          <head>Cupidon Courier envoyé à Monseigneur le duc de Bourgogne, par Madame la princesse de Savoie</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, novembre 1696 [tome 11], p. 144-149.</bibl>
          <p>Les Vers que je vous envoye, ont esté traduits des Vers Latins, faits par le Fils de M<hi rend="sup">r</hi> le Comte de Crecy. Vous sçavez le merite du Pere, dont l’habileté est connuë dans les Negociations, &amp; le sçavoir dans les belles Lettres. Il est de l’Academie Françoise.</p>
          <quote>
            <label>CUPIDON COURIER<lb />envoyé à Monseigneur<lb />LE DUC DE BOURGOGNE,<lb />par Madame<lb />LA PRINCESSE DE SAVOYE.</label>
            <lg>
              <l>Prince <hi rend="i">rassurez-vous, vous me voyez sans armes,</hi></l>
              <l rend="i">Mars vient d’estre vaincu, je le suis à mon tour,</l>
              <l><hi rend="i">La jeune</hi> <hi rend="sc">Adelaïs</hi> <hi rend="i">pour essay de ses charmes,</hi></l>
              <l rend="i"> A desarmé Mars &amp; l’Amour.</l>
              <l rend="i"> Déja la Paix &amp; l’Hymenée</l>
              <l rend="i">Dans un char triomphant l’aménent dans ces lieux</l>
              <l rend="i"> De cent peuples accompagnée.</l>
              <l rend="i">Qui de la posseder se trouveroient heureux.</l>
              <l rend="i"> A peine eut-elle atteint la France,</l>
              <l rend="i">Au sortir du climat qui luy donna naissance,</l>
              <l rend="i">Que le cœur occupé de mille tendres soins ;</l>
              <l rend="i">Vole vers mon Vainqueur, vole,</l>
              <l rend="i">  Amour, me dit-elle,</l>
              <l rend="i">Et de mon arrivée apprens-luy la nouvelle,</l>
              <l rend="i">Instruits-le des transports dont tes yeux sont témoins.</l>
              <l rend="i"> Dès que tu le verras paroistre,</l>
              <l rend="i">Certain air de grandeur te le fera connoistre.</l>
              <l rend="i"> Brillant d’une noble fierté,</l>
              <l rend="i">Du Pere &amp; de l’Ayeul vive &amp; parfaite image,</l>
              <l rend="i">Tu liras dans ses yeux cette ardeur ce courage</l>
              <l rend="i">Qui dans ces deux Heros a toujours éclaté.</l>
              <l rend="i">Vole donc sur ses pas, vole, &amp;, sans plus attendre,</l>
              <l rend="i"> Amour, prés de luy va te rendre,</l>
              <l rend="i"> Soit que dans des bois écartez</l>
              <l rend="i">Il fasse aux animaux une innocente guerre,</l>
              <l rend="i">Ou soit qu’il se promene au milieu d’un parterre</l>
              <l rend="i"> Les deux Princes à ses costez ;</l>
              <l rend="i">Avance-toy sans craindre &amp; dy ce qui t’améne,</l>
              <l rend="i">Prends ton temps à propos &amp; le tire à l’écart,</l>
              <l rend="i">Pour luy dire en secret cent choses de ma part,</l>
              <l rend="i">Et me redire aprés cent choses de la sienne.</l>
              <l rend="i"> S’il demande ce que je fais,</l>
              <l rend="i">Ah ! de mon cœur, Amour, tu sçais tous les secrets ;</l>
              <l rend="i"> Dy que pensant à luy sans cesse</l>
              <l rend="i"> A voler vers luy je m’empresse,</l>
              <l rend="i">Que les lieux les plus beaux ne m’arresteront pas,</l>
              <l rend="i"> Dy qu’au deffaut de sa Personne</l>
              <l rend="i"> Je m’occupe de son Portrait,</l>
              <l rend="i"> Que jamais je ne l’abandonne</l>
              <l rend="i">Que j’en ay mille fois contemplé chaque trait ;</l>
              <l rend="i"> Dy que le long du voyage</l>
              <l rend="i"> Il fait mon plus doux entretien,</l>
              <l rend="i">Qu’aux plus riches tresors je prefere ce gage :</l>
              <l rend="i"> En fait-il autant du mien ?</l>
              <l rend="i">Voila, Prince charmant, comme je vous l’expose,</l>
              <l rend="i">Ce qu’elle m’ordonna de vous redire icy.</l>
              <l rend="i">Si j’osois de mon chef ajoûter quelque chose,</l>
              <l rend="i"> I’ajoûterois encor cecy,</l>
              <l rend="i"> Pour achever son caractere.</l>
              <l rend="i"> Elle a le port d’une Divinité,</l>
              <l rend="i">Et Iunon qui l’osa disputer à ma mere</l>
              <l rend="i">A l’âge de dix ans n’eut pas plus de beauté.</l>
              <l rend="i"> Elle répand par un air de bonté</l>
              <l rend="i">Sur tout ce qu’elle fait un agrément extrême ;</l>
              <l rend="i">Mais elle vient bien-tost, &amp; vous verrez vous-même</l>
              <l rend="i">Quelque chose de plus que ce que j’en ay dit ;</l>
              <l rend="i">Et que la verité passe encor mon recit.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-11_151" resp="wordpro">
          <head>[Histoire]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, novembre 1696 [tome 11], p. 151-197.</bibl>
          <p>Ceux qui croyent duper, sont souvent dupez, &amp; l’avanture dont je vais vous faire part en est une preuve. Un fameux Bourgeois d’une des Villes de France où le Commerce a le plus de cours, fit si bien fructifier vingt mille livres de bien, ou environ, dont il herita lors que son Pere mourut, qu’au lieu qu’autre fois tout son fond estoit composé de cette somme, il eut enfin le plaisir de voir que chaque année il en recevoit autant de son revenu. Comme pour amasser tant de bien il avoit mis en usage tous les secrets de l’usure la plus fine, sa fortune auroit encore augmenté, si la mort n’y eust mis ordre. Deux Fils, ses uniques heritiers, ne luy eurent pas plûtost rendu les derniers devoirs, qu’ils songerent à se réjoüir de cette ample succession, mais chacun en des manieres bien differentes. L’aîné, qui n’ayant jamais quitté l’adroit Usurier, estoit admirablement instruit de son sçavoir faire, fut persuadé que le meilleur parti qu’il avoit à prendre, estoit de continuër la même manœuvre, ne doutant point qu’on ne luy dust trouver du merite à proportion du bien qu’il pouvoit avoir. Le Cadet qui estoit entré assez jeune dans les Troupes, où il avoit subsisté comme il avoit pû, ayant reçû des secours tres foibles de son Pere, qui estoit extrémement avare, comme le sont tous les Usuriers, estoit accouru, si tost qu’il avoit appris le danger où le mettoit une tres fâcheuse maladie. Le mauvais exemple ne l’ayant pas corrompu, il avoit le cœur assez bien placé. Ses façons d’agir avoient mesme quelque chose d’assez noble, qui le faisoit croire de plus de naissance qu’il n’estoit. Il ne se vit pas plutost heritier d’un bien fort considerable, que n’ayant à consulter que luy-mesme, il resolut de ne point quitter la profession qu’il avoit d’abord suivie, &amp; pour y paroistre avec éclat, sa premiere idée fut d’acheter une Compagnie de Dragons. Il auroit executé son dessein sans la rencontre qu’il fit d’un de ses Amis, qu’il n’avoit point vû depuis huit ans. Quoy que cet Amy ne fust que le Fils d’un Apotiquaire de la mesme Ville, il avoit un tres-joli équipage, &amp; trois grands laquais de fort bon air, faisoient un des plus beaux ornemens de son carrosse. Cette nouveauté surprit nostre Cavalier, à qui il conta, que ne s’estant point senti d’humeur à vivre comme son Pere, qui luy avoit laissé en mourant pour trente ou quarante mille francs de bien, il l’avoit vendu, &amp; que s’estant mis en teste qu’avec un peu d’effronterie, &amp; le bien dire, on réüssissoit souvent dans les choses les plus difficiles, il s’estoit rendu à Paris, où il sçavoit que les Dames se laissoient pour la pluspart ébloüir par la dépense, &amp; que les grands airs faisoient ordinairement des impressions si fortes sur elles, que pour peu qu’on eust d’adresse, on les embarquoit aussi loin que l’on vouloit ; qu’il s’estoit logé dans un quartier où un Marchand riche de prés d’un million, estoit mort depuis six mois, sans enfans ; que sa Veuve ayant emporté la plus grande partie de ce bien, il s’estoit fixé à gagner le cœur de cette puissante Doüairiere ; que pour y mieux réüssir il n’avoit rien épargné pour copier les manieres d’un homme de cinquante mille livres de rente ; qu’il s’estoit fait faire plusieurs habits des plus propres, où il avoit entassé broderie sur broderie, &amp; que sa magnificence en toutes choses, avoit prévenu la Veuve de tant d’Idées de grandeur, qu’aprés plusieurs tendres conversations, dans lesquelles il luy avoit insinué, que quoy qu’il fust d’une naissance à aller de pair avec tout le monde, une personne d’autant de merite qu’elle, le feroit passer par dessus beaucoup de choses, il l’avoit si si bien flatée, qu’elle estoit résoluë de l’épouser ; en sorte qu’il se voyoit maistre de plus de quatre cens mille livres, qui luy faisoient faire une fort grosse figure. Ce discours finit par l’avis que l’Ami donna au Cavalier de prendre la même route ; l’assurant que tourné comme il estoit, &amp; estant assez riche pour soutenir quelque temps la dépense qu’il luy conseilloit de faire, il ne manqueroit pas de réussir auprés de quelque folle Heritiere, qui s’entestant de sa bonne mine, l’indemniseroit avec usure de tout ce que sa conqueste luy pourroit coûter. Le Cavalier dont la cervelle estoit fort pleine de vent, goûta si fort cet avis, qu’il chercha dés le lendemain à s’accommoder avec son Frere, de sa part des biens de l’Usurier, pour-vû qu’il la luy payast comptant, ce qui fut fait en fort peu de jours, aprés quoy il prit la poste, portant avec luy tout ce qu’il avoit de bien. La chose n’estoit pas fort difficile, puisqu’il ne consistoit qu’en Louis d’or &amp; en des Lettres de change. Si-tost qu’il fut à Paris, il loüa un tres bel Appartement dans le Marais, &amp; le fit meubler superbement. Il prit sept ou huit personnes de livrée, acheta un carrosse, égal à peu prés à ceux des Ambassadeurs, se mesla dans les plus gros Lansquenets, &amp; donna assez frequemment des festes aux Dames, auprés desquelles il estoit fort bien venu, sous un tres beau nom qui le rendoit allié d’une des meilleures Maisons du Royaume. Ses Domestiques luy entendant souvent repeter qu’il avoit plus de soixante mille livres de rente, &amp; se trouvant d’ailleurs parfaitement bien chez luy, il est aisé de comprendre qu’ils avoient raison de chercher à faire honneur à leur Maistre, dont ils ne parloient jamais que comme d’un gros Seigneur. Il eust paru mesme ridicule de vouloir rien contester à un homme qui pendant un an entier ne fit qu’augmenter la magnificence de son train. Cependant tout ce grand faste ne produisoit aucun autre effet, que de diminuer considerablement le nombre de ses Louis d’or. Il commençoit à se repentir d’avoir suivi trop imprudemment les conseils de son Ami, quand la fortune sembla luy offrir ce qu’il cherchoit depuis si longtemps. En se promenant un soir dans les Tuilleries, d’un air fort resveur, il fut frappé de l’éclat d’une jeune personne, qui estoit nonchalamment assise sur le Gazon au bout de la grande allée, sans autre compagnie qu’une espece de Suivante. Quoy que cette Belle luy fust inconnuë, l’air de liberté est si à la mode à l’heure qu’il est, qu’il ne fit aucune difficulté de l’aborder. Il luy parla fort civilement, &amp; l’honnesteté qu’elle eut d’entrer avec luy en conversation, l’ayant engagé à quitter le serieux, il crut devoir éprouver si ce n’estoit point quelque bonne fortune, telle qu’on en trouve souvent en ce lieu la, mais elle montra une si grande regularité &amp; dans ses manieres &amp; dans ses réponses, qu’il ne put douter de l’austerité de sa vertu. La nuit commençant à approcher, la Suivante demanda comme à demi bas à sa Maistresse, si elle n’oublioit point qu’elle avoit promis d’aller souper chez la Duchesse qui l’avoit quittée depuis une heure ; la Belle ayant répondu qu’il estoit temps d’y aller, son quartier estant assez éloigné des Tuilleries, elle se leva en même temps, &amp; l’amoureux Cavalier luy ayant offert la main, il eut le plaisir de luy aider à monter dans un Carosse tres-propre, suivie de trois grands Laquais qui luy avoient ouvert la portiere avec beaucoup de respect si-tost qu’elle avoit paru. Avant que de la laisser fermer, il pria tres-instamment la Suivante de luy vouloir dire le nom &amp; la demeure de sa charmante Maistresse, afin qu’il pust l’aller assurer de ses respects. La Suivante ne luy répondit rien de positif, sinon que c’estoit une tres-riche Heritiere, qui ne dépendoit plus d’autres Parens que d’un vieux Marquis, son Oncle, chez qui elle estoit depuis un an, aprés avoir vêcu jusque-là dans un Convent. Ces dernieres paroles ayant redoublé la curiosité &amp; la tendresse du Cavalier ; qu’il croyoit ne pouvoir estre mieux placée, il voulut au même instant chercher à s’éclaircir davantage de la verité, ce qu’il croyoit pouvoir faire en suivant le Carosse de la Belle. Mais quel chagrin n’eut-il pas, quand il apprit d’un de ses Laquais à qui il demanda où estoit le sien, qu’une Dame chez qui il joüoit souvent, l’avoit pris pour une heure seulement en sortant des Tuilleries. Ce contre temps ne pouvoit venir plus mal à propos, le carosse de la Belle s’éloignoit toûjours, &amp; perdant toute esperance de pouvoir apprendre dés ce mesme jour ce qu’il souhaitoit si ardemment de sçavoir, il prit la resolution de s’en retourner chez luy, pour resver plus librement à son avanture. Entre mille idées qui s’offrirent à son esprit pendant la nuit, sa raison luy fit conclurre que le mieux qu’il pouvoit faire pour estre éclaircy de ce qui l’inquietoit, c’estoit de se trouver fort assidument aux Tuileries, persuadé que la Belle auroit soin de profiter des beaux jours pour la même promenade. Le lendemain il prit un habit fort magnifique, &amp; s’y rendit de bonne heure, pour ne pas laisser échaper l’occasion, s’il estoit assez heureux pour y rencontrer cette charmante personne. Il parcourut plusieurs fois toutes les allées, &amp; ses recherches estant inutiles, il estoit prest de sortir, lors qu’il vit tout d’un coup venir la Belle sans autre compagnie que de sa suivante. Il courut au devant d’elle avec un empressement qui luy fit connoistre une partie de ce qui se passoit dans son cœur. Elle n’en fut nullement fâchée, &amp; le parut encore moins quand il l’assura qu’il n’estoit venu en ce lieu-là que dans l’esperance de la rencontrer, &amp; qu’il y avoit déja fort long-temps qu’il soupiroit aprés ce bonheur. La conversation estant devenuë fort enjoüée par les jolies choses que l’amour &amp; la veuë de l’interest faisoient dire au Cavalier, &amp; ausquelles on répondoit avec toute la finesse imaginable, ils passerent prés de deux heures ensemble sans s’appercevoir qu’il estoit fort tard. Le Cavalier ne put se separer de la Belle sans luy témoigner l’extraordinaire impatience qu’il avoit d’aller à ses genoux luy offrir tout ce que la fortune avoit mis en son pouvoir, ce qu’il auroit déja fait s’il avoit sceu sa demeure. A ces mots elle parut toute émuë &amp; interdite ; &amp; la Suivante voulant suppléer à son defaut, dit au Cavalier en s’approchant de son oreille, qu’il vinst encore deux ou trois jours aux Tuileries, sans s’informer à personne ny de la demeure, ny du nom de sa Maistresse ; qu’elle se chargeoit de l’en éclaircir d’une maniere qui luy seroit agréable, &amp; que rien ne luy pouvoit nuire davantage, que de vouloir apprendre trop tost ce qu’il étoit bon qu’il ignorast encore quelque temps. Cet air de mistere plut infiniment au Cavalier. Il crut s’en devoir tenir à ce qu’on venoit de luy promettre, &amp; se contenta de remettre la Belle en carrosse, sans l’importuner par de nouvelles instances. Comme la Suivante s’estoit arrêtée exprés quelques pas derriere, il eut l’adresse de luy glisser une bourse de trente Loüis dans la poche de son tablier, &amp; se retira promptement ensuite, persuadé qu’un pareil present avanceroit ses affaires. La Suivante fort ravie montra le present du Cavalier à la Belle, qui luy fit mille promesses de la récompenser encore tout d’une autre sorte, si elle conduisoit si bien cette intrigue, qu’elle pust se terminer par un mariage. Elle avoit raison de le souhaiter, sa fortune estant beaucoup au dessous de la mediocre. C’estoit une jeune Fille des environs de Paris, qui ignoroit le nom de son Pere, &amp; qui sçavoit seulement que sa Mere s’appelloit Janneton Bombec. Un vieux Marquis qui avoit toujours aimé le beau Sexe, l’ayant veuë un jour au Palais Royal, en fut si touché, qu’il luy proposa de la prendre chez luy sous le titre de sa Niece, afin qu’il pust couvrir son intrigue des apparences de bienséance. La Belle qui tenoit un peu de la douceur naturelle de sa Mere, crut ne pouvoir rien faire de mieux que d’accepter le parti. Il ne s’estoit jamais marié, &amp; cette prétenduë Niece, qu’il fit appeler Mademoiselle d’Ortignac, du nom d’une assez belle Terre qu’il possedoit, devoit heriter de luy, à ce qu’il fit croire à plusieurs de ses Amis, &amp; à tous ses Domestiques. Il y avoit plus d’un an qu’elle estoit sur ce pied-là chez le vieux Marquis, qui luy trouvoit tant de charmes, &amp; des manieres si engageantes, qu’il n’épargnoit rien pour l’entretenir du bel air, la laissant même à toute heure maistresse de son équipage. Comme cette avisée Niece avoit tout sujet de ménager un Oncle si liberal, &amp; qui en usoit si bien pour ses interests, elle luy conta les termes où elle en estoit avec le Cavalier, qui témoignoit de si grands empressemens pour la voir, que pourvû que l’on conduisist la chose adroitement, on pouvoit dire que c’estoit un homme qui parleroit bien-tost d’épouser. Le vieux Marquis qui luy souhaitoit beaucoup de bien, resolut de contribuer de tout son pouvoir à ses avantages ; &amp; ayant appris le nom du Cavalier, qui luy estoit déja connu par les dépenses qu’on luy voyoit faire, il s’informa avec tant de soin de ce qu’il estoit, qu’il vint enfin a bout de sçavoir sa veritable naissance. Il perdit alors tous les scrupules qui l’arrestoient, &amp; permit à la Belle &amp; à la Suivante d’employer tous les moyens qu’elles pourroient imaginer pour faire que le Cavalier donnast plus facilement dans le panneau, ce qu’il n’eust pas fait si cet Amant eust esté d’une naissance assez distinguée pour meriter les égards qu’on doit aux personnes qui ont quelque rang. En faisant donner à la Belle le nom de Mademoiselle d’Ortignac, il l’avoit fait passer pour une riche Heritiere, à qui cette Terre appartenoit ; &amp; comme il falloit enfin qu’aprés plusieurs entreveuës dans les Tuileries, le Cavalier la vist dans l’appartement qu’il luy faisoit occuper chez luy, il s’avisa d’une chose fort plaisante, qui fut d’envoyer querir un Peintre auquel il se confioit, &amp; le prier de luy dessiner incessamment de sa pure imagination, une magnifique maison de campagne, &amp; de mettre au bas du carton en gros caracteres, <hi rend="i">Veuë &amp; Perspective du Chasteau d’Ortignac</hi>. Dans ce moment, la Suivante, qui estoit des plus inventives pour duper les sots, dit qu’il seroit bon aussi de faire un gros registre intitule, <hi rend="i">Estat des biens &amp; dépendances de la Comté d’Ortignac</hi>, &amp; d’en remplir les feüillets de la teneur de plusieurs Fermiers differens. Cette invention fut trouvée spirituelle, &amp; on ne negligea rien pour mettre dés lendemain ces deux fourberies en estat de réussir. Le Peintre fit un Chasteau, auquel il sembloit que les plus habiles Architectes s’estoient surpassez. D’un autre costé le vieux Marquis qui s’estoit chargé de remplir luy-même le Registre, y avoit mis tant de garniture, qu’il se trouvoit plus de vingt mille livres de Baux à ferme, dont il estoit dû prés de deux années, sans les rentes Seigneuriales, qui faisoient encore une grosse somme. La Belle voyant ces préparatifs achevez, prit son carrosse ordinaire, &amp; estant entrée aux Tuileries à l’heure accoutumée, elle s’y trouva prévenuë du Cavalier, que son impatience amoureuse, &amp; l’esperance d’une tres-grosse fortune, y faisoient toujours venir longtemps avant elle. Le Cavalier luy marqua toujours une forte passion. La Belle répondit favorablement ; &amp; ces entreveuës ayant continué encore quelques jours, elle luy en marqua enfin un où elle pourroit le voir chez le vieux Marquis, son Oncle, avec priere de ne faire encore aucun éclat. La Suivante se chargea de luy aller dire le lendemain jusque chez luy, en quel endroit il faudroit qu’il se trouvast, afin qu’un des Laquais qui le connoissoient pour l’avoir vû remettre leur Maistresse en carrosse, le vinst prendre pour le conduire chez elle. Cete Suivante ne manqua à rien de ce qu’elle avoit promis. Elle alla le trouver le jour suivant, &amp; luy apprit que la Belle s’appelloit Mademoiselle d’Ortignac, ayant herité d’une Comté de ce nom qui luy apportoit un grand revenu ; que le vieux Marquis son Oncle, chez qui elle demeuroit, &amp; à qui elle avoit conté la passion qu’il avoit pour elle, estoit déja ébranlé pour consentir à leur mariage ; qu’il connoissoit tous les avantages de la Maison dont il estoit descendu, &amp; que quoy que sa Niece pust prétendre aux Partis les plus considerables, il estoit resolu de ne pas faire violence à son inclination, puis qu’il jugeoit à propos que l’affaire se traitast secretement, afin qu’il ne fust point accablé de certaines gens qui avoient voulu luy demander sa parole. Le résultat de la confidence fut que le Cavalier se trouveroit dés l’aprés dînée dans la grande Salle du Palais ; qu’il y viendroit en en chaise sans aucune suite, &amp; qu’on le conduiroit dans une Maison qui n’estoit pas éloignée de là, &amp; où il seroit agreablement reçû. La Suivante ne fut pas plutost partie, que le Cavalier transporté de joye, se fit apporter le plus beau de ses habits. Aprés qu’il se fut paré autant que peut l’estre un homme qui met dans l’ajustement une partie de son merite, il dîna en poste &amp; monta en chaise, deffendant à ses Laquais de le suivre. Il eut tout loisir de s’ennuyer dans le lieu du rendez-vous, puis qu’on ne l’y vint prendre qu’à plus de quatre heures. Estant arrivée chez le vieux Marquis, on le fit passer par trois grands appartemens qui aboutissoient à un cabinet tres agréable, où on luy presenta un fauteuil en le quittant. La premiere chose sur laquelle il jetta les yeux fut la Perspective d’Ortignac, dont l’Architecture luy parut superbe, &amp; d’un tres bon goust. Laissant ensuite tomber sa vûë sur un Bureau magnifique, il y remarqua des Livres parmy lesquels se trouva le grand Registre à demy ouvert. La curiosité l’ayant porté à le feüilleter. Il connut bientost que c’estoit avec raison que le Chasteau d’Ortignac avoit tant de rares embellissemens, puisque les revenus en estoient si considerables. A peine eut-il remis le Registre, qu’il vit la Suivante qui s’avançoit vers le Cabinet. Il courut au devant d’elle, &amp; luy demanda s’il seroit encore longtemps sans voir l’aimable personne qu’il venoit chercher. Elle répondit qu’elle avoit ordre de le prier de luy vouloir bien donner encore un quart d’heure, parce qu’un de les Fermiers venoit d’arriver qui luy apportoit trois mille cinq cens livres. En mesme temps s’estant tournée du costé du Bureau, elle fit fort l’étonnée d’y voir le Registre que sa Maistresse ne croyoit pas y avoir laissé, &amp; qu’elle l’envoyoit atteindre dans sa cassette, afin qu’elle pust compter avec ce Fermier. Le Cavalier entendant ces choses qui luy plaisoient infiniment, voulut par un nouveau trait de liberalité, achever de s’acquerir la Suivante. Ainsi, comme elle sortoit avec le Registre, il l’arresta par le bras, &amp; mit dans sa main une autre bourse de trente Louis, en la conjurant de contribuer à rendre heureux un homme qui estoit au desespoir de n’avoir que cinq cens mille francs à offrir à son incomparable Maistresse. Cette suivante trouvant que ce n’estoit plus la mode de refuser un present semblable, le reçût humainement, &amp; assura cet Amant prodigue, qu’avant huit jours, dans l’heureuse disposition où elle avoit mis les choses, il auroit tout lieu d’estre content de ses soins, aprés quoy elle s’enfuit le laissant dans des épanchemens de joye, qu’on ne sçauroit exprimer. Le Fermier de sa Maistresse n’ayant pas tardé beaucoup à regler ses comptes, elle parut un moment aprés, &amp; eut le plaisir de voir le tendre &amp; fidele Cavalier se jetter brusquement à ses genoux, la priant avec les termes les plus passionnez, d’agréer son cœur, &amp; tout ce qu’il possedoit au monde, dont il la rendoit maistresse absoluë. Mademoiselle d’Ortignac qui avoit des réponses prestes pour toutes sortes de complimens, n’en manqua pas dans une pareille occasion. Elle luy dit sur les nouvelles protestations qu’il commença de luy faire, qu’elle avoit si bien ménagé l’esprit de son Oncle, qu’elle estoit persuadée qu’il ne mettroit point d’obstacle à leur union ; qu’il luy avoit permis de recevoir ses visites, &amp; qu’elle avoit envoyé sçavoir s’il agréeroit qu’ils l’allassent trouver. Peu de temps aprés on leur vint dire que le vieux Marquis les attendoit dans sa chambre, &amp; qu’ils luy feroient plaisir s’ils vouloient y passer. C’estoit un homme d’un peu plus de soixante ans, d’une naissance considerable, &amp; qui avoit l’air de ce qu’il estoit. Il sçavoit parfaitement le monde, &amp; receut le Cavalier admirablement. Il luy dit qu’ayant appris qu’il avoit dessein d’épouser sa Niéce, il se tenoit honoré de sa recherche ; qu’il le preferoit à plusieurs autres qui avoient fait pressentir s’il voudroit les écouter, que la cause de cette preference venoit non-seulement de son merite, mais de ce qu’on ne luy cachoit pas qu’il estoit aimé ; qu’ainsi pour contenter son amour, &amp; se mettre à couvert des plaintes que les autres Prétendans ne manqueroient pas de faire, il vouloit terminer la chose en peu de jours, &amp; que pour cela, c’estoit à luy de voir si sa Niéce l’accommodoit avec une Terre dont elle portoit le nom, outre la part qu’elle auroit dans sa succession avec ses autres Heritiers. Quelle joye ne ressentit point le Cavalier à une proposition qui luy paroissoit si avantageuse ! Il en estoit si fort penetré qu’il ne sçavoit de quelle maniere marquer sa reconnoissance. Tantost il couroit embrasser le vieux Marquis, en l’assurant qu’il luy estoit plus obligé que s’il luy donnoit une seconde vie ; tantost il prenoit les mains de la Suivante, &amp; les serroit tendrement, pour luy marquer combien il estoit sensible aux bons offices qu’elle luy avoit rendus, &amp; enfin il faisoit tout ce qu’un homme qui se croit tout prest d’atteindre au parfait bonheur qu’on peut imaginer pour faire éclater sa joye. Le vieux Marquis voulant profiter d’une semblable disposition, envoya querir un Notaire, &amp; les Articles furent signez dés ce mesme soir. Il est aisé de juger qu’on les regla avec peu de peine. Cela estant fait, ils convinrent d’aller <hi rend="i">incognito</hi> le jour suivant à une petite maison de campagne de l’Abbé, éloignée de Paris de quatre lieuës, dans le dessein d’y faire le mariage si-tost qu’un des Bans auroit esté publié. On acheta les deux autres, &amp; les fortunez Amans receurent enfin la Benediction nuptiale, réünissant à ce qu’ils disoient l’un à l’autre, plus de soixante mille livres de rente, mais tous ces grands biens disparurent un mois aprés ; la tromperie de la fausse Niéce fut connuë, &amp; le Cavalier sçachant que le vieux Marquis n’avoit aidé à la soutenir que parce qu’on luy avoit fait connoistre d’abord son peu de naissance, ne trouva pas à propos de faire éclat, puisqu’il n’avoit esté dupé qu’aprés avoir crû duper luy-mesme. Ainsi pour la moitié de son bien que sa vanité luy avoir fait consumer en folles dépenses, il n’eut qu’une Femme, jolie à la verité &amp; pleine d’esprit, mais soupçonnée d’avoir eu bien des Amans avant que d’avoir pû trouver un Mary.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-11_237" resp="wordpro">
          <head>[Vers à Madame la Princesse de Savoye]*</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, novembre 1696 [tome 11], p. 237-251.</bibl>
          <p>Cette Pricesse ayant esté le lendemain de son arrivée, voir le College des Jesuites, six jeunes Gentilshommes, qui étudient en Rhetorique sous le Pere Colonia, reciterent les Vers que vous allez lire.</p>
          <quote>
            <label>A MADAME LA PRINCESSE<lb />DE SAVOYE.</label>
            <lg>
              <l>Vous qui par la raison devançant les années,</l>
              <l>Commencez à remplir vos hautes destinées,</l>
              <l><hi rend="sc">Princesse</hi>, qui déja voyez de toutes parts</l>
              <l>De l’Univers sur vous confondre les regards :</l>
              <l> Je sçay bien que la Renommée</l>
              <l> Vous a mille fois informée</l>
              <l> Des vertus du plus grand des Rois ;</l>
              <l>Que chaque jour mille fideles voix</l>
              <l> Remplissent vôtre ame charmée</l>
              <l> De son Nom &amp; de ses Exploits.</l>
              <l>Je sçay que du Public le sincere langage</l>
              <l>A pris grand soin sur tout de tracer à vos yeux</l>
              <l> Une brillante &amp; vive image</l>
              <l>De ce Prince accompli, qui malgré son jeune âge,</l>
              <l> Déja répond à ses Ayeux,</l>
              <l>Et que le Ciel vous destine en partage</l>
              <l>Pour assurer le bonheur de ces lieux.</l>
              <l>Pour connoistre &amp; l’Ayeul, &amp; le Fils, &amp; le Pere,</l>
              <l>Vous n’avez pas besoin du secours de mes Vers.</l>
              <l> Pour sçavoir leur vray caractere,</l>
              <l>Il ne faut qu’écouter ce qu’en dit l’Univers.</l>
              <l>Agréez cependant qu’à ces Portraits divers</l>
              <l>J’ose en ajoûter un qui paroîtra sincere.</l>
              <l>C’est en tremblant que j’ose vous le faire ;</l>
              <l>  Mais sans estre trop temeraire,</l>
              <l>J’ose conter que ce foible Portrait</l>
              <l> Ne sçauroit manquer, de vous plaire,</l>
              <l>Quand même de LOUIS il n’auroit qu’un seul trait.</l>
            </lg>
          </quote>
          <quote>
            <label>PORTRAIT<lb />DE LOUIS LE GRAND.</label>
            <lg>
              <l>Ce Monarque fameux dont le Ciel a fait choix</l>
              <l>Pour le bonheur du siecle, &amp; des lieux où nous sommes,</l>
              <l>Est depuis cinquante ans, d’une commune voix,</l>
              <l> Le plus parfait de tous les hommes,</l>
              <l> Et le plus grand de tous les Rois.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>Rien ne peut échaper à sa rare prudence,</l>
              <l> Rien ne fatigue sa clemence.</l>
              <l> Rien ne resiste à son grand cœur.</l>
              <l> Par sa bonté, par sa valeur</l>
              <l>Il fait de l’Univers, dans la Paix, dans la Guerre</l>
              <l> Les delices, ou la terreur ;</l>
              <l>Et jamais le Destin n’envoya sur la Terre.</l>
              <l> Rien de plus grand, rien de meilleur.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>Pour rendre à l’avenir son Histoire croyable,</l>
              <l>Il en faut retrancher mille exploits inoüis.</l>
              <l> Plus elle sera veritable,</l>
              <l> Moins elle sera vray-semblable ;</l>
              <l>Et nos Neveux un jour, étonnez, ébloüis,</l>
              <l> Auront droit de traiter de fable</l>
              <l>Le surprenant amas des hauts faits de Loüis.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l> Mais nostre crainte sera vaine.</l>
              <l> Le Ciel qui chérit ce Heros,</l>
              <l>Par une route &amp; nouvelle &amp; certaine,</l>
              <l>Veut immortaliser ses glorieux travaux.</l>
              <l>Il suscite un esprit d’un noble caractére,</l>
              <l> Qui prend soin jour par jour,</l>
              <l>De circonstancier dans un détail sincere,</l>
              <l>Et d’un stile dont l’air, la noblesse, &amp; le tour.</l>
              <l> Ne peut manquer de convaincre &amp; de plaire,</l>
              <l>Tout ce que Loüis dit, tout ce qu’il luy voit faire.</l>
              <l> Pour tracer un Portrait si beau,</l>
              <l> Il falloit la main de Dangeau.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l> Vingt Potentats que la crainte, ou l’envie</l>
              <l> Avoient unis par les nœuds les plus forts,</l>
              <l>Pour obscurcir l’éclat d’une si belle vie</l>
              <l>Ont fait durant neuf ans leurs plus puissans efforts.</l>
              <l>Mais ils n’ont fait que servir à la gloire</l>
              <l> De ce Heros victorieux</l>
              <l> Ils vont fournir à son Histoire,</l>
              <l>L’endroit le plus sublime &amp; le plus merveilleux.</l>
              <l>Et pour éterniser leur honte &amp; sa memoire</l>
              <l> Ils ne pouvoient s’y prendre mieux.</l>
            </lg>
          </quote>
          <quote>
            <label>PORTRAIT<lb />DE MONSEIGNEUR.</label>
            <lg>
              <l> Ce Heros, l’espoir de la France,</l>
              <l> Et les delices de la Cour,</l>
              <l> Unit aux droits de la naissance</l>
              <l>Ceux d’un merite rare &amp; qui croist chaque jour.</l>
              <l> On trouve dans son caractére</l>
              <l>Les suprêmes talens de son Auguste Pere,</l>
              <l>Et de son juste Ayeul l’inflexible équité.</l>
              <l>Il a du grand Henry la noble activité,</l>
              <l>L’air engageant, le feu, la popularité,</l>
              <l> Et la Pieté de sa Mere.</l>
              <l> Comme Loüis, il aime les Combats,</l>
              <l> Tout son penchant est pour les armes,</l>
              <l>Et sa main bien-faisante a d’infaillibles charmes,</l>
              <l>Qui luy livrent les cœurs des Chefs &amp; des Soldats.</l>
              <l>Enfin, ce Roy si grand, si fort inimitable,</l>
              <l>Si digne cependant d’estre imité de tous,</l>
              <l>A pû trouver un Fils à son Pere semblable</l>
              <l> Et qui ressemble à vôtre Epoux.</l>
            </lg>
          </quote>
          <quote>
            <label>PORTRAIT<lb />de Monseigneur<lb />LE DUC DE BOURGOGNE,</label>
            <lg>
              <l>Le jeune &amp; digne Epoux que le Ciel vous destine,</l>
              <l>Princesse, brille moins par l’éclat de son rang,</l>
              <l> Que par son air, &amp; par sa bonne mine.</l>
              <l> Tout marque en luy son origine ;</l>
              <l>Tout montre en quelle source il a puisé son Sang.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>Il aura de Louis la taille &amp; le visage.</l>
              <l>Il en a la fierté meslée à la douceur.</l>
              <l>On reconnoist en luy son esprit &amp; son cœur.</l>
              <l> Jamais Prince dans son jeune âge</l>
              <l> Ne charma tant, ne promit davantage.</l>
              <l> Tout ce qu’il fait, tout ce qu’il dit</l>
              <l>Fait voir un vray Heros, un Loüis en petit.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>En attendant que la fiére Bellone</l>
              <l> Le range sous ses étendarts,</l>
              <l> Tout le loisir que son âge luy donne,</l>
              <l>Est pour Minerve, un jour il sera tout pour Mars.</l>
              <l> La Déesse qui le façonne</l>
              <l>De ses riches talens, elle mesme s’étonne,</l>
              <l>Et dit qu’un jour ce Prince au milieu des hazards</l>
              <l>Sera tel, &amp; plus grand qu’il n’est dans les beaux Arts.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>Pour vous faire en deux mots son image fidéle :</l>
              <l>Lorsque le Ciel forma vôtre charmant Epoux,</l>
              <l> Il prit Loüis pour son modéle,</l>
              <l> Mais il ne le fit que pour vous.</l>
            </lg>
          </quote>
          <quote>
            <label>PORTRAIT<lb />de Madame<lb />LA PRINCESSE DE SAVOYE.</label>
            <lg>
              <l> Objet de nos vœux les plus doux</l>
              <l> Princesse, si toute la Terre</l>
              <l>Nous fait depuis neuf ans une cruelle guerre,</l>
              <l>Ce n’est plus un sujet de murmure pour nous.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>De cent Peuples liguez la valeur orgueilleuse</l>
              <l>Comme un torrent devoit nous inonder.</l>
              <l> Tout sembloit devoir luy ceder.</l>
              <l> Mais cette haine impetueuse</l>
              <l> A vû confondre son espoir.</l>
              <l> Elle nous est avantageuse,</l>
              <l> Elle nous devient précieuse,</l>
              <l>Puisque nous luy devons le bonheur de vous voir.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l>Oüi, tant de flots de sang qu’il a fallu répandre</l>
              <l> Ou pour vaincre, ou pour nous deffendre,</l>
              <l> Nous ne les contons plus pour rien,</l>
              <l>Ce jour, cet heureux jour, nous dédommage bien.</l>
              <l>Le Ciel nous ménageant vôtre heureuse alliance,</l>
              <l>Remplace avec excés tant de sang répandu.</l>
              <l>Sa liberale main vous donnant à la France</l>
              <l>Luy rend mille fois plus que ce qu’elle a perdu.</l>
            </lg>
          </quote>
          <p>Le mesme Pere a fait la Devise suivante, pour la même Princesse. Le Corps est un Arc-en-ciel, ou une Iris, avec ces mots :</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i">Pacis nuntia, Solis opus.</l>
            </lg>
          </quote>
          <quote>
            <label>MADRIGAL<lb /><hi rend="i">Pour servir d’explication à la Devise.</hi></label>
            <lg>
              <l>Du Soleil qui me forme on me nomme la Fille.</l>
              <l>Si je saisis les yeux par l’éclat dont je brille,</l>
              <l> C’est au Soleil que je le doy.</l>
              <l> C’est de luy seul que je reçoy</l>
              <l> Mon nom, mon pouvoir, ma figure.</l>
              <l> Dés le moment que je parais</l>
              <l>Je fais changer de face à la nature,</l>
              <l>Le Ciel devient serain, la Terre se rassure.</l>
              <l>J’amene le beau temps, &amp; j’annonce la Paix.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-11_273" resp="mercure">
          <head>[Nomination du maître de danse et du maître de musique de la princesse de Savoie]*</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, novembre 1696 [tome 11], p. 273-276.</bibl>
          <p/>
          <p>[...] On arriva sur les cinq heures à Fontainebleau par la cour du cheval blanc. Le Roi donna la main à la Princesse ; Messeigneurs les Ducs d'Anjou &amp; de Berri qui l'attendoient au haut de l'Escalier du Fer à cheval, la salüerent sans la baiser ; le Roi la conduisit d'abord à la Tribune de la Chapelle, où il se fit une courte priere, &amp; ensuite dans son appartement, qui est celui de la Reine-mere, où toutes les Princesses l'attendoient. La foule estoit au-delà de ce qu'on peut imaginer. Le Roi y demeura plus d'une heure. Sa Majesté s'estant retirée, toutes les Dames vinrent saluër la Princesse dans sa petite chambre ; &amp; si-tost qu'elles furent retirées elle quitta son habit, qui estoit fort riche &amp; fort garni de pierreries, &amp; prit un deshabillé. Elle soupa seule dans son grand Cabinet. Le lendemain sur les deux heures &amp; demie le Roy alla prendre cette Princesse, &amp; la mena promener dans le parc. On luy a donné plusieurs Maistres. Mr Raynal, qui a eu l'honneur de montrer à danser à Monseigneur, a l'avantage d'avoir esté choisi pour maistre de cette Princesse, &amp; le Roy a nommé Mr Buterne pour luy montrer à joüer du Clavessin, à cause de sa sagesse &amp; de son habileté.</p>
          <p>Quoy que cette Princesse n'eust jamais appris à toucher le Clavessin, elle y réussit si bien dés la premiere leçon qu'il luy donna, qu'il eut de la peine à se persuader qu'elle n'eust pas joüé plusieurs fois de cet Instrument.</p>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-11_276" resp="wordpro">
          <head>[Madrigaux &amp; Epigrammes]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, novembre 1696 [tome 11], p. 276-278.</bibl>
          <p>Je doy ajoûter icy deux Madrigaux de mon voisin, dont vous sçavez que les Ouvrages sont dans une estime generale.</p>
          <quote>
            <label><hi rend="i">Sur le Mariage de Monseigneur le Duc de Bourgogne avec Madame la Princesse de Savoye.</hi><lb /><hi rend="i">MADRIGAL.</hi></label>
            <lg>
              <l rend="i"> Les vents liguez avec les flots,</l>
              <l rend="i"> Dans l’horreur du premier cahos,</l>
              <l rend="i"> Vouloient replonger la Nature,</l>
              <l rend="i"> Et les Dieux dans un plein repos</l>
              <l rend="i">Sembloient justifier l’indolent Epicure ;</l>
              <l rend="i"> Quand, pour rassurer l’Vnivers,</l>
              <l rend="i">L’Amour fit par ces mots trébucher aux Enfers</l>
              <l rend="i">  La Discorde perfide :</l>
              <l rend="i"> Calmez-vous, fieres Nations,</l>
              <l rend="i">Le Prince de Bourgogne épouse Adelaïde ;</l>
              <l rend="i"> Portez respect aux Alcyons.</l>
            </lg>
          </quote>
          <quote>
            <label>Sur le même sujet.</label>
            <lg>
              <l rend="i">Lors que dans l’onde Hesperide</l>
              <l rend="i">Phœbus fut trois jours plongé,</l>
              <l rend="i">L’univers triste &amp; timide</l>
              <l rend="i">Par la naissance d’Alcide</l>
              <l rend="i">En fut bien dédommagé.</l>
              <l rend="i">Nuit affreuse de la guerre,</l>
              <l rend="i">Que nous serons réjoüis ;</l>
              <l rend="i">Si bien-tost à nostre Terre</l>
              <l rend="i">Ton effroyable tonnerre</l>
              <l><hi rend="i">Annonce un nouveau LOVIS.</hi></l>
            </lg>
          </quote>
          <p>Voicy pour les Sçavans de vostre Province, quelques Epigrammes Latines de M<hi rend="sup">r</hi> l’Abbé le Houx, sur le même sujet.</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i">Firma Sabaudorum cum Francis fœdera stabunt.</l>
              <l rend="i">Quidni ? Hæc fecerunt Paxque Venusque simul.</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>ALIUD.</label>
              <l rend="i">Pax &amp; Amor sævo imposuére silentia Marti.</l>
              <l rend="i">O quantùm in Superos numen utrumque potest !</l>
            </lg>
            <lg>
              <label>ALIUD.</label>
              <l rend="i">Plus mellita levis valuêre Cupidinis arma,</l>
              <l rend="i">Horrida quàm Martis fulmina jacta manu,</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
      </div>
      <div type="tome" xml:id="MG-1696-12">
        <head><hi rend="i">Mercure Galant</hi>, décembre 1696 [tome 12]</head>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-12_014" resp="wordpro">
          <head>[Madrigal à la mesme Princesse<note>La princesse de Savoie.</note>]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, décembre 1696 [tome 12], p. 14-15.</bibl>
          <p>M<hi rend="sup">r</hi> Bosquillon, de l’Academie Royale de Soissons, a fait les Vers que vous allez lire, pour cette même Princesse.</p>
          <quote>
            <label><hi rend="i">MADRIGAL.</hi></label>
            <lg>
              <l rend="i">Princesse, nos François, en vous voyant paroistre,</l>
              <l rend="i"> Se piquent tous de vous connoistre.</l>
              <l rend="i">Par vos rians appas justement prévenus</l>
              <l rend="i"> Ceux-cy vous prennent pour Venus,</l>
              <l rend="i"> Qui sort du moite sein de l’onde,</l>
              <l rend="i">Et d’un feu doux &amp; pur vient embraser le monde.</l>
              <l rend="i"> Ceux-là ne comptent que vos ans.</l>
              <l rend="i">Et sous le nom d’Hebé vous offrent leur encens.</l>
              <l rend="i">A vostre teint fleuri, tel vous prend pour l’Aurore ;</l>
              <l rend="i">A la noble fierté qui brille dans vos yeux,</l>
              <l rend="i"> Tel autre, qui se trompe encore,</l>
              <l rend="i">En vous nommant Pallas croit vous deviner mieux.</l>
              <l rend="i"> Mais d’où vient, Princesse adorable,</l>
              <l rend="i">Que pour vous définir on recourt à la Fable ?</l>
              <l rend="i">Les biens que vous causez, vos vertus, vos attraits,</l>
              <l rend="i">Vous annoncent assez pour un Ange de Paix.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
      <div type="article" xml:id="MG-1696-12_084" resp="mercure">
        <head>Eglogue</head>
        <bibl><title>Mercure Galant</title>, décembre 1696 [tome 12], p. 84-95.</bibl>
        <p/>
        <p>Voicy une Eglogue qui a esté chantée deux fois à Fontainebleau, au Soupé du Roy, où elle a receu de grands applaudissemens. Les Vers sont de Madame de Xaintonge, dont tout le monde connoist l'excellent genie. Les Airs ont esté faits par Mr Marchand, de la Musique du Roy.</p>
        <p/>
        <p>EGLOGUE.</p>
        <p/>
        <p>Un jeune Berger joüe de la Basse.</p>
        <p>Deux Satyres &amp; deux Dryades s'avancent.</p>
        <p/>
        <p>I. Satyre.</p>
        <p>Qu'entens-je ? O Dieux ? quels agreables sons ?</p>
        <p/>
        <p>II. Satyre.</p>
        <p>Quelle douce harmonie ?</p>
        <p/>
        <p>I. Satyre.</p>
        <p>Ecoutons !</p>
        <p/>
        <p>II. Satyre.</p>
        <p>Ecoutons.</p>
        <p/>
        <p>I. Satyre.</p>
        <p>Ah, je ne puis me deffendre</p>
        <p>Des mouvemens jaloux qui viennent me surprendre.</p>
        <p>Quand le Heros qui fait tous nos desirs</p>
        <p>Revient dans nos climats, c'est à nous seuls à prendre</p>
        <p>Le soin de ses Plaisirs.</p>
        <p>Ah ! je ne puis me deffendre</p>
        <p>Des mouvemens jaloux qui viennent me surprendre.</p>
        <p>Un jeune audacieux</p>
        <p>Oseroit-il prétendre</p>
        <p>De partager nostre sors glorieux ?</p>
        <p>Ah ! je ne puis me deffendre</p>
        <p>Des mouvemens jaloux qui viennent me surprendre.</p>
        <p/>
        <p>I. Dryade.</p>
        <p>Le respect doit calmer</p>
        <p>Le violent dépit qui vient vous animer.</p>
        <p>C'est le zele qui le fait naistre ;</p>
        <p>Mais devant nostre auguste Maistre</p>
        <p>Le respect doit le calmer.</p>
        <p/>
        <p>II. Dryade &amp; les deux Satyres.</p>
        <p>Etouffez vostre}jalousie,</p>
        <p>Etouffons nostre}</p>
        <p>Pour plaire au plus puissant des Rois :</p>
        <p>Qu'un même destin vous/nous lie ;</p>
        <p>Accordez/Accordons vos voix</p>
        <p>A cette douce harmonie.</p>
        <p/>
        <p>I. Dryade.</p>
        <p>Trop heureux d'habiter ces aimables climats</p>
        <p>Où son penchant le ramene,</p>
        <p>Plus heureux mille fois qui suit toujours ses pas.</p>
        <p>La plus cruelle peine</p>
        <p>Est de ne le voir pas.</p>
        <p/>
        <p>Les deux Satyres.</p>
        <p>Que l'Automne est pour nous une</p>
        <p>Saison charmante !</p>
        <p>Chantons ses douceurs ;</p>
        <p>Elle est plus riante</p>
        <p>Que la saison des fleurs.</p>
        <p>Son jus est delectable,</p>
        <p>Mais c'est moins par ce jus divin</p>
        <p>Qu'elle bannit nostre chagrin,</p>
        <p>Qu'en ramenant icy ce Heros redoutable.</p>
        <p/>
        <p>Les deux Satyres &amp; les deux Dryades.</p>
        <p>Profitons d'un temps précieux ;</p>
        <p>Que nos concerts volent jusques aux Cieux !</p>
        <p>Repetons mille fois dans nostre ardeur fidelle,</p>
        <p>De toutes les saisons l'Automne est la plus belle.</p>
        <p/>
        <p>I. Dryade.</p>
        <p>Dans ces lieux charmans</p>
        <p>L'Amour est sans allarmes.</p>
        <p>On aime assez pour goûter tous ses charmes,</p>
        <p>On n'aime pas assez pour souffrir ses tourmens.</p>
        <p/>
        <p>II. Dryade.</p>
        <p>Quand l'Amour veut toujours toucher notre Ame,</p>
        <p>Il faut s'abandonner à toutes ses langueurs.</p>
        <p>Plus on est penetré de l'ardeur de sa flame</p>
        <p>Et plus on ressent ses douceurs.</p>
        <p/>
        <p>D'aimables chaisnes</p>
        <p>Doivent couster des soins &amp; des soupirs ;</p>
        <p>L'Amant n'a point de vrais plaisirs</p>
        <p>Pour les Amans qui s'exemptent des peines.</p>
        <p/>
        <p>II. Satyre.</p>
        <p>Chacun dans cet heureux sejour,</p>
        <p>Goûte à son gré les plaisirs de la vie,</p>
        <p>Sans contraindre son envie</p>
        <p>On suit Bacchus ou l'Amour :</p>
        <p>Souvent on se fait une gloire</p>
        <p>D'estre Buveur sans cesser d'estre Amant.</p>
        <p>Pour moy qui ne sçait que boire</p>
        <p>Je bois incessamment.</p>
        <p/>
        <p>Pour les plus beaux yeux du monde</p>
        <p>Je ne quitterois pas ma bouteille un moment :</p>
        <p>Je goûte une paix profonde,</p>
        <p>Je suis sans soins, je ris, je dors tranquillement.</p>
        <p>Je ne quitterois pas ma bouteille un moment</p>
        <p>Pour les plus beaux yeux du monde.</p>
        <p/>
        <p>I. Satyre.</p>
        <p>Pour le doux jus de la treille</p>
        <p>Je ne quitterois pas ma Bergere un moment :</p>
        <p>Je briserois ma bouteille</p>
        <p>Si Bacchus m'arrachoit à cet objet charmant ;</p>
        <p>Je ne quitterois pas ma Bergere un moment</p>
        <p>Pour le doux jus de la treille.</p>
        <p/>
        <p>II. Satyre.</p>
        <p>Bacchus seul remplit tous mes voeux,</p>
        <p>Pour goûter ses plaisirs, jamais on ne soupire ;</p>
        <p>Ce n'est pas l'employ d'un satyre</p>
        <p>De faire le langoureux.</p>
        <p/>
        <p>I. Satyre.</p>
        <p>Le vin fait toute ta gloire</p>
        <p>Luy seul a droit de s'enflamer :</p>
        <p>Tu n'as que le plaisir de boire,</p>
        <p>Et moy, j'ay le plaisir &amp; de boire &amp; d'aimer.</p>
        <p/>
        <p>I. Dryade.</p>
        <p>En vain tout plaist, tout enchante</p>
        <p>Dans cet aimable sejour ;</p>
        <p>Si l'on en bannissoit l'Amour</p>
        <p>Y pourroit-on donner une feste galante ?</p>
        <p>Bacchus mesme ne suffit pas</p>
        <p>Pour les plaisirs de la table,</p>
        <p>Lorsque l'Amour se mêle d'un repas</p>
        <p>Il est cent fois plus agreable.</p>
        <p/>
        <p>II. Satyre.</p>
        <p>Ah, que les Buveurs sont heureux</p>
        <p>Sous les loix du Dieu de la treille !</p>
        <p>Il endort, il reveille,</p>
        <p>Il chasse les chagrins, il rassemble les Jeux.</p>
        <p>Ah, que les Buveurs sont heureux</p>
        <p>Sous les loix du Dieu de la treille !</p>
        <p>Les plus tendres Amans pour animer leurs feux</p>
        <p>Devroient courir à la bouteille.</p>
        <p>Ah, que les Buveurs sont heureux</p>
        <p>Sous les loix du Dieu de la treille !</p>
        <p/>
        <p>II. Dryade.</p>
        <p>Sans le secours du vin l'Amour  a des douceurs</p>
        <p>Qui sont toûjours nouvelles</p>
        <p>Pour les tendres coeurs.</p>
        <p>Amans fidelles,</p>
        <p>Gardez-vous bien d'estre buveurs,</p>
        <p>L'Amour veut du mistere,</p>
        <p>Et lorsque de Bacchus on ressent les ardeurs,</p>
        <p>Le plus discret ne peut se taire.</p>
        <p/>
        <p>II. Satyre.</p>
        <p>Lors qu'un Amant touche le coeur</p>
        <p>D'une inhumaine,</p>
        <p>L'Amour veut le contraindre à cacher son bonheur,</p>
        <p>Ah quelle gêne !</p>
        <p>Bacchus nous fait un plus heureux destin,</p>
        <p>La liberté regne dans son Empire,</p>
        <p>Et lors qu"on a bû de bon vin</p>
        <p>Il est permis de la dire.</p>
        <p/>
        <p>I. Dryade.</p>
        <p>C'est trop parler d'aimer !</p>
        <p/>
        <p>I. Satyre.</p>
        <p>C'est trop parler de boire !</p>
        <p/>
        <p>Ensemble.</p>
        <p>Rien ne peut nous charmer</p>
        <p>Que la brillante gloire</p>
        <p>Du plus grand des Vainqueurs ;</p>
        <p>Luy seul vient d'animer &amp; nos voix &amp; nos coeurs.</p>
        <p/>
        <p>Les deux Satyres &amp; les deux Dryades.</p>
        <p>Que ce Heros calme toute la terre.</p>
        <p>Qu'il fasse triompher la Paix.</p>
        <p>Qu'il enchaisne pour jamais</p>
        <p>Le démon de la guerre.</p>
      </div>
      <div type="article" xml:id="MG-1696-12_132" resp="mercure">
        <head>[Maniere de petit Opera]</head>
        <bibl><title>Mercure Galant</title>, décembre 1696 [tome 12], p. 132-145.</bibl>
        <p/>
        <p>Je croy ne pouvoir vous obliger davantage qu'en vous faisant part d'un Ouvrage qui s'est fait sur la Paix de Savoye, en maniere d'Opera. Il paroist d'abord un grand nombre de Combattans &amp; de Guerries, divisez en deux troupes, l'une de François, l'autre d'Alliez. La Scene est surs les confins du Piedmont.</p>
        <p/>
        <p>CHOEUR D'ALLIEZ.</p>
        <p>Frapons, perçons, soyons impitoyables,</p>
        <p>Accablons les François sous l'effort de nos coups.</p>
        <p>Que nos plaisirs les plus doux</p>
        <p>Soient de faire des miserables.</p>
        <p/>
        <p>CHOEUR DE FRANÇOIS.</p>
        <p>Vos efforts unis contre nous</p>
        <p>N'en sont pas plus redoutables.</p>
        <p>Nos coups sont inévitables,</p>
        <p>Vous allez périr tous.</p>
        <p/>
        <p>Mercure paroissant sur un nuage.</p>
        <p/>
        <p>Fiers Peuples que séduit la discorde insensée,</p>
        <p>Qui remplissez ces lieux de carnage &amp; d'horreur,</p>
        <p>Eprouvez de mon Caducée,</p>
        <p>Les appas &amp; la douceur.</p>
        <p/>
        <p>Deux François.</p>
        <p>Quel charme subit nous arreste,</p>
        <p>Et rend nos esprits étonnez ?</p>
        <p/>
        <p>Deux Alliez.</p>
        <p>Nos coeurs à la guerre obstinez</p>
        <p>D'un tranquile repos deviennent la conqueste.</p>
        <p/>
        <p>Mercure.</p>
        <p>Le Maistre Souverain qui regit l'Univers</p>
        <p>Lassé de voir ces aimables Provinces</p>
        <p>Succomber sous le poids de mille maux divers,</p>
        <p>A touché le coeur de vos Princes.</p>
        <p/>
        <p>La France &amp; le Piémont par un voeu solemnel</p>
        <p>Vont resserrer les noeuds de l'ancienne alliance ;</p>
        <p>Un couple chéri du ciel</p>
        <p>Est le gage sacré de leur intelligence.</p>
        <p/>
        <p>En même temps les Piémontois se détachent du reste des Alliez, &amp; disent avec les François :</p>
        <p/>
        <p>CHOEUR de François &amp; de Piémontois.</p>
        <p>Des Peuples oppressez, c'est le plus doux souhait.</p>
        <p/>
        <p>Un François.</p>
        <p>Dieux ! que la Princesse est charmante !</p>
        <p/>
        <p>Un Piémontois.</p>
        <p>Que le Prince est bien fait !</p>
        <p/>
        <p>Le François.</p>
        <p>Dans leurs traits, dans leurs airs ; il n'est rien qui n'enchante.</p>
        <p/>
        <p>Choeur de de François &amp; de Piémontois.</p>
        <p>Qu'ils sont dignes tous deux de l'Empire François !</p>
        <p>Heureux ceux qui suivront leurs loix.</p>
        <p/>
        <p>Mercure parlant au reste des Alliez.</p>
        <p>Vous qui n'approuvez point ce retour de tendresse,</p>
        <p>Partez, ne troublez pas la commune allegresse.</p>
        <p>Allez exercer vos fureurs</p>
        <p>Dans quelque climat barbare,</p>
        <p>Et si vous aspirez au titre de Vainqueurs,</p>
        <p>Deffendez vos pays du Scythe &amp; du Tartare.</p>
        <p/>
        <p>Les Alliez.</p>
        <p>Quel arrest !quel ordre cruel !</p>
        <p>Que plutost Jupiter lance sur nous sa foudre,</p>
        <p>Que plutost son bras immortel</p>
        <p>Nous réduise en poudre.</p>
        <p/>
        <p>Mercure.</p>
        <p>Connoissez mieux vos interests</p>
        <p>Ecoutez de Loüis les offres obligeantes,</p>
        <p>Vous pourrez voir la Paix &amp; ses graces brillantes</p>
        <p>Me suivre de près.</p>
        <p/>
        <p>Les Alliez sortent &amp; Mercure continuë.</p>
        <p/>
        <p>Et vous, braves Guerriers, de qui l'obeïssance</p>
        <p>Egale l'extrême valeur,</p>
        <p>Marquez par mille jeux vostre réjoüissance,</p>
        <p>Et bénissez à jamais le bonheur</p>
        <p>De la Savoye &amp; de la France.</p>
        <p>Bellone va quitter ces lieux,</p>
        <p>C'est l'ordre du plus grand des Dieux.</p>
        <p/>
        <p>Les François &amp; les Piémontois.</p>
        <p>Marquons par cent plaisirs nostre réjoüissance,</p>
        <p>Et benissons à jamais le bonheur</p>
        <p>De la Savoye &amp; de la France.</p>
        <p>Bellone va quitter ces lieux,</p>
        <p>C'est l'ordre du plus grand des Dieux.</p>
        <p/>
        <p>Mercure part, &amp; des Bergers, des Bergeres, &amp; des Faunes, viennent se joindre aux Guerriers.</p>
        <p/>
        <p>Un Berger.</p>
        <p>Des plus profondes retraites</p>
        <p>Nous accourons à vos voix,</p>
        <p>Pour joindre nos tendres Musettes</p>
        <p>A vos Trompettes,</p>
        <p>A vos Timbales, à vos Hautsbois.</p>
        <p/>
        <p>Choeur des Guerriers &amp; des Bergers .</p>
        <p>Ce beau jour, malgré l'envie,</p>
        <p>Est fait pour de doux concerts.</p>
        <p>D'une agreable harmonie</p>
        <p>Faisons retentir les airs.</p>
        <p/>
        <p>Une Bergere.</p>
        <p>Que de plaisirs nous allons voir paroistre !</p>
        <p/>
        <p>Un Berger.</p>
        <p>Les fleurs en liberté sous nos pas vous renaisre.</p>
        <p/>
        <p>La Bergere.</p>
        <p>Nos innocens Troupeaux</p>
        <p>Seront seurs dans nos Campagnes.</p>
        <p/>
        <p>Une autre Bergere.</p>
        <p>Et nos aimables Compagnes</p>
        <p>Iront sans crainte aux Hameaux.</p>
        <p/>
        <p>Tous les trois ensemble.</p>
        <p>Sur ces fertiles rivages</p>
        <p>A l'ombre de nos Forests,</p>
        <p>Goûtons tous les avantages</p>
        <p>D'une bien-heureuse Paix.</p>
        <p/>
        <p>Moutons, cessez de vous plaindre,</p>
        <p>Quittez la vaine frayeur.</p>
        <p>Nous n'avons plus rien à craindre,</p>
        <p>Si ce n'est pour nostre coeur.</p>
        <p/>
        <p>Un Berger à l'une des Bergeres.</p>
        <p>Bergere, lors que Mars fait place</p>
        <p>A l'Amour qui regne aujourd'huy,</p>
        <p>Peut-estre ton coeur de glace</p>
        <p>Pourra-t-il estre attendry.</p>
        <p/>
        <p>La Bergere.</p>
        <p>J'aime ma liberté, mon coeur est inflexible,</p>
        <p>Il ne met son souverain bien</p>
        <p>Qu'au plaisir de rendre sensible,</p>
        <p>Et de ne sentir jamais rien.</p>
        <p/>
        <p>Le Berger à l'autre Bergere.</p>
        <p>Cette Bergere inexorable</p>
        <p>Méprise l'ardeur de mes feux,</p>
        <p>Si ton coeur estoit plus traitable</p>
        <p>Il me vangeroit à ses yeux.</p>
        <p/>
        <p>La Bergere.</p>
        <p>J'approuve le dépit qu'un tel refus fait naistre,</p>
        <p>Je voudrois t'y servir, loin de te condamner ;</p>
        <p>Mais je n'avois qu'un seul coeur à donner,</p>
        <p>Et ce Berger en est le Maistre.</p>
        <p/>
        <p>Le Berger.</p>
        <p>Rebuté de l'Amour, accablé de refus,</p>
        <p>A quel secours dois-je m'attendre ?</p>
        <p/>
        <p>Un Faune.</p>
        <p>Il faut recourir à Bacchus,</p>
        <p>Contre tes noirs chagrins il sçaura te deffendre.</p>
        <p/>
        <p>Le Berger.</p>
        <p>Qu'une Belle a pour moy d'attraits !</p>
        <p/>
        <p>Le Faune.</p>
        <p>Que le Vin a pour moy de charmes !</p>
        <p/>
        <p>Le Berger.</p>
        <p>Un regard doux &amp; tendre appaise mille allarmes.</p>
        <p/>
        <p>Le Faune.</p>
        <p>De l'Amour dans le vin je trempe tous les traits.</p>
        <p/>
        <p>Voulez-vous passer la vie</p>
        <p>Sans chagrin &amp; sans bruit ?</p>
        <p>Guerissez vostre esprit</p>
        <p>De l'amoureuse fantaisie.</p>
        <p>Un faux appas vous seduit,</p>
        <p>Amans, &amp; vous reduit</p>
        <p>A languir nuit &amp; jour dans la melancolie.</p>
        <p>A rire, à trinquer, point de jalouise,</p>
        <p>Ny ce qui la suit.</p>
        <p>Quand on boit bien le jour, on en dort mieux la nuit.</p>
        <p/>
        <p>Le Berger.</p>
        <p>Non, non, rien n'est comparable</p>
        <p>Aux delices des Amans.</p>
        <p>Bacchus ne plaist qu'à la table,</p>
        <p>Amour plaist dans tous les temps.</p>
        <p/>
        <p>Un Berger.</p>
        <p>Il est un moyen facile</p>
        <p>Pour nous mettre tous d'accord.</p>
        <p>Sur ce qui nous est utile</p>
        <p>Que chacun regle son sort.</p>
        <p>Aimez, buvez, liberté toute entiere,</p>
        <p>Que chacun à son gré contente ses desirs.</p>
        <p>Si l'Amour vous presente une Beauté trop fiére,</p>
        <p>Bacchus pour vous vanger, vous offre ses plaisirs.</p>
        <p/>
        <p>Deux Bergers &amp; un Faune.</p>
        <p>Aimons, buvons, liberté toute entiere,</p>
        <p>Que chacun à son gré contente ses desirs,</p>
        <p>Et si l'Amour nous offre une Beauté trop fiere,</p>
        <p>Bacchus pour nous vanger, nous offre ses plaisirs.</p>
        <p/>
        <p>Un des Bergers.</p>
        <p>Aux doux transports de nostre joye</p>
        <p>Unissez-vous, braves Guerriers.</p>
        <p>Que nostre Olive &amp; vos Lauriers</p>
        <p>Annoncent le bonheur que le Ciel nous envoye.</p>
        <p/>
        <p>L'autre Berger.</p>
        <p>Remettez au Printemps vos valeureux exploits,</p>
        <p>Vos jaloux Ennemis ont sonné la retraite,</p>
        <p>Dans ce repos chantons la victoire parfaite</p>
        <p>Et du plus grand des Ducs, &amp; du plus grand des Rois.</p>
        <p/>
        <p>Un Berger, un Guerrier, &amp; un Faune.</p>
        <p>Accordons-nous pour celebrer ensemble</p>
        <p>Ces deux Heros sous qui l'Europe tremble,</p>
        <p>Et dans nos Concerts mêlons tour à tour</p>
        <p>Les chants de Bacchus, de Mars, &amp; de l'Amour.</p>
        <p/>
        <p>Tout le Choeur repete.</p>
        <p>Accordons-nous pour celebrer ensemble, &amp;c.</p>
      </div>
      <div type="article" xml:id="MG-1696-12_149" resp="mercure">
        <head>[Grande Messe celebrée par sept Freres]</head>
        <bibl><title>Mercure Galant</title>, décembre 1696 [tome 12], p. 149-152.</bibl>
        <p/>
        <p>Il s'est passé une chose assez rare dans le Dioces de Châlons en Champagne, &amp; qui peut-estre ne se rencontrera pas dans aucune Famille de la France. Sept Freres nommez les Boucher, originaires de Châlons, bien unis ensemble, tous Prestres, tant Seculiers que Reguliers, se sont trouvez le jour de la Feste de Saint Martin, en la Paroisse de Saint Martin de Courrisolt, où l'un d'eux est Curé depuis vingt six à vingt sept ans, &amp;  là ils ont celebré solemnellement la Feste de ce glorieux Patron, à commencer par les premieres Vespres, &amp; Matines ensuite ; le lendemain les Laudes, l'Eau benite, la Procession &amp; la grande Messe, celebrée par l'aîné de ces sept Freres Religieux Benedictin, Prieur de l'Abbaye de S. Sauveur des Vertus, le Curé de cette Paroisse faisant l'office de Diacre, &amp; le plus jeune de tous, aussi Religieux Benedictin, &amp; Procureur du même Convent, celuy de Sous-Diacre, deux autres Freres, l'un Trinitiare du Convent de Châlons, l'autre Prémonstré du Convent de Sept-fontaines ; revestus d'Aubes, &amp; de Tuniques, faisant les ceremonies &amp; encensemens ; deux autres Freres, Chanoines de l'Eglise Collegiale de la Trinité de Châlons, faisant les Choristes. Le Panegyrique du Saint fut prononcé aprés Vespres par le même Prieur de Saint Sauveur des Vertus, ce qui fut suivi de la benediction du Saint Sacrement &amp; du Te Deum.</p>
      </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-12_171" resp="wordpro">
          <head>[Histoire]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, décembre 1696 [tome 12], p. 171-193.</bibl>
          <p>Il est mal-aisé de voir souvent une personne veritablement aimable, sans prendre pour elle les sentimens que l’amour a coutume d’inspirer, mais il est encore bien plus difficile de ne s’y attacher pas quand les avantages de la Fortune s’y trouvent meslez à un solide merite. C’est ce qu’à éprouvé depuis peu un Cavalier qui ayant jetté les yeux sur une Fille en qui mille belles qualitez éclatoient de jour en jour, s’en laissa si fort charmer qu’il fit son unique affaire de chercher par où il pourroit toucher son cœur. Ses traits n’estoient point assez reguliers pour faire qu’on se récriast en la voyant. Elle avoit bon air, la taille fine aisée, &amp; on pouvoit dire en general qu’elle estoit mieux faite que belle, mais elle avoit de grands charmes dans l’esprit &amp; dans l’humeur, &amp; ce qui en est un tres-considerable &amp; qui frappoit tout le monde, sa Mere qu’elle avoit perduë depuis un an, luy avoit laissé beaucoup de bien. Son Pere qui n’avoit que cette Fille, estoit riche aussi de son costé, &amp; on ne doit pas estre surpris si beaucoup de Pretendans luy faisoient la cour, pour avoir la preference. Il estoit d’un âge extrémement avancé, &amp; on regardoit sa succession, comme n’estant pas fort éloignée. Le Cavalier de tout temps avoit eu accés dans cette maison, &amp; le droit de voisinage luy avois acquis la liberté d’y venir assidument. Il s’estoit attaché à plaire à la Demoiselle dés ses plus tendres années, &amp; la Mere qui aimoit l’enjoüement de son esprit, luy avoit marqué des sentimens assez favorables, pour luy donner lieu de croire qu’il avoit perdu en elle le plus seur appuy de son amour. Il continua de voir le Pere, &amp; ce qui luy fut d’un tres-grand secours, il avoit une Sœur, intime Amie de la Demoiselle, &amp; qui en estoit comme inseparable. C’estoit une fort belle personne, d’une humeur insinuante &amp; tres-enjoüée, &amp; née avec les talens qui font réüssir à se faire aimer, quand on veut bien les mettre en pratique, mais ne cherchant point à s’acquerir des Amans, elle n’en faisoit aucun usage, &amp; c’estoit toûjours en dépit d’elle qu’elle donnoit de l’amour. La fidelité de ses Amis luy suffisoit pour la rendre heureuse, &amp; n’ayant nul goust pour le mariage, elle avoit mis tout son attachement à son Frere, avec qui elle vivoit, &amp; qu’elle aimoit avec beaucoup de tendresse. Il est aisé de juger par là qu’elle n’épargna ny soins, ny peines, pour faire agréer son amour à son Amie. L’obsedant sans cesse, elle en ménagea si bien l’esprit qu’elle l’empêcha de voir ce que la fortune avoit mis entr’eux de difference. La naissance &amp; le merite luy tinrent lieu de richesses, &amp; aprés avoir reçû toutes les marques que le Cavalier luy pouvoit donner de la passion la plus soumise, elle l’assura que pourvû qu’il fit consentir son Pere à leur mariage, il n’y trouveroit nul obstacle de sa part. Quoy que la chose parust assez difficile, la Sœur se chargea d’en venir à bout. Comme elle voyoit la Fille à toute heure, elle avoit beaucoup de familiarité avec le Pere, à qui elle commença à redoubler certaines caresses qui font plaisir à ceux de son âge. Il la trouvoit belle, &amp; ne s’ennuyoit jamais de la voir. Elle luy donnoit les plus tendres noms, &amp; luy faisoit mille plaisans contes qui l’amusoient agreablement. Elle essaya d’abord le pouvoir qu’il luy avoit laissé prendre insensiblement sur luy, par de legeres demandes, sur lesquelles le bon homme estoit toujours prompt à la satisfaire, &amp; enfin un jour aprés l’avoir embrassé d’un air gay &amp; libre, elle luy dit qu’il falloit qu’il avoüast que sa presence luy estoit absolument necessaire pour le plaisir de sa vie, &amp; qu’il devoit, pour estre toujours heureux, la mettre en estat de ne le quitter jamais. Le bon homme repliqua qu’elle pouvoit demeurer avec sa Fille, qu’il en auroit une joye extrême, &amp; que si le parti l’accommodoit, il donneroit ordre qu’on luy preparast un appartement. Sa réponse fut qu’elle estoit liée avec un Frere qui luy estoit infiniment cher, &amp; avec qui la séparation n’estoit pas possible, mais qu’il y avoit remede à cet inconvenient, qu’il le pouvoit choisir pour son Gendre, &amp; qu’estant ainsi tous unis par l’alliance, ils pouvoient mener ensemble la vie la plus douce dans la parfaite amitié qui estoit entr’eux. Le bon homme luy tendit la main en souriant, &amp; ne finit cette conversation qu’aprés luy avoir marqué que la chose estoit assez faisable, mais que cependant il avoit besoin qu’on luy donnast quelques jours pour se consulter. Les deux Amans avertis de tout, se flaterent d’autant plus d’un heureux succés dan leurs esperances, que le bon homme informé de leur amour souffrit à son ordinaire l’assiduité du Cavalier. Ils firent à cette charmante Fille des remerciemens proportionnez à l’agreable service qu’elle leur rendoit à l’un &amp; à l’autre, &amp; comme elle estoit adroite, &amp; qu’il estoit mal-aisé de ne se pas rendre à ses manieres, elle tourna si bien le bon homme, qu’aprés deux ou trois autres réponses, toujours favorables, mais qui n’estoient pourtant pas assez décisives, il luy dit en la regardant d’un air fort tendre, qu’il ne tiendroit qu’à elle qu’il nesignast dés ce même jour le contrat de mariage de son Frere avec sa Fille ; qu’il ne vouloit pour cela qu’une seule chose dont elle estoit la maîtresse, &amp; que si elle vouloit luy en donner sa parole, il luy donneroit aussi-tost la sienne. Cette charmante personne qui ne cherchoit rien avec tant d’ardeur que les avantages de son Frere, luy promit tout, sans s’imaginer que la chose iroit aussi loin qu’il la porta. Les carresses qu’elle luy avoit comme prodiguées depuis quelque temps pour parvenir à ses ses fins, l’en avoient rendu si amoureux, qu’il s’estoit mis en teste d’en faire sa Femme, &amp; ce ne fut qu’à cette condition qu’il luy accorda le consentement qu’elle demandoit. Elle eut beau luy dire que ny l’un ny l’autre n’estoit propre au mariage, &amp; qu’ils y avoient renoncé tous deux en quelque sorte, elle par temperament, &amp; luy par son âge. Il n’entendit point raison là-dessus, &amp; n’ayant pû l’obliger à changer de sentiment, elle fut reduite à luy demander un peu de temps à son tour, pour voir le parti qu’elle avoit à prendre. Son Amie, à qui elle conta tout, ne put s’empêcher de rire de l’extravagance de son Pere ; mais le Cavalier qui connoissoit l’aversion de sa Sœur pour le mariage, regarda la chose serieusement, &amp; se trouva dans un embarras extraordinaire. Tout dépendoit d’elle, &amp; il ne sçavoit que luy demander. Elle avoit refusé plus d’une fois de jeunes Amans bien faits, qui s’estoient offerts à l’épouser. Et le moyen de prétendre qu’elle se donnast à un vieil homme des plus dégoutans, &amp; sujet d’ailleurs à la pluspart des infirmitez dont la vieillesse est accompagnée ? Cependant le parti estoit si avantageux pour son Frere, &amp; elle entroit si vivement dans ses interests, que voyant le bon homme toujours obstiné, elle aima mieux se sacrifier à l’entestement qu’il fut impossible de luy faire perdre, que d’estre cause qu’une fortune tres-considerable échapast au Cavalier. Ainsi elle resolut de se marier avec le bon homme, &amp; ce qui les charma tous, elle prit cette resolution de fort bonne grace, &amp; sans rien diminuer de sa gayeté ordinaire. Le Notaire vint, on signa les deux Contrats, &amp; toutes les choses qui précedent la ceremonie de l’Eglise ayant esté faites, ils devoient tous estre mariez le lendemain, quand la Sœur qui avoit tout fait, se trouva surprise d’un mal violent qui l’abattit tout d’un coup. Le Cavalier en fut extrémement affligé, &amp; par la tendresse qu’il avoit pour cette Sœur, &amp; par le retardement que cette maladie devoit apporter à son heureuse fortune. Elle souffroit de grandes douleurs, accompagnées d’une Fiévre ardente, &amp; ces douleurs ayant augmenté les deux jours suivans, le mal fut connu pour la petite Verole. Elle en fut reduite à l’extrémité, &amp; par tous les soins que les Medecins en prirent, enfin le danger cessa, mais en luy sauvant la vie, il fut impossible de conserver sa beauté. Ce mal, quelquefois impitoyable, luy gâta le teint, &amp; changea ses traits ; en sorte que ce n’estoit plus la même personne. Elle avoit encore le même enjoüement d’esprit, mais son visage n’avoit plus aucun brillant ; &amp; elle disoit assez plaisamment, qu’elle craignoit bien que son Amant, tout vieux qu’il estoit, ne fust comme la pluspart des jeunes gens qui ne s’attachant qu’à la beauté, cessent d’aimer si-tost qu’ils la voyent passée. Ce qu’elle dit arriva. Le bon homme ne sentit plus rien pour elle, si tost que ses traits n’eurent plus le même éclat qui l’avoit touché, &amp; ce qu’il y eut de rare, c’est que n’ayant consenti au mariage du Cavalier, qu’à condition que le sien avec sa Sœur se feroit en même temps, il protesta qu’il empêcheroit que ce mariage ne s’achevast, à moins que l’on ne rompist l’engagement où il s’estoit mis avec cette même Sœur. Comme elle n’avoit fait violence à son inclination que par un motif dont elle voyoit cesser la cause, vous jugez bien qu’elle n’eut aucune peine à se consoler de l’inconstance de son vieil Amant. Au contraire elle s’en fit un sujet de joye ; &amp; quoy qu’elle fust fâchée de n’avoir plus ce brillant qui la faisoit regarder avec plaisir, elle ne laissoit pas, disoit-elle, de sçavoir bon gré à la petite verole, de l’avoir défaite d’un Mary qu’elle ne prenoit qu’avec une extrême repugnance. Le bon homme, fort content de se voir libre, tint parole au Cavalier, qui eut à peine épousé sa Fille, qu’on leur vint apprendre qu’il estoit luy-même tout prest à se marier. Il avoir pris goust aux belles personnes, &amp; ce goust ayant paru dans la forte passion qu’il avoit marquée pour la Sœur du Cavalier avant qu’elle eust souffert le ravage de la petite Verole, on luy estoit venu proposer une jeune Blonde tres-jolie, à qui le manque de bien faisoit souhaiter qu’il la prist pour sa Femme. Il en avoit donné sa parole, mais il ne la put tenir, quoy qu’il eust choisi un jour pour la signature des articles. La goute le prit, elle remonta, &amp; cet accident finit son nouvel amour avec sa vie. Le Cavalier qui joüit par cette mort de tous les biens de cette Maison, a fait à sa Sœur tous les avantages qu’elle pouvoit souhaiter. Son Amie la laisse d’ailleurs maistresse de tout. Ainsi elle vit avec tous les deux dans une satisfaction parfaite, &amp; la perte de sa beauté n’empêche point qu’elle ne soit toujours fort aimable par la bonté de son cœur, &amp; par la solidité de son esprit.</p>
        </div>
      <div type="article" xml:id="MG-1696-12_193" resp="mercure">
        <head>[Mr de Percy, Neveu de Mr Dupré Envoyé de Sa Majesté à Florence, est reçû Chevalier de S. Etienne]</head>
        <bibl><title>Mercure Galant</title>, décembre 1696 [tome 12], p. 193-196.</bibl>
        <p/>
        <p>Mr Percy a esté receu à Florence dans l'Ordre des Chevaliers de Saint Etienne, [...]</p>
        <p>Cet Ordre fut estably par Cosme I. de Medicis, l'an 1560 en reconnoissance d'une fameuse Victoire qu'il emporta sur les Siennois le 2. Aoust, Feste de Saint Estienne Pape &amp; Martir, &amp; il fut approuvé le I. Février de l'année suivante par le Pape Pie V. On y observe la Regle de S. Benoist, chez les Religieux duquel tout Chevalier est obligé pendant six mois d'aller faire son Noviciat, qui consiste à entendre pendant ce temps la grande Messe &amp; les Vespres les Festes &amp; les Dimanches dans le Choeur de leur Eglise avec l'habit de Ceremonie. [...]</p>
      </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-12_211" resp="wordpro">
          <head>[Ode]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, décembre 1696 [tome 12], p. 211-213.</bibl>
          <p>Voicy la Traduction des Vers latins dont il est parlé dans cette Lettre.</p>
          <quote>
            <label>A MONSIEUR<lb />LE CHEVALIER DE PERCY.<lb /><hi rend="i">ODE.</hi></label>
            <lg>
              <l rend="i">Otoy qui dans l’Etrurie,</l>
              <l rend="i">Te fais un heureux destin,</l>
              <l rend="i">Estimé de ta Patrie,</l>
              <l rend="i">Cheri du Peuple Latin ;</l>
              <l rend="i">Que l’un &amp; l’autre s’empresse</l>
              <l rend="i">A te marquer sa tendresse,</l>
              <l rend="i">Et que parmy les honneurs,</l>
              <l rend="i">Dont la foule t’environne,</l>
              <l rend="i">Tu reçoives la couronne</l>
              <l rend="i">Des mains des sçavantes Sœurs.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Dans l’Avril de ton bel âge</l>
              <l rend="i">En un sentier peu battu,</l>
              <l rend="i">Le Ciel t’offrit en partage</l>
              <l rend="i">Les tresors de la vertu.</l>
              <l rend="i">Avec l’illustre vaillance,</l>
              <l rend="i">Le sçavoir &amp; l’éloquence,</l>
              <l rend="i">Tout fut prodigué pour toy ;</l>
              <l rend="i">Et par cette grace insigne</l>
              <l rend="i">Il te fit paroistre digne</l>
              <l rend="i">De l’estime de ton Roy.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">Quel éclat se joint encore</l>
              <l rend="i">A celuy de tes Ayeux !</l>
              <l rend="i">Cosme d’un Ordre t’honore,</l>
              <l rend="i">Qui rend ton nom glorieux.</l>
              <l rend="i">Déja la troupe guerriere</l>
              <l rend="i">T’embrasse dans la carriere</l>
              <l rend="i">Où jeune on te voit courir,</l>
              <l rend="i">Et le siecle dans l’histoire</l>
              <l rend="i">Consacrera ta memoire,</l>
              <l rend="i">Qui ne doit jamais perir.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-12_213" resp="wordpro">
          <head>[Réponse à l’Ode precedente]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, décembre 1696 [tome 12], p. 213-218.</bibl>
          <p>M<hi rend="sup">e</hi> le Chevalier de Percy a fait cette réponse aux Vers de l’obligeant Inconnu, qui avoient esté distribuez le jour que se fit la ceremonie de sa reception.</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i">Genereux Inconnu, dont la Muse feconde</l>
              <l rend="i">Prodigue en ma faveur ses beaux Vers dans le monde,</l>
              <l rend="i">Admirant vos talens, éprouvant vos bontez,</l>
              <l rend="i">Je devrois publier vos rares qualitez.</l>
              <l rend="i">Mais n’osant, comme vous, me donner la licence</l>
              <l rend="i">D’aller le front levé dans le Sacré vallon,</l>
              <l rend="i">En vain vous l’esperez de ma reconnoissance.</l>
              <l rend="i"> Voulant invoquer Apollon,</l>
              <l rend="i"> Il seroit de la bien-seance,</l>
              <l rend="i">Pour en estre écouté, de prendre vostre nom.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Ma voix n’estant pas assez forte,</l>
              <l rend="i">Les Muses par pitié me laissent à leur porte</l>
              <l rend="i">Implorer le secours des sublimes esprits.</l>
              <l rend="i"> Depuis longtemps j’y fais la queste ;</l>
              <l rend="i">Mais j’ay beau demander ; toujours mes foibles cris</l>
              <l rend="i"> Font qu’on se rit de ma requeste,</l>
              <l rend="i"> Aussi bien que de mes écrits.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Si plus sensible à mes prieres</l>
              <l rend="i">Vous me communiquez vos sçavantes lumieres,</l>
              <l rend="i"> Sçachant quel est mon sentiment.</l>
              <l rend="i"> Je n’en feray qu’un bon usage ;</l>
              <l rend="i"> Car si j’ay quelque empressement</l>
              <l rend="i">De joüir d’un tel avantage,</l>
              <l rend="i">C’est pour apprendre l’art de faire un compliment,</l>
              <l rend="i"> Qui soit pour vous un tendre gage</l>
              <l rend="i"> De mon juste ressentiment.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i"> Aujourd’huy que par bonté pure,</l>
              <l rend="i">Le Grand Cosme, l’amour de toute la Nature,</l>
              <l rend="i"> M’a bien voulu combler de ses bienfaits,</l>
              <l rend="i"> Je puis, sans estre témeraire,</l>
              <l rend="i">Inviter vostre Muse à chanter ses hauts faits,</l>
              <l rend="i">Et tout ce que pour moy son grand cœur vient de faire,</l>
              <l rend="i"> Que le mien n’oublira jamais.</l>
            </lg>
            <ab type="ornament">***</ab>
            <lg>
              <l rend="i">C’est par là qu’on s’acquiert une immortelle gloire,</l>
              <l rend="i">Qu’on rend son nom fameux au Temple de memoire :</l>
              <l rend="i">Pour vos doctes travaux c’est le plus digne objet.</l>
              <l rend="i"> Epuisez les eaux d’Hippocrene,</l>
              <l rend="i">Vous ne sçauriez jamais vous donner trop de peine</l>
              <l rend="i"> En traitant un si beau sujet.</l>
            </lg>
          </quote>
          <p>Voicy des Vers de Mademoiselle de Scuderi, sur cette même reception. Il paroist qu’ils sont adressez au Pere de M<hi rend="sup">r</hi> le Chevalier de Percy.</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i">Il est des Chevaliers de toutes les façons,</l>
              <l rend="i">Mais le vostre, Nonchamp, est de la Vieille-roche,</l>
              <l rend="i"> Et par de tres-bonnes raisons,</l>
              <l rend="i"> C’est un Chevalier sans reproche.</l>
            </lg>
          </quote>
          <p>M<hi rend="sup">r</hi> de Nonchamp a fait la réponse qui suit à ce Quatrain.</p>
          <quote>
            <lg>
              <l rend="i">Chevalier de la Vieille-roche,</l>
              <l rend="i">Ne seroit pas, Sapho, Chevalier sans reproche,</l>
              <l rend="i">Si de vostre merite il n’estoit pas touché.</l>
              <l rend="i">Il sçait de vos vertus l’éclat &amp; l’étenduë,</l>
              <l rend="i"> Il ne les perd jamais de veuë,</l>
              <l rend="i"> Et croiroit commettre un peché,</l>
              <l rend="i">S’il n’estoit pas sensible à l’exemple d’un Pere,</l>
              <l rend="i"> Qui vous honore &amp; vous revere.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-12_218" resp="wordpro">
          <head>[Epistre en Vers de Mademoiselle des Houlieres]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, décembre 1696 [tome 12], p. 218-221.</bibl>
          <p>L’Epistre qui suit est de Mademoiselle des Houlieres. Ce nom vous fera regreter qu’elle soit si courte.</p>
          <quote>
            <label>A MADAME ***</label>
            <lg>
              <l rend="i">Ne grondez plus, vous serez satisfaite,</l>
              <l rend="i">J’ay pour vous plaire invoqué les neuf Sœurs.</l>
              <l rend="i">Ces Belles m’ont promis tantost dans ma retraite,</l>
              <l rend="i">De me remplir pour vous des divines fureurs.</l>
              <l rend="i">Dés que mon ame en sera possedée,</l>
              <l rend="i">Ma Lyre sous mes doigts par leurs soins accordée,</l>
              <l rend="i">Ne rendra plus que d’agreables sons.</l>
              <l rend="i">Alors ma Plume en cent &amp; cent façons</l>
              <l rend="i">Vous representera des Graces précedée.</l>
              <l rend="i">Je parleray de vostre belle humeur,</l>
              <l rend="i">Je vous peindray paistrie &amp; de lis &amp; de roses,</l>
              <l rend="i">Et si ma voix répond à mon ardeur,</l>
              <l rend="i">Je chanteray cent prétieuses choses</l>
              <l rend="i">Dont le recit me comblera d’honneur.</l>
              <l rend="i">Quand j’auray dit tout ce que la Nature</l>
              <l rend="i">A mis en vous de rares qualitez,</l>
              <l rend="i">Mon cœur charmé de toutes vos bontez,</l>
              <l rend="i">Vous garde un de ces Arcs d’immortelle structure,</l>
              <l rend="i">Dont le dessein brillant &amp; glorieux,</l>
              <l rend="i">Est de transmettre à la race future</l>
              <l rend="i">Ces fameux noms du temps victorieux.</l>
              <l rend="i">Mais quel que soit mon zele &amp; ma tendresse,</l>
              <l rend="i">Quel que soit le pouvoir que vous avez sur moy,</l>
              <l rend="i">Et quelque soit enfin le desir qui me presse</l>
              <l rend="i">De chanter dons mes Vers les graces que je voy,</l>
              <l rend="i">Mon esprit qui connoist &amp; qui craint sa foiblesse,</l>
              <l rend="i">Sans leur divin secours se tiendra clos &amp; coy.</l>
            </lg>
          </quote>
        </div>
      <div type="article" xml:id="MG-1696-12_225" resp="mercure">
        <head>[Discours prononcé à Agen]</head>
        <bibl><title>Mercure Galant</title>, décembre 1696 [tome 12], p. 225-227.</bibl>
        <p>Je vous envoye un Discours qui a esté prononcé par Mr Labat, Avocat du Roy au Presidial d'Agen.</p>
        <p/>
        <p>SUR LA PAIX DE SAVOYE.</p>
        <p/>
        <p>Nous avons remply l'air de nos feux &amp; de nos cris d'allegresse, &amp; le ciel, de nos actions de graces ; &amp; l'écho de ce qui se dit par tout m'engage à l'ouverture de cette Seance, d'en entretenir la Cour que de l'heureux succés de la paix de Savoye. Mais quelle étenduë de connoisssance ne faudroit-il point pour débroüiller depuis ce dernier Te Deum, les interests de tant de Princes, ou plutost quelle solidité de jugement ne faudroit-il point avoir, pour composer une action digne de cette honorable Audience ? [...]</p>
      </div>
        <div type="article" xml:id="MG-1696-12_277" resp="wordpro">
          <head>[Morts]</head>
          <bibl><title>Mercure Galant</title>, décembre 1696 [tome 12], p. 277-303.</bibl>
          <p>Voicy les noms des personnes distinguées, mortes depuis peu de temps, &amp; dont je ne vous ay point parlé dans mes dernieres lettres.</p>
          <p>M<hi rend="sup">r</hi> Centeze, Prestre Chanoine de S. Aignan en l’Eglise de Paris, mort dans sa quatre-vingt-onziéme année, estant né le 3. Avril 1606. Il avoit quatre-vingt-deux ans de service dans l’Eglise de Nostre-Dame, où il estoit entré Enfant de Chœur le 12. Decembre 1614. Aprés avoir passé par tous les degrez qui sont destinez aux Beneficiers, il fut éleu Chanoine le 3. Juin 1682. &amp; il deceda le 30. Octobre dernier. Comme cette Chanoinie-Semiprebende est une des deux que M<hi rend="sup">rs</hi> du Chapitre donnent pour récompense aux Beneficiers qui ont servy leur Eglise en qualité d’Enfans de Chœur ou de Chantres élevez &amp; nourris au chant &amp; aux ceremonies de cette Eglise, ils ont donné celle cy à Pierre Nicolle, Chanoine Prestre de S. Denis du Pas, âgé de soixante-treize ans, qui estoit le plus ancien de tous les Beneficiers Prestres, &amp; Officiers de Nostre-Dame, où il est entré en qualité de Chantre dés l’année 1646. &amp; a rendu ses services tant de jour que de nuit avec toute l’assiduité &amp; l’application possible.</p>
          <p>Dame Marie Anne de Betizy de Meziers. Elle estoit Dame d’Atour de la Reine de Pologne, &amp; elle est morte à Paris.</p>
          <p>Le Pere Pierre Gargan, Chanoine Regulier de l’Ordre de S. Augustin, de la Congregation de France. Il estoit Curé de S. Medard au Fauxbourg de S. Marcel de Paris ; &amp; cette Cure estant à la nomination de M<hi rend="sup">rs</hi> de l’Abbaye de sainte Geneviéve, ils y ont nommé le Pere Canto, Religieux &amp; Procureur de cette Abbaye.</p>
          <p>Dame Renée de Gaudé. Elle estoit veuve de M<hi rend="sup">re</hi> Elie de Sainte Fére, Seigneur de Blancafort, Colonel d’un Regiment d’Infanterie, &amp; Commandant dans la Citadelle de Courtray.</p>
          <p>Dame Marie Anne le Febvre. Elle estoit femme de M<hi rend="sup">r</hi> le Jariel des Forges, Conseiller en la Cour des Aydes.</p>
          <p>Mademoiselle Valentine de Lafemas, Fille de deffunt Isac de Lafémas, Lieutenant Civil de la Ville, Prevosté &amp; Vicomté de Paris, &amp; premier Maistre des Requestes ordinaire de son Hostel.</p>
          <p>M<hi rend="sup">re</hi> Felix Vialar, Seigneur de Herse, Lieutenant des Chasses &amp; Plaisirs du Roy de ses Villes &amp; Chasteaux de S. Germain &amp; Versailles. Il est mort à saint Germain en Laye, d’où son corps a esté apporté à Paris, &amp; inhumé en l’Eglise des Peres Feüillans de la ruë S. Honoré.</p>
          <p>La Mere Sœur Marie Catherine, nommée dans le monde Marie de Fécan, Religieuse de la Congregation de Nostre-Dame de Compiegne, morte dans son Monastere de Compiegne le premier de ce mois. Elle estoit née à Peronne en Picardie, fille de M<hi rend="sup">re</hi> Alexandre de Fécan, Colonel du Regiment d’Harcourt, Seigneur d’Anny, de Feüilliere, &amp; autres lieux, &amp; de Mademoiselle de Cressé son épouse. Elle perdit sa mere à l’âge de sept ans, &amp; son pere l’ayant mise en pension dans ce Monastere, elle y prit l’habit en 1666. Il mourut peu de temps aprés, ce qui ne l’empêcha point de faire profession, ayant fait connoistre depuis ce temps-là par sa conduite &amp; par son zele, qu’elle avoit esté veritablement appellée de Dieu dans cette sainte vocation.</p>
          <p>M<hi rend="sup">r</hi> Perron, Docteur és Droits, Conseiller &amp; Historiographe du Roy, mort dans sa quatre-vingt-onziéme année. Il estoit natif de Langres, fort versé dans l’Histoire, estant regardé comme un repertoire universel de tout ce qui se passoit de considerable dans l’Europe, ce qui luy avoit attiré l’estime de feuë Son Altesse Royale Mademoiselle d’Orleans. Il avoit esté Precepteur de M<hi rend="sup">r</hi> d’Entragues, pere de M<hi rend="sup">r</hi> l’Abbé d’Entragues d’aujourd’huy, &amp; depuis Precepteur de M<hi rend="sup">r</hi> l’Abbé de Clermont-Tonnerre, Evesque &amp; Comte de Noyon. Son grand âge l’ayant rendu sedentaire, il s’appliquoit à mettre en ordre quantité de Memoires curieux d’Histoire, qu’il avoit tirez des Originaux. Il y a deux ans qu’il fit imprimer à Paris un petit Volume in douze, qui contient plusieurs Titres, Memoires &amp; Antiquitez de la Chastellenie de Marcoussy, de la Prevosté &amp; Comté de Mont-le Hery, du Chapitre de saint Merry de Linas, des Fiefs &amp; Seigneuries de la Rouë, de Bell-jame, Guillerville, Beauregard, &amp; autres lieux circonvoisins. Ce petit Traité est d’autant plus curieux qu’il n’y en a eu que vingt-sept exemplaires, l’Auteur l’ayant fait imprimer à ses dépens pour en faire present à ses plus intimes amis. On y trouve les noms de plusieurs anciens Seigneurs de Marcoussy, des Capitaines &amp; Gouverneurs de ce Chasteau, la Fondation, l’Inventaire des Ornemens, des Vases sacrez &amp; des Reliques du Monastere des Celestins de Marcoussy, avec une suite &amp; un dénombrement des Prieurs-Curez, &amp; des Prieurs Conventuels de ce Monastere, de mesme que plusieurs particularitez de la Ville, Comté &amp; Prevosté de Mont-le-Hery, de ses anciens Seigneurs, de plusieurs de ses Prevosts, &amp; du Chapitre de saint Merry de Linas, le tout tiré sur d’anciens Titres, dont l’Auteur avoit eu communication. Il seroit à souhaiter que quelqu’un de ses heritiers voulust enrichir le public de beaucoup d’autres découvertes qu’il avoit faites, &amp; que l’on a dû trouver dans ses écrits.</p>
          <p>Dame Marguerite de Bruscoly, veuve de M<hi rend="sup">r</hi> de Creil, Lieutenant en l’Eslection de Paris, de la Famille des de Creil qui a donné plusieurs Officiers dans l’Epée, dans le Conseil, &amp; dans les Cours Superieures. Elle est morte âgée d’environ quatre vingts ans, ayant mené une Vie toute pieuse &amp; toute Chrétienne, &amp; ayant passé pour un Exemple de Vertu parmy les Dames de la Paroisse de S. Eustache où elle a voulu estre inhumée. De plusieurs Enfans qu’elle a eus, quelques uns ont pris le party de l’Eglise ; une seule de ses Filles, Antoinette de Creil, estant restée dans le monde. Cette Fille a épousé en premieres nopces François Boudet Seigneur de la Belliere, Conseiller du Roy en sa Cour des Monnoyes, fort versé en la langue Grecque, &amp; tres-sçavant en l’Histoire ; &amp; en secondes nopces Charles Beraud de Villiers Auditeur en sa Chambre des Comptes. Elle n’a point laissé d’enfans de ce second mariage, &amp; a eu du premier une Fille, qui a épousé M<hi rend="sup">r</hi> de Plancy cy-devant Maistre d’Hostel de son Altesse Royale Monsieur, dont est venuë une fille, qui se trouve seule &amp; unique heritiere de feuë Madame de Creil, &amp; qui dans son jeune âge est doüée d’une sagesse &amp; d’une conduite merveilleuse, ayant rassemblé en elle toutes les bonnes qualitez de ses ancestres. Madame de Creil qui vient de mourir laisse un frere &amp; une sœur qui sont, Jean de Bruscoly Auditeur en sa Chambre des Comptes, un des plus intelligens &amp; des plus laborieux de cette Chambre, &amp; Marie de Bruscoly veuve de Nicolas Droüyn Ecuyer Seigneur d’Apoigny, Conseiller de Roy, Secretaire de Sa Majesté, laquelle est aussi dans une tres-grande pratique de vertu.</p>
          <p>Dame Marie Jeanne Elizabeth Bezard. Elle estoit Femme de Messire Claude de Fay Daty, Seigneur de Cilly, Colonel d’un Regiment de Dragons, &amp; Sœur de Madame de la Chevalerie, veuve de M<hi rend="sup">r</hi> de la Chevalerie, premier Valet de la Garderobe.</p>
          <p>Dame Madeleine de Ferrari Epouse de Messire Jean Julien Phillippe de Billy, Conseiller en la Grand Chambre.</p>
          <p>M<hi rend="sup">r</hi> Puylon Docteur, Regent &amp; ancien Doyen en la Faculté de Medecine de l’Université de Paris. Il vivoit dans une grande devotion, &amp; estoit un des plus capables &amp; des plus employez sujets de la Faculté. Il estoit Fils d’un fameux Docteur Regent en la mesme Faculté.</p>
          <p>Messire Jean-François de Gourdon de Genoüillac Montferan, Seigneur Comte de Vrillac, Baron de Guienne, Seigneur de Cançon, Casseneüil, Moulinet &amp; autres lieux. Il est le mort le 16. de ce mois âgé de 51. ans. Madame sa Femme a esté Fille d’honneur de feuë Mademoiselle, Duchesse d’Orleans. Il estoit Fils de Messire Jean Paul de Gourdon de Genoüillac, Comte de Vaillac, Lieutenant General des Armées du Roy, Chevalier des Ordres de Sa Majesté, Capitaine des Gardes de Son Altesse Royale Monsieur, Chevalier d’honneur de Madame, &amp; de Dame Marie-Felice de Voisin de Montaut. Madame sa sœur Galiotte de Gourdon de Genouillac, a épousé Gaspard le Secq, Comte de Montaut &amp; de Grammont, Marquis de la Mothe-saint-Heraye, cy-devant Conseiller au Parlement de Paris.</p>
          <p>On vient de donner au Public un Ouvrage qui doit plaire également aux personnes de pieté &amp; aux Sçavans. Il a pour titre, <hi rend="i">l’Esprit de l’Eglise dans l’usage des Pseaumes en forme de Priere ou d’Exhortation</hi>. Un des Amis de l’Auteur, mort depuis quelques années, qui estoit sans contredit un des plus beaux esprits de nostre siecle, en ayant recouvré heureusement une copie, a crû devoir faire part à tout le monde de cette admirable Paraphrase, qui non seulement n’a rien de commun avec celles qui ont paru jusques à present, mais qui sans s’écarter du sens litteral &amp; moral, donne aux Pseaumes les plus difficiles à entendre à cause de l’obscurité des Propheties &amp; des faits Historiques, ou par leur expression abstraite &amp; enigmatique, une explication si juste, si aisée, &amp; si pleine d’onction, que chacun selon l’intention de l’Eglise, qui propose à chaque fidelle la lecture de ces Pseaumes, en peut faire le sujet de ses prieres &amp; de ses meditations. L’Auteur dit dans sa Preface qu’ayant remarqué que ceux qui en expliquant ces Pseaumes se sont attachez au seul sens litteral, ont fait lire une simple Histoire à un Chrétien, lors que David mesme prétend luy avoir dicté une instruction pour ses mœurs, que ceux qui n’ont expliqué que le sens mystique nous ont fait parler en Prophetes, pour exciter de nous faire parler en Historiens ; &amp; enfin que ceux-là mesme qui n’ont pas negligé le sens moral, l’ont mêlé d’une telle maniere avec l’Histoire &amp; la Prophetie que la pluspart des Pseaumes semblent moins des prieres que des enigmes ; l’Auteur, dis-je, avertit ses Lecteurs dans sa Preface que pour ne pas tomber dans ces inconveniens, il s’est proposé de faire servir également à nostre instruction, les differentes interpretations qu’on donne à ces mysterieux Cantiques, en sorte que sans rien negliger de ce qu’ont dit les Saints Personnages qui en sont les Auteurs, il a taché d’employer tous leurs sentimens dans sa Paraphrase pour témoigner à Dieu nostre respect, nostre reconnoissance &amp; nôtre amour ; &amp; qu’afin d’entrer mieux dans leur pensée, &amp; de justifier, pour ainsi dire, l’usage que l’Eglise fait de ces Pseaumes, il a crû qu’il falloit les traduire &amp; les interpreter de telle sorte, que tous les Chrétiens en peussent faire leurs prieres &amp; leurs meditations ordinaires, sans estre rebutez par l’obscurité des Propheties qu’ils contiennent, par le recit des faits qu’ils décrivent, par la difference des personnes qui y parlent, par la contrarieté apparente des sens qu’ils renferment, par la sublimité de leurs expressions, ou par la simplicité de leurs paroles. Ce Livre est divisé en deux volumes, &amp; se vend chez le S<hi rend="sup">r</hi> Jean Guignard à l’entrée de la grande Salle du Palais, &amp; chez le sieur Jacques Robustel, ruë S. Jacques au Palmier.</p>
          <p>Le sieur de Sercy, Libraire du Palais dans la grand Salle à la Foy Couronnée, a fait imprimer depuis peu, &amp; va debiter incessamment, <hi rend="i">Les Poësies de M<hi rend="sup">r</hi> de Benserade</hi>, divisées en deux volumes, dont le dernier contient les vers qu’il a composez pour les Balets du Roy, dans lesquels, par un Art, absolument singulier à cet Auteur inimitable, il a exercé pendant plus de quarante années, une Satyre ingenieuse &amp; hardie contre les plus grands Seigneurs, sans exciter leur chagrin ny s’attirer leur ressentiment. Ce Recueil fera sans doute beaucoup de plaisir au Public, sur tout aux Personnes qui restent de la vieille Cour, &amp; fera convenir les jeunes gens qui ont de l’esprit &amp; du goût, qu’il seroit à souhaiter que la galanterie de ce temps-là fust un peu plus d’usage en celuy-cy.</p>
          <p>Le Sieur Collombat Libraire, ruë S. Jacques au Pelican, a imprimé de <hi rend="i">nouvelles Reflexions de M<hi rend="sup">r</hi> l’Abbé de Villiers, sur les defauts des hommes, avec les fruits qu’on en peut tirer, pour éviter le ridicule des personnes du siecle</hi>. C’est proprement la suite de celles qui ont paru il y a quelque temps du mesme Auteur, ainsi on les a fait paroistre sur les defauts d’autruy. Vous sçavez que toutes les pensées de cet Auteur sont également pleines d’esprit &amp; de bon sens. Les matieres qui sont traitées dans ce dernier Ouvrage, doivent donner la curiosité de le lire. Il y a mesme à la fin des Reflexions sur la maniere d’écrire l’Histoire, où l’on remarque en peu de mots les defauts particuliers de la plûpart des Historiens modernes.</p>
        </div>
      <div type="article" xml:id="MG-1696-12_294" resp="mercure">
        <head>[Parution de l'Esprit de l'Eglise dans l'usage des Pseaumes]</head>
        <bibl><title>Mercure Galant</title>, décembre 1696 [tome 12], p. 294-299.</bibl>
        <p/>
        <p>On vient de donner au Public un Ouvrage qui doit plaire également aux personnes de pieté &amp; aux Sçavans. Il a pour titre, l'Esprit de l'Eglise dans l'usage des Pseaumes en forme de Priere ou d'Exhortation. Un des Amis de l'Auteur, mort depuis quelques années, qui estoit sans contredit un des plus beaux esprits de nostre siecle, en ayant recouvré heureusement une copie, a crû devoir faire part à tout le monde de cette admirable Paraphrase, qui non seulement n'a rien de commun avec celles qui ont paru jusques à present, mais qui sans s'écarter du sens litteral &amp; moral, donne aux Pseaumes les plus difficiles à entendre à cause de l'obscurité des Propheties &amp; des faits Historiques, ou par leur expression abstraite &amp; enigmatique, une explication si juste, si aisée, &amp; si pleine d'onction, que chacun selon l'intention de l'Eglise, qui propose à chaque fidelle la lecture de ces Pseaumes, en peut faire le sujet de ses prieres &amp; de ses meditations. L'Auteur dit dans sa Preface qu'ayant remarqué que ceux qui en expliquant ces Pseaumes se sont attachez au seul sens litteral, ont fait lire une simple Histoire à un Chrestien, lors que David mesme pretend luy avoir dicté une instruction pour ses moeurs, que ceux qui n'ont expliqué que le sens mystique nous ont fait parler en Prophetes, pour exciter de nous faire parler en Historiens ; &amp; enfin que ceux-là mesme qui n'ont pas negligé le sens moral, l'ont mêlé d'une telle maniere avec l'Histoire &amp; la Prophetie que la plupart des Pseaumes semblent moins des Prieres que des enigmes ; l'Auteur, dis-je, avertit ses Lecteurs dans sa preface que pour ne pas tomber dans ces inconveniens, il s'est proposé de faire servir également à nostre instruction, les differentes interpretations qu'on donne à ces mysterieux Cantiques, en sorte que sans rien negliger de ce qu'ont dit les Saints Personnages qui en sont les Auteurs, il a taché d'employer tous leurs sentimens dans sa paraphrase pour témoigner à Dieu nostre respect, nostre reconnoissance &amp; nôtre amour ; &amp; qu'afin d'entrer mieux dans leur pensée, &amp; de justifier, pour ainsi dire, l'usage que l'Eglise fait de ces Pseaumes, il a crû qu'il falloit les traduire &amp; les interpreter de telle sorte, que tous les Chrétiens en peussent faire leurs prieres &amp; leurs meditations ordinaires, sans estre rebutez par l'obscurité des Propheties qu'ils contiennent, par le recit des faits qu'ils décrivent, par la difference des personnes qui y parlent, par la contrarieté apparente des sens qu'ils renferment, par la sublimité de leurs expressions, ou par la simplicité de leurs paroles. Ce Livre est divisé en deux volumes, &amp; se vend chez le Sr Jean Guignard à l'entrée de la grande Salle du Palais, &amp; chez le sieur Jacques Robustel, ruë S. Jacques au Palmier.</p>
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